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Les tourments de Farid Smahi « l’arabe du FN » Par Loïc H. Rechi, photo Vincent Desailly - article paru dans Snatch #07, avril-mai 2011
Après une quinzaine d’années passées à servir le Front National, Farid Smahi, Français d’origine algérienne, était débarqué par Marine Le Pen suite à la grand-messe du parti d’extrême droite. Rencontre triste avec un ex-joueur de waterpolo qui s’est sans doute trompé d’équipe.
«- Vous en êtes où aujourd’hui ?
- Aujourd’hui, je suis un homme libre, profondément déçu.
- Et vous allez faire quoi maintenant ?
- Je ne sais pas. Je pense que j’ai assez d’expérience politique. Je suis assez connu. Je souhaite bon vent à Marine.
- D’accord, mais vous avez de la rancoeur non ?
- Oui, elle avait une occasion extraordinaire à travers moi. Ce qu’on appelle la diversité. Tous mes amis m’appellent et me disent «non ce n’est pas possible«. Je n’ai même pas eu le droit à un conseil de discipline extraordinaire. Non, j’ai juste reçu une lettre. « T’es viré ».
- Et vous espérez toujours qu’on vous reprenne en fait ?
- (Long silence) Non je crois que la page est tournée, incontestablement. Elle n’avait pas intérêt à ce que je devienne son ennemi. Je suis une bête blessée. Mais attention, je ne suis pas n’importe quelle bête. »
Aussi loin qu’on puisse retrouver sa trace médiatique, quelque part au début des années 90, Farid Smahi a toujours fait preuve d’une constance absolue. Il suffisait de pointer un objectif et un micro dans sa direction pour que l’éclat au fond de l’oeil devienne incandescent, le débit se fasse fluide et le propos hermétique à toute contradiction. L’odeur du journaliste et la vue des caméras ont toujours transcendé l’individu. Farid Smahi fonctionne comme un organisme autotrophe, à la différence près que son processus personnel de photosynthèse se produit lorsqu’on braque une caméra sur lui. Cet amour immodéré des objectifs est pourtant le vice qui l’a perdu. Le 16 janvier 2011, sous le regard de tout ce que pays compte de journalistes politiques, il commet son plus grand coup d’éclat médiatique depuis l’annonce de son engagement avec le Front National presque quinze ans plus tôt. Lui le fidèle de Jean-Marie Le Pen; lui le type qui a servi de « caution beur » à un parti nauséabond; lui l’interlocuteur privilégié avec les harkis et la communauté musulmane – dans une certaine mesure – se désintègre littéralement en vol.
Au milieu de la cohue, un cyclone déboule, furibard contre de Marine Le Pen et ses proches conseillers. Après une décennie et demi de loyaux services, il vient d’apprendre entre deux conférences qu’il n’est pas reconduit au Bureau Politique du Front National, l’organe réflectif et décisionnel du parti. Alors quitte à rendre les armes, autant s’offrir un baroud d’honneur digne d’un scorpion encerclé par un mur de flammes bleu blanc rouge. Farid Smahi « le boxeur » tel qu’il se définit, vide son sac devant un parterre de plusieurs dizaines de journalistes et de membres du FN et crie sa rage contre Marine qu’il accuse de l’avoir sacrifié sur l’autel de la lutte contre l’islam. Puis avec un trémolo dans la voix, il s’en va non sans un ultime commentaire lourd de sens. « En 1998, le Front National était bien content d’avoir le bougnoule de service. On ne me jette pas comme ça, on me parle. Je suis un être humain de chair et de sang. »
Deux mois plus tard, le brun aux larges épaules habillées d’un costard trois pièces qui s’assoie en face de moi dans un café-restaurant de la place de la République est emprunt de précautions. Il n’a plus la lueur du combattant au fond de l’oeil. Pas plus que l’assurance et l’envie de combattre. A cinquante-sept ans, Farid Smahi est un homme brisé, laissé sur le bord de la route par le panzer Marine Le Pen. Mais le gaillard l’a bien cherché et vit une version moderne de la tragédie faustienne. S’il en est là aujourd’hui, c’est parce que sa volonté d’obtenir un poste d’élu à tout prix l’a poussé à conclure un pacte contre-nature avec Jean-Marie Le Pen, le Méphistophélès de l’extrême-droite. Smahi l’a appris à ses dépends, on ne joue pas impunément avec le feu sans se brûler.
