Alors le sujet est vaste, et fort complexe, comme les forêts elle-même, en vérité.
Aussi faut-il bien situer de quoi on parle, ce que je vais tenter de faire, mais ce sera long...
Le code forestier[u]
Il y a certes en France beaucoup plus de forêts privées que publiques : environ deux tiers de privées, un tiers de publiques.
L'ensemble de forêt française est régie par le code forestier, dans lequel sont bien distinguées forêts soumises au régime forestier, c'est à dire dire forêts appartenant aux communes ou à l'Etat lui même, et gérées par l'Office National des Forêts, et forêts privées (bois et forêts de particulier).
Alors pourquoi un code forestier, déjà ?
Parce que pendant des siècles, le forêt française a été exploitée au fur et à mesure des besoins, sans aucune perspective d'avenir. Il existait bien une administration forestière, des ordonnances royales, mais la surface forestière est passée de 40 à 7 millions d'hectares de l'an 0 à l'an 1820... La forêt offrait à la civilisation de quoi se chauffer, de quoi construire, de quoi se nourrir, et donc au fur et à mesure des accroissements démographiques et du développement de l'agriculture, la surface forestière diminuait. Et puis avec le temps il a fallu alimenter les forges, les salines, les verreries...
Il devenait difficile pour l'Etat de trouver des arbres capables de répondre aux besoins, et notamment le bois d'oeuvre nécessaire au développement de la marine : on avait besoin de bateau, pour faire la guerre et du commerce, et on manquait de bois.
Colbert, ministre des finances de Louis XIV, a donc sonné l'alarme, et réformé l'administration forestière, pour promulguer une grande ordonnance royale en 1668 sur le fait des Eaux et Forêts. Il donc a instauré les prémices du code forestier, et surtout il a ébauché une méthode de sylviculture : culture des arbres quoi. L'objectif étant de pouvoir récolter ce dont on avait besoin, tant en chauffage qu'en bois d'oeuvre, tout en assurant le renouvellement des forêts
A la révolution, la situation restait pourtant catastrophique. Les forêts saisies au clergé, aux roi et seigneurs décapités furent redistribués à l'Etat et aux communes selon leur importance de l'époque. Le code forestier sera instauré en 1827, avec un corps forestier chargé de l'appliquer et de donner enfin une vision à long terme de la gestion forestière.
Après une période plus faste où la situation des forêts françaises s'arrange, les deux guerres mondiales imposent un nouveau recul. Les gens se servent à nouveau, c'est un massacre sur le front (zone roug de Verdun, notamment). La situation s'étant encore agravée, et les besoins ayant profondément évolués, le code forestier est révisé, prenant en compte les aspects sociaux, économiques et écologiques de la forêt, et distinguant les différentes catégories de propriétaires.
L'Etat a mis en chantier de grands reboisement, car outre les besoin en bois, il s'agissait de restaurer les terrains de montagne, dont les déboisement ont provoqués de dangereux glissement de terrain, entre autre... Car les déboisements de certaines régions ont aussi, à long terme, provoqué bien des dégâts : les innondations connues ces dernières décennies n'y sont pas étrangères... Et puis l'ONF a été chargé aussi, notamment, de fixer les dunes en bord d'océan... Bref, il fallait réparer ce qui était réparable. On y est encore...
Aussi dans les années soixante et soixante dix, de grands chantier ont été mis en oeuvre. On craignait une pénurie de pâte à papier, notamment, et l'Etat a subventionné des plantations, résineuses d'abords, puis feuillues. Malheureusement, nous n'avions pas les connaissances d'aujourd'hui, notamment vis à vis du sol : les résineux poussaient fort vite en montagne, alors on en a mis partout, y compris en plaine... D'où les millions d'hectares de pin, sapin, épicéa, dont bonne partie sont tombés le 26 décembre 99, et dont bonne partie ont subis bien des attaques de parasites depuis, j'y reviendrai. Car la forêt pure (monospécifique), est fragile, à tous les niveaux... Et nous nous sommes rendus compte, avec bien du retard, de nos erreurs...
Car le forestier ne voit le fruit de son travail que 10 ans, 20 ans, 100 ans plus tard... La forêt se gère à long terme, et c'est bien là aujourd'hui que le bas blesse : notre société est pressée d'obtenir du résultat...
