Il s'est passé du temps depuis le dernier chapitre. En fait j'ai continué à écrire mais j'avais le sentiment de passer a coté de quelque chose. J'ai donc repris l'histoire de Thibault & Lysandre et je m'y suis attelé.
Ca n'a pas été sans mal mais voilà donc les premiers chapitre de 'La fille du Necromant', incluant les versions corrigés de ceux que j'ai posté auparavant :
Edit: Voilà la version corrigée après les remarques des lecteurs
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Le ciel était de cendre et de suie. Les fumées montaient haut dans le ciel pour se joindre aux nuages colériques chargés de foudre et de tonnerre. Les corps carbonisés jonchaient les rues, disparaissant peu à peu sous les scories qui tombaient, telles la neige. Les demeures et les temples sécroulaient comme de vulgaires châteaux de cartes. Les magnifiques jardins se consumaient comme des feux de paille sous le regard imperturbable des statues de marbre qui bordaient les allées. Les rivières de lave bouillonnante rongeaient le sol et dévoraient la pierre, ouvrant des failles dans les rues pavées, défigurant les grandes places et les cours au sol dallé. Rongés par un feu inextinguible, les maisons saffaissaient les unes après les autres en un ultime brasier flamboyant.
Dans le lointain, le volcan cracha encore sa colère. La terre trembla et les cieux se chargèrent de braises ardentes et de fumées mortelles.
La petite fille errait dans lavenue, luttant pour chaque pas dans ce cloaque de cendres et de boues quétait devenue la magnifique cité de Selystra. Gardant contre elle une poupée de paille et de tissu, lenfant frotta son visage de son autre main pour chasser les poussières brûlantes qui sy agglutinaient. Sa gorge la brûlait tandis quelle recrachait ces caillots de sang et de cendre qui létouffaient lentement. Sa tendre peau nétait plus que crasse et brûlures. Sa chevelure noire était grise de poussière. Marionnette de son instinct de survie, la fillette avançait toujours, un pas après lautre. Elle piétina des corps dissimulés sous les cendres. Elle sentit des chairs pétrifiées et des os carbonisés se casser sous ses pieds. Des charbons ardents lui mordirent ses chevilles et ses mollets. La fillette aurait voulu hurler sa douleur mais elle avait déjà tant pleuré et tant crié que sa gorge meurtrie ne pouvait donner davantage.
« Pourquoi lutter, petite fille ? »
Chassant les larmes qui embrouillait sa vue, elle chercha lorigine de la voix et releva la tête. Lhomme se tenait à quelque pas, juste devant elle. Elle vit quil était fort et beau comme les statues des temples. Lobscurité lenveloppait comme un manteau mais ne pouvait concurrencer la noirceur de ses yeux et de ses court cheveux.
« Pourquoi souffrir encore ? Que valent ces quelques surplus de vie ? Ce sursis arraché au destin au prix de la douleur, alors que la route au devant se termine inexorablement ?
- Qui êtes vous, monsieur ? demanda poliment la fillette.
- Je suis lhomme qui a tué tes parents, tes frères et tes amis. Je suis le responsable de la mort de chacun des habitants de cette orgueilleuse cité.
- Pourquoi avez-vous tué ma famille, monsieur ?
- Parce que je le pouvais. Parce que la mort était la seule alternative à la soumission et que Selystra a bien mal choisi. »
La fillette contemplait lhomme, incapable de comprendre le sens des paroles pour associer la responsabilité du cataclysme à son interlocuteur.
« Il ne sera pas dit que je suis totalement indifférent à ce témoignage de volonté. Je vais te permettre de faire le même choix que tes orgueilleux parents. Si tu souhaites vivre davantage, alors prends ma main. Si tu veux rejoindre tes proches, alors continue ton chemin jusqu'à ce que tu chutes et meurs, étouffée par ces cendres qui sinsinuent en toi à chaque inspiration. »
Lenfant commença à sapprocher de lhomme, lequel lui tendait maintenant une main gantée de velours noir.
