Avec la sortie du film Der Untergangde Olivier Hirschbiegel, et les différentes lectures que j'ai pu faire sur les analyses faites sur ce film, on se rend compte que beaucoup ont des connaissances réduites, voire fausses sur une question qui divise encore nombre d'historiens.
Je vais donc essayer de faire une mise au point historico-thématique avec les dernières recherches historiographiques, en définissant l'idéologie hitlérienne et tenter une étude comparative avec le modèle fasciste traditionnel (franquisme, mussolinisme).
Si j'ai le courage, je ferai un topo sur l'histoire sociale allemande de l'entre-deux-guerres.
Merci de patienter le temps que je trouve un peu de temps pour harmoniser le tout.
Le texte a été réalisé à l'aide de mes connaissances sur le sujet ainsi que des travaux de Philippe Burrin, Ian Kershaw, Edouard Husson ou Pierre Ayçoberry.
Le fascisme, un concept du XXe
On parle au sujet du XXe siècle et de sa période matricielle (1914-1945 cf. E.J Hobsbawm) « dépoque du fascisme » (Ernst Nolte) ou dépoque « du totalitarisme ou de lautoritarisme » (Philippe Burrin).
Ce qui distingue cette période des autres, dont celle qui la précède directement (lEre des Empires 1815-1911) ou qui la succède (la Guerre froide), est le retrait sur un large front du libéralisme et de la démocratie au profit de mouvements et de régimes qui les rejetaient au nom de valeurs qui étaient au minimum autoritaires, au maximum totalitaires.
Le fascisme est une expression de ce mouvement de discrédit et de retrait de la démocratie libérale. Pour le comprendre il faut remonter aux décennies précédant 1914. Se met en place une réaction remettant en cause le rationalisme - sinon la raison, une exaltation des passions et des mythes comme base constituante de la vie politique, et où la civilisation bourgeoise est méprisée pour son individualisme, son matérialisme, son hédonisme.
Ce terreau donne naissance à une droite révolutionnaire. Nostalgique de lAncien Régime, mais plus encore, opposé aux nouvelles règles de la vie sociale du début de XXe siècle, le mouvement réactionnaire de droite ambitionne un avenir de grandeur où lordre et la rigueur militaire structure la collectivité nationale.
Le fascisme est un ultranationalisme dans le sens où il veut imposer sa définition de la nation, de son histoire, de son identité, de sa mission. Dans le cas du nazisme, il veut même définir le substrat biologique de la nation, à la différence du fascisme italien qui se contente de partir dune réalité observable, litalianité. Ils ont en commun cependant, cette volonté de définir complètement et sans discussion, lhistoire, lidentité, la mission de la nation.
2 éléments définissent et distinguent le régime fasciste dun régime autoritaire traditionnel : le projet lhorizon commun 1) et la structure des institutions 2).
1) Ce projet fasciste est cernable dans des textes canonique comme La doctrine du fascisme de Mussolini ou Mein Kampf de Hitler et au-delà, dans lapparat, le décorum, lesthétique travaillé des mouvements fascistes (le philosophe Walter Benjamin dira des nazis « quils ont inventé lesthétisation de la politique »). En effet, congrès, rassemblements, réunions, dégagent la sensation dune communauté nationale compacte, hiérarchisée, militarisée, faisant disparaître sous luniforme toute distinction de rang social, déducation ou de richesse, pour laisser place à une collectivité unie autour dun chef absolu qui décide du destin collectif.
2) Institutionnellement, les régimes fascistes se distinguent des autres régimes par 4 traits :
- dabord par le compromis réalisé avec les élites conservatrices. Il a été fait afin de faciliter lascension au pouvoir, condition parfois sine qua non de la réalisation effective du projet fasciste.
- Ces régimes se distinguent par les relations tendues entre le parti fasciste et ladministration étatique, tantôt coopération, tantôt rivalité. Ce jeu de la concurrence entre les organes du parti et de lEtat feront le jeu de lavancée du régime, permettant le dépassement toujours plus rapide des efforts réalisés jusque là.
