En m'excusant par avance de la taille du pavé, voici cependant l'épisode du jour :
Dès les premiers jours de novembre, on peut voir la digue telle quelle avait été imaginée par les ingénieurs. Comme je le disais plus haut, la commission signe lautorisation le 23 décembre mais entre temps, lingénieur Carlo Semenza est décédé, demandant sur son lit de mort pardon à dieu et à la montagne si parfois il leur avait manqué de respect. Dans la foulée on sempresse de construire à la hâte un petit refuge dans la montagne et on le baptise « Refuge Semenza ». Et oui parce quici en Italie on ne se contente pas de dédier les refuges aux alpinistes, on les dédie également à ceux qui font du bien à la montagne. Vous savez ces personnes que les américains appellent « Pionniers »
ces personnes qui réussissent à penser en grand, à faire grand pour leur nation.
Cest vrai, ce sont des gens extraordinaires. Si vous en connaissez un en particulier et là je madresse spécialement aux dames qui ont épousé une personne dune telle envergure ; noubliez pas de temps à autres de lui donner un coup de pieds dans les couilles histoire de le faire redescendre sur terre. Blague à part, si vous connaissez une telle personne, soyez bien attentifs car ces gens là ont besoin de vous, pour votre bien certes, mais surtout pour le leur. Donc en cette fin dannée 1961, un de ces hommes extraordinaires est mort car Carlo Semenza était extraordinaire. Je plaisante dans le but de lexorciser, de le mettre en boîte.
Carlo Semenza est mort, les rênes du pouvoir sont donc confiées à son adjoint qui sappelle Biadene. Il entre dans la salle des commandes du Vajont pour la première fois au mois de janvier 1962. La tradition veut que les « élèves » soient moins brillants que les « maîtres » mais enfin
Ce monsieur là doit décider comment seront gérées les affaires avec ce barrage. Par un drôle de hasard, au moment où Biadene prend les commandes, la SADE et le ministère ont trouvé un compromis pour le moins surprenant. Le ministère renonce à envoyer la commission de contrôle au Vajont, la SADE se contrôle toute seule et fait parvenir ses rapports à Rome au service des digues.
Un jour, Biadene contrôle les rapports qui sortent de ses services, à destination du ministère, et découvre que des techniciens zélés ont signalé : « des secousses sismiques relatives aux opérations dimmersion de la retenue ».
- Mais vous êtes malades ? Quavez vous dit au ministère ?
- Avec les sismographes nouvellement mis en service, chaque fois que la montagne respire, on le voit sur les relevés.
- Mais ce sont des secousses légères !
- Oui mais nous devons en référer quand même aux autorités.
- Il est inutile dalarmer les gens avec ça. Il sagit là de secousses dues au tassement du terrain, si les secousses deviennent plus prononcées alors nous en réfèrerons au ministère. Tant quil sagit de petite choses comme celles-ci, je veux que nous les gardions pour nous et que nous les gèrerions seuls.
Finalement les tassements durent jusquau mois doctobre, cest à dire jusquà la fin de ces fameux tests dimmersion. On enregistrait jusque là des secousses égales à deux ou trois degrés sur léchelle de Richter. Selon les relevés conservés de lépoque, il y aurait eu 5 « tremblements de terre » en mars, 11 en avril, 17 en mai et 21 en juin. Cela signifie quà lentrée de lautomne 1962, toutes les maisons de la vallée avaient les fondations touchées voire fissurées à la suite de ces secousses, y compris la caserne de gendarmerie flambant neuve.
Justement les gendarmes inquiets envoient un rapport à la préfecture. La préfecture demande une enquête au génie civil. Sans se dégonfler, le génie civil envoie une copie de lunique étude géologique officielle réalisée par Giorgio Dal Piaz il y a 20 ans de cela. Bien sur létude en question est complètement obsolète et soufre de carences. Toutefois elle mentionne que la vallée peut être sujette à de fréquentes secousses sismiques dont lépicentre se trouve dans le Frioul, dans dautres vallées. Par exemple, quinze plus tard, le 6 mais 1976, une partie du Frioul fut victime de terribles tremblements de terre qui fit de nombreuses victimes et provoqua dimportants dégâts. Cependant, selon Caloi, seuls 20% des secousses enregistrées étaient imputables à lactivité même du barrage. Daprès lui, les 80% restants seraient de lactivité sismique naturelle. La préfecture rassure ainsi les gendarmes qui ne semblent pourtant pas très convaincus.