Andreas von Bülow est avocat à Bonn. Il a été secrétaire d'Etat à la Défense et ministre de la Recherche scientifique dans le cabinet Helmut Schmidt dans les années 1970-80, en outre député SPD au Bundestag durant 25 ans. Dans son livre La CIA et le 11 septembre, von Bülow développe de manière très détaillée les idées exprimées ici et analyse la manipulation des groupuscules islamistes par les services secrets américains.
Vous donnez l'impression d'être en colère...
Ce qui me met en colère, c'est de voir que depuis les odieux attentats du 11 septembre, on pousse l'opinion publique dans une direction que je tiens pour néfaste.
Que voulez-vous dire par là ?
Je m'étonne que beaucoup de questions ne soient pas posées. En temps normal, lorsque quelque chose d'aussi terrible se produit, on présente diverses pistes, on exhibe des preuves, qui sont alors commentées par les enquêteurs, par les médias, par le gouvernement. Que faut-il en penser ? Est-ce plausible ou non ?... Cette fois-ci, rien de tel. Déjà quelques heures après les attentats de New York et de Washington, ...
... des heures d'horreur et de deuil...
C'est tout à fait vrai... Mais voyez-vous, ce qui est étonnant au fond, c'est que, bien qu'il y ait aux Etats-Unis 26 services secrets totalisant un budget de 30 milliards de dollars, ...
C'est plus que le budget allemand de la défense...
Ce qui est étonnant, disais-je, c'est que ces services secrets aient été incapables de prévenir les attentats. Ils n'ont pas eu le moindre soupçon. Et durant les soixante minutes décisives, les militaires et les services secrets ont laissé au sol les avions de la chasse aérienne... Ce qui n'a pas empêché le FBI de présenter, quarante-huit heures plus tard, une liste complète des kamikazes. Mais dix jours plus tard, sept d'entre eux étaient encore en vie.
Quoi ?... Comment ?... [Apparemment les journalistes du Tagesspiegel ne sont pas au courant]
Eh oui... Pourquoi le chef du FBI n'a-t-il pas commenté ces incohérences ? D'où vient cette liste ? Pourquoi est-elle fausse ? Si j'étais le procureur responsable de l'enquête, je me présenterais devant l'opinion à intervalles réguliers pour dire quelle piste a été abandonnée et quelle autre est encore actuelle.
Après les attentats, le gouvernement américain a souligné qu'on se trouvait dans une situation exceptionnelle, qu'on était en guerre. Dans ces conditions, n'est-il pas normal de cacher à l'ennemi ce qu'on sait sur lui ?
Bien sûr. Mais un gouvernement qui veut faire la guerre, doit d'abord engager une procédure pour constater qui est l'agresseur, qui est l'ennemi. Et il est tenu d'apporter les preuves de ce qu'il avance. Comme il l'a lui-même admis, le gouvernement américain ne dispose d'aucune preuve utilisable en justice.
Certaines informations sur les auteurs des attentats sont étayées par des recherches. Ainsi Mohammed Atta, le chef présumé du commando, a pris l'avion le matin du 11 septembre pour se rendre de Portland à Boston, où il est monté dans l'appareil qui s'est écrasé contre le World Trade Center.
Si Atta était l'homme clé de cette action, il est étrange qu'il ait couru le risque d'arriver à Boston en avion, avec une marge de temps si réduite pour la correspondance. Si le premier avion avait eu quelques minutes de retard, Atta n'aurait pas pu monter à bord de l'appareil qui a été détourné. Pourquoi un terroriste aussi consciencieux aurait-il pris un tel risque ? En consultant le site de CNN, on peut d'ailleurs voir qu'aucun des noms indiqués par le FBI ne figure sur les listes officielles de passagers. Aucun des terroristes présumés ne s'est soumis à la procédure d'enregistrement. Et pourquoi aucun des pilotes menacés n'a-t-il envoyé au sol le signal 7700 prévu en pareil cas ?... En outre, les boîtes noires, construites pour résister au feu et aux chocs, ne contiennent aucune donnée utilisable...
Ce sont des choses qui arrivent...
Oui, comme il arrive aussi que des auteurs d'attentats préparent leur coup en laissant derrière eux autant de traces qu'un troupeau d'éléphants... Ils paient avec des cartes de crédit établies à leurs noms, ils prennent des cours de pilotage sans même dissimiuler leurs véritables identités. Ils laissent traîner dans les voitures de location des manuels de pilotage pour Jumbo Jet en arabe. Avant de se suicider, ils rédigent des lettres d'adieu et des testaments qui tombent aux mains du FBI parce qu'ils avaient été rangés dans une valise restée au sol ou expédiés à la mauvaise adresse. Vraiment, on se croirait dans un jeu de piste... Il y a aussi cette théorie d'un ingénieur anglais, selon laquelle on a pu, de l'extérieur, diriger les avions sans intervention des pilotes. Les Américains auraient expérimenté cette méthode dès les années 70 pour récupérer les avions détournés en prenant le contrôle de l'ordinateur de bord. Cette technique a pu être utilisée ici de manière abusive. C'est une théorie...