- Le culte du chef dépasse ce qui se fait dans dautres régimes autoritaires. Placé au centre du régime, en position de décideur et darbitre reconnu par tous, le chef utilise cette reconnaissance (ce charisme au sens weberien du terme) dune stature exceptionnelle pour agrandir son pouvoir avec lappui des élites, de larmée, de ladministration.
-Son atout principal est sa popularité. Les masses participentau pouvoir, non à la définition des objectifs, mais à la réalisation du projet, en position subordonnée.
La radicalisation du régime fasciste dépend enfin de lagrandissement de lespace que les partis réussissent à opérer au milieu des institutions traditionnelles. Autrement dit, cest de la transformation, du gonflement de certains offices, administrations rendus possibles par la mise en concurrence de ces mêmes que dépend laccélération de la radicalisation, de lavancée du régime. Cest donc un véritable gouvernement bis qui se met en place (cf. C. Charle) pour répondre au besoin de tous mais pour travailler dans un seul sens, celui du chef.
Si la guerre tient une place centrale dans tous les régimes de type césariste (napoléonien, franquiste) en tant quinstrument de création de lempire, dans le cas du régime fasciste, elle est une valeur en soi, un outil qui doit rétroagir directement sur la société.
Elle doit permettre de produire, de travailler à la création de cet « homme nouveau » fasciste, débarrassé comme le dit Hitler de cette « sentimentalité imbécile » et des « scrupules humanitaires débilitants ». Le fascisme est donc un outil qui doit concrétiser ces « bêtes de proie » évoquées par Nietzsche ou Spengler. Le fascisme, en particulier le nazisme, est donc une manifestation du besoin de puissance, cette soif décraser, et dans le cas contraire, de se laisser détruire plutôt que de sincliner.
Le nazisme comme « fascisme radical » ; lidéologie hitlérienne
On peut comme le fait Philippe Burrin parler de fascisme radical à propose du nazisme. En effet, contrairement au modèle italien, lAllemagne impériale davant 1914 était un régime semi-libéral où déjà en 1914, les élites prussiennes rêvaient létablissement dun régime plus ferme, sans participation démocratique. De plus, de larges blocs de populations allemandes allogènes (en dehors de lAllemagne) existaient, ce qui infirmaient lidée que lAllemagne de Guillaume II ne constituait pas un Etat-nation, comme pouvait lêtre la France de 1914 ou de lItalie.
« Lidéologie nazie est claire, cohérente, substantielle. (P. Burrin). » Lidéologie nazie est un racisme, c'est-à-dire que la race est le facteur explicatif de lhistoire du monde.
Lhumanité est pour Hitler divisée entre des races comme peuvent lêtre les espèces animales. Au sommet de la pyramide se distingue la race « aryenne », ethnie indo-iranienne qui a disparue dans sa pureté originelle mais qui subsiste dans la forme dune composante raciale parmi dautres dans le peuple allemand.
Si laryen a dégénéré, a perdu de sa « force et de sa pureté » depuis lantiquité, cest en raison du métissage judéo-aryen, et de lintroduction de lamour dans ce peuple quHitler qualifie de « guerrier ». Conséquence de cette « vision antagoniste et millénaire » : lintroduction de dispositifs eugénistes et raciaux, dont les lois de Nuremberg de 1935 en sont un exemple.
« Pourquoi ne pas faire avec les hommes ce qui se fait avec les chiens ou les chevaux ?, écrit Hitler ». Ainsi, considérant lAllemagne pécheresse, il faut donc travailler au rétablissement de cette pureté raciale, avec un travail de sélection, et dinterdiction des individus considérés comme « non valables et dégénérés ».
Lantisémitisme est au cur de la doctrine nazie, si bien que lhistoire sécrit daprès Hitler avec laffrontement entre le peuple juif et le peuple aryen. Lépoque contemporaine est selon Hitler, le temps où les juifs conspirent et fomentent, avec laide de la finance internationale et du bolchévisme (ce sont les mêmes à ces yeux qui tirent les ficelles), un plan destiné à asservir leur domination mondiale et à détruire le peuple allemand.