« Mais je dois te prévenir. La porte que je touvre donne sur une voie bien plus sombre que celle sur laquelle tu te serais engagée après ton dernier souffle. »
Dabord hésitante, elle toucha finalement la main. Le contact en fut glacial et elle sentit son bras paralysé par un froid mortel.
« Tu as choisis de vivre et de servir. Je forgerais ton esprit pour recevoir la connaissance, jentraînerais ton corps à manier le pouvoir, et lorsque cela sera fait, tu accomplira mes desseins. Maintenant, dit-moi ton nom, enfant ?
- Lysane
- Un nom trop tendre pour la fille de Zaar. Désormais, tu tappellera Lysandre. »
Chapitre premier
«
Ce monde n'était plus que cendres et ruines.
Les peuples libres étaient brisés et divisés, leurs empires n'étaient plus que souvenirs. Les légions d'Andragoras avaient balayé les continents sous le commandement des Douze, ces rois traîtres à leurs peuples qui jurèrent allégeance au Dieu Déchu. Les conquérants soumirent tant de pays et asservirent tant de cités que leur domination s'annonçait éternelle. La puissance qu'ils déchaînèrent pour parvenir à leurs fins changea pour toujours la face du monde.
L'empire de Serimus le Grand ? Il reposait désormais sous les flots.
A l'instant même où l'empereur archimage avait involontairement ouvert le portail vers Andrahyr, la prison d'Andragoras, la rage du Dieu Déchu et de ses démons avait fracassé le continent. Les terres fertiles aux cultures abondantes furent submergées par les flots, les cités de marbre et d'obsidienne furent brisées et précipitées dans l'océan.
Les six royaumes des Valariens ? Divisés par la trahison et corrompus par les promesses malignes ! Le mensonge et la haine blessèrent les hommes bien plus efficacement que l'acier et le feu.
Dès lors que le Haut Roi tomba, l'espoir des hommes mourut avec lui. De la bataille qui prit place à Ormyr, la capitale des valariens, seuls neuf survivants sortirent des décombres. Désormais recouvert perpétuellement par des nuages de cendres, l'orgueil de l'humanité devint un cimetière, un champ de ruines hanté pour léternité par les spectres de ses milliers de défenseurs.
Le Cercle des Anciens ?
Certes les pairs de Serimus, ses égaux en magie, luttèrent de toute leur force. Pendant des années, ils portèrent à bout de bras par leurs pouvoirs les nations qui résistaient à l'envahisseur. Mais ces archimages, aussi puissants soient-ils, avaient la faiblesse du nombre. Certains tombèrent sur un champ de bataille et d'autres prêtèrent loreille aux paroles d'Andragoras, trahissant leurs frères darmes contre la promesse de limmortalité. D'autres encore renoncèrent à lutter, préférant préserver leurs ressources personnelles pour se préparer à survivre à l'inéluctable ère de ténèbres qui s'annonçait. Trop peu combattirent et survécurent pour transmettre le savoir et l'expérience du temps jadis.
Partout dans le monde, la noire magie des Douze changeait l'essence de la nature. Les terres maudites refusaient désormais d'héberger la vie. Les morts s'en retournaient de l'après vie pour servir les Douze et hanter les vivants. Les bêtes étaient corrompues et s'éveillaient à une intelligence maligne et dénaturée. Les enfants naissaient avec des Dons surnaturels, empruntés pour beaucoup à la force du Dieu Déchu. Adulte, ils devenaient de fidèles soldats, brandissant leurs épées au nom des Douze.
Tant de civilisations virent durant cet âge noir leur destinée basculer. Kaemites, Faerlyns, Worfens et tant d'autres peuples disparurent dans l'oubli.
Mais alors que tout semblait perdu, au moment où la traîtrise frappa le cur même de l'ultime bastion d'espoir de ce monde, lorsque les immortels Eldryns se dressèrent les uns contre les autres, le frère contre le frère, et le fils contre le père, l'arme du mal se retourna alors contre le mal.
Des orphelins de guerre, nés avec les Dons surnaturels des serviteurs d'Andragoras, s'unirent contre l'adversité. Sous la bannière de Valarian, Dieu de la Lumière, Albior et ses compagnons repoussèrent les forces malignes, forçant Andragoras à retourner dans sa prison en dehors du monde.
