Désolé de m'incruster une fois de plus mais j'aimerais poster une seconde version de mon prologue que, grâce à l'aide de gens d'un autre forum, j'ai un peu corrigé (encore merci à eux )
J'espère avoir vos avis
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Peut-on parler de bien en labsence de mal ? Voila une question bien étrange
une de celles que jamais je ne me serais posées si je navais vécu tout cela. Néanmoins, comme tant dautres, jaurais affirmé que seul le mal est superflu, oui je laurais juré
autrefois
bien avant de comprendre ce que malfaisant signifiait
Prologue : Le fils des Eyènes
« La souffrance qui lui était chose inconnue, lentraînera vers la destinée du vertueux
»
Tout débuta lors dune fraîche nuit dautomne, dans lune des plus importantes villes portuaires du continent de Maéxence : Edèna. Un jardin aussi vaste que somptueux entourait dimmenses bâtisses érigées en cercle où résidaient la plupart des gardiens éyènes En leur centre, se dressait une gigantesque tour blanchâtre dont le sommet nétait visible que des astres. Un solide mur de pierre clôturait la demeure et de nombreux soldats gardaient limposant portail. En somme, il était impossible de pénétrer dans le domaine de la noble famille des Eyènes sans y avoir été convié.
Cest alors quun terrible hurlement brisa la quiétude nocturne. Dinnombrables torches sallumèrent ça et là et en quelques instants la nuit disparut de la propriété. Tous saffairaient à la porte du bâtiment nord doù provenait le cri.
_ Penses tu quil sera là avant laube ? souffla lun des gardes à son compagnon, un rien sarcastique.
_ Cest apparemment ce quespère Agrime
répondit lautre, debout face à la large porte en chêne.
Le fameux Agrime, le chef de la garnison des Eyènes, se tenait près de la porte, au milieu des autres soldats, guettant larrivé de son second. Cétait un grand homme, plus que robuste, à lhabitude fort calme et qui pour la première fois semblait contrarié.
Finalement, un soldat corpulent arriva, éreinté et tenant dans ses mains un trousseau de grosses clés rouillées quil retournait en tous sens.
_ Surtout Oleq, ne te précipites pas ! gronda Agrime à la vue de son second titubant.
_ Cette porte
Pourquoi laurais je verrouillée ? Cest
cest à ny rien comprendre, balbutia lhomme tout en cherchant avec empressement la bonne clef.
_ Peu mimporte que tu laies un jour fermée ! Je veux que tu louvres ! simpatienta Agrime.
Enfin, le soldat brandit triomphant une longue clef argentée. Voyant quAgrime était à bout, il sempressa de la glisser dans le trou de la serrure.
La lourde porte souvrit, laissant apparaître un couloir obscur.
_ Mieux vaut que jaille remettre ces clefs en lieu sûr, lança Oleq en séloignant à grandes enjambées du bâtiment. Ne mattendez pas !
_ Jamais il ne changera
chuchota lun des soldats.
_ Pour ça il faudrait que la famine nous guette, ajouta un autre en riant doucement.
Soudain de la porte jaillit un jeune garçon affolé, une longue épée à la main. Un magnifique fourreau gravé entourait la lame doù sécoulaient encore quelques gouttes dun liquide rougeâtre. La garnison reconnût immédiatement lenfant et plusieurs soldats tentèrent vainement de larrêter.
_ Laissez-le ! commanda Agrime. Inutile de le poursuivre, les gardes du portail sen chargeront. Voyons plutôt quelle diablerie a effrayé notre jeune maître.
Tout en disant ces mots, le chef de la garnison pénétra dans la maison et cela sans aucune hésitation. Il tira lépée de son étui et le reste des hommes en fit de même. Ils longèrent prudemment le couloir, brandissant quelques torches pour éclairer le passage. Une seconde porte apparut face à eux, cette fois entrouverte. Agrime fit signe à ses hommes de sarrêter et savança discrètement vers lentrée.