Il y a donc dans lidéologie nazie, un mépris pour toutes les autres races, quil est permis de traiter avec les méthodes les plus dures, de lexpulsion à la réduction en esclavage et à lextermination. Les Allemands handicapés, les Tsiganes, les Slaves sont traités durement, mais froidement. Les juifs quant à eux, sont lennemi par excellence du peuple aryen, et suscitent ainsi une haine extraordinaire. Laffrontement entre les deux races est donc inévitable pour Hitler, de sorte que de cette apocalypse finale, ne reste quun seul vainqueur, les aryens.
De ce fascisme « radical » quest le nazisme, Hitler façonne son discours, ses diatribes de sorte que dans cette Allemagne dentre-deux-guerres rongée par le chômage et lhumiliation, chacun y trouve quelquechose qui le satisfasse. Anna Harendt a développé au sujet du nazisme la « métaphore de loignon » :
Au cur : « antisémitisme, racisme, antislavisme »
Au milieu : « antibolchévisme, anticapitalisme, haine de la démocratie »
A lextérieur : « ce qui est susceptible dattirer, promesse du plein emploi, « abolition du honteux diktat de Versailles », etc. » (cf. E Husson).
La suite pour bientôt. (contexte politique, économique et social de lAllemagne de lentre-deux-guerres) + nationalisme allemand
La « fabrication dHitler (I Kershaw)» - histoire de lAllemagne de Weimar
-Comme le dit si bien Ian Kershaw ou Edouard Husson au sujet de Hitler, lessentiel est ici de sinterroger de ce « qui a rendu possible » Adolf Hitler et ce qui en a suivi.
Nous lavons évoqué auparavant, mais nous allons le développer par la suite : le nazisme prend naissance pour une part non négligeable dans le terreau nationaliste et politique de lAllemagne davant guerre (1900-1914).
Dabord il y a la tradition militaire prussienne qui demeure forte dans la majeure partie des esprits allemands, et limage du héros dont Siegfried et plus encore Otto von Bismarck incarnent plus que tout cet idéalisme allemand.
Le second XIXe siècle se caractérise par la désagrégation du « concert des 5 grandes puissances » inauguré lors du Congrès de Vienne en 1815. Le sentiment de solidarité monarchique est remplacé au profit dune définition plus étroite de lidentité nationale, où la nation tend à être sacralisée.
Le succès allemand de 1870 et la réalisation de lunité allemande par « le fer et par le sang » confirmait même que désormais la force primait désormais sur les loyautés supranationales.
La sensation « détouffement », la théorie de lespace vital (lebensraum), lexacerbation de la realpolitik (droit du plus fort) et le développement du darwinisme social (application aux société humaines du principe de sélection naturelle notamment par la raison du + fort) aiguisent le nationalisme allemand, dont le pangermanisme en est un bon exemple.
Des Ligues (Flottenverein, Alldeutscher Verband) se développent, et où se regroupent prussiens conservateurs, ou jeunes issus des classes moyennes, et qui défendent les idées « belliqueuses » des gouvernements dont Moltke le jeune ou le chancelier Bethmann-Hollweg incarnent lesprit.
Lévolution du nationalisme allemand est inséparable également de limmense essor économique de lEmpire à la fin du siècle qui contrastait avec la dépression éco de lépoque bismarckienne (1873-1895). Il est tout aussi lié à la vision délibérément « grossie » du « monstre » russe qui ne cesse de grandir, et dont les capacités et la puissance demande à grandir en espace, tant géographique, que politique.
Lenthousiasme et le sentiment dune guerre courte, maîtrisée, et régénératrice, partagés par beaucoup de dirigeants allemands, et plus largement par une grande partie de la population va contraster avec la brutalité, lenlisement et la catastrophe économique et sociale qui en résultent.