Une théorie abracadabrante dont personne n'a jamais entendu parler... [Encore une fois, les journalistes ne sont au courant de rien. La technique en question a bel et bien été utilisée dans le cadre du projet Global Hawk]
Je ne fais pas mienne cette théorie, mais je la trouve digne d'être prise en considération... Et les transactions boursières louches, la semaine avant l'attentat, sur les titres d'American Airlines, d'United Airlines et des compagnies d'assurance ? Il y aurait eu des gains de 1200 %, une somme de 15 millards de dollars serait en jeu. Il est probable que quelqu'un était au courant. Mais qui ?...
A vous de spéculer... [Très drôle]
On a pris prétexte de ces horribles attentats pour soumettre les démocraties occidentales à un lavage de cerveau. L'anticommunisme ne fonctionne plus pour désigner l'ennemi, on s'en prend maintenant aux peuples de confession musulmane. On les accuse d'être à l'origine des attentats-suicides.
Lavage de cerveau ? Vous y allez un peu fort...
Ah oui, vous trouvez ?... L'idée vient pourtant de Zbigniew Brzezinski et de Samuel Huntington, deux maîtres à penser des services secrets et de la politique extérieure américaine. Dès le milieu des années 90, Huntington était d'avis que les gens en Europe et aux Etats-Unis avaient besoin d'un adversaire qu'ils puissent haïr - de manière à renforcer le sentiment d'identification avec leur propre société. Et Brzezinski, ce cinglé, lorqu'il était conseiller du président Jimmy Carter, plaidait déjà pour la mainmise des USA sur toutes les ressources naturelles du monde, à commencer par le pétrole et le gaz.
Vous voulez dire que les événements du 11 septembre...
Ils sont tout à fait dans la ligne de ce que veulent les industries d'armement, les services secrets et tout le complexe militaro-industriel avec son soutien académique. Cela crève les yeux. Les immenses réserves naturelles sur le territoire de l'ex-URSS sont à redistribuer; il faut tracer de nouveau oléoducs...
Eric Follath en a longuement parlé dans le magazine Der Spiegel. Il écrit: "Ce qui est en jeu, ce sont les bases militaires, la drogue, les réserves de pétrole et de gaz naturel..." [Tout de même, ils lisent parfois autre chose que leur propre journal]
Je constate que la planification des attentats, tant au niveau technique qu'au niveau de l'organisation, représente une performance exceptionnelle. En quelques minutes, on a détourné quatre gros porteurs, et en l'espace d'une heure, on leur a fait effectuer des manoeuvres compliquées avant de les diriger vers leurs cibles respectives. C'est impossible à réaliser, à moins de pouvoir s'appuyer de manière permanente sur les structures occultes de l'Etat et de l'industrie.
Vous croyez donc à ces théories de la conspiration...
Oui, oui, allez-y... C'est là le genre de sarcasme que lancent volontiers ceux qui suivent la ligne officielle. Même les journalistes dont c'est le métier d'enquêter, se nourrissent de propagande et de désinformation. Quiconque a des doutes doit forcément être dérangé... C'est bien ce que vous me reprochez.
Votre carrière nous conduirait plutôt à penser qu'il n'en est rien. Au milieu des années 70, vous avez été secrétaire d'Etat au ministère de la Défense. En 1993, vous étiez porte-parole du parti social-démocrate dans la commission parlementaire d'enquête sur l'affaire Schalck-Golodkowski... [Schalck-Golodkowski, haut fonctionnaire au ministère du commerce extérieur de la RDA jusqu'en 1989, était agent double de la Stasi est-allemande et du BND ouest-allemand. Après la réunification, il fut accusé de malversations, mais l'affaire fut étouffée grâce à l'intervention de ses amis occidentaux.]
En fait, c'est là que tout a commencé. Jusqu'à cette époque, je ne savais pas grand-chose du travail des services secrets. J'ai très vite constaté une étrange contradiction: nous essayions de faire la lumière sur les tractations illégales de la Stasi et d'autres services secrets est-européens dans le domaine économique, mais dès que nous posions une question sur le rôle du BND ou de la CIA dans ces affaires, il n'était plus possible d'otenir le moindre renseignement. Plus la moindre volonté de coopération, plus rien. Ça m'a mis la puce à l'oreille...