Du water-polo au cheval de Troie
Issue d’une famille prolétarienne portée par un père qui a combattu les Nazis, la carrière de Farid Smahi débute assez loin des bassins de l’extrême-droite, plus exactement dans des piscines municipales du côté de Lyon. Après une vie de sportif de haut de niveau qui le mène en équipe de France de water-polo vers la fin des années 70, il enchaine sur une fonction d’éducateur et devient entraineur de l’équipe de Boulogne-Billancourt. Parallèlement, il s’investit dans le mouvement associatif, au sein de France-Plus, une association qui réunit des jeunes français d’origine maghrébines et notamment des enfants de Harkis comme Farid. Au sein de cette association qui mène une campagne vigoureuse pour présenter des candidats aux élections municipales au début des années 90, Farid intègre les rudiments de la rhétorique politique, développe l’embryon des idées qui ne le quitteront plus et croise régulièrement des types comme Julien Dray, Malek Boutih ou Harlem Désir. Devenu responsable du comité parisien, le gars est globalement stigmatisé au sein du mouvement et se voit régulièrement taxé de militant de droite – lui qui se considère encore de gauche. Il finit par claquer la porte avec fracas en 1993 – une vieille habitude – non sans signer au préalable une tribune dans le Quotidien de Paris qui marque le point de départ d’une longue descente aux Enfers. Dans celle-ci, Smahi dénonce l’ostracisme des partis politiques à l’égard des beurs et la « confusion » entre « honnêtes familles françaises d’origine immigrée » et « étrangers plus ou moins marginaux, délinquants ». Il ne le sait probablement pas encore mais une bonne partie des éléments de langage qui vont faire sa marque de fabrique pendant les dix-huit années suivantes sont déjà là.
Dans la foulée de son départ, il monte sa propre association « Arabisme et Francité », signe deux ouvrages dont le remarqué et provocateur Faut-il brûler les Arabes de France? et devient même chroniqueur occasionnel pour Le Figaro. Chaque page, chaque colonne, chaque ligne sont utilisées pour défendre ses idéaux de patriote français pro-palestinien déçu par la manière dont les gouvernements successifs – et la gauche en particulier – ont échoué selon lui à intégrer les populations d’origines étrangères. Mais en se posant en fervent défenseur de la suppression de la binationalité, Smahi se trouve un combat qu’il placera désormais au dessus de tout. Pour justifier son obsession sur un thème qui a contribué à le faire connaitre dans les arcanes du pouvoir, Farid Smahi tire sur ce bon vieux ressort de la peur. « Menace en cas de guerre », « Cheval de Troie », aucune expression n’est trop forte à yeux pour définir son aversion pour les individus dotés de deux nationalités, marquant toujours une différence entre « les honnêtes immigrés » et « ceux qui profitent du système ». Farid le gouailleur vomis les binationaux par tous les trous et ne se prive pas de le souligner à outrance dans ses livres ou ses chroniques publiées dans le quotidien de droite à la maquette bleutée, avec une préférence marquée pour ceux d’origine maghrébines ou israélienne.
Dans la gueule de Cerbère
A force de jouer avec le feu, Smahi finit par allumer un brasier un jour de 1997. Il propose à Jean-Marie Le Pen de déjeuner avec lui, selon ses propres mots pour « savoir s’il voulait jeter les arabes, les noirs, les juifs à la mer, une fois au pouvoir. » Les deux hommes passent deux heures à table à échanger, à se trouver des points de convergences. Smahi tombe ainsi complètement sous le charme du vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie à tel point qu’il en parle encore aujourd’hui comme d’un deuxième père. Accablé par le milieu politique pour avoir partagé le gueuleton interdit, meurtri des accusations qui lui sont faites, l’ancien sportif rumine sa rage et accepte finalement le marché que l’on sait, un pacte qui lui coûte au passage un divorce et de nombreuses amitiés. Les conséquences seront telles qu’à compter de 1998, il ne reverra plus ses deux premiers enfants. Mais devenu élu au conseil général d’Ile de France, Smahi grimpe les échelons dans le parti, rentre au Bureau Politique et accède au trône de la fédération de l’Essonne même s’il essuie parfois les saillies racistes de certains membres de la frange megretiste, non sans se défendre. Devenu le garant maghrébin du parti, il fait tout pour se rendre indispensable et va jusqu’à emmener Jean-Marie Le Pen sur la dalle d’Argenteuil en 2007, à trois semaines de la présidentielle, pour faire un pied de nez à Sarkozy et son fameux discours sur le Kärcher. Tout aussi actif dans l’ombre, il oeuvre notamment aux côtés de Jany Le Pen et Jean-Michel Dubois au sein de l’association « SOS Enfants d’Irak » – affiliée au parti – qui achemine des médicaments pour les enfants irakiens malades.