Le facteur WWI est décisif pour comprendre le fascisme hitlérien et lAllemagne des années 30. Cest en tout cas la thèse développée par lhistorien George Mosse dans laquelle il explique que la Seconde guerre mondiale et la catastrophe génocidaire quest la Shoah sexpliquent par la « brutalisation » des sociétés. La violence de guerre, la confrontation à la mort de masse est une expérience qui tend selon lui, à une acclimatation à la violence, où les monuments aux morts et les objets de guerre transformés en bibelots conduisent progressivement à une banalisation, à une indifférence générale vis-à-vis de la violence. Cela explique également que les seuils du tolérable sont réévalués.
Sur le plan politique, économique ou social, la sortie de guerre est très douloureuse en Allemagne. Excepté ce qui se déroule en Russie, où la guerre « impérialiste » (Lénine) est suivie dune guerre civile (1918-1922), en Allemagne, les conditions subies par le Traité de Versailles du 28 juin 1919 handicapent lourdement le pays et toute la société. Au-delà des indemnités et des réparations de guerre, la jeune République de Weimar (construite avec les Alliés) centralise ce qui était avant décentralisé, subit linflation, et doit faire face au retour pénible des prisonniers de guerre captifs pour une grande majorité jusquen 1920 en France ou en Russie.
Si la République rompt avec lancien système politique et ces élites conservatrices, elle sappuie néanmoins - notamment pour mater les révolutions qui éclatent en Bavière ou au nord du pays - sur larmée et le corps des Stahlhelm, militaires de droite conservatrice, dont lécrivain Ernst Jünge en était lun des acteurs.
La République de Weimar ne manque pas dun projet social denvergure où un certain nombre de mesures sont entreprises : (élargissement du corps électoral 1919, loi assurance-chômage 1927, etc.) mais elle est gangrenée par les dissensions politiques entre partis sociaux démocrates, communiste, et dextrême droite, où très rapidement la violence envahit le champ du politique (lAllemagne des années 20 est marquée par ces combats de rue qui opposent Stahlhelm, Sturmabteilungen (SA), Reischsbanner, sections paramilitaires chargés de la protection de leurs partis éponymes). (Lart sest fait proche de la réalité quotidienne : cf. Fritz Lang, M.)
La situation économique est défavorable, sinon désastreuse. Labsence dun système monétaire international qui empêcherait le recours à la planche à billet, plonge la vie économie dans linflation, où le mark dévalue. Ouvriers, et classes moyennes sont très touchés par le chômage (30% en 1932), leurs salaires baissant de 60% environ entre 1922 et 1933. (cf. le film de F.W. Murnau, Le dernier des hommes, 1922.)
Le national-socialisme (nom qui exprime la réalité de la nébuleuse nazie) naurait pas été possible sans lalliance du financier Hjalmar Shacht (1877-1970) proposa une réforme monétaire et un plan tout prêt dinflation contrôlé, ainsi que des moyens de financer le retour à lemploi. Il utilisa avec efficacité ses contacts étroits avec les différents acteurs économiques, banques, grandes entreprises, et organisations patronales. Il renforça la structure des entreprises privées et leurs marges de bénéfices et créa une « organisation globale de lindustrie ». Il négocia des accords de troc avantageux avec différents pays et réussit à fournir du crédit aux entreprises.
Schacht ne voulait pas plus que les millions dallemands non nazis le recours à un nouveau conflit, ils espéraient cependant, en votant pour son établissement ou en se ralliant à lui, que le nouveau régime tiendrait les promesses sociales que navaient pas tenues la République agonisante, incapable de surmonter la crise intestine qui déchira les partis politiques.
La société allemande à l'heure nazie
La polycratie nazie
La société impériale nazie repose pour une large part, sur les armatures de la bureaucratie weimarienne, faisant du système politique une polycratie (profusion/multiplication des organes de pouvoir, des appareils administratifs) conservatrice afin de satisfaire à la fois les piliers du parti et les différentes catégories sociales frustrées du désastre de lancien régime.