Mais n'empêche, la surface forestière est remontée à 14 millions d'hectares... Et elle ne cesse de croître encore. ça, c'est une bonne nouvelle.
[u]Les forêts privées
Les forêts privées sont certes soumises au code forestier : les CRPF, Centre Régional des Propriétés Forestières, sont chargés d'épauler les propriétaires, puisque le code forestier impose un plan de gestion à toute forêt de plus de 40 hectares d'un seul tenant. Les CRPF élaborent ces plans de gestion, qui sont, ou plutôt étaient, contrôlé par la DDAF.
ll faut savoir que depuis l'année dernière, les CRPF et DDAF ont été fusionnés, réforme en cours... On en parle pas non plus, d'ailleurs, mais en fait toutes les administrations fusionnent les unes avec les autres pour faire des économies. Il y en a à faire, certes, mais ce qui serait bien, c'est que ça reste efficace quand même.
Il faut savoir aussi qu'aucun contrôle ou presque n'est établit sur les forêt privées de moins de 40 hectares : en conséquence, plus de la moitié des forêts privées ne sont tout simplement pas gérées du tout. Bon nombre de propriétaires ne possèdent que quelques hectares (1 hectare=1000 m²), voire que quelques ares, et au fur et à mesure des successions, il y a parfois des terrains dont on ne retrouve tout simplement plus les propriétaires.
D'autres propriétaires qui connaissent bien la loi passe à travers les gouttes, notamment en matière de taxe au défrichement, tout simplement en cumulant les petites propriétés de moins de 40 hectares qui, même si toutes ensemble font des gros massifs, sont des ensembles de parcelles cadastrales mais pas au même nom. Il y a ainsi des forêts de la cousine du cousin du frère à côté de celle de la tante de l'oncle... Bref.
Certaines forêts privées rapportent beaucoup d'argent, et le commerce du bois est juteux. Dans les Landes, par exemple, la sylviculture du Pin est une véritable industrie : on plante, on coupe, on plante, on coupe, avec un rendement particulièrement intéressant, et une biodiversité proche de celle des champs de maïs... Toujours est-il que la tempête a été là-bas une catastrophe économique...
Certaines structures sont également spécialisées dans le rachat et la revente de forêts : on achète, on coupe, on revend à nu. Du moment que ça ne se voit pas trop, tout baigne....
Aussi les forêts privées sont elles souvent gérées par des experts privés, ou des coopératives forestières moyennant finances, tous sensés se conformer au code forestier, en harmonie avec les exigences sociales, écologiques et économiques de la forêt dans la société. Comme partout, on trouve de tout, des bons et des moins bons, des pro et des véreux.
Il y a aussi des propriétaires passionnés qui recherchent un équilibre à la fois écologique et économique dans leur forêt. Le problème, c'est que la forêt ne fonctionne pas à échelle humaine : les cycles des essences forestières sont de plusieurs dizaines d'années, voire de plusieurs siècles... C'est pourquoi souvent le propriétaire va rechercher à planter des essences à croissance rapide, comme le peuplier, que l'on clone volontier, ou les résineux, afin d'espérer toucher les fruits de son travail avant de mourrir, ou au moins que peut-être ses enfants, ou petits enfants, pourront toucher les fruits de son travail... Le problème c'est qu'à la mort du propriétaire passionné, les héritiers ne sont pas forcément tout aussi passionnés. Parfois la forêt reste indivise, et souvent les héritiers confie la gestion à des experts, des regroupements, ou à des coopératives. Parfois les forêts ne sont pas en indivision, d'où, au fur et à mesure des générations, un morcellement disparate des forêts qui petit à petit sont abandonnées...
C'est pourquoi l'Etat, en vue de péréniser les forêts, garde la main sur le tiers restant des forêts françaises, puisque, théoriquement et par définition, l'Etat doit assurer une gestion au long terme de son patrimoine, de son environnement, et de son économie...
