icumblood a écrit :
Ah, je comprends mieux ce que voulaient dire certains bluesmen expliquant que beaucoup de Noirs avait eu "honte" du blues pendant un bon moment .
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C'est plus que beaucoup, c'est même la majorité. B.B. King a raconté plus d'une fois ce tournant dans les années 60 quand le blues, peu écouté et apprécié par les Noirs, et en conséquence une musique de niche, quasi marginale, commence à susciter un intérêt chez les Blancs qui vont faire de lui une star et remplir ses salles 360 jours par an (son rythme de tournées de l'époque ).
Le rejet de la musique qui nous a précédé a été un phénomène générationnel courant tout au long du 20ème siècle. Chaque génération veut "sa" musique, différente de celle de papa ou mamie qui répète que de son temps c'était quand même autre chose que ce qu'on entend aujourd'hui à la radio. Mais dans le cas du blues, qui était déjà une musique clivante au sein de la communauté noire parce que les bluesmen picolaient et baisaient à tout va (la musique du Diable, sans besoin d'invoquer les mânes de Robert Johnson), ce n'était pas seulement une musique de vieux, c'était le rappel de la condition pré-60's, l'expression de l'individu qui se plaint dans son coin mais ne fait rien pour que ça change.
Concernant le blues et sa charge historique dans les années 60, il y aurait un parallèle à faire avec l'accueil glacial des juifs ashkénazes en Israël après la guerre. Le sentiment général chez les jeunes Israéliens était "comment avez-vous pu vous laisser mener à l'abattoir ?" C'était injuste et les historiens ont montré depuis qu'il y a eu bien plus de résistances et de combats que l'on ne pensait à l'époque et que ça ne se limitait pas au ghetto de Varsovie. cf par exemple la rafle du Vel d'Hiv' à laquelle ont échappé nombre de juifs qui ne sont pas restés les bras croisés à attendre que les flics frappent à la porte. Néanmoins, le sentiment général dans la jeune génération était la honte de l'association entre judéité et passivité (on pourrait même faire un parallèle entre les paroles de blues et le kvetch, l'art yiddish de se plaindre).
Sans même aller en Israël, Gotlib a exprimé ce sentiment avec violence à propos de son père, emmené à Auschwitz où il sera assassiné :
Citation :
Papa est parti, fleur au fusil, s'engager dans l'armée française pour obtenir la naturalisation française. Puis il est reparti avec sa valise, derrière deux flics, pour obtenir la naturalisation française. S'il était revenu, s'il était là, devant moi, je lui demanderais volontiers s'il n'aurait pas, à l'occasion, accepté de se faire enculer par le maréchal Pétain. Rien que pour obtenir la naturalisation française. Cela dit avec tout le respect que je dois à l'auteur de mes jours.
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Je sais que ça peut ça peut sembler HS mais ces questions mémorielles d'identité sont au coeur des polémiques d'aujourd'hui sur l'emploi ou non de certains mots aux USA et par rebond au RU. On peut être pour ou contre ces réécritures (je le répète : je suis plutôt contre mais sans en faire un fromage puisque ça ne touche qu'un livre sur un million) mais ramener ça à un débat woke vs anti-woke n'effacera pas ces questions.
Message édité par BoraBora le 06-04-2023 à 15:19:27
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Qui peut le moins peut le moins.