Schalck-Golodkowski avait, entre autres, noué des contacts à l'étranger en vue d'effectuer diverses transactions pour le compte de la RDA. En y regardant de plus près...
Nous avons par exemple découvert une piste à Rostock. Schalck y avait établi un entrepôt d'armes. Et voilà que nous découvrons également que Schalck a créé une filiale à Panama, et qui trouve-t-on là-bas ? Manuel Noriega, l'homme qui avait été à la fois président, trafiquant de drogues et blanchisseur d'argent sale, n'est-ce pas curieux ? Et ce même Noriega recevait pour ses activités 200.000 dollars par an de la CIA. C'est ce genre de choses qui a véritablement éveillé ma curiosité.
Vous avez écrit un livre sur les machinations de la CIA. Vous êtes devenu un expert pour ce qui est de dévoiler les incohérences dans le travail des services secrets.
Incohérences est loin d'être le mot juste. Ce qu'ont commis les services secrets, et ce qu'ils commettent encore, ce sont de véritables crimes.
A votre avis, qu'est-ce qui caractérise en premier lieu le travail des services secrets ?
Entendons-nous bien, je trouve que les services secrets ont tout à fait leur raison d'être...
Vous ne soutenez donc pas cette ancienne revendication des Verts qui demandaient la suppression de tous les services secrets ?
Non. Il faut qu'on puisse jeter un coup d'oeil derrière les coulisses. Le renseignement en vue de connaître les intentions d'un ennemi éventuel est légitime. C'est important quand on veut se mettre à la place de l'adversaire pour savoir comment il va se comporter... Mais pour comprendre les méthodes de la CIA, il faut réaliser que sa tâche principale consiste à mener des opérations clandestines. Sans recourir à la guerre, mais en se plaçant en dehors du droit international, elle fait pression sur les états étangers, en organisant par exemple des soulèvements ou des attentats terroristes, en général combinés à du trafic de drogue ou d'armes ou à du blanchiment d'argent. Au fond, c'est relativement simple: on arme des gens prêts à la violence. Mais comme il ne faut en aucun cas que l'opinion sache qu'un service secret tire les ficelles, on s'applique à effacer les traces, ce qui nécessite des efforts considérables. J'ai l'impression que les services secrets impliqués passent 90 % de leur temps à construire de fausses pistes. Et lorsque quelqu'un met en cause les services secrets, on peut parler à son propos de paranoïa ou de phobie de la conspiration. La vérité éclate souvent avec des décennies de retard. Allan Dulles, qui était chef de la CIA, a dit un jour: "S'il le faut, je mens même devant le Congrès..."
Le journaliste américain Seymour Hersh a écrit dans le New Yorker que des membres de le CIA et du gouvernement considéraient que certaines des pistes pouvaient très bien être de fausses pistes destinées à embrouiller les faits. A votre avis, qui pourrait être responsable d'une chose pareille ?
Je n'en sais rien - comment le saurais-je ?... J'essaie simplement de faire preuve de bon sens et je constate que les terroristes ont été aussi imprudents qu'il est possible de l'être. Et bien que musulmans intégristes, ils sont allés se soûler et s'amuser dans un boîte de strip-tease.
Ça s'est déjà vu...
Peut-être... En tant qu'individu isolé, je ne peux rien prouver, cela dépasse de loin mes possibilités. Mais j'ai vraiment beaucoup de mal à imaginer qu'un homme, au fond de sa caverne, puisse être à l'origine de ce mauvais coup.
Vous reconnaissez que vous êtes bien seul avec votre critique. Jadis, vous faisiez partie de l'establishment politique; aujourd'hui, vous faites figure de marginal.
C'est parfois problématique, mais on s'y habitue. D'ailleurs, je connais quantité de gens, y compris des gens très influents, qui me donnent raison à voix basse.
Avez-vous encore des contacts avec vos anciens collègues du SPD, comme Egon Bahr ou l'ancien chancelier Helmut Schmidt ?
Pas vraiment. J'avais l'intention d'assister au dernier congrès du SPD, mais je suis tombé malade.
Vos prises de position actuelles seraient-elles calquées sur l'antiaméricanisme classique ?
C'est absurde. Ce que je dis n'a rien d'antiaméricain. Je suis un grand admirateur de cette société de liberté que sont les USA, je l'ai toujours été. J'ai fait mes études aux Etats-Unis.
Comment vous est venue l'idée d'associer les services secrets américains aux attentats ?
Vous vous souvenez du premier attentat contre le World Trade Center, en 1993 ?
Un attentat à la bombe qui a fait six morts et un millier de blessés...