[/b][/u]L'ONF
L'ONF est créé en 1965 : il sera chargé de la gestion des forêts communales et domaniales, soit environ un tiers des forêts françaises. Cela permet à l'Etat de contrôler parfaitement un tiers de la forêt française, et donc de "garantir" en quelque sorte la mise sur le marché du bois. Il faut savoir que les forêts communales ne sont pas tout à fait publiques : ce sont des domaines privés de la communes. Mais elles appartiennent donc à des collectivités. Elles restent décisionnaires sur leur forêt, mais sous contrôle de l'Etat, puisque toutes les ventes de bois des forêts communales passent obligatoirement par l'ONF. Pourquoi ? Parce que le bois, même de nos jours, c'est 450 000 emplois. Il y a les forestiers, les bûcherons, les débardeurs, mais aussi les scieurs, les papetiers, et tous les transformateurs du bois : l'industrie du panneau, du meuble, du parquet, de la charpente, et aujourd'hui le "bois énergie", ça fait du monde...
Si l'Etat a dés le départ demandé à l'ONF d'auto financer la gestion des forêts domaniales sur les ventes de bois, la gestion des forêts communales bénéficie depuis la création de l'ONF d'un financement supplénentaire de l'Etat : le versement compensateur. Car si les communes paye chaque année à l'Office des frais de garderie, à savoir 12% de leur recette de bois netts de frais d'exploitation, pour payer les services rendus, cela ne suffit pas. Car bien sûr, les forêts qui ne rapportent pas, notamment les forêts de protection en montagne, bénéficient quand même de ces services. Le versement compensateur et les frais de garderie permettent de financer les aménagements, équivalent du plan de gestion en forêt privée, état des lieux périodique de la forêt qui prévoit, sur une quinzaine d'années, coupes et travaux, en donnant les grandes directives sylvicoles, sociales, écologiques, économiques. Le versement compensateur finance aussi toutes les missions de services public, à savoir les martelages (marquage des bois avant coupe), la surveillance, la vente même des bois, etc.
Pendant de nombreuses années, ça baignait pour l'ONF : le marché du bois se portait bien, les finances étaient bonnes, les forestiers étaient nombreux, c'était un beau métier et tout le monde en rêvait. De grandes vagues d'embauche ont permis que l'ensemble du territoire des forêts soumises soient couvertes par les "gardes forestiers" de l'Etat. Et on a mis en place une sylviculture dynamique dans les forêts françaises : plantations, transformations des anciens taillis sous futaie en futaies régulières... Car la France avait besoin de plus en plus de bois d'oeuvre et de moins en moins de bois de chauffage...
Mais petit à petit, le marché du bois s'est moins bien porté, et l'Etat a commencé à jeter un oeil sur les finances de l'Office...
Quelques réformes ont commencé à faire baisser le nombre de fonctionnaires, d'ouvriers.. Le versement compensateur, aujourd'hui de 122 millions d'euros par an, commence à faire mal aux finances de l'Etat... Peut-être les communes devraient elles payer un peu plus que ce qu'elle paye, à savoir 12% des recettes. On a passé le code forestier au peigne fin, et on a commencé à faire payer aux communes tout ce qui n'était pas "service public". prévu au code forestier, et ce au plus juste prix. Du moins a-t-on tenté de le faire.
Pas évident de faire le tri. Le garde forestier surveille les limites de ses forêts, les cours d'eau, les coupes, les travaux, les chemins, l'état de santé de la flore, de la faune, il veille à ce que les communes aient le budget nécessaire aux investissement nécessaires, il intervient auprès des écoles, il verbalise aussi, car il est chargé de fonction de police judiciaire. L'ONF est le seule EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et commercial) qui a des fonctionnaires assermentés, et c'est un problème... Car les fonctions de polices judiciaires (police des forêts et de l'environnement) couplés avec des besoins économiques ne font pas bon ménage... Aussi a-t-il été fort difficile de gérer les priorités. A savoir qu'aujourd'hui, celles du forestier ne sont pas forcément les même que celles de l'Etat...
