Citation :
Courrier International du 9 janvier 2003 :
"Comment les très très riches ont floué les classes moyennes aux USA"
L'économiste Paul Krugman, qui est devenu la bête noire des conservateurs, explique que la "société des classes moyennes" héritée du New Deal n'est plus qu'un souvenir :
Désormais, les 13 000 foyers les plus fortunés disposent d'un revenu égal à celui des 20 millions de ménages les plus modestes.
Le salaire moyen annuel aux USA (exprimé en dollars de 1998) est passé de 32 522 dollars en 1970 à 35 864 dollars en 1999; soit une hausse d'environ 10% en 29 ans.
Durant la même période, la rémunération des 100 PDG les mieux payés est passée de 1.3 million de dollars, soit 39 fois la paye du salarié lambda à 37.5 milllions de dollars par an, mille fois ce que touche le salarié ordinaire.
Une part croissante des revenus est accaparée par 20% des ménages, et à l'intérieur de ces 20% par 5%.
Et à l'intérieur de ces 5% par 1% puis par 0,01% qui perçoivent 3% de l'ensemble des revenus contre 0,7% en 1970.
La principale raison pour laquelle le chef d'entreprise gagne autant aujourd'hui est qu'il nomme les membres du conseil d'administration, lequel fixe sa rémunération et décide des nombreux avantages accordés aux administrateurs. Ce n'est pas "la main invisible du marché" qui fixe les rémunérations astronomiques des dirigeants mais c'est la "poignée de main invisible" échangée dans la salle du conseil d'administration.
De plus, le scandale ne fait plus peur. Il y a un relachement d'anciennes contraintes, une permissivité, non pas sexuelle mais financière.
Avec le changement structurel des marchés financiers, on a recherché des PDG charismatiques. A partir du moment où ils devenaient célèbres, c'était facile d'en faire des hommes riches.
Nombreux sont les américains qui croient que vivant dans le pays le plus riche du monde avec le PIB réel par habitant le plus élevé, ils s'en portent tous forcément mieux.
Ce n'est pas vrai.
Prenons l'exemple de la Suède, bête noire des conservateurs. Le PIB moyen par habitant est certes inférieur au PIB moyen américain,
Mais c'est parce qu'il y a moins de très riches. De plus, les Suédois vivent trois ans de plus que les Américains. La mortalité infantile y est moitié moindre et l'illettrisme moins répandu.
Les Suédois prennent plus de vacances que les américains : c'est un choix et non un échec économique.
Les familles suédoises avec enfants appartenant aux 10% du bas de l'échelle disposent d'un revenu de 60 % supérieur à celui de leurs homologues américaines. Très peu de Suédois connaissent la grande pauvreté. En 1994, 6% d'entre eux vivaient avec moins de 11 dollars par jour, contre 14 % des américains.
Si les conservateurs se lancent régulièrement dans le dénigrement de la Suède, c'est qu'ils veulent nous convaincre de l'impossibilité d'un compromis entre éfficacité et équité.
Autrement dit, si on prend aux plus riches pour donner aux plus pauvres, tout le monde y perd. On peut retourner l'argument des conservateurs contre eux. L'inégalité aux USA a atteint un tel niveau qu'elle est devenue contre-productive.
Les importantes réductions d'impôts des 25 dernières années (celles décidées par Reagan et Bush) ont toutes joué en faveur des très riches. Malgrè la confusion savamment entretenue, plus de la moitié des allègements fiscaux de Bush profiteront en fin de compte à 1% des ménages, les plus fortunés bien sûr.
les inégalités dans l'Amérique d'aujourd'hui ont retrouvé leurs niveaux des années 20. Soit la démocratie se renouvelle, soit la fortune servira de ciment à un nouveau régime moins démocratique : une ploutocratie, pour l'appeler par son nom.
C'est un point de vue extrême, mais nous vivons à l'heure des extrêmes. Même si les apparences de le Démocratie demeurent, elles risquent de se vider de leur sens.
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