Dun geste lent, le chef de la garnison poussa la porte, serrant toujours sa lame dans son autre main. Soudain, il sentit que quelque chose bloquait le battant. Ne laissant pas le temps à un éventuel adversaire de se dégager, il sengouffra derrière la porte.
Un cri retentit. Alertés par le bruit, les hommes en retrait accoururent. Le premier passa la tête dans lembrasure de la porte et, surpris par la scène, sexclama :
_ Agrime ! Mais quest ce que
?
Le chef de la garde se tenait debout au côté dune jeune femme, affalée sur le sol et apparemment terrorisée. Le soldat comprit alors quil ne sagissait que de lune des servantes du seigneur.
_ Toi... Mènes la hors dici. Nous la questionnerons plus tard, dit doucement Agrime au garde.
Lhomme acquiesça. Agrime fixait dun air soucieux lautre extrémité du couloir. Il savait quau bout de ce dernier se trouvait la salle de réunion des Eyènes. Un étrange frisson le parcourut
Il fallait quil sache. Les autres hommes le virent avancer lentement vers la salle et ne purent que le suivre, inquiets de létrange comportement de leur chef.
Enfin, le groupe pénétra dans la grande pièce. Tous, excepté Agrime, furent horrifiés par cet épouvantable spectacle.
_ Par Aghnor, mais que sest-il passé ici ! laissa échapper lun des soldats.
Trois corps gisaient sur le sol. Celui du seigneur, de sa femme et de leur jeune fille, tout trois lacérés de toutes parts. Détranges cicatrices parcouraient le visage et les bras du seigneur : de profondes brûlures. Qui avait pu commettre un tel acte ? Cétait la question qui hantait tout les esprits. Ce vieil homme à la chevelure grisâtre, ce symbole de la communauté gardienne, venait de séteindre emportant avec lui la force quétait celle des Eyènes.
Un profond silence régnait dans la large pièce ; un hommage pour un homme que tous avaient aimé et servi. Lair était lourd, sans doute à cause de cette horrible odeur de sang.
_ Sortez tous de cette salle
Verrouillez toutes les issues et ne laissez personne entrer ni sortir ! ordonna promptement Agrime. Puis il ajouta tout bas et dun air préoccupé :
_ Mieux vaut que personne ne voit le seigneur dans cet état
Lactivité frénétique qui régnait dans le domaine des Eyènes le faisait ressembler à une gigantesque fourmilière. Les hommes retournaient chaque parcelle de la propriété à la recherche dun éventuel intrus. Quant à Agrime, il venait de sortir du batiment nord et se dirigeait maintenant vers lédifice central, la tour où résidaient les grands dirigeants dEdèna : les conseillers de lOrdre.
Comme la plupart des hommes, il se doutait que le meurtrier était déjà loin et que toutes ces recherches étaient vaines, mais que faire à part chercher et espérer ? Pour Agrime, il sagissait maintenant de prévenir les conseillers avant que la nouvelle ne sébruite.
Alors quil marchait dun pas déterminé vers la bâtisse, une voix familière linterpella. Il se retourna et vit Oleq accourir dans sa direction. Le corpulent soldat revenait péniblement du portail principal.
_ Agrime ! Nous avons un grave problème ! annonça le second, sefforçant tant bien que mal de reprendre son souffle.
_ Si seulement nous nen avions quun
rétorqua le chef de la garnison, maussade.
_ Cela ne concerne pas lalerte ! Cest Shaïlo
Il a réussi à franchir le portail. Les hommes se sont lancés à sa poursuite mais je doute quils le rattrapent
expliqua avec empressement Oleq.
_ Les gardes du portail tu dis
Mais quadviendrait t-il si il sagissait dune armée ! tonna Agrime.
_ Ce nest pas nimporte quel enfant
fit remarquer Oleq. Ils ne pouvaient risquer de blesser lunique fils du seigneur
Agrime nécoutait plus. Il avait tourné la tête et fixait la tour centrale dun air pensif. Brusquement son visage se crispa. Une terreur indescriptible lenvahit. Et si le seigneur avait dit vrai.