Donc, en 99, la tempête chamboule un peu tout ça : une réforme déjà se préparait... Mais là, pas question de supprimer des forestiers : des millions de mètres cube de bois par terre, des années de récolte en vrac, et le marché du bois qui s'écroule... Un beau bordel. Mais qui met soudain la lumière sur nos pratiques, sur la fragilité de nos forêts sylviculturisées aussi. En France, il n'y a plus du tout de forêt naturelle, toutes ont eu, un jour ou l'autre, intervention de l'homme. Et nos grandes futaies régulières pures ne tiennent guère la route, ni face à des vents de 200 km/heure, ni face aux attaques parasitaires qui s'en sont suivis... Elles ont pris un sacré coup en 2003 aussi, entre canicule et sècheresse...
Le réchauffement climatique, la forestier le vit au quotidien. Même si il fait encore froid en hivers, même si on a encore des été pourris... Certains sols ne portent plus les gros engins lourds fabriqués pour améliorer les rendements : plus de longues périodes de gel où le sol est suffisament dur... Et certaines essences ne s'adaptent pas du tout, du tout aux changements en cours...
Alors depuis quelques années le forestier, après avoir vu une bonne partie des forêts tomber d'un coup d'un seul, voit le reste crever tout doucement, par endroit...
En 2002, la situation financière de l'Office est assez catastrophique. Alors que les forêts domaniales ont bien rapporté pendant de nombreuses années, les finances sont alors au plus mal. La belle boutique ONF est déficitaire, et pas qu'un peu. Des centaines d'hectares sont à reconstituer après tempête. L'Etat finances certes cette reconstitution, avec l'aide de l'Europe, via des subventions haut niveau, car il faut assurer la production de bois, c'est clair. L'économie a besoin de bois.
Donc en 2002, un grand plan de restructuration est mis en place. Mal vécu, sur le terrain. On a vécu vraiment l'apocalypse après la tempête, on est passé aux 35 heures, et pour courronner le tout on doit appliquer des processus qualité qui nous impose des charges administratives de dingue. Mais c'est vrai qu'il y a eu des abus, et qu'il faut retrousser ses manches. Le petit forestier qui se la coule pénard au fond des bois, c'est fini. Tout est restructuré, calculé, formaté, rentabilisé. Et c'est raide, parce qu'on chope parfois jusqu'à 50% de charge de travail en plus, les bureaux s'éloignent, et on a du pain sur la planche : tous les aménagements sont à refaire. En 2004, on voit enfin le bout des exploitations chablis (arbres tombés à la tempête), on a nettoyé pour que ça repousse dans de bonnes conditions, on met en place la reconstitution naturelle ou par plantation, en essayant de ne plus faire les même conneries, tant qu'à faire. Mais il y a aussi toutes les coupes suspendues à rattraper dans les zones qui n'ont pas été touchées par la tempête...
Bref. En 2007, n'empêche, on a remonté la barre. On est même bénéficiaire, le top, le marché du bois se remet, on a même droit à une petite prime pour nos bons efforts, 100 € chacun, avec des félicitations et tout et tout. La direction a mis en place un développement d'activités annexes, pas trop rentable mais bon. On a de plus en plus de chefs, on est de moins en moins nombreux sur le terrain, mais on voit le bon bout... Du moins on espère... On change même de statut, puisque le boulot n'est plus le même, et on arrive à boucler les fins de mois avec nos primes, ce qui était raide avant. On s'informatise, sans adsl, trop cher dans les forêts, mais on avance. On commence enfin à s'occuper vraiment de la biodiversité, en laissant des arbres morts en forêt, pour les chauve souris, les oiseaux, les insectes. Natura 2000 permet, bonant malant, de préserver des habitats. La loi sur l'eau se met en place, et en 2008 on commence enfin à l'appliquer sur le terrain... Il était temps... On cherche à limiter les impact au sol, à trouver de nouveaux moyens de débardage (sortie des bois bord de route) pour limiter le tassement. Et les nouvelles structures mises en place commencent à marcher.
On a signé un contrat avec l'Etat, pour être sûr qu'il va continuer à nous verser des sous pour les forêts communales. Et il nous le promet, mais sans garantie de montant.
[b][u]Aujourd'hui, à l'ONF...
Et donc, voilà 2008 : la RGPP. C'est la crise, et le marché du bois prend encore une claque. Sûr que là, on atteindra pas les fameux objectifs...
Là l'Etat se pose même la question de savoir si on va pas carrément faire sauter le code forestier. ça oblige à garder des fonctionnaires en forêts, ça limite le champs des possibles, ça craint...
