Citation :
Lorsque l'on s'aperçoit que l'on est pas suffisamment doué pour atteindre ses buts , croyez vous quand meme possible d'arriver a s'épanouir en descendant d'un cran ?
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Il y a dans ta question un présupposé, un impensé, qui est, tu vas t'en rendre compte, très gênant pour trouver une solution à ton problème, puisqu'il l'en empêche ! Je vais faire très simple pour que tu puisses comprendre sans trop te casser la tête. Tu poses " un but ", un projet, un désir, condition de ton épanouissement pour ne pas dire de ton bonheur. Tu seras d'accord avec moi pour reconnaître que ce but peut relever, soit d'un choix rationnel, soit d'une auto-affirmation abstraite (l'effet d'un caprice, d'une simple envie...). Mais, dans les deux cas, tu fais comme si les choix possibles préexistaient à l'acte de choisir et alors il te faut peser les raisons ou les motifs, réfléchir intelligemment pour te donner le meilleur. Tu fais comme si les possibles entre lesquelles tu hésites (" monter d'un cran " au risque d'échouer ou sagement se résigner...) avaient un poids objectif, comme si c'étaient des objets empiriques que l'on pouvait comparer selon des critères connus, ici le " don ". Illusion ou mauvaise foi. Pour résoudre ton problème, tu dois comprendre que l'idée de possible est un leurre ! Donner de la consistance au possible, cest penser le futur sur le modèle du passé, cest nier la puissance créatrice du temps. Personne ne sait ce qui est possible, mais une fois que quelque chose a eu lieu on dit " cétait donc possible ", et on pense que cétait possible de toute éternité. Erreur. Dans les choses humaines, ce qui est possible est ce qui a été fait. Ainsi, Hamlet nétait pas " possible " avant que Shakespeare ne lécrive ; et personne ne peut dire aujourdhui quelles sont les oeuvres théâtrales ou musicales " possibles " dans 10 ou 50 ans, comme il ne t'est pas possible de dire ce que tu peux faire ou pas. Pour le savoir, il faut le faire. Dire donc quon choisit entre des possibles, cest se tromper gravement. Si le possible précédait vraiment le réel, alors le temps serait aboli (tout serait " écrit " dans le possible, le temps ne serait plus que lespace logique de la réalisation du programme). Le futur nest pas " devant moi " comme une maison est à cent mètres devant moi. On emploie très souvent des métaphores spatiales pour penser la liberté (on dit quon est " à la croisée des chemins ", quon " prend une route ", etc...). Pourquoi pas ? Mais le temps vrai (la durée, dit Bergson) est tout autre chose que lespace. Lespace est étendu devant moi, homogène et découpable à linfini. Le temps nest pas étendu devant moi (il se crée au fur et à mesure quil passe), il est hétérogène (toute minute est différente de celle qui la précède, ne serait-ce que parce que jai le souvenir davoir vécu cette minute précédente), il nest pas découpable à linfini (il y a des unités naturelles de temps, qui correspondent au rythme naturel de notre existence physique, sensorielle, amoureuse, etc...). On le voit très bien dans lexpérience du temps musical : on ne peut pas couper une mélodie en deux sans la détruire ; et si on répète, dans une oeuvre classique ou en jazz, une mélodie ou un thème, la seconde occurrence ne " sonnera " pas comme la première, précisément parce quon a le souvenir de lavoir déjà entendue. La vraie liberté est création, et il faut distinguer créer et fabriquer. Fabriquer, cest faire du neuf avec du vieux, cest réorganiser des éléments déjà disponibles. Créer, cest faire émerger de limprévisible. Cest un grand thème bergsonien : lacte libre, loeuvre neuve ne peuvent jamais être prévus. Lexercice de la liberté nous surprend toujours, cest presque un signe tangible de la liberté que dêtre surpris par elle. Mais imprévisibilité ne veut pas dire arbitraire. Il y a une logique de la vie, qui fait que ma décision daujourdhui sinscrit dans une certaine continuité avec mon passé. Pas de liberté absolue ! Mais cette continuité nest pas de nature intellectuelle : personne (pas même toi) ne peut déduire son futur de son présent et de son passé, comme sil en était la suite logique. Cette continuité est de nature vivante. " Cest de lâme entière, en effet, que la décision libre émane ; et lacte sera dautant plus libre que la série dynamique à laquelle il se rattache tendra davantage à sidentifier avec le moi fondamental " (cf. Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 125-126). Le moi fondamental est plus profond que le " moi social " que léducation et la société tendent à construire par-dessus. Parfois le moi profond se révolte contre le moi social ; en ce sens, Bergson a raison de dire que, pour comprendre les actions libres, il ne faut pas se tourner vers les actions insignifiantes de la vie quotidienne, mais vers les décisions qui engagent tout le sens de notre vie (cf. Ibidem. p. 128). Il y a une logique de la liberté, qui est la logique vivante de la vie, et qui est autre (et plus forte) que la logique des logiciens (que Bergson ne méprise pas le moins du monde, je le précise). La réalité de la liberté se trouve dans le présent, dans le " se faisant ", dans laction effective. Le mouvement nest pas une chose, mais un dynamisme, que lon ne peut pas comprendre de lextérieur. Le présent véritable est hétérogène, différent en nature et en qualité du passé, du déjà vécu. Ainsi, " agir librement cest reprendre possession de soi, cest se replacer dans la pure durée " (cf. Idem p. 174-180), comme le disait Violette.