Probable. Il serait sûrement déclaré comme victoire probable. Son Corsair était criblé dimpacts de balles et dobus, mais il était encore en état de vol, miraculeusement, et il avait réussi à semer son agresseur. Il était maintenant seul, au dessus de locéan. Son carburant se répandait lentement dans lair, deux brèches dans les réservoirs en étaient la cause. Le Corsair devenait de plus en plus difficile à maintenir en vol, les commandes répondaient mal et se durcissaient encore plus chaque minute. Mais il rentrait à sa base, il rentrerait. Le porte-avion sera là, lattendant. Par chance, aucun de ses instruments de navigation navait été touché, avec de grands efforts il parvenait à conserver un cap relativement constant et une vitesse correcte. Difficilement, il parvenait à prendre de laltitude, lentement, le moteur grognait, toussait, mais acceptait la charge imposée par son pilote. Par sa sonorité, il laissait entendre sa douleur, plusieurs de ses pistons ayant été crevés par le feu ennemi, à cela venait sajouter ses fuites de carburant et dhuile qui venaient éclabousser le cockpit, le rendant un peu plus opaque à chaque instant. Pour linstant, la visibilité était correcte, elle sera bientôt plus quun lointain souvenir.
Tout était arrivé si vite. La formation volait tranquillement en mission de reconnaissance quand ils leur sont tombés dessus. Les Japonais. Le leader est tombé le premier, il na rien vu venir, comme aucun de nous. Au moins deux chasseurs ennemis ont concentré leurs feux sur lui, ils voulaient être sûrs de labattre. Tout a été si vite. Par réflexe, il a braqué à droite, pour tenter de poursuivre les deux appareils fuyants. Ce fut sa première erreur. Séloignant de la protection de la formation, il na également pas pensé à regarder dans ces arrières. A peine deux secondes après son virage, il pris en chasse à son tour. Les premiers impacts sur sa carlingue. Maintenant il connaissait cette sensation de peur qui vous frappe quand la mort est si proche. Cest son aile gauche qui a encaissé ces premières balles. La rafale a continué sur le fuselage et la dérive, il la sentie. Plonger. Gagner de la vitesse et les distancer. Pour mieux revenir. Les gaz ouverts à fond, le moteur est poussé à la peine puissance. Un demi-tonneau, locéan est là, tirer sur le manche. La descente est vertigineuse. Dans les écouteurs, cest le chaos, tout le monde parle, crie, alerte, hurle, appelle à laide. Il ne peut rien dire, il a la gorge nouée, bloquée par laccélération. A son altimètre, il vient de chuter de plus de 1.000mètres. Lentement, il redresse, surtout ne pas tirer trop, ne pas dépasser le point de rupture. Il entame sa remontée, toujours à pleine puissance. Déjà, il voit les premières fumées des combats, elles sont noires ou blanches, certaines cachent des flammes qui lèchent les carlingues. Des Américains et des Japonais se partagent ses marques de blessures. Il nécoute plus la radio, à peine lentend-t-il, trop concentré sur ce quil voit et ce quil va faire, ce quil doit faire.
Là. Un Corsair semble en difficulté. Il est au-dessus de ce duel, il va pouvoir plonger et sauver son compatriote. Les deux appareils grossissent progressivement dans le viseur. Il hurle vainement à la radio de ses intentions de tirs, mais personne ne répond. Dans cet immense champ de bataille sans frontières, chacun se bat pour soi, chacun tente de survivre. Il arrive à portée. Le Japonais ne la pas vu, il continue sa course. Dun coup, il écrase sa gâchette et tire une longue rafale qui vient sécraser sur le flanc droit de loiseau blanc. Il fume. Il bascule à droite. Le panache blanc vire au noir, quelques traces orangées passent au travers, il ne reviendra pas. Heureux de sa victoire, il passe en trombe devant celui quil vient de sauver, il na pas le temps didentifier lappareil, il ne sait pas qui cest. Peu importe, il est sauf, ils sont saufs, tous les deux.