Quand la question de la succession du Saint-Père commence à se poser, Smahi se place instinctivement du côté de la fille plutôt que de celui de Bruno Gollnisch, le bras droit. Jusqu’au fameux congrès de Tours de janvier dernier donc. A cette occasion, Smahi, persuadé de conserver son poste au Bureau Politique décide contre toute attente de soutenir Gollnisch. Face à lui, attablé un jeudi matin dans ce café sans âme de la Place de la République, je lui demande sans pincette comment peut-on faire un calcul aussi mauvais en ayant plus de vingt ans de politique dans les pattes. Le gaillard, les yeux embrumés, la voix emplie de tristesse me répond simplement « De par sa fidélité, je ne voulais pas que Bruno fasse un mauvais score. » La suite est connue. Smahi apprend son éviction entre deux discours, pète son câble, déverse un lot d’inepties sur un complot juif et s’auto-exclus du parti, donnant à Marine – sans pitié – un motif inespéré pour se débarrasser d’un élément devenu obsolète, un frontiste qui a échoué à séduire la population française d’origine arabe.
Après avoir laissé Smahi – plus par tristesse pour lui que par mimétisme – je me suis laissé envahir à mon tour par un sentiment confus. J’ai marché vers Goncourt, un peu hagard, en pensant à ce type complètement paumé, à sa détresse qui m’a sincèrement fait de la peine. Aujourd’hui, Farid Smahi est logiquement empli de rancoeur contre ses prétendus amis frontistes d’hier, contre les Jean-Marie Le Pen et les Bruno Gollnisch qui ne l’ont jamais rappelé depuis. A ce ressentiment se mêlent sans doute aussi des regrets douloureux comme de l’eau de mer qu’on applique sur une plaie à vif; c’est qu’à cinquante-sept ans, il est sans doute trop tard à pour recommencer une carrière politique. Farid Smahi est aujourd’hui un individu à la dérive qui défend encore certaines idées par automatisme mais donne le sentiment de ne plus savoir où il en est, allant jusqu’à louer les qualités d’un Nicolas Dupont-Aignan, cinq minutes après m’avoir lu une citation d’un Alain Soral réussissant l’exploit de placer « complot juif », « francs-maçons » et « conflit des civilizations » en trois phrases. Smahi le dit lui-même, il est une bête blessée. Mais là, assis face à Smahi, on croit entrevoir au fond de ses yeux le petit garçon qui a grandi à Lyon et a fait une grosse bêtise. On en viendrait presque à lui souhaiter le droit à la rédemption, le droit de purger ses erreurs et repartir sur un bon pied, du bon côté. Au cours d’un autre entretien, c’est finalement Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite française, qui s’est chargé d’abattre la bête verbalement. « Ses tentatives de capter une partie de l’électorat d’origine arobo-musulmanes ont complètement échoué. Il ne faut pas être grand sorcier pour savoir pourquoi.Quand on est effectivement d’origine maghrébine et qu’on devient non pas seulement militant du Front mais un élu pendant aussi longtemps, on finit quand même par se poser la question de savoir à quoi on sert ? Visiblement ou il ne se l’est pas posée, ou la réponse qu’il a apporté était pas la bonne. » L’histoire de Farid Smahi est peut-être simplement celle d’un type qui se serait fourvoyé sur la manière de tirer profit de son intelligence.
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