Le second, quant à lui, continuait seul ses réflexions :
_ Je ne saisis toujours pas sa réaction
avoua t-il tout en massant sa tempe humide. Pourquoi fuir si il est innocent ? Même les hommes commencent à douter
Agrime se retourna vers le soldat et linterrompit.
_ Oleq ! Cours te présenter à la chambre de lOrdre, tu parleras en mon nom au conseil ! ordonna t-il promptement. Je nai plus de temps et il me faut à tout prix avertir les gardiens éyènes du danger qui menace le descendant
Seuls eux ont le pouvoir de le sauver à présent.
Pantois face à lattitude de son chef, le second sexécuta sans poser de question. Quel choix avait il
affronter le conseil lui était impossible, désobéir à Agrime lui serait fatal. Le commandant de la garnison le vit repartir au pas de course, ne le quittant pas des yeux. Enfin, Agrime chuchota comme pour lui-même :
_ Pourvu que vous vous soyez trompé mon seigneur
que ce ne soit quune simple coïncidence
____
Un rapide regard en arrière et il comprit quil les avait semé. Il fallait fuir, il le savait
mais fuir pour aller où et surtout pour échapper à qui ? Voila tant de questions qui se bousculaient dans la tête du jeune Shaïlo. Tout juste âgé dune quinzaine dannées, ladolescent faisait peine à voir. Blessé au visage et à la jambe, il avançait péniblement dans lune de ces ruelles sombres dont regorge le sud dEdèna.
_ Ayez pitié de votre serviteur
chuchota une voix dans son dos.
Shaïlo sursauta puis se retourna, anxieux. Un grand homme se tenait là, emmitouflé dans un drap sale et usé, la main tendue en direction de lenfant. Shaïlo fit un pas en arrière, méfiant : ce nétait quun indigent, un de plus en ce jour de festivités
Certains ne connaissaient rien de cette misère qui infestait les rues dEdèna ; encore moins Shaïlo. Il suffisait dobserver la magnifique étoffe blanche qui recouvrait son torse pour deviner combien ce jeune garçon ignorait tout de la pauvreté.
Il avait détourné le regard et sapprêtait à poursuivre son chemin. Dans sa main, il serrait toujours cette longue épée dont la gaine était entachée de quelques gouttes de sang séché. Ce fourreau de métal, argenté et luisant, était orné de nombreux symboles gravés, semblant appartenir à une langue inconnue. Curieusement, larme nétait pas fixée à la ceinture de Shaïlo. Il la portait à bout de bras et ne sembler pas être gêné par ce fardeau.
_ Mon seigneur serait donc pressé
reprit la voix accompagnée dune pointe indécelable dironie, alors que Shaïlo séloignait.
Le jeune garçon nosa pas sarrêter et feignit de navoir entendu ces paroles. Que lui voulait il ? Cétait une question de plus, une de trop à laquelle il nattendait aucune réponse, préférant se hâter de quitter ces lieux.
Lextrémité de la ruelle nétait plus quà quelques pas et déjà il apercevait la lueur de plusieurs torches. Ces flambeaux illuminaient lallée que rejoignait létroit et sombre passage quil longeait. Puis, brusquement, il sarrêta ! Ses sourcils se froncèrent, sa respiration cessa : au bout du passage, venait de surgir une silhouette.
Shaïlo nattendit pas que lombre dévoile ses intentions et pivota pour senfuir. Mais à peine sétait il retourné, quil se heurta à un obstacle massif. Le jeune garçon recula malgré lui, repoussé par le choc. Face à lui, se tenait lindigent quil venait dabandonner. Il était là, les bras croisés et le fixait dun air amusé. Le drap qui le couvrait auparavant sétalait maintenant sur le sol et lenfant put alors constater quil ne sagissait pas dun mendiant. Une longue épée pendait à sa ceinture et sur sa cuisse était attaché un poignard.