En plus, y a un rapport mathématique qui a calculé qu'on n'exploite pas assez de bois. C'est vrai en forêt privée : comme je vous le disais, il y a une surface incroyable qui n'est tout simplement pas gérée, pas exploitée, une surface faite de millions de petites surfaces. Le top, ce serait de pouvoir regrouper ces surfaces, de contacter les propriétaires, de les inciter d'une façon ou d'une autre à gérer les bois qu'ils possèdent. Mais c'est un travail de titan.
Après la tempête, pour pouvoir accéder à une parcelle communale perdue dans des parcelles privées rasées, j'ai essayé de contacter tous les propriétaires : 25 propriétaires sur quelques hectares, certains ne savaient même pas qu'ils avaient de la forêt. Tout ça pour exploiter les résineux en vrac au bord de la route. J'ai mis des semaines à recenser, retrouver, contacter ces propriétaires pour quelques hectares... Finalement, j'ai du changer de poste : j'ai laissé le dossier qui n'a jamais été repris. Quelques années plus tard, un collègue a du tout recommencé depuis le début. Entre temps, des propriétaires étaient décédés, bref, c'était foutu...
Pour couronner tout ça, il a été prouvé que, théoriquement, comme il y a plus de CO2 dans l'air, les arbres poussent plus vite. Et c'est vrai ! Du moins en théorie. Là où les arbres ne dépérissent pas, c'est vrai. Là où la tempête n'est pas passée, où il n'y a pas de sécheresse, et où tout va bien, c'est vrai. Là où il n'y a pas d'autre pollution que le CO2, c'est vrai.
Donc l'Etat a décidé de remédier à cette abhération économique : on exploite pas assez de bois.
Alors surprise, les propriétaires privés, ceux qui gèrent leur forêt, ne sont pas d'accord pour augmenter les volumes prélevés à hauteur de l'ambition de l'Etat. Mlagré tout le pognon qu'il y a à faire...
L'Etat, donc, se tourne vers l'ONF. Il va falloir augmenter les objectifs, et pas qu'un peu...
Depuis quelques temps, nos aménagement, conformes aux normes locales de gestion durable, ne sont plus validés à Paris : les prélèvements prévus ne sont pas assez importants. Ils ne suffiront pas à atteindre les objectifs...
Le calcul est simple : c'est ce que nos supérieurs expliquent aux communes. Si on regarde les chiffres de 2004 à 2007, nous n'exploitons ici en moyenne dans nos forêts communales productives, que 0,2 mètres cube de bois par hectare et par an, alors que les arbres poussent de 0,4 voire 0,5 mètres cubes par hectare et par an. Bref, faudrait exploiter le double pour vraiment exploiter le potentiel de nos forêts !
En appliquant comme ça un accroissement à toute la forêt française, ça donne un potentiel d'exploitation extraordianaire : on peut donc développer un max le bois énergie ! La plaquette ! Et ça se fait d'ailleurs. Et il y a d'ailleurs de très grosses scieries qui s'installent...
Sauf qu'il faut approvisionner ces scieries, ces chaudières, régulièrement et sans faille...
Sauf que quand on regarde les exploitations de 99 à 2007, les chiffres sont pas les mêmes : on a parfois exploité déjà 20 ans de récolte en 2 ans, 2 fois l'accroissement par an sur 10 ans, tempête oblige !
Mais ça ils ne le disent pas dans les chiffres, quand ils expliquent aux communes qu'elles pourraient se faire beaucoup plus d'argent en coupant plus fort. Et ça tombe bien, parce qu'elles en ont besoin, d'argent, les communes. Les prestations facturées par l'ONF sont de plus en plus chères... Les travaux d'assainissement aussi... Il faut compenser la perte des taxes professionnelles dues aux exonérations promises par notre président...
L'argument vert est très fort. Le bois est certes un matériau renouvelable, qui stocke du carbone. Mais de là à représenter 30% des énergies renouvelables utilisées d'ici 2011, comme le prévoit notre président... Le bois est certes un matériau de construction très écologique, et qui a réponse à bien des problème en matière de construction bio climatique. Mais il ne remplacera pas tout : il ne faut pas se leurrer. Il n'y aura bientôt plus d'alluvions à exploiter non plus, vu que les carriers arrivent aussi bientôt au bout du massacre des sols alluvionnaires (ça non plus, personne n'en parle...), mais on ne pourra pas tout construire en bois. C'est ce qui se passait il y a deux siècles... et nous sommes beaucoup, beaucoup plus nombreux, et nous consommons beaucoup, beaucoup plus d'énergie...