En effet, les dépenses ministérielles augmentent de 170% entre 1934 et 1939 dont certains ministères comme larmée voit son budget explosait de 1550%. Cette prolifération des centres de pouvoir, de nouveaux organismes permettent à ces milliers de fonctionnaires ou assimilés de retrouver un poste quil navait pu conserver sous Weimar, et dont le recouvrement était une des conditions sine qua non du vote en faveur du NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei). Les ministères comme le DAF (Deutsche ArbeitsFront, Front du travail allemand) offre 45 000 postes en 1937. Entre 1933 et 1942, les effectifs des fonctionnaires sont multipliés par 2, ceux des employés auxiliaires par 4.
A ceux qui nont pas les compétences nécessaires pour intégrer le corps administratif gouvernemental, le parti offre la possibilité dintégrer lun des multiples corps paramilitaire ou parapolicier qui se créent durant la période, à linstar des SA ou par exemple du 101e bataillon de réserve de la police dordre. Quelle est la composition sociale de ces corps, sections ?
Dune manières générale, les études sociologiques ont montré que la grande majorité des acteurs de ces milices sont jeunes, souvent chômeurs, désaxés, sans perspective davenir, frustrés de lempreinte républicaine qui sest avéré désastreuse pour leur vie quotidienne. Lintégration dans ces corps leur permet dacquérir une certaine identité, faisant office de socialisation politique.
Quelles sont les réalisations sociales du régime hitlérien ?
Le plan de 4 ans a pour but de recruter 10 000 officiers et de préparer lindustrie à un effort de guerre massif. La lutte contre le chômage a privilégié les secteurs du réarmement au détriment de la consommation. La conséquence la + directe a été le creusement des écarts sociaux.
Hitler promet tout à tout le monde avant 1933. La phraséologie utilisée est suffisamment floue pour permettre cela.
Voyons de + près les conséquences sur les différentes catégories sociales
a) Le monde rural et paysan devrait être choyé. En effet, il est au centre de lidéologie nazie, patrimoine de la pureté raciale, de lauthenticité du « sol et du sang ». Si le régime crée la loi des successions, il privilégie par le biais de lErbhof, 700 000 exploitations, celles-ci ne représentant que 1/5 du total. Les céréaliers sont privilégiés au détriment des éleveurs, les Junkers (grands propriétaires) au détriment des petits. La mobilisation progressive augmente la pénurie de bras à la ferme et lexode vers les usines et les villes laisse le monde rural dans une situation semblable sinon dégradée par rapport à ce quil a connu sous Weimar.
b) Le « plein emploi » dans les usines darmement a des contreparties qui tendent à aggraver le niveau de vie et les conditions de travail de l'ouvrier. Lenrégimentement (« soldats au travail »), la gestion autoritaire de la main duvre et lintensification de la production (allongement des horaires) vont dans ce sens. Le DAF a absorbé toutes les organisations syndicales, les sections ouvrières perdant ainsi toute autonomie, et laissant les mains libres aux grands patrons de la sidérurgie.
Si le DAF développe à partir de 1936 un projet damélioration des conditions de travail, notamment en instaurant des concours de « lentreprise modèle », avec à la clef des voyages à destinée des fjords norvégiens, ou encore avec le projet Volkswagen, la concrétisation restera vaine avec leffort de guerre. Les commandes de la Volkswagen passeront délibérément après celles, prioritaires, des Panzer.
c) Le patronat et les classes moyennes indépendantes sont divisées. Malgré le discours officiel anticapitaliste, dans la pratique, les évolutions anciennes se poursuivent. Les entreprises jouissent dune grande liberté avec la fin du mouvement ouvrier, muselé depuis labsorption syndicale du DAF. Le grand patronat est lui-même divisé. Thyssen, 1er grand bailleur de fonds du parti soppose aux perspectives économiques qui conduisent à la guerre. Il sera interné dans un camp. A linverse, IG-Farben, profite du plan de 4 ans soudant lalliance de la chimie et du lobby militaire.
