L'Antichrist a écrit :
Bien sûr, je me garderais bien de faire ton travail, mais je peux te donner quelques pistes :
Les manifestations extérieures de l'intelligence et de la culture humaines nous forcent à supposer une activité interne qui permet la prise en compte de la réalité et la comparaison dès différentes possibilités. Ainsi, l'activité de jugement qui permet la décision est une manifestation claire de la raison, dont Descartes souligne dans le Discours de la Méthode qu'elle est présente chez tous les hommes, quelle que soit la vivacité de leur esprit : la raison n'est pas quelque chose qui se mesure, comme si l'on pouvait en avoir plus ou moins ; elle est la capacité de juger et de prendre position.
Pourtant, l'enfant ne parvient que progressivement à disposer de sa raison. A la différence des conduites instinctives - biologiquement réglées et qui permettent aux espèces animales d?assurer, de façon uniforme, la satisfaction de leurs besoins, sans guère d'apprentissage -, le bébé humain devra peu à peu devenir ce qu'il est. L'éducation est nécessaire à cette humanisation. Par le langage, en même temps que par ses activités motrices et ses relations affectives, l'enfant fait peu à peu l'expérience et l'exercice de ses capacités de jugement. Ce n?est que vers quatorze ans qu'il disposera pleinement d'une capacité de raisonnement logique : les travaux du psychologue Piaget ont montré que le jeune enfant pense d?abord de façon symbolique, puis concrète et opératoire, sans être encore capable d'abstraction.
Mais la question ne vise pas l?exercice de la raison, elle concerne plus profondément la manière que nous avons d?utiliser ce pouvoir. En ce sens, nous ne sommes pas tous égaux sur le plan du jugement : si toute activité mentale (y compris celles qui se produisent dans les domaines de l?imaginaire, du rêve ou des sentiments) et tout jugement (qu?il traduise une réflexion critique ou se contente de répéter des idées toutes faites), peuvent être considéré comme de la pensée, seule une démarche réflexive capable de problématiser les représentations ordinaires, de réélaborer de manière consciente et donc critique les cadres psychologiques et affectifs de notre existence, les " valeurs " idéologiques transformées en dogmes ou en traditions, permet de former un jugement vrai. Il est nécessaire, pour qui veut accéder à la véracité des jugements, de se détacher au préalable du domaine de l?opinion, de rompre une fois pour toutes avec les habitudes héritées du milieu qui nous a produit autant que nous le produisons et auquel nous ne pouvons donc manquer d?être attaché. En effet, l'opinion se forme en court-circuitant le travail intérieur de réélaboration critique, d'examen des diverses positions possibles nécessaire pour écarter celles qui se révèlent fausses ou insatisfaisantes (dans le Théétète, Platon décrit le mouvement de la pensée comme un dialogue intérieur que l'âme mène avec elle-même, passant de l'affirmation à la négation, examinant les questions qui se posent à elle, jusqu'au moment où son point de vue devient stable et assuré. L'opinion droite est l'idée qui, sans être un savoir, voit juste ; elle est intermédiaire entre l'ignorance et la science). Le jugement est alors préjugée, répétition d?idées entendues de l'extérieur ou première impression non critique.
Nos inégalités sur le plan du jugement proviennent de ce que certains émettent des opinions qui ne correspondent pas à un véritable travail de pensée et la philosophie est née pour une part décisive de cette nécessité d'une critique de l'opinion et de la recherche de critères qui permettent de distinguer entre les affirmations vraies et les préjugés, ou de trouver des méthodes d'examen des questions controversées. Les hommes sont-ils capables de vérité ? Assurément, ils sont capables de penser, de juger, et disposent à cet égard d?un libre arbitre qui fait leur dignité. Quel est donc le bon usage de notre raison, qui permettra à chacun de parvenir à des certitudes suffisamment fondées en raison ?
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