Privé de leur dieu, les Douze sentirent leurs pouvoirs disparaître. S'affaiblissant, ils sombrèrent dans un sommeil sans rêve, attendant le retour de leur maître.
A l'endroit même où Serimus avait libéré le chaos, la fière Astrielle forgea un artefact, une clef pour sceller ce que l'on appelait désormais la Porte d'Andrahyr. Consciente que sa création représentait soit la sauvegarde de ce monde, soit une seconde ère de destruction, la compagne dAlbior s'enfuit au-delà des confins du monde pour y dissimuler son uvre. Poursuivie par les survivants des douze légions, elle se rendit en des terres si lointaines qu'aucun peuple ne s'y était jamais établi et plus personne n'entendit parler d'elle.
Le monde était sauvé mais une seconde ère de chaos commençait.
Les pays dévastés et détruits étaient en proie à lanarchie. Cétait le temps des loups, où lon tuait son voisin pour un quignon de pain. Les très rares contrées qui avaient échappé aux conflits se virent submergées par des hordes de survivants hagards et misérables. Ces havres de paix devinrent des nations militaires aux soldats sans pitié. Pour défendre les champs et les récoltes, véritables trésors en ces temps de famines, les armées massacraient quiconque pénétrait sur leurs terres
Et parmi ces pays, ces vestiges des temps qui précédèrent la Grande Guerre, ces rares témoignages de ce qu'était le monde davant, il y avait Selystra, ma ville natale.
Aujourdhui, le nom de Selystra ne désigne plus que dantiques ruines et un volcan capricieux sur de vieilles cartes. Mais pour ceux qui, comme moi, ont connu la grandeur des peuples du monde davant, ce nom représentait lapogée de la civilisation des hommes. Puisant une force sans limite dans le Cur de Solara, un volcan aux dimensions colossales, les Maîtres du Feu régnaient sur la cité avec sagesse et force. En ces temps danarchie, Selystra était le paradis perdu que recherchaient les survivants. Mais pour dautre, elle était un fruit mûr quil fallait cueillir avant les autres. Cest alors que Zaar se présenta aux maîtres de la cité.
A cette époque, son nom était déjà légendaire. On lui attribuait tant de victoires sur les serviteurs dAndragoras, mais aussi tellement dignominies contre les valariens, que personne ne savait dans quel camp le placer. La vérité est que mon père adoptif était tout aussi malveillant que le pire des Douze, mais quil était trop fier et trop orgueilleux pour plier le genou devant quiconque, fut-il un dieu aux pouvoirs incalculables. Membre du Cercle des Anciens, il lutta aux cotés des autres grands de la magie. Non point par compassion ou par justice, mais simplement parce que sa convoitise navait dégale que celle du Dieu Déchu et quil refusait de voir quiconque semparer de ce monde hormis lui-même.
Mais lorsquil somma aux maîtres de Selystra de le servir, ils rirent de lui, sûrs de leurs forces. Alors mon père sen alla au Cur de Solara. Il tua les gardiens des temples entourant la montagne et brisa les sceaux magiques qui contenaient la fureur du volcan. Il sen alla devant le gigantesque chaudron de feu et de lave, et là, il utilisa sa magie pour réveiller la furie du volcan, trop longtemps enchaînée par les sortilèges des selystrans. Le Cur de Solara libéra des siècles de colère et dattente dun seul coup, et ma cité disparut dans un cataclysmique déluge de feu et de braise.
Il regarda les fleuves de laves submerger les maisons. Il contempla les pluies de cendres pétrifier les habitants fuyants. Il acheva lui-même tous les Maîtres du Feu alors quils tentaient darrêter cette folie.
Et pourtant il me sauva.
Je ne saurais dire exactement pourquoi. Est ce les Dons quil décela en moi ou bien a-t-il agi sur limpulsion du moment ? Jamais je ne le su. Quoiquil en soit, il sempara de la fillette mourante que jétais pour memmener chez lui.