Les petits commerces, petites entreprises supportent très difficilement la toute-puissance des grandes entreprises « gouvernementales ». Ils régressent sur tous les fronts.
Malgré le projet initial de la Volksgemeinschaft, la société allemande est peu modifiée dans ses diverses composantes. Les écarts sociaux se maintiennent, voire saccroissent. Ce sont les superstructures qui ont été bouleversées. Régression absolue enfin dans le système éducatif et la culture, avec une dimension des effectifs étudiants de 50% et des enseignants et intellectuels de 70% dans les divers corps disciplinaires.
Révolution conservatrice, mais surtout « révolution du nihilisme » (C. Charle), le projet nazi na pas « effacé » les barrières de classe au profit des « barrières de souche raciale », il les a superposé en faisant sciemment le choix de privilégier certaines catégories sociales.
Comment a t-il pu entraîner la société de + en + massivement à ses objectifs dont elle n'entrevoyait pas toutes les implications ?
Au-delà du facteur « pouvoir charismatique » daprès la théorie même de Max Weber, le consensus régime/société se fonde à partir déléments socio-économiques très concrets.
a) Dabord, le retour à lemploi est une réalité vécue par lessentiel des familles des classes les plus modestes. Le chômage passe de 30% en 1932 à 10% en 1935 et 2% en 1938. Même si le niveau de vie naugmente pas de façon significative, et si les conditions de travail sont éprouvantes, limpact de ce retour à lemploi est efficace sur une très large part de lopinion allemande, et constitue le socle dadhésion au régime.
b) Deuxième élément fédérateur : le retour à « lordre », la pacification des rapports sociaux au sein même de la société allemande. Dabord laccession du parti à la tête de lEtat se traduit par le musellement et la mise à lécart des milices politiques des autres partis. Les combats de rue qui marquent la République de Weimar sont décriés par une population soucieuse du rétablissement de lautorité et de cet « ordre » que la République est incapable dassurer.
Les critiques fusèrent contre les SA (éliminés durant la nuit des longs couteaux en 1934) et à nouveau contre leurs actions perpétrées par les SS et délibérément « ouvertes » aux yeux du public. Les pogroms de 1938 sont la dernière manifestation avant-guerre de violence publique. Hitler a compris que pour continuer à obtenir le crédit populaire, il devait détourner la violence du regard public, et la localiser, la cibler. Cette violence continuera sous cette forme jusquà sa matérialisation extrême, lextermination juive débutée à partir de fin 1941.
Le Congrès de Munich réuni à linitiative de Mussolini en septembre 1938 et qui rassemblent les grandes puissances européennes est une date importante pour les sociétés européennes. Hypocrisie et lâcheté pour les uns (Churchill), immense soulagement pour les autres (Daladier, Blum), les accords de Munich scellent dans limmédiat lévitement de la guerre. La société allemande accueille triomphalement le Führer lors de son passage devant le Reichstag à Berlin. Goebbels note à ce sujet dans son carnet : (1er octobre 1938) « lopinion est partout retournée. Partout on respire : la crise, si avancée et si dangereuse, est passée. [
] Le monde est saisi par une joie qui emporte tout, le prestige de lAllemagne a grandi dans une proportion monstrueuse. Nous sommes redevenus une puissance mondiale. [
] (2 octobre 1938) latmosphère na jamais été aussi bonne, une atmosphère de fête, pleine dallégresse. [
] Le Führer arrive à la gare de Berlin, cest un délire sans pareil. Des centaines de milliers de gens crient leur joie au Führer. Nous navons jamais vu un tel enthousiasme. Cest un délire sans pareil. Le peuple est fou de joie. [
]»
La société allemande nétait pas prête à voir se déclencher à nouveau une guerre. Lors de son passage devant le Reichstag en septembre 1939, les acclamations habituelles se sont tues. Jusquà la défait française, la population est pour lessentiel résignée sinon angoissée du résultat militaire. La victoire contre larmée française marque un profond retournement de lopinion. Le Führer est accueilli triomphalement non plus parce quil avait évité la guerre, mais cette fois, parce quil avait vengé lhumiliation ressentie par le Diktat de Versailles de 1919. LAllemagne avait retrouvé son prestige perdu.
