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Joël en a assez : comme il le répète chaque jour à ses collègues et amis, l'espace médiatique est ultra-favorable à l'extrême-droite. Heureusement, un soir, il tombe sur un bon génie, et souhaite que "l'espace médiatique soit politiquement inversé".
Soit !
Le lendemain matin, Joël est réveillé par le doux son de France Info. La rubrique "Le Vrai du Faux" est consacrée à démonter une Fake News : un député de gauche a affirmé que la police avait blessé 5 000 personnes l'année précédente, et cette information est "circule énormément dans la gauchosphère". La journaliste explique alors que l'information est fausse. En effet, le bon chiffre est 4998, l'information est donc fausse.
Joël décide de changer de radio et tombe sur France Inter, où toute une troupe de comiques ouvertement encartés à droite font des blagues sur la gauche. En rappelant que la gauche, et plus particulièrement l'extrême-gauche, ont lourdement collaboré durant la Seconde Guerre mondiale. Ils lisent, hilares, la lettre d'un auditeur demandant un peu d'équilibre politique sur une radio publique. La réponse est cinglante : "Eh ouais, désolé les rouges, on prend votre pognon pour une bonne cause !". Ils enchaînent en rappelant que le maréchal Pétain, lui, a été le bouclier de Vichy, donc, hein, voilà.
Joël, déboussolé, quitte son appartement pour sortir gagner son métro. Sur le chemin, des affiches pour des spectacles de théâtre proposent des thèmes aussi variés que "Le masculinisme", "Le tabou du racisme anti-blanc" ou encore une pièce sur l'histoire d'une famille de chasseurs de communistes durant la guerre d'Espagne. Des tags "All Communists Are Bastards" se glissent parfois entre deux réclames.
En parlant de réclames, mais pourquoi sur toutes les publicités du métro, on trouve de grands blondes aryens ? Même les publicités pour bébés ne sont remplies que de petits blonds en couches !
Joël se faufile dans une rame de métro et comme chaque jour, lance Netflix pour se regarder une petite série le temps du trajet. A sa grande surprise, nombre de films semblent avoir pour héros un personnage aryen là encore. Une minisérie sur Malcolm X voit le personnage principal être incarné par Dolph Lundgren. Joël, très étonné de ce changement pas très historique, file sur Youtube voir les commentaires sous la bande-annonce. Pas de chance : les commentaires ont été fermés.
Tant qu'à être sur son téléphone, Joël jette un coup d'oeil rapide aux nouvelles. On y parle de la cérémonie des Oscars, ainsi que de celles des Césars, où nombre d'acteurs ont les uns après les autres, fait de grands discours sur l'importance d'être de droite, et du combat qu'il fallait mener jour après jour contre l'extrême-gauche. Les journaux évoquent les "influenceurs" qui ont soutenu ces discours, quand ceux qui se sont permis de les critiquer sont qualifiés de "gauchosphère".
En quittant le métro, Joël découvre les affiches des films français à sortir : une histoire d'une famille de gauche qui va soudain devoir vivre avec des migrants et découvrir qu'en fait, ils sont sales et méchants, un film sur un village courageux qui doit se battre pour repousser de vils zadistes qui viennent s'y installer, et bien évidemment, le dernier film de Vincent Lindon sur un patron qui se bat pour casser une grève. Le tout, financé par le CNC. Dans un coin, Joël découvre un film sur "Les révolutionnaires français, ces héros", mais en cherchant à en savoir plus sur son téléphone, découvre dans les médias que le film est qualifié de "propagande à la gloire du roman antinational" par Télérama, les Inrocks, Libé, Le Monde, etc. Seul le Figaro s'est montré plus tendre.
En arrivant au bureau, Joël entend ses amis parler de ce qu'ils ont fait hier soir. L'un a regardé un téléfilm sur France Télévisions sur une policière qui doit arrêter un complot de terroristes d'extreme-gauche, alors que l'autre s'est contenté d'un petit reportage Arte sur pourquoi les démocrates américains sont stupides. Une collègue, elle, est allée au cinéma regarder le dernier Marvel, où un énième personnage grand et blond aux yeux bleus devait arrêter une cellule de militants là aussi d'extrême-gauche.
C'en est trop : Joël se faufile dans son bureau pour regarder ce qu'il se passe sur CNews et BMTV. A son grand soulagement, BFMTV invite Glucksman en plateau, quant à CNews, Pascal Praud tape du poing sur la table en disant que ça commence à bien faire, il faut écouter Jean-Luc Mélenchon !
Hélas, voilà qu'une collègue rentre dans le bureau de Joël et sourcille.
"Euh Joël, tu regardes CNews ?" demande-t-elle d'un air vaguement dégoûté.