Augmenter considérablement les prévisions de récolte, développer le bois énergie, les contrats d'approvisonnement pour les grosses scieries, les grosses chaufferie, tels sont les objectifs à court terme : l'Etat va continuer de financer la gestion des forêts communales, et pour l'instant, le code forestier est maintenu. Mais sous condition :
- d'abord que l'ONF continue de baisser ses effectifs, malgré les promesses faites (quand on sera bénéficiaires, on sera sortis d'affaires, nous avait-on promis...), au moins à hauteur de la RGPP. 1,5 % par an... En 20 ans, l'ONF a perdu deux tiers de ses effectif...
- Ensuite que l'ONF finance les retraites comme prévu par la réforme de retraites (progressivement mais sûrement, mais en 2011, 40 millions d'euros de bénéfices supplémentaires à sortir par an...)
- Que le siège parisien de l'Office déménage à Compiègne pour compenser le retrait militaire là-bas, à financer aussi bien sûr, débrouillez vous...
- que l'IFN (inventaire forestier national, qui fait un état permanent de la forêt française dans son ensemble) soit intégré à l'ONF, on vous aidera peut-être à financer, on verra...
- qu'à terme l'ONF verse des dividendes à l'Etat sur ses bénéfices...
ça court jusqu'en 2011... Après...
Il faut donc tirer pas moins de 70 millions de bénéfices supplémentaires par an de 2009 à 2011, et avec moins de personnels.
Pour ça, on va déjà commencer par augmenter les volumes de bois à exploiter... Le problème c'est que le marché du bois se porte déjà pas très bien... Augmenter l'offre quand les prix baissent... telle est la politique envisagée...
On va pour ça développer la demande... Là intervient fort à point le grenelle de l'environnement, qui conclue : il faut produire plus en préservant mieux ! Oui, c'est possible, c'est notre directeur général qui nous le promet juré craché. En mécanisant les coupes, on va pouvoir mobiliser plus de bois. Il faut juste donner un coup de fouet au marché : on va augmenter la demande grâce au grenelle, puisque le bois est une énergie propre.
De grosses scieries sont en prévisions, alors que les petits entreprises locales se cassent la gueule. Et puis on commence à envisager de chauffer les immeubles au bois. Ces scieries, ces chaudières à plaquettes prévues parfois dans de gros HLM qui ne sont pas prévus pour être chauffés au bois en matière d'isolation, vont avoir un besoin gourmant de bois, très gourmants. Bois qu'il faudra soit tirer des forêts alentours.. soit importé des forêts des pays de l'Est... Coûte que coûte.
La soluce, c'est quoi, pour répondre aux ambitions de l'accroissement ? C'est les essences à croissance rapide... les futaies régulières pure, la mécanisation des coupes sur les sols fragiles... Sauf que ça ne va pas préserver la bio-diversité, loin de là. ça va même complètement à l'encontre de la préservation de la bio-diversité...
Ces derniers temps, les aménagements élaborés à l'ONF et conformes aux normes locales de gestion durable des forêts, sont refusés par notre direction à Paris : les prélèvements prévus ne sont pas conformes aux objectifs. On nous demande d'aller au délà des normes, qui déjà ont été révisées.
Le forestier, par définition, est polyvalent : il doit pouvoir maîtriser, comme je l'ai déjà dit, les aspects écologiques, sociaux et économiques de la forêt. Ils ont tenté de transférer un certains nombre de tâches à des tiers spécialisés en 2002 : ça n'a pas marché. Malgré l'augmentation des territoires, l'agent a gardé exactement les mêmes fonctions qu'avant, agrémentées des nouvelles tâches administratives dues à la démarche qualité. Les tâches sont restés à l'agent sur le terrain, car il est fort difficile de gérer un forêt de loin... D'en connaître les accès, les limites, les particularités, juste en regardant un plan.