Du côté des anciennes élites militaires qui composaient une large part de létat-major, lenthousiasme se fit pareil. On rivalisa de zèle dans les grades supérieurs pour « travailler dans la direction du Führer ». La campagne soviétique en est le meilleur exemple. Le racisme à lencontre des slaves et des Juifs aidant, lavancée des troupes allemandes sest accompagnée dun grand nombre dexactions dont ladhésion au Führer et le jeu de la concurrence entre groupes militaires et paramilitaires (Waffen SS) peuvent expliquer la motivation.
Quels autres facteurs peuvent expliquer ce qui a poussé ces hommes et pères de familles (soldats de la Wehrmacht non nazifiés) à outrepasser les limites de la barbarie et le seuil de la civilisation ?
Nous avons déjà évoqué précédemment la thèse de Mosse sur le concept de brutalisation et dindifférence générale à la mort de masse, au franchissement des barrières de violence.
Lendoctrinement nazi a usé également de ce sentiment de frustration allemande, de souffrance endurcie depuis 1919 et qui pouvait être refoulé de cette manière par les instincts belligènes humains, ceux dont vantent les propagandistes du parti.
Enfin, le racisme inculqué, enseigné par ces mêmes méprise les règles internationales et le droit de protection des populations civiles, car il divise lhumanité en races et catégories séparées.
Le génocide et sa « construction » / attitude, participation de la société allemande
En tant que pilier essentiel de la vision apocalyptique dHitler (opposition millénaire juifs/aryens), la question juive est au centre des objectifs du régime.
Depuis que le NSDAP est institutionnalisé en 1933, les lois antisémites se sont multipliées. Il sagit pour Hitler « de purifier le sol et le sang allemand ». Dabord, les juifs sont exclus des administrations publiques et de la vie culturelle. La réaction de la société en particulier des notables (avocats, médecins) est plutôt enthousiaste, ces derniers protestaient dans les années 30 la place trop importante des juifs au barreau, et de la démocratisation trop rapide de la fonction médicale. Le « repli du corps » explique ainsi « lacceptation » du moins, lindifférence à légard de ces mesures prises en 1933.
En 1935, alors que le parti nazi exalte sa puissance idéologique lors du Congrès de Nuremberg (septembre), sont votées les lois éponymes. Les Juifs sont interdits de mariage avec les Allemands, et « sont exclus de la vie sociale ». Ces mesures nont pas suscité de réactions, ni de refus. Lidée de la « différence juive » est véhiculée depuis lantisémitisme sourd depuis les années 20. Beaucoup associent en effet les juifs comme responsables de la révolution bolchevique qui sest manifestée dans plusieurs villes allemandes en 1919-1920, en particulier en Bavière.
Les mesures de 1938 sur la spoliation des biens et des propriétés juives ont été désavouées non pas parce quelles furent jugées racistes et extrêmes, mais car elles furent associées à lépisode de la nuit de cristal, contraire à la notion « dordre » de la société allemande.
Il existe ainsi un antisémitisme « sourd » dans la société allemande, à lencontre de cette population juive considérée comme un bouc émissaire et dont le nazisme renforce considérablement leffet à laide dune rhétorique particulièrement aiguisée.
La radicalisation à la faveur de la guerre
Avec la guerre, les problèmes concernant « les Juifs » se réduisent à mesure que le Reich sémancipe et concerne bientôt toute lEurope. La ghettoïsation en 1940 des populations juives dans de nombreuses villes des pays de lEst en particulier en Pologne ne font que déplacer le problème. La volonté dHitler était de débarrasser le sol allemand des juifs en les déportant, mais avec lexpansion des armées et la conquête des sols, le « problème » augmente et les « solutions » se restreignent. Ainsi, les conditions changent, et les possibilités démigration se réduisent.