La peur
un sentiment que Shaïlo navait jamais éprouvé avant cette nuit, et pourtant, pour la première fois sa main tremblait. Les battements de son cur sintensifiaient, sa respiration saccélérait : la panique semparait de lui. Allait t-il mourir, abandonner la vie comme le reste de sa famille ? Non
une seule image hantait son esprit. Il revoyait son père, agonisant dans une épaisse marre de sang et laissant échapper en soupir dadieu, le nom de son propre fils. La crainte disparut de son visage. Son père était un gardien Eyène ; lui également. Il ne pouvait faillir, pas avant davoir vengé les siens. La haine le dévorait.
Dune main ferme, le jeune garçon empoigna le long fourreau de son épée et de lautre serra le manche, sapprêtant à sortir la lame. Désormais, le danger navait plus aucune importance, seul survivre lui importait : vivre pour la mémoire de sa famille, et pour la venger !
Cétait impossible ! Il narrivait pas à extraire lépée du fourreau ! La main de lhomme qui se tenait face à lui était posée sur la sienne et la bloquait.
_ Tirer son épée face à un Drak tiens davantage de la folie que du courage, mon garçon
qui plus est à ton âge
dit dune voix grave lhomme tout en esquissant un sourire.
Shaïlo ne pouvait admettre cette défaite. Sil tombait maintenant, jamais il ne pourrait honorer sa promesse. Dun mouvement dune rapidité surprenante, il libéra sa main de celle de son adversaire et fit un bond en arrière. Prendre ses distances pour mieux réattaquer, oui, mais il sagissait de ne pas échouer.
Soudain, sa vision se troubla. Une douleur indescriptible explosa à larrière de son crâne. Il seffondra. Le second homme, resté en arrière, savança près du jeune garçon quil venait dassommer. Il se pencha et saisit lépée à côté de laquelle gisait Shaïlo.
_ Que fait une telle arme entre de si jeunes mains
soupira le malandrin en considérant avec attention les nombreuses gravures du fourreau.
_ Peu importe
Elle est notre à présent, fit observer lautre homme, toujours avec ce même sourire satisfait.
Cétait certainement la toute première fois que des Draks épargnaient leur adversaire, enfin
si telles étaient leurs intentions
Ces bandits sanguinaires étaient en effet connus pour leur extrême cruauté. Originaires de Iokam, le continent des Insurgés, les Draks erraient dans la plupart des cités portuaires que comptaient les terres de Maéxence, toujours à laffût de quelques fortunes à dérober.
Lhomme examinait toujours lépée avec intérêt. De ses doigts, il effleurait délicatement les sillons qui parcourraient le fourreau. Puis il passa lentement sa main autour la hampe, la saisit fermement et tira. La lame ne sortait pas, comme bloquée ! Lhomme eut beau sobstiner, lépée ne cédait pas ! Le Drak cessa de tirer, comprenant quinsister était inutile
Il retira sa main, impassible.
_ Gassahn, nous perdons un temps précieux, reprit doucement le second homme en savançant vers Shaïlo. Assurons nous que ce jeune garçon na rien dautre à nous offrir et finissons en
Les yeux toujours rivés sur lépée quil tenait entre ses mains, le dénommé Gassahn ne réagissait pas. Il ne pouvait en détacher son regard, fasciné et intrigué. Lautre brigand, quant à lui, sétait agenouillé près de Shaïlo et sapprêtait à le retourner. Il avança la main et saisit le tissu qui recouvrait le torse du jeune enfant, puis lempoigna. A peine eut il commencé à tirer que létoffe glissa de lépaule du garçon laissant apparaître sa fine poitrine. Le Drak poussa un cri de stupeur !
Son compagnon tourna immédiatement la tête. Sur la poitrine de Shaïlo, se dessinaient les contours dun motif sculpté dans la peau, ressemblant à un sillon entrecoupé dun cercle.
_ La marque des gardiens
murmura stupéfait le Drak, serrant toujours la magnifique épée dans sa main.