Pourtant, aujourd'hui, ils persévèrent : l'agent, le "garde" assermenté, ne devra plus s'occuper que de la "surveillance", l'application du code, sur un territoire toujours plus grand. Ainsi tous les travaux et coupes seront gérés par des spécialistes, qui auront compétence : ils auront un objectif de volume, de chiffre d'affaire, et ils devront remplir les contrats d'approvisionnements auprès des scieurs, des transformateurs...
A terme, l'agent, sur un territoire toujours plus grand, devra-t-il verbaliser son collègue si celui-ci envoit un engin sur un sol qui ne porte pas ? Théoriquement, oui. Il devrait pouvoir le faire. Sauf que le procès verbal à l'encontre de son collègue sera d'abord traité par... sa hierarchie...
Nous nous retrouvons pieds et poings liés en laissant cette réforme aboutir. Nous aurons beau brandir le code forestier, si le service bois a besoin de bois, nous ne maîtriserons plus les conditions dans lesquelles se feront les exploitations...
Depuis des mois, les forestiers tentent de bloquer cette réforme : blocage des ventes, des facturations, grêves, manifestations, résistance en tout genre. Plus d'un tiers des personnels de l'établissement étaient à Paris le 13 novembre pour tenter d'empêcher un conseil d'administration qui a validé cette réforme, et qui a été repoussé au 17...
Malgré un vote négatif de toutes les instances syndicales, l'abstention des représentants des communes forestières, la réforme, le budget a été validé.
Ici, pour la première fois, dans ma région 85 cadres ont signé une lettre à leur directeur pour demander des explications, protester contre un budget, des objectifs, une organisation qui semble absurde au regard de nos missions, de notre gestion forestière. Mais rien ne bouge, tout avance en bloc, tout se met en place... au mépris des gens. On nous assure que nous serons accompagnés dans nos changements de fonctions, dans nos déménagements, dans nos divorces. Que tout ira bien, que tout va bien. Qu'il faut reprendre le travail, que le bateau ne va pas sombrer... Les pressions, de toutes sortes, sont fortes... et le moral est bas.
A terme, en 2011, fin du contrat Etat / ONF, l'Etat décidera s'il faudra ou non maintenir le code forestier... L'objectif est actuellement de séparer les fonctions "marchandes " de la forêt de ses fonctions écologiques et sociales (accueil du public, qui devient aussi une activité marchande, soit dit en passant).
Si l'Etat décide de supprimer purement et simplement le code forestier, il n'y aura plus beaucoup de fonctionnaire polyvalent à faire sauter...
Bon, c'est long, c'est vaste, et c'est simplifié et raccourcis. Il faudrait des jours pour vraiment expliquer le pourquoi du comment, mais j'espère avoir été assez clair, de mon point de vue du fond des bois.
N'hésitez pas à poser des questions.
Pour moi, le danger est là, réel : sous couvert de question écologique, l'Etat cherche des profits économiques fort dangereux. Si en forêt on peut en un jour, un mois, un an, massacrer un écosystème, il faut 50, voire 100 ans pour le reconstituer, sans jamais plus pouvoir retrouver la biodoversité initiale. Il faut quand même savoir aussi que certaines zones de forêts naturelles ont été rasées dans le monde, destruction totale et définitive d'habitats et de biodiversité, pour y replanter des essences à croissance rapide comme l'eucalyptus. Pourquoi ? Pour bénéficier de subventions, de bons "carbones", de droit de polluer... suite à Kyoto... Absurde n'est-ce pas ? Pourtant c'est une réalité...
Il faut se méfier des discours qui visent à trouver écologique de rentabiliser et surexploiter l'environnement...
J'ai bien du mal à trouver des liens, des sites. Certains journaux ce sont penché intelligemment sur la question, notamment vis à vis de cette croissance théorique, comme "Le Monde", mais impossible de retrouver un lien vers l'article.
L'INRA a fait bien des expérimentations, mais les résultats ne sont pas accessible. Certains organismes comme "Prosylva", qui prône une sylviculture proche de la nature, s'inquiètent de la politique ONF aujourd'hui.
Les médias, jusqu'ici, ne nous suivent pas...
A bon entendeur...