Un large virage à droite. Retourner dans cet enfer. Il le faut. Trop concentré sur les duels qui sengagent, il en oublie de vérifier ses arrières. Grave erreur. Un éclat de soleil léblouit dans son rétroviseur. Un chasseur ! Il fait feu !! Mais il est déjà trop tard, les balles fusent autour de lappareil. Cest laile droite qui paye le plus lourd tribut. Un panneau sarrache. Un autre le suit. Du carburant senvole, les réservoirs sont touchés. Pourvu quil ne prenne pas feu ! Il a à peine le temps de se retourner et plonger. Une longue rafale le suit. Elle le touche du capot moteur à la dérive. Il a vu les impacts devant lui, il les a senti autour de lui. La mort na jamais été aussi proche que ça. Ses mains sont moites, son esprit embrumé, il ne réfléchit plus, ce sont ces réflexes qui le sauvent. Il file vers le sol. La pression dadmission chute, celle de lhuile également. Cen est fini de ce combat, sil sen sort. Il réduit les gaz pour ménager son moteur et ne pas rentrer en survitesse. Les rafales ont cessé, le Japonais est parti. Il relève son appareil très tardivement, afin de pouvoir filer au ras des flots. Plus rien à lhorizon. Il est seul. Une longue traînée blanche le suit, son carburant mélangé à de lhuile se répand dans locéan. Le chasseur a été chassé. Il est devenu un probable.
Rester aussi bas que possible, cela devrait suffire à masquer sa retraite pour le moment. Il était devenu une proie facile, visible de loin, sans défense, blessée. Il changea de cap plusieurs fois, de peur dêtre suivi par un appareil de reconnaissance ennemi. Il ne voulait pas donner le cap vers la Task Force Américaine. Finalement, il prit le cap vers son porte-avion. Il reprendrait de laltitude un peu plus tard, pour mieux repérer la Task Force voire séjecter si nécessaire. Le moteur montrait des signes de fatigue de plus en plus marqués. Des flammes de mauvaise combustion se faisaient plus fréquentes, les pistons malades contaminaient les valides. Lhuile allait venir à manquer, sans parler du carburant.
Quétaient devenus les autres ? Il avait vu au moins deux Corsairs tomber. Ils étaient partis à huit depuis le pont de lUSS Majestuous. Combien seront-ils à lappontage ? Il ne préférait pas y penser, il fallait plutôt se concentrer sur le cap et la vitesse à conserver, en plus de gérer le carburant au plus juste. Les réserves de laile droite sétaient maintenant complètement évaporées dans locéan. Cet océan, à perte de vue, sans aucun signe de présence humaine. En temps normal, toute personne censée aurait trouvé ce spectacle superbe, sublime, mais les évènements en avaient décidé tout autrement. Cette plénitude apparente signifiait une aide qui ne viendrait pas. Il aurait donné tout au monde en cet instant pour voir ne serait-ce que le plus petit bateau, pourvu quil soit américain. Les cieux étaient également vides, mêmes les nuages sétaient dissipés. Aucun appareil en vue, ni ami, ni ennemi. Rien, ni personne. Que ce bleu azur du ciel se mélangeant avec le bleu de locéan. Un spectacle dont il ne pouvait pas mesurer et admirer toute la beauté. Il posa un regard sous son viseur. Jenn, sa femme, était là, elle lui souriait tendrement. Il lui rendit son sourire. Elle semblait si innocente pourquoi lavait-il engagé dans cette aventure, elle qui restait au pays à ne pouvoir quattendre les nouvelles de la mort de son mari. Quavait-elle fait pour mériter ça ? Il aurait voulu lâcher le manche et empoigner cette photo, la mettre au plus près de son cur, mais une main ne suffisait plus à maintenir lavion en vol, sil lâchait ce manche, la mort était assurée. Une larme chaude glissa sur sa joue.
La radio était silencieuse. Elle sétait arrêtée démettre quelques minutes après les combats. Il avait tout essayé, les fréquences navales, sous-marines, aériennes, durgence, toutes. Il avait cessé dappeler. Il recommencerait plus tard. Rien ni personne ne semblait plus vouloir de lui.
(( A suivre ... ))