Cest dans ce château froid et lugubre où le nécromant me transporta dans un tourbillon dénergie, que prennent place les premiers souvenirs de ma nouvelle vie. Nous arrivâmes dans une vaste salle. Le trône dambre noir attira immédiatement mon attention. La pierre seffritait sous les assauts du temps. Le sol disparaissait sous la poussière, sous les débris tombés du plafond et sous la neige des sommets qui simmisçait en bourrasques par les fenêtres, ou qui traversait le toit percé. Les recoins étaient le domaine des araignées et de leurs toiles. Les murs étaient percés par les trous des rongeurs. Les double portes qui constituaient lunique issue étaient à terre, leur armature rongée par la rouille. Mais le siège majestueux restait immaculé, inviolé par la saleté et le temps.
Par delà les fenêtres je voyais des montagnes et la blancheur de la neige pour la toute première fois. Comme en cette journée, je contemplais souvent le soleil étincelant et les cieux azur qui dominaient lhorizon, tout en tentant de percer la mer de brume qui, en contrebas, masquait les vallées et les combes. La beauté de ce spectacle me fit considérer un instant que tout ce qui venait darriver nétait peut être quun mauvais rêve.
Cela ne dura pas.
Cest à cet instant de ma vie, à ce moment où linnocence de mon enfance me fut arrachée, que commence véritablement mon récit. Mais avant de lentamer, il me faut parler du pourquoi de cet ouvrage.
Durant ces quatorze siècles de vie, jai eu lopportunité de connaître les plus grands. Jai eu le privilège dassister aux évènements qui ont décidé du futur de ce monde, parfois dy participer, et dautre fois de les provoquer pour le compte de mon père. Vous aurez donc compris que ce récit de ma vie est aussi celui de ce temps, de ces villages qui naquirent dans les cendres de la Grande Guerre pour devenir les empires daujourdhui.
Ces jours derniers, ma vie a pris une direction dont je navais pu que rêver. Mais je pressens également que lhistoire de ce monde va, elle aussi, prendre un tournant. Dès lors, je me sens une obligation de laisser un témoignage de ce qui fus et de ce que je vécus.
Sachez cependant que je nai nullement la prétention de mexpliquer ou de justifier les horribles exactions que jai commises au nom de mon père, bien quaujourdhui, je regrette sincèrement beaucoup de ces actes. La source de ma motivation se trouve dans la gratitude et la reconnaissance, dans le désir daider ceux de ce nouvel âge qui mont secourue et sauvée malgré mon passé, malgré mes crimes. Le récit de mes expériences pourra, je lespère, les amener à manier leurs Dons à meilleurs escients, à soutenir de meilleures causes que celles que jai servies.
Maintenant que vous avez compris de quoi il retourne, je peux entamer cette histoire.
»
Chapitre 2
« Voici ta nouvelle demeure, fit Zaar dun ton dur et dénué de toute émotion. Choisis une pièce, fais en ta chambre. Tu peux te promener partout, hormis dans la grande tour à la porte dacier. Pour rien au monde tu ne voudrais que je ty surprenne. Sommes-nous daccord ? »
Je hochais timidement la tête alors que Zaar se penchait vers moi. Le manteau de ténèbres qui lenveloppait semblait doué dune vie propre. Il sétoffa et sallongea, grandissant la silhouette du magicien. Un froid glacial me pétrifia alors que les yeux noirs de lhomme me fixaient. Je compris alors que ce que Zaar attendait de moi, cétait une réponse de vive voix.
« Oui, monsieur. »
Mais les deux mots sortirent portés par une voix tremblotante, chargée de peur et de fatigue.
Alors, les ténèbres grandirent encore, sétirant en hauteur, chassant la lumière du soleil.
Le froid devint douleur et marracha un cri alors que je tombais en arrière. Rampant à reculons, je regardais lhomme avancer vers moi tandis que les ténèbres sallongeaient en une multitude de bras pour me saisir.
« Oui, Père, dit-il de cette même voix dacier.
- Oui, Père, » répétais-je dune voix forte, puisant dans ma douleur une rage qui me permit de faire face à la terreur.
Zaar parut satisfait et les ténèbres se rétractèrent, redevenant une cape masquant simplement sa nudité.