Puis il examina à nouveau le fourreau. Se pouvait-il quil tienne entre ses doigts lillustre glaive dArac, la lame qui avait scellé le destin de lîle de Daëga il y a si longtemps ? Bien loin dêtre un érudit, Gassahn savait néanmoins que depuis de nombreuses générations la lame appartenait au patrimoine de la lignée Eyène. Le rapprochement savérait tentant. Ce jeune gardien égaré et cette épée
un tel hasard était impossible ! Lhomme ne savait plus que penser.
_ Laube approche
Il nous faut partir avant que lune des garnisons de lOrdre ne nous surprenne ! déclara le second homme en se redressant, inquiet.
Une brise glaciale parcourait la sombre ruelle tandis que Gassahn frissonnait légèrement. Il avait à nouveau tourné la tête en direction de Shaïlo et contemplait cette étrange cicatrice qui creusait sa poitrine.
Soudain, il sentit une main se poser sur son épaule et se retourna. Son complice lui désignait du doigt lextrémité du passage, silencieux. Au bout de ce dernier, une silhouette venait de surgir dentre les ombres et savançait lentement en direction des deux Draks. Sa longue aube sombre traînait sur le sol tandis que linconnu marchait la tête baissée et les mains jointes.
_ Mon ami, tu me sembles bien mal servi par le sort
devoir ainsi périr pour que ta langue ne nous trahisse pas
lança dun ton cynique le compagnon de Gassahn, alors que létranger continuait davancer.
A ces mots, linconnu sarrêta, la tête recouverte par la large capuche de son vêtement, masquant ainsi son visage. Les deux malfrats guettaient le moindre de ses gestes, attentifs au premier signe qui trahirait sa fuite. Immobile au milieu de la ruelle, il semblait néanmoins très calme, comme si sa présence en ces lieux nétait aucunement le fruit du hasard. Puis de sa bouche séchappa un murmure à peine perceptible :
_ Disparaissez
La réaction du malandrin ne se fit pas attendre. Alors que Gassahn fixait toujours létrange personnage dun air troublé, son compagnon sélança en direction de ce dernier.
_ Comment peux tu oser ! vociféra le Drak dans sa course.
Dun bond rapide, il se retrouva face à linconnu, le poing en avant, prêt à porter le coup. Lindividu ne bougeait pas, la tête toujours baissée. Le choc sannonçait terriblement violent !
Le corps de son compagnon alla sécraser contre le mur qui longeait le sombre passage, puis retomba lourdement sur le sol. Dun simple geste de la main et avec une force inouïe, linconnu avait projeté son adversaire contre la solide construction de pierre. Gisant ainsi sur le chemin pavé, agonisant, le Drak tourna lentement la tête vers Gassahn. Sa main tremblante se souleva légèrement du sol, le bras tendu en direction de son ami. Il laissa échapper un dernier gémissement puis sa main retomba : ses paupières étaient closent, il sen était allé.
Le regard de Gassahn semblait vide, figé sur la dépouille de ce Drak. Que lui arrivait-il ? Il ne sentait plus son cur battre, comme si la mort de cet homme avait été la sienne. Cétait peut être ça les liens si singuliers que tous reconnaissaient aux peuples de Iokam. Aussi vils quils soient, les Draks formaient une famille dont les membres étaient unis par bien plus quune simple amitié. Liés aussi bien par un passé souvent des plus atroce que par une volonté de vivre sans limite, ces bandits étaient avant tout des hommes
Le désarroi laissa place à la colère. Gassahn avait détourné le regard et dévisageait le sinistre meurtrier de son ami. Ses yeux apparaissaient aussi noirs que son cur pouvait lêtre. Il observait la capuche qui recouvrait la tête de létranger, croyant entrevoir un sourire se dessiner sur son visage. Il devina alors quelle cruauté habitait ce personnage semblant des plus malfaisants.
Qui était t-il pour posséder un tel pouvoir ? Cela navait plus aucune importance pour Gassahn, à présent aveuglé par une haine indescriptible. Il laissa tomber lépée quil avait ôtée des mains de Shaïlo ; le fourreau heurta le sol pavé dans un bruit métallique retentissant. Puis, de sa ceinture, il tira lentement une courte lame que la pleine lune fit étinceler, fixant toujours son adversaire du coin de lil.
