Une aventure hors du commun: Pierre et Proute traversent l’Europe… à pied 26/10/2017 - Romain VEYS - L'Avenir
Depuis la mi-juillet, Pierre Gaspard et son chien Proute ont pris la route d’Istanbul: près de 4 000 kilomètres de marche que les deux compères espèrent boucler d’ici Noël… avant de repartir de plus belle.
Pierre a 31 ans. Proute, son chien, 10. Tous les deux, ils ont décidé de partir à l’aventure un jour de mi-juillet dernier. L’objectif? Atteindre, à pied, Istanbul avant Noël. Mais surtout, partir à la rencontre des populations d’Europe de l’Est pour ce qui prend les formes, depuis plus de cent jours déjà, d’une incroyable aventure humaine.
«Je viens juste de tomber dans une petite chambre», nous explique ce Nandrinois, joint par téléphone alors qu’il vient d’arriver dans le petit village de Meziad, dans le Nord-Ouest de la Roumanie. «En fait, ici, il n’y a pas d’hôtel ou de pension, d’auberge. Et les endroits de convivialité, ce sont les bars. Et encore! Ce ne sont pas vraiment des bars. Plutôt des petits magasins où, à la sortie, il y a une table et quelques chaises. C’est là que j’ai pu rencontrer quelques personnes qui m’ont aidé à trouver une chambre où dormir ce soir.» Le décor est planté.
Parti avec son sac de 20 kg sur les épaules et accompagné de son fidèle Proute, Pierre a déjà traversé l’Allemagne, la République tchèque, une partie de la Pologne, la Slovaquie et récemment la Hongrie. Mais depuis plusieurs jours, c’est donc en Roumanie qu’il se trouve. «C’est l’endroit le plus dépaysant que j’ai traversé depuis le départ.»
4 000 kilomètres à pied en cinq mois >> Il faut dire que la route empruntée par Pierre et Proute change radicalement des fameux chemins du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, très prisés des marcheurs. «Je voulais faire un break dans ma vie et j’avais envie de partir marcher. Et c’est vrai qu’en Europe, quand on veut marcher, c’est Saint-Jacques qui apparaît comme le plus simple. Mais ce n’était pas ce que je recherchais. Tout me semblait prémâché.» Et donc Pierre est parti dans l’autre sens, débutant son périple à Schengen, célèbre pour les accords européens de libre circulation signés en 1990 et entrés en vigueur cinq ans plus tard.
«Le trajet que nous suivons est celui du E3, l’un des 12 sentiers européens de grande randonnée (+ plus d’infos ici). Pour cela, j’utilise un système de GPS, ce qui est essentiel. Depuis que nous sommes arrivés en Roumanie, il n’y a plus de traces sur les poteaux ou les arbres! En moyenne, les jours où on marche, on essaye de faire 30 kilomètres par jour. Avec les moments où on se repose, où on s’informe aussi sur la suite du voyage, cela fait une moyenne de 26 kilomètres par jour. Le maximum qu’on ait marché sur une journée, c’est 46 kilomètres.»
Un rythme que Proute suit à merveille. «Elle a déjà dix ans et je dois avouer que, pendant le premier mois, j’ai vraiment eu peur pour elle. Mais c’est le temps qu’il lui a fallu pour s’adapter. Au début, elle boitait, mais c’était à cause de ses coussinets. J’ai acheté de la crème, même des petits chaussons, qui n’ont d’ailleurs pas été d’un grand secours. Avant de partir pour une marche aussi longue, on m’avait conseillé de bien faire attention à mon corps, à la moindre douleur. C’est ce que j’ai fait pour moi mais aussi pour elle. Aujourd’hui (NDLR: les deux compères en sont à 102 jours d’aventure!), on est en symbiose. On est physiquement en bonne forme. Moi j’ai dû perdre 10 kg, j’ai fondu! Elle marche toujours deux mètres devant moi, elle m’ouvre et me montre la route. J’ai eu ce chien quand j’avais 20 ans. Aujourd’hui, j’en ai 31 et ce voyage concrétise une belle amitié. Grâce à elle, je ne ressens jamais vraiment la solitude.»