« Bien. Ici, lobéissance est une vertu qui prolongera ta vie. Selystra pensait autrement. Tu as fait lexpérience de ce quil est advenu. »
Je vis que le mage me fixait de nouveau avec insistance.
« Oui, Père.
- Tu as lair intelligente. Tu as de la volonté et du courage. Je vais donc te forger pour que tu deviennes mon instrument. Cela te pose un problème ?
- Non, Père, » répondis-je aussitôt, comprenant que le magicien me testait et que je devais répondre vite et bien.
« Bien. Pour linstant, ton corps ne supporterait pas mes leçons. Sait-tu lire et écrire ?
- Non, Père, admis-je
- Cela nest pas un problème. Andrion tapprendra. Il tenseignera ce que tu as à savoir pour te préparer à ta première leçon. Et dans deux ans, lorsque tu seras en âge dutiliser les Dons, je testerais les connaissances que tu auras acquises. Si je suis satisfait, alors ton apprentissage débutera. Dans le cas contraire, il aurait mieux valut que tu meurs aujourdhui car je naurais pas une once de pitié lorsque je ferais de toi lexemple à ne pas suivre.
- Oui, Père, » répétai-je encore.
Mais sans attendre ma réponse, le magicien se détourna de sa nouvelle fille pour traverser la salle en direction des portes brisées. Interdite, je restais plantée devant le trône, ne sachant quoi faire. Arrivé au milieu de son trajet, le magicien se retourna et me fixa du regard. Il attendait bien sûr que je le suive. Jaccourus pour le rejoindre et quittais la salle du trône à sa suite.
Au-delà, je découvris le sommet dun escalier de pierre. A limage de la salle du trône, il était dans un semblable état de délabrement. Certaines marches étaient brisées et dautres avaient simplement disparus, laissant un vide dans lequel je nosai regarder. Précautionneusement, je descendis les marches à la suite du magicien, massurant avant chaque pas de la solidité des pierres, avec le bout de mon pied.
Alors que je suivais ce nouveau père, je passai devant un trou béant dans le mur. Une bourrasque de vent me surprit et manqua de me faire tomber. Reprenant pied, je pus observer lextérieur de la construction. La grandeur de celle-ci marracha un hoquet de surprise.
La salle du trône se trouvait au cur du dernier étage dune titanesque citadelle, dans un donjon de pierre encastré dans la paroi verticale dun vertigineux sommet. La montagne tout entière était sculptée et modelée en tours et remparts. Sur tous les flancs, des fenêtres souvraient sur des salles creusées dans le roc. Des balustrades bordaient des passages à flanc de montagnes. Des plateaux étaient aménagés en jardins ou en cours.
Aussi bas que ma vue pouvait porter, je voyais des chemins de rondes, des sommets de tours et des toits dardoises. La montagne ainsi fortifiée était au moins aussi grande que Selystra.
Tout comme lescalier que je descendais, la citadelle était en piteux état, pour ne pas dire en ruine. Les toits des bâtiments étaient percés, sinon effondrés. Certaines tours sétaient écroulées. Des chemins de ronde sarrêtaient net sur un vide béant pour reprendre quelques dizaines de mètres plus loin, coupés par un éboulement.
Aucune sentinelle nétait visible sur les remparts. Aucun serviteur ne sempressaient à balayer les cours encombrés de débris tombés dun mur supérieur. Pour autant que je pus lobserver, le magicien et moi étions seuls.
Un frisson le long de mon dos me tira de ma contemplation. En me retournant vers le magicien, je vis quil mobservait sans mot dire. Ayant de nouveau mon attention, il poursuivit la descente de lescalier.
Le magicien me guida à travers les escaliers et les couloirs. La taille de lédifice donnait le vertige. La citadelle était aussi impressionnante de lintérieur que de lextérieur. Les portes de bois, hautes et massives, étaient renforcées de métal. Les escaliers étaient escarpés, et leurs marches hautes et étroites. Dès lors que nous nous enfoncions dans le cur même de la montagne, aucune lumière néclairaient les couloirs que nous empruntions. A lévidence, il ny avait plus personne pour placer de nouveaux flambeaux dans les torchères en fer noir fixées au mur. Des meubles brisés et des débris tombés du plafond encombraient les halls que nous franchissions. A dautres endroits, des éboulement obstruaient notre chemin, nous obligeant à de multiples détours.