Dès 1939, les autorités nazies avaient planifié la déportation de ces juifs dans des pays comme le Madagascar, mais louverture du conflit et son expansion mondiale ont rendu impossibles ces plans.
La violence se radicalise avec la campagne soviétique. Il est difficile de dire quel a été le facteur décisif qui a contribué à cette radicalisation et la décision de lextermination massive des juifs. Plusieurs éléments permettent néanmoins de létayer :
a) dabord les possibilités de déportation et de concentration se réduisent en même temps quaugmentent les problèmes sanitaires rencontrés par les officiers et administrateurs des différents camps. Epidémies, problèmes de ravitaillement dans les ghettos, les administrateurs nazis se plaignent à leurs supérieurs de ces conditions qui se détériorent.
b) lavancée des troupes allemandes à lEst sest accompagnée dun déferlement de violence sans précédent, expliquée notamment par lapprobation des autorités supérieures et du racisme endoctriné depuis lors. Cette violence antijuive prend une ampleur sans précédent à partir de 1941. Des groupuscules militaires (Einsatzgruppen) et paramilitaires (Waffen SS) orchestrent des massacres de milliers de populations. Après quelques semaines des familles entières sont massacrées. Le seuil du génocide commence à être franchi.
c) à partir de septembre, la radicalisation change de ton avec lavancée + à lest des armées dans ces terres « judéo-bolcheviques », thème récurrent ressassait dans les discours dHitler. Une guerre danéantissement souvre à partir de lautomne 1941.
d) il faut également rappeler la « prophétie » dHitler qui explique la le monde par la victoire des aryens ou des juifs. La coalition internationale dont il parle devient une réalité à partir de 1941 avec lentrée en guerre américaine. Lextermination des juifs est donc pensée comme « la guérison dune maladie » universelle.
e) Les historiens sont divisés quant au « processus de la solution finale ». Toujours est-il quelle serait entreprise entre la fin de 1941 et le début de 1942, date de la conférence de Wannsee (20 janvier 1942). Lexpérimentation par certaines sections de Waffen SS du gazage de juifs par camions pendant la campagne soviétique laisse à penser lidée dune
extermination industrielle de masse. Cela va prendre encore +sieurs mois, pour que les plans de la machinerie dextermination soient mis en pratique. Le système de tuerie ne fonctionnera quà partir de lété 1942.
Pour comprendre lenchaînement et la réalisation de cette extermination il faut saisir le lien qui existe entre ce processus et la guerre, son contexte. La guerre procure comme le rappelle à juste titre Philippe Burrin « un bruit de fond » et facilite lapprentissage de la violence. De +, elle facilite le secret, et produit un émoussement de la sensibilité et de la compassion de sorte quau milieu des angoisses des douleurs de tant de gens, y compris les Allemands, se relativisait lhorreur qui était faite à certains. Il serait faux et saugrenu de dire que la société allemande savait dans son ensemble ce qui était perpétré contre les juifs. La violence depuis 1938 était devenu affaire secrète, à lécart des yeux. Pour les autres, cette violence à leur encontre était comparé ou « relativisée » par rapport aux souffrances endurcies depuis 1919 et celles vécues à partir de 1944 (bombardements alliés).
Ainsi le génocide juifs est inséparable de la WWII comme le fut celui des arméniens avec la WWI. A la différence nous rappelle P Burrin, quil existait dans le premier cas, une idéologie raciste envisageant le meurtre comme allant de soi, une conception raciste du monde om sopposait sans merci deux « races », et cela bien avant la guerre.
La guerre et le nazisme a « rendu possible » lextermination massive et loutrepassement des codes de la violence par la société allemande tout entière. Car comme le souligne Edouard Husson, le fascisme nazi est une théâtralisation, esthétisation destinée à combler le décalage entre le rêve et la réalité dune société fragile, qui ne souhaitait pas revivre lexpérience déchirante de la WWI, et qui pourtant, la renouvelle malgré-elle.
Message édité par Coxwell le 16-03-2005 à 17:00:23