Avec un panneau solaire >> Pour leur voyage, Pierre a dû embarquer toute une série de matériels indispensable à la bonne marche de leur aventure. Parmi celui-ci, un panneau solaire ou encore une batterie pour pouvoir recharger son smartphone. «Comme on traverse aussi trois saisons, j’ai dû prendre des vêtements en conséquence», précise encore Pierre. «Le but était de partir à l’aventure mais aussi d’être capable de faire preuve d’autonomie. On ne s’arrête dans une chambre qu’une fois par semaine environ, histoire de pouvoir charger la batterie.»
«L’idée de ce voyage, c’était aussi de partir à la rencontre d’un panel de cultures différentes», reprend Pierre. «En moins de 4 000 kilomètres, nous avons traversé l’Allemagne, des pays slaves, nous sommes dans un pays latin (NDLR: le roumain, comme le français ou l’italien, est en effet une langue dérivée du latin) et nous nous dirigeons vers un pays musulman (NDLR: la Turquie). Mais c’était aussi important de faire ce voyage à pied, car c’est comme cela qu’on rencontre vraiment les gens. Quand j’arrive dans un village, les populations me voient moins comme un touriste que comme un étranger qu’il faut aider. Prenez l’exemple ici. Tout de suite, après m’être présenté et avoir expliqué mon projet, ma démarche, les quelques personnes qui se trouvaient assises à la table du magasin ont passé des coups de téléphone, ils ont fait appel à leurs amis pour me venir en aide. Et en un quart d’heure, j’avais trouvé une petite chambre où je vais pouvoir me préparer à l’une des parties les plus difficiles de mon voyage. Car je vais prendre la direction de la Bulgarie et traverser des montagnes qui risquent d’être couvertes de neige. En 102 jours, je commence vraiment à être dans un autre univers.»
Il faut dire que le contact avec les populations locales est très important pour Pierre. «C’est dingue de voir que, avec les moyens qu’ils ont ici, ils essayent souvent de nous aider, de partager. Comme avec ce monsieur qui m’a invité à venir boire la palinka alors que j’étais occupé à remplir mon doggybag à la fontaine devant chez lui. Sa femme avait peur de moi, mais il l’a toute de suite rassurée: quand on explique les choses, tout est plus facile.»
«J’avais de mon côté envie de casser ses a priori qu’on a parfois vis-à-vis de ces populations. L’Europe est un magnifique projet. Mais malheureusement on va de plus en plus à droite, il y a des séparations qui se créent au sein même des pays. L’Europe est un projet multiculturel très complexe. J’essaye de comprendre qui a croisé qui, qui était là avant, qui est passé par où…: plus je cherche, plus je suis perdu. Voyager est super intéressant, mais ça laisse aussi plein de questions. Par exemple, je ne comprends toujours pas d’où vient tout ce sable que j’ai vu en Hongrie! On n’est pourtant pas en bord de mer (rires)!»
Gare aux… ours! >> Les plus grands dangers ne sont d’ailleurs pas toujours ceux que l’on suspecte. «Je suis vraiment tout le temps dans les bois et il y a en effet des choses que je n’avais pas tellement prévues. Comme la présence des ours ou des loups! Sans oublier les sangliers… Mais bon, je me suis informé et il y a des petites choses qu’on peut faire pour se prémunir du danger, comme laisser la nourriture en dehors de la tente à une centaine de mètres… Et puis Proute me protège aussi!»
>> Il reste donc deux mois à Pierre et Proute pour atteindre leur objectif: Istanbul. «Après je ne sais pas encore ce que je ferai», souffle le Nandrinois. «Nous allons sans doute rester un peu en Turquie, sans doute descendre vers Izmir, ou Antalya. Mais après… Surprise!»
Afin de permettre aux amis et autres quidams de suivre leur parcours et les encourager dans leur belle entreprise, Pierre a créé une page Facebook, truffée de photos et vidéos prises tout au long du voyage: «Up To» (@uptoliege). «Cela signifie “jusqu’à”, mais jusqu’où, je ne sais pas encore…», conclut Pierre.