Finalement, nous grimpâmes un dernier escalier pour entrer dans la première pièce avec un semblant de vie.
Creusée toute en longueur le long du flanc de la montagne, elle était éclairée directement par le soleil à travers des vitraux dun jaune pâle, lesquels altéraient la vue de lextérieur en un monde dor et de platine. Des tables de pierres disposées le long des murs supportaient des piles de livres. Des centaines douvrages sentassaient dans la pièce, entourés de parchemins, de pages de notes et de tablettes de grès. Au centre, un vieux pupitre en bois supportait un impressionnant tome à la couverture de cuir noir.
Absorbé dans la lecture de celui-ci, un jeune garçon dune dizaine dannées tournait le dos à lentrée, encore ignorant de notre présence.
« Voici Andrion, ton nouveau frère. »
La voix de Zaar fit sursauter de peur lenfant. Celui-ci se retourna vers nous.
Nous étions tous deux du même âge. Dans son regard, je décelais la même peur, la même crainte de déclencher la colère du magicien. Sur son visage marqué et dans ses yeux cernés, je devinais les mêmes tragédies. Mais tout cela navait pu détruire limpression angélique que me renvoyait le jeune garçon.
De courts cheveux blonds et raides encadraient un visage légèrement poupin et un regard bleu clair dune grande pureté. Alors que nous nous découvrions en nous dévisageant, je me pris daffection pour ce nouveau frère. Je brûlais de pouvoir lui parler en dehors de la présence du magicien.
« Andrion, continua le magicien, voici ta nouvelle sur, Lysandre. Je te charge de lui enseigner la lecture et lécriture au plus vite, afin quelle puisse apprendre tout ce quelle a à savoir. »
Cela me sembla étrange quun autre enfant soit mon professeur. A Selystra, seuls les scribes les plus vieux prodiguaient un tel enseignement. Prudemment, je gardai cependant mes remarques pour moi.
« Montre-lui également le reste du château et aide-la à choisir une chambre. »
Andrion acquiesça de ce « Oui, Père » que je venais dapprendre, et le magicien sen alla. Nous étions seuls.
Andrion fut le premier à briser le silence.
« Ainsi tu tappelle Lysandre ?
- Oui. En fait non.»
Maintenant que mon souhait était réalisé, voilà que je bredouillais et que je bégayais.
« Mon véritable prénom est Lysane mais il la changé.
- Si Père ta nommé ainsi, alors moi aussi je tappellerais Lysandre. Autrefois, javais également un autre prénom, mais Père men a donné un autre. Maintenant, je mappelle Andrion. »
Andrion semblait troublé, et ne me regardait que par à-coup, sans jamais me fixer directement dans les yeux.
« Quy a t il ? demandai-je.
- Rien. Enfin si, bredouilla-t-il. Là doù je viens, les garçons et les filles ne vivent pas ensemble. En fait, je nai jamais parlé à une fille avant toi.
- Cest idiot. A Selystra, les surs et les frères vivent ensemble
»
Je me tus, réalisant que plus personne ne vivait à Selystra. Je retins mes larmes. La fierté me poussait à rester digne en face de ce garçon mais je ne pus contrôler le flot de souvenirs.
Je revis mon père, un des Maîtres du Feu de Selystra, tandis quil nous quittait pour combattre le désastre qui sabattait sur la cité. Jentendis les cris de mon petit frère tandis quun brasier consumait la demeure. Tout ce qui était ma vie davant, cette joie et cet amour partagés, tout cela avait disparu. Tout cela mavait été volé par le nécromant. Pourtant, je ne parvenais pas à le détester. En fait, la seule émotion qui semparait de moi lorsque sa silhouette se dessinait dans mon esprit était une indicible terreur.
La fatigue ainsi que la douleur des brûlures se rappelèrent à moi et je ne pus que meffondrer en sanglots, incapable de surmonter mes émotions.