_ Jignore qui tu es, mais je jure sur mon âme quici et maintenant tu vas expier tes péchés, proféra Gassahn dune voix amère.
Ayant dit ces mots, il savança en direction de linconnu. Certes son pas était lent mais témoignait dune détermination inébranlable comme si la mort de cet étranger pouvait justifier la sienne. Puis, il sélança brusquement, parcourant en un instant les derniers mètres qui le séparaient du meurtrier. Son poignard traversa lépais tissu de laube et senfonçant dans la poitrine de son adversaire : un coup droit au cur pour apaiser le sien.
_ Meurt ! lança sèchement Gassahn, remuant vivement la lame dans la plaie.
Le temps semblait sêtre arrêté. Ni le Drak, ni linconnu ne bougeaient. Etait-il mort ? Gassahn nen savait rien, mais le doute sinstallait peu à peu dans son esprit. Enfin, le silence se brisa :
_ Pourquoi vouloir ainsi précipiter son destin
ironisa linconnu, dune voix sépulcrale.
Ces mots avaient résonné dans la tête de Gassahn comme une sentence prononcée par la mort elle-même ; linfâme était donc bien vivant. Pris de panique, le Drak comprit soudain que son seul salut résidait dans la fuite. Retirer la lame et disparaître ; la stratégie était fort simple. Lhomme avait pourtant connu bien des dangers avant cela mais jamais il navait frémis de la sorte.
Cest alors que linconnu releva lentement la tête, laissant ainsi le Drak découvrir son mystérieux visage. Leurs regards se croisèrent et Gassahn prit alors conscience de ce quavait été son erreur. Un fond des plus sombre entourait une pupille dun rouge intense : ces yeux ne pouvaient que le terrifier ! Gassahn tenta dans un dernier élan despoir de pivoter pour senfuir, mais il était trop tard
Lindividu lui avait déjà saisis le bras et de son autre main lui avait agrippé la gorge.
Le Drak griffait désespérément le bras du sombre meurtrier, sentant quil ne lépargnerait pas. Puis soudain, Gassahn se mis à hurler. Il se tordait de douleur alors que lautre restait flegmatique. Que lui infligeait il ? Il sentait sa peau le brûler, comme si son corps entier senflammait. Une lueur bleue commença à se former autour de lui, la douleur devint insupportable.
_ Achèves moi ! supplia t-il dans un cri mêlant souffrance et désespoir, le visage crispé.
Lautre ne bronchait pas, esquissant toujours ce même sourire, témoin dune cruauté sans limite. Puis, la lueur qui entourait Gassahn sintensifia, illuminant la ruelle tel un halo divin. Un dernier hurlement déchira la nuit, puis ses traits se relâchèrent
La lumière avait disparu.
Ses bras pendaient le long de son corps ; il ne bougeait plus. Le monstre le tenait en lair dune seule main à la gorge. Lassassin lâcha prise, le Drak sécroula, inanimé. Sa dépouille gisait sur le sol, couverte de crevasses rougeâtres et ensanglantées, la chair marbrée dinnombrables brûlures.
Linconnu lui jeta un regard indifférent puis, apparemment préoccupé, tourna la tête vers lautre extrémité de la ruelle,. Son sourire arrogant sestompa, lorsquil comprit que cet insignifiant marmot sétait joué de tous ; Shaïlo ainsi que lépée qui avait tant attiré lattention de Gassahn, sétaient tout deux volatilisés.
_ Inutile de fuir jeune gardien
Quoi quil advienne ta destinée sera la même que celle de ton père
murmura létranger tandis quil inclinait à nouveau la tête. Ses yeux couleur de sang disparurent sous le pli de sa capuche.