Eh bien, au centre du groupe terroriste, il y avait un ancien officier égyptien; c'est lui qui a bricolé la bombe. Pour perpétrer l'attentat, il a rassemblé autour de lui quelques musulmans: des gens à qui le State Department [ministère des Affaires étrangères] avait refusé le visa d'entrée, mais que la CIA a fait passer clandestinement aux Etats-Unis. Il se trouve que le chef de la bande était en même temps un indicateur du FBI. Celui-ci, mis au courant, lui a demandé de faire comme si de rien n'était, lui promettant de remplacer, au dernier moment, l'explosif de la bombe par une poudre inoffensive. Le FBI n'a pas tenu sa promesse; c'est en connaissance de cause qu'il a laissé exploser la bombe. La version officielle fut très vite trouvée: les coupables étaient tous des musulmans intégristes.
Vous étiez membre du gouvernement Helmut Schmidt lorsque les soldats soviétiques sont entrés en Afghanistan. Que s'est-il passé à l'époque ?
Les Américains nous ont poussés à décréter des sanctions économiques; ils ont réclamé le boycott des Jeux Olympiques de Moscou. [1980]
Le gouvernement fédéral allemand a donné suite à cette demande...
Aujourd'hui, nous savons que la stratégie de Brzezinski, le conseiller du président Carter pour les questions de sécurité, consistait à déstabiliser l'URSS à partir des Etats musulmans limotrophes. Il s'agissait d'attirer les Russes en Afghanistan et de leur faire connaître l'enfer - leur Viêt-Nam en quelque sorte. Avec l'aide majeure des services secrets américains, on a entraîné en Afghanistan et au Pakistan 30.000 combattants musulmans, tous des malfaiteurs et des fanatiques, prêts à tout - et ils le sont encore aujourd'hui. L'un d'eux est Oussama Ben Laden. Il y a déjà plusieurs années, j'écrivais: "C'est cette sale engeance qui a produit les talibans, formés dans les écoles coraniques avec l'argent américain et saoudien, et qui maintenant terrorisent et détruisent le pays."
Vous dites que les USA en veulent aux ressources naturelles de la région. Mais ce qui a déclenché les attaques américaines, c'est quand même bien l'attentat terroriste qui a coûté la vie à des milliers de personnes...
C'est tout à fait exact. Il faut toujours avoir à l'esprit l'horreur de cet acte. Néanmoins, quand j'analyse des événements politiques, je suis en droit de me demander à qui ils profitent et qui en subit les conséquences, et quelle est la part du hasard. Dans le doute, il suffit de jeter un coup d'oeil sur la carte: où se trouvent les ressources naturelles, quelles sont les voies d'accès ? Prenez ensuite la carte des guerres civiles et des points chauds. Comparez - elles sont identiques. Même chose pour la troisième carte: celle de la drogue. Quand tout colle, vous pouvez être sûr que les services secrets américains ne sont pas loin. D'ailleurs, le gouvernement Bush est très lié à tout ce qui touche le pétrole, le gaz naturel et l'armement - et ce, via la famille Ben Laden.
Que pensez-vous des vidéos de Ben Laden ?
Quand on a affaire aux services secrets, on peut s'attendre à une manipulation de grande qualité. Hollywood dispose de la technologie nécessaire. A mon avis, une vidéo ne prouve absolument rien.
Vous croyez que la CIA est vraiment capable de tout...
Au nom de la raison d'Etat, la CIA n'est tenue par aucune loi lorsqu'elle intervient à l'étranger. Pas de droit international qui compte; un ordre présidentiel suffit. Si le terrorisme existe, c'est notamment parce qu'il existe des services secrets comme la CIA. Et lorsqu'on diminue les crédits, lorsque la paix s'annonce, alors une bombe explose quelque part. Ce qui prouve que rien ne va sans ces services secrets, que tous ceux qui les critiquent sont des crétins, des nuts comme les appelait Bush père, qui a été président et directeur de la CIA. Il faut savoir que les USA mettent chaque année 30 milliards de dollars dans leurs services secrets et 13 milliards dans la lutte contre la drogue. Et le résultat ? Le chef d'une unité spéciale de lutte stratégique anti-drogue a déclaré, résigné, au bout de 30 ans de service: "Dans tous les cas importants de trafic dont j'ai eu à m'occuper, la CIA est intervenue avant la fin afin de me retirer le dossier."
Reprochez-vous au gouvernement allemand la manière dont il a réagi après le 11 septembre ?
Non. Il serait naïf de penser que le gouvernement puisse faire preuve d'indépendance dans ce genre d'affaire.
Qu'allez-vous faire à présent ?
Rien. Ma tâche se limite à dire: les choses n'ont pas pu se passer de cette facon-là; à vous de rechercher la vérité...