Andrion semblait gêné. Ne sachant trop comment gérer cette situation, il me laissa à mes larmes et disparut dans le château. Mes jambes se dérobèrent sous moi, et je me laissai glisser au sol, me recroquevillant contre le mur.
Je pleurais longtemps, aussi longtemps que je pus avant que la fatigue ne me terrasse. Roulé en boule comme un chat, je mallongeai sous une table et mendormis à même le sol. Alors que je fermais les yeux, je réalisai que je tenais toujours dans la main ma poupée de paille et de tissu.
Une sensation de chaleur me poussait à se rendormir. Une appétissante odeur de bouillon passa près de mes narines et mon estomac me signala que javais très faim. En fait, je navais rien mangé depuis
Pendant un instant, jespérai que tout cela ne fût quun mauvais rêve. Mais alors que je me tournai sur le dos dans ce demi-sommeil, je sentis la douleur dune brûlure à lépaule, la morsure dun charbon ardent projeté sur moi alors que
Epouvantée que le cauchemar de la destruction de Selystra soit la réalité, je me réveillai en un sursaut.
Jétais dans un confortable lit, sous dépaisses couvertures de laine. Près de moi, sur une table basse, je remarquai un bol de soupe doù montait de la vapeur, ainsi quune assiette avec du jambon et du pain.
En face de moi, une fenêtre souvrait sur les montagnes enneigées. Lorsque mon regard se posa sur la poupée à moitié brûlée qui partageait le lit, je sus que le cauchemar était bien réel.
De nouveau, mon estomac cria famine. Je pris délicatement le plateau chargé de nourriture et le posai sur mes genoux. Trempant le pain dans la soupe, je mangeais méthodiquement, refusant à penser davantage à la situation.
Je devais être vraiment affamée car la soupe et le jambon disparurent en un clin dil.
Cest alors que la porte souvrit et quAndrion entra.
« On ne ta jamais dit quil fallait frapper à la porte avant dentrer ? »
Mon indignation et mes manières de petite fille modèle parlèrent à ma place avant que mon esprit eu le temps de sinquiéter de sa présence.
- Non. Dailleurs, là où je vivais, il ny avait pas de porte. »
Pas de porte ? Je limaginai dans une vie primitive, au fond dune grotte, ou encore pauvre paysan dans une misérable chaumière. Honteuse, je baissai les yeux. Mais après tout, comment pouvais-je savoir ? Je décidai de lui demander.
« Comment était-ce ? Là où tu vivais ?
- Jétais avec dautres garçons. Un homme nous apprenait à nous battre. Nous vivions près des ruines dune ville du monde davant, dans un refuge construit avec des décombres. Parfois, des gens apportaient des enfants mais lhomme nacceptait que les garçons. Dautres fois, des hommes venaient acheter les plus grands dentre nous. Un jour, Père est venu. Il nous a regardé et a pointé son doigt vers moi. Il a dit à lhomme Celui-là, et cest ainsi quil ma adopté. Cest à peu près tout ce dont je me souviens.
- Vous naviez pas le droit dhabiter en ville ?
- On nous apprenait vite à les éviter. Des bêtes sy cachaient, en sortant parfois pour chasser les hommes et les manger. Autrefois, avant la Grande Guerre, cétait une cité célèbre. Jai même lu son histoire dans un des livres. Mais lorsque jétais là-bas, on entendait dans la nuit des cris effrayant. Ces cris servaient aux monstres à terroriser leurs proies pendant la chasse. Lorsque cela arrivait, nous nous blottissions les uns contre les autres, espérant seulement quelles ne sapprocheraient pas du refuge. »
Jeus alors la vision dAndrion et danonymes jeunes garçons recroquevillés les uns contre les autres tandis que lombre dun horrible monstre se dessinait contre un mur proche. Cela me parût préférable de changer de sujet avant quAndrion ne me confirme que cela avait été effectivement sa réalité.
« Merci de mavoir porté dans ce lit.
- Jai demandé à Gorloy de tamener dans une des chambres, et de te préparer un repas pour ton réveil. Dailleurs, si cette pièce te plait, tu peux la garder comme chambre.
- Gorloy ? relevais-je.