Une brise glaciale balaya pour la seconde fois lobscure ruelle, soulevant un fin nuage de poussière qui se déposa sur les corps des deux Draks. La venelle avait retrouvé son calme, déserte
Quel goût horrible ! Un étroit filet de sang sécoulait le long de sa joue, se faufilant dans sa bouche par la commissure de ses lèvres. Cette profonde entaille faite sous lil de Shaïlo le faisait souffrir depuis un long moment. La plaie atteignait presque la longueur dun pouce et menaçait de sinfecter. Il ny prêtait pourtant guère attention, trop tourmenté par les récents évènements.
Tandis quil arpentait cette longue allée qui semblait mener au port, lenfant tentait tant bien que mal de comprendre sa situation. Tant de sang avait déjà coulé cette nuit, autant de meurtres dont il avait été témoin. Pourquoi
pourquoi voulait-on sa mort ? Se sentir ainsi en danger était pour lui une chose nouvelle, effrayante. Sa main serrait avec force le fourreau de lépée quil avait récupéré dans sa fuite. Quelle défense dérisoire comparée au pouvoir de son poursuivant
Il se sentait si faible, si impuissant, lui qui se disait gardien et qui était à présent incapable de protéger sa propre vie. La honte sajouta au désespoir.
Apeuré, épuisé, la sueur abondait sur son visage égratigné. Le vent faisait sagiter sa sombre tignasse alors quil dévalait à toute vitesse le passage désert, malgré sa jambe sanguinolente. Atteindre le Soun, cette vélocité propre au gardien ; lui qui en rêvait tant ; mais ce nétait pas aujourdhui et avec un membre dans cet état quil y parviendrait
Néanmoins, il progressait rapidement en direction du port, toujours soucieux de ses arrières. Ce mystérieux assassin
était il encore sur ses traces ? Cela neut plus dimportance lorsque enfin il aperçut lextrémité de lallée. Déjà il distinguait quelques embarcations qui tanguaient au rythme des flots. Mais à peine sétait il engagé sur le quai, quune main puissante le saisit au bras et lobligea à pivoter, emporté par son élan.
Six hommes lui faisaient face, une patrouille de lOrdre au complet. Chacun deux étaient vêtus dune cuirasse luisante en cuir fin et armé dune épée pour le moins dissuasive.
_ Où comptiez vous aller ainsi, jeune gardien ? demanda doucement le soldat qui le retenait.
Shaïlo leva les yeux et contempla le visage si avenant du soldat : son sauveur. Allait il enfin se réveiller, sortir de cet épouvantable cauchemar ? Il fixait sa main, emprisonnée dans celle de lhomme ; elle ne tremblait plus.
Voyant que lenfant prêtait attention à son étreinte, le garde pensa immédiatement que le geste lavait offensé. Il libéra avec empressement la main du jeune gardien et posa un genou à terre, tout en inclinant la tête.
_ Veuillez pardonner mon impertinence, mon seigneur ! Nous avions pour ordre de vous reconduire au domaine mais si vos désirs sont autres nous ne pourrons que vous obéir, assura t-il, les yeux baissés en signe de soumission.
Beaucoup avaient péri pour un affront bien plus futile ; il en était conscient. Les gardiens avaient un tel pouvoir et une telle emprise sur lOrdre, que dun simple mot ils étaient en mesure dôter la vie de quiconque.
Il y eut un long silence et finalement lhomme se hasarda à relever la tête. Le regard de Shaïlo ne sétait pas attardé sur son humble posture. Dépité, il avait froncé les sourcils et fixait lallée située dans le dos de son bienfaiteur. Le soldat tourna lentement la tête, intrigué. Un inconnu vêtu dune sombre pèlerine se tenait debout à une dizaine de mètres. Shaïlo nen croyait pas ses yeux ; il ne lavait pas semé...
Le garde se releva et observa létranger, affichant toujours ce même air affable.
_ Que veux tu brave homme ? demanda t-il calmement, la main posée sur le pommeau de son épée. La réponse se fit attendre quelques secondes.
