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Des stars en produits d'appel, un bracelet magique, un merchandising tout-terrain, le tout sous couvert d'ésotérisme hébraïque... C'est le fonds de commerce d'un gourou américain qui a ouvert un centre à Paris. Au grand dam des autorités religieuses juives.
Dès l'entrée des locaux, le ton est donné. Une grande affiche vante le dernier livre de Karen Berg, l'épouse du «rabbin» Philip Berg, sur les vertus amaigrissantes de la Kabbale. Le Centre parisien, situé dans le XVIe arrondissement, est la digne filiale du Kabbalah Centre basé à New York (cinquante établissements dans le monde), qui surfe commercialement depuis trente ans sur les nouveaux besoins de spiritualité. Et sur l'incroyable crédulité des gens.
Feivel Gruberger est un ancien agent d'assurances, reconverti en 1962 en rabbin. Il est depuis devenu Philip Berg. Son segment de marché, c'est la Kabbale à la portée de tous et à toutes les sauces. Comme Ron Hubbard, ancien auteur de science-fiction reconverti prophète de l'«Eglise» de scientologie, il n'hésite pas à recourir aux méthodes de vente les plus poussées. Comme la scientologie, le Centre de la Kabbale dispose en vitrine d'une belle brochette de stars qui pensent y avoir trouvé leur équilibre quand elles ne servent que de produits d'appel. Dans l'ordre d'apparition : Liz Taylor, Barbra Streisand, Jerry Hall (qui y avait traîné Mick Jagger pour résoudre leurs problèmes de couple manifestement en vain ), Naomi Campbell et Madonna, entrée au Kabbalahland après une déprime consécutive au tournage du film Evita (et qui, fatalement, a embarqué sa copine Britney Spears dans cette galère). Comme en scientologie, des dérives sectaires sont pointées par d'anciens adeptes du Centre de la Kabbale. Mais, à la différence des partisans de feu Ron Hubbard, Philip Berg, lui, ne cherche pas à conquérir le monde. Seulement à développer son fonds de commerce.
La Kabbale des origines consiste en une relecture permanente des textes bibliques. C'est la «science» de l'étude de Dieu. Son aspect le plus pratique réside dans la numérologie. En hébreu ancien, les vingt-deux lettres font également office de nombres, d'où la tentation d'établir un catalogue des coïncidences (fruits du hasard ou de la providence, c'est selon). Les combinaisons étant aussi multiples qu'aléatoires, de quoi y consacrer toute une vie jusqu'à y perdre la raison, la tradition rabbinique, dans sa grande sagesse, avait interdit l'étude de la Kabbale aux moins de 40 ans.
Le kabbalisme a connu un grand essor au XIIIe siècle, avec la publication du Zohar (ou «livre de la splendeur»), un texte ésotérique rédigé par un juif espagnol, et devenu un texte fondateur de la mystique juive. Le bon rabbin Philip Berg le met en vente au prix de 345 dollars (édition reliée en vingt-trois volumes). Pour appâter le chaland, il a mis au point une version miniature, que les adeptes doivent glisser l'air de rien à leurs meilleurs amis, futurs clients.
Son activisme mercantile a toujours fait tousser les rabbins orthodoxes. Ils sont outrés, non seulement par la mise en vente à des fins privés d'un patrimoine de leur culture, mais surtout parce que Berg la ressert à de naïfs incapables d'entendre l'hébreu. Le camelot s'en est expliqué dans son ouvrage de référence, les Codes secrets de l'univers : «Il n'est pas nécessaire de comprendre les mots, mais il faut les prononcer correctement.» Pour la première fois, un gourou «kabbaliste» vise ouvertement un public non juif. Ainsi se constituent des cohortes de zombies, qui «scannent» le Zohar à défaut de le lire, selon la méthodologie mise en place par le gourou. Succès garanti, à en croire son merchandising : «La pratique peut créer des miracles, contrôler les événements et guérir les maladies.» Philip Berg partage le filon avec son épouse Karen et ses deux fils, Michael et Yehuda. A eux quatre, ils multiplient les ouvrages indispensables aux béotiens (Miracles, mystère et prières, le Pouvoir de l'un, Roues de l'âme, La force qui est en vous...).
Pognon, cul et verbiage
Leur entreprise familiale marque des points quand un magazine «sérieux» comme Elle (du 3 novembre 2003) fait grand étalage de stars arborant, dans le sillage de Madonna, ce petit bracelet rouge so fashion. L'hebdomadaire féminin, d'ordinaire très précis sur les prix dans les bonnes boutiques, omet de préciser le moyen de se le procurer. Ce «red string» est mis en vente à 26 dollars l'unité dans tous les Kaballah Centre. Avec son mode d'emploi : tourner le fil rouge sept fois autour du poignet gauche tout en scandant une prière hébraïque, pour plus d'efficacité contre «l'oeil du diable». On peut également se faire livrer des petites fioles d'eau bénite, dont les propriétés miraculeuses sont du même tonneau, des casquettes, des tee-shirts, de la musique d'ambiance... A Paris, le Centre de la Kabbale est déclaré en préfecture sous couvert d'une association à but non lucratif qui se donne pour objectif «l'étude, la pensée et la connaissance des oeuvres se rapportant à la Kabbale». Parallèlement, et avec le même dirigeant (1), une Sarl s'adonne au commerce de «livres, CD-Rom, produits d'hygiène corporelle et d'ambiance». Aux Etats-Unis, une organisation antisectes s'est un jour procuré le formulaire envoyé par le Kabbalah Center pour bénéficier d'une exemption d'impôts en tant que religion. Les chiffres sont anciens (année fiscale 1989) mais donnent déjà la mesure : près de 10 millions de dollars de revenus annuels.