- Le serviteur de Père. Il prépare nos repas, range les livres. Il sait même faire des vêtements, comme la tunique de coton que je porte. »
Andrion me sourit en pinçant son vêtement.
« Dès que tu seras prête, je commencerais à tapprendre à lire et à écrire. Cest ce que jétais venu te dire.
- Tu es certain de pouvoir faire cela ? A Selystra, seuls les anciens enseignaient cela.
- Père mavait prévenu quil reviendrait un jour avec des frères et des surs. Il ma dit que je devrais alors leur transmettre ce quil mavait enseigné. A leur tour, lorsque dautres viendront, ils prendront en charge nos nouveaux frères.
- Alors sil revenait un jour avec un autre enfant, ce serait à moi de lui apprendre ?
- Lorsque, corrigea Andrion, cela se produira, alors effectivement tu auras la tâche de transmettre ce savoir. Sur ce, ajouta-t-il en reculant et en fermant la porte, je retourne à la bibliothèque. Rejoins-moi lorsque tu te sentiras prête. »
Et je fus de nouveau seule. Repoussant le plateau de nourriture, je pus me laisser aller à ses pensées. Tandis que mon esprit analysait les paroles dAndrion, mon regard vagabondait sur les détails de la pièce. Il y avait dans le coin une armoire entrouverte où lon apercevait des vêtements denfants suspendus. Un miroir dargent poli était posé sur un buffet près de la porte. A coté, une bassine était remplit dune eau claire. Sur une chaise, quelquun avait déposé une robe dun tissu marron grossier mais assez épais pour protéger du froid des montagnes. Je remarquais également des sandales de cuir et une cape de laine noire à ma taille.
Mes yeux revinrent vers le lit et se posèrent sur ma poupée. Javais du dormir dessus car le jouet était tout écrasé. Quelques brins de paille en avaient été arrachés et jonchaient le lit ici et là.
Je men saisis précipitamment.
La poupée était tout ce qui me restait de Selystra. Elle mavait été offerte par ma mère, lors de mon récent anniversaire. Je men souvenais comme dune adorable petite chose vêtue de rouge et de bleu, comme dune amie fidèle à qui je pouvais confier mes secrets, mes bons moments comme les mauvais.
Seulement onze jours sétait écoulé depuis ce merveilleux instant où ma mère sétait approchée de cette jeune fillette que jétais. Je me rappelle combien elle était souriante alors quelle dissimulait son présent, une main dans le dos. Puis elle dévoila ce qui était alors à mes yeux un véritable trésor. Et maintenant, il me semblait que ces souvenirs là appartenaient à une autre vie, parlaient dune autre personne. A présent, je ne voyais en regardant la poupée que de la paille et du tissu. Je percevais vaguement que javais perdu quelque chose de très précieux, mais sans pouvoir identifier cette innocence enfantine qui faisait de moi cette petite fille adorable.
Je sentis la colère monter. Je voulais retourner à cette vie de tendresse et damour, mais je savais que cela était tout bonnement impossible. De rage, je jetai la poupée par la fenêtre. Lobjet disparu avec ce qui me restait dinnocence.
Je fis le calme dans mon esprit.
Zaar mavait ordonné détudier. Il mavait précisé quAndrion allait mapprendre à lire, puis que je devrais me préparer à ces leçons qui me changeraient en cet instrument de mort quil désirait. Je me souvins surtout de son avertissement si, le moment venu, je ne satisfaisais pas ses attentes.
Je me levai et enfilai mes nouveaux vêtements. Jétais décidée à ne pas succomber de nouveau aux larmes. Jétais déterminée à survivre à ce que serait lenseignement du magicien, à devenir ce quil voudrait que je sois, pourvu quun jour, jai ma chance de retrouver une vie normale.
Dehors, quelques trois cent mètres plus bas, la poupée sétait coincée entre deux rochers. Le vent arracha peu à peu les brins de pailles qui la composait, et bientôt il ne resta plus rien de la dernière trace de ce quétait Lysane de Selystra.
Jouvris la porte de ce qui allait être ma nouvelle chambre et la franchit dun pas déterminé.
Javais tout