_ Vos vies
murmura enfin linconnu tout en relevant la tête. Ses yeux rouges contrastaient avec lobscurité de la nuit, lui donnant un air des plus démoniaque. Il nen fallu pas plus pour faire réagir le chef de la patrouille. Dun geste rapide du bras, il écarta le jeune gardien qui était resté figé :
_ Mon seigneur, fuyez ! Vous devez vivre. Nous le retiendrons tant quil faudra, mais je vous en supplie, sauvez vous ! , dit-il rapidement, sans quitter létrange personnage du regard.
Le soldat empoigna la hampe de son épée et la sortit précipitamment du fourreau puis commanda à ses hommes dencercler lennemi qui demeurait immobile.
Shaïlo fit quelques pas à reculons, terrorisé. Que devait il faire ? Jamais il naurait la force daffronter un tel adversaire
Soudain il pivota et sélança vers lappontement le plus proche. Il sesquivait, une fois de plus, abandonnant à leur triste sort ces hommes si dévoués.
En quelques secondes, il atteignit lautre extrémité du quai ; puis sécroula. Recroquevillé sur le sol, la main posée sur sa cuisse ensanglantée, il tentait en vain de calmer la douleur. A ce rythme, il ne pourrait bientôt plus marcher, il le savait. Quelle ironie pour un gardien
Rassemblant ses dernières forces, il plaqua son autre main sur le sol et se redressa péniblement pour scruter les alentours. Un vieux trois mats encore amarré attira son attention. De nombreux hommes soccupaient de son chargement, prévoyant sans doute dappareiller avant laurore ; cétait sa chance.
Cest alors que tous tournèrent la tête vers lorée du port. Un épouvantable cri venait de rompre la douce mélodie des flots. Laube était proche mais dans cette demie pénombre, la plupart des matelots ne pouvaient distinguer la provenance du hurlement. Certains crurent pourtant apercevoir deux hommes, lun à genoux, lépée à la main, lautre debout et vêtu dun long vêtement sombre.
Soucieux, les marins quittèrent immédiatement le ponton qui longeait le navire, après quoi la passerelle roula sur le bastingage ; quoi quil se trame, ce nétait pas le moment de séterniser
Ainsi agenouillé, il serrait toujours sa longue épée dans sa main droite. La lame raclait le dallage dun mouvement circulaire, produisant un grincement métallique fort désagréable. Le chef de la patrouille sétait bien battu mais le combat était terminé. Il entendait déjà les pas de son ennemi se rapprocher, sonnant le glas de sa défaite.
_ Mais
mais qui es tu ? gémit le soldat, relevant la tête pour affronter le regard de son impitoyable adversaire.
Linconnu esquissa en signe de réponse un sourire qui en disait long sur ses intentions. Sarrêtant près de lhomme, il leva la main en direction de son front. Linstant daprès, le garde seffondra, ayant donné sa vie pour une cause dont il ignorait tout
Son dessein restait inchangé ; ses yeux rouges scrutaient les environs à la recherche de son insignifiante proie : cet individu navait donc quune volonté
Cest alors que son attention se porta sur les pavés à quelques mètres de là. Plusieurs gouttes de sang frais maculaient le sol à ces pieds : il tenait sa trace !
Rapidement, cette piste mena létranger sur une large passerelle qui dominait les eaux tumultueuses. Il laissa échapper un profond soupir. Un vétuste trois mats séloignait lentement du port, emportant sans doute le fruit de sa quête :
_ Où que te conduisent ces vents, jamais tu ne trouveras le repos, proféra t-il, la voix imprégnée dune certaine colère.
Une brise légère et glaciale enveloppa lassassin qui disparut aussitôt.
Les vagues déferlaient sur la coque du navire dans un bruit de tonnerre, couvrant celui de ses sanglots. Shaïlo avait survécu, pour linstant, mais au prix de nombreuses vies. Ecroulé contre le bastingage et les genoux repliés, il sentait enfin disparaître sa peur.
Il se redressa lentement et se retourna pour poser un bras sur la rambarde. De ses yeux brillants, il contempla la beauté de cette mer agitée alors que roulait sur son visage meurtri une dernière larme. Les reflets du soleil levant trahissaient déjà la venue de laube, annonçant le début dun bien long périple