Quelle est la raison de son succès ? De même que le bouddhisme appliqué à la sauce occidentale des CSP+ (catégorie socioprofessionnelle aisée), le kabbalisme de Philip Berg apporte, aux yeux de ceux qui s'y adonnent, un petit supplément d'âme (la «lumière», le «partage»), une métaphysique de pacotille («l'intelligence est énergie, il n'y a pas de place, dans ce scénario, pour un cosmos mécaniste») sans pour autant remettre en cause les fondamentaux matérialistes, le pognon et le cul. Le sexe est défini comme «le plus profond et le plus potentiellement spirituel de nos désirs». L'argent «est une forme d'énergie, comme l'électricité ou le nucléaire, qui mérite notre respect, pour des raisons aussi bien spirituelles que matérielles». Dans un verbiage typique du pragmatisme anglo-saxon, le Zohar permettrait d'ouvrir un «compte bancaire d'énergie positive», et même il fallait y songer de «vaincre la bureaucratie». Pour faire sérieux, une pointe de considérations pseudo-scientifiques : «La physique commence enfin à connaître ce que la Kabbale sait depuis des siècles. Le kabbaliste connaît l'interchangeabilité de la matière et de l'énergie, et l'activité subatomique qui porte son propre degré d'intelligence.» La santé ? «Aucun médecin n'a jamais soigné personne.» A l'instar des Témoins de Jéhovah, qui refusent tout traitement médical, le kabbalisme selon Berg s'en remet à la «lumière d'en haut» pour guérir tous les maux. S'il s'agit d'une allégorie, soit. Mais il est trop malin pour ignorer que des crédules le liront au premier degré. Récemment, le Centre de la Kabbale a organisé près de Créteil un séminaire devant un parterre de médecins et kinésithérapeutes, avides de traitements parallèles. Au secours !
En Israël, comme aux Etats-Unis, des rabbins dénoncent depuis longtemps les dérives de Philip Berg. Avec prudence, car le bonhomme est du genre procédurier. Dans l'Hexagone, Haïm Korsia, président de l'Association des rabbins de France, monte également au créneau. Il évoque un «marché de la crainte», les démarcheurs du Centre de la Kabbale, entre autres arguments de vente, promettant l'enfer aux juifs refusant d'acheter leur camelote. Il pointe également des «comportements sectaires». A l'étranger, d'anciens adeptes ont déjà eu l'occasion de dénoncer le comportement de la famille Berg, considérant leurs adeptes-volontaires comme de véritables esclaves, VRP le jour, serviteurs à domicile le soir. «Les Berg vivent comme des rois», résume l'un d'eux. Les porte-parole du «rabbin» refusent d'accorder le moindre crédit à ces témoignages apostats. En France, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils), récemment rebaptisée Miviludes (pour «vigilance et lutte contre les dérives sectaires»), vient d'ouvrir une enquête à son sujet. Cet organisme dispose d'une dizaine de critères ; il suffit d'en remplir six pour être cataloguée comme secte. Au moins deux d'entre eux pourraient correspondre : la vente à outrance, la rupture avec le milieu familial.
Parents inquiets
Nous avons rencontré un couple de catholiques non pratiquants, qui redoutent de perdre leur fille de 25 ans, aspirée par le Centre de la Kabbale à Paris. Ils veulent rester anonymes, non par peur de témoigner publiquement, mais parce qu'ils redoutent de perdre le dernier fil qui les relie à leur enfant. «Elle préparait sa thèse, se posait beaucoup de questions. Son petit ami, d'origine israélienne, lui a apporté des éléments de la Kabbale sur un plateau. Son langage est devenu stéréotypé, les mêmes idées revenaient sans cesse, comme si on lui avait rabâché un discours. Son brusque amaigrissement nous a inquiétés. Les peu de fois ou nous pouvions la voir, elle rétorquait : "De quel droit me jugez-vous ?" Ils nous ont proposé de l'eau kabbalistique en cas de maladie. Ils sont partis à Londres, pour la dédicace du livre de Madonna, puis à New York, pour la célébration du nouvel an auprès de Berg. On a peur qu'elle ne revienne jamais.»
Ces parents ont écrit à Gallimard, éditeur du récent livre pour enfants rédigé par Madonna, dédié à son gourou et à son «infinie sagesse». Le contenu est gentiment correct, les droits seront reversés à des «oeuvres caritatives consacrées aux enfants». On songe à la Kabbalah Children's Academy, qui dispose d'une école privée à Los Angeles, filiale de la nébuleuse Berg, lequel, toujours soucieux d'élargir sa clientèle, considère que les enfants de 6 ans ont la capacité d'entendre les mystères qui dépassent les adultes. Gallimard n'a pas répondu. Business must go on."