Elle en rit, mais Joël sent bien qu'elle n'apprécie que moyennement. Joël range immédiatement son téléphone et marmonne que voilà, bon, il jetait juste un oeil, un, héhé.
Après le regard de sa collègue, Joël n'ose plus trop dire qu'il regarde CNews, et sent bien qu'il est assez mal vu de se dire d'extrême-gauche. De toute manière, il vient d'entendre à la radio pendant qu'il travaillait une directrice de chaîne radio publique dire que "jamais elle ne recruterait qui que ce soit d'extrême-gauche".
Pendant ce temps, Joël découvre dans les informations qu'une association d'extrême-gauche a été dissoute car "potentiellement dangereuse". En effet, elle a osé aller à la frontière dans les Alpes déployer une banderolle "Migrants bienvenus".
Dans le même temps, "Les soulèvements de l'Hitlerre", dont on demandait la dissolution après avoir ravagé une paire de fermes, brûlé des véhicules de gendarmerie et une paire de gendarmes en passant, n'est pas dissoute car selon le conseil d'état, il n 'y a pas de "danger avéré". Le soir-meme, le skinhead à la tête du mouvement est invité dans Quotidien pour expliquer en quoi c'est bien normal : quand la cause est juste, le radicalisme est normal.
A la cantine, Joël commence à paniquer quand sur le tableau d'affichage de l'équipe, il y a de grands drapeaux "Fierté Blanche" et "Fierté Hétérosexuelle". Joël tente bien de dire timidement que ahem, bon, ça serait bien de ne pas faire de politique au boulot comme ça, aussitôt, le responsable de l'association hétérosexuelle vient le trouver :
"C'est pas de la politique, Joël. C'est de la fierté. Ca te pose problème, les gens fiers ? Tu penses qu'on devrait se cacher, c'est ça ?"
Joël s'excuse, mais est signalé. Sa direction lui propose de suivre un petit stage sur "Les Gloires de la France et les Fiertés" et promis, tout sera oublié. Cependant, la responsable des RH lui glisse que "Joël, attention, personne d'extrême-gauche dans mon équipe !". Elle appuie son propos en disant que d'autres sociétés ont la même politique, c'est donc okay : elle l'a vu à la télé.
Dans l'après-midi, Joël n'ose rien dire quand ses collègues mentionnent l'information qui passe en boucle : un joueur de football a refusé de porter le drapeau de la fierté hétérosexuelle pour un match. Le larron dit ne pas vouloir faire de politique, mais bon, comme il est gay, ça doit forcément venir de là : il est hétérophobe.
Joël n'ose rien dire car il est déjà sur la sellette après son commentaire un peu plus tôt. Ses collègues lui annoncent cependant une bonne nouvelle : le comité d'entreprise a obtenu des tickets pas cher pour le festival d'Avignon ! La pièce d'ouverture a l'air formidable : 4 heures sur l'histoire d'une famille ruinée par le Front Populaire durant l'entre-deux guerres.
Joël explique que ce n'est pas trop son truc, et que franchement, il préférerait d'autres thèmes. Un collègue lui lance : "Quoi ? Attends, on baigne dans un monde médiatique de gauchistes, ça fait du bien de voir un peu autre chose que les médias de Bolloré !"
Joël quitte le travail pour retourner s'assoir dans son métro. Des autocollants "Justice partout, gauchistes nulle part !" ou "Pas de quartier pour les socialos !" sont affichés un peu partout.
Joël a un peu peur de donner son opinion dans cette ambiance. Il se dit que tant pis, il la gardera pour les urnes. Près de lui, un monsieur âgé lui glisse : "Vous savez, moi, je vais voter Mélenchon... je n'ai pas peur de le dire. Oh, ce n'est pas que je l'aime, c'est surtout ce matraquage permanent... je suis fatigué, voyez-vous."
Joël commence à comprendre. Le soir-même, il va se coucher sans regarder le moindre écran. Même les livres sur sa table de nuit portent sur "Les femmes, ces sorcières" ou "La France, ce grand pays". Avec des bandeaux "Prix de l'engagement du festival de Paris".
La nuit apporte un peu de paix à Joël.
Mais le lendemain matin, quelle surprise ! Tout est revenu à la normale ! France Inter rigole des fachos, les films sont tous sur de vilains droitards qui n'acceptent pas les migrants, quant à Vincent Lindon, il fait le tour des plateaux pour nous parler de son dernier film sur le syndicalisme.
Joël hoche gravement la tête : maintenant, il a compris.
Il se rend sur Reddit HFR et poste :
"Le RN qui progresse, c'est à cause des fachos genre Bolloré et tous leurs médias."
Oui, Joël a bien appris sa leçon :
C'est quand même vachement plus confortable d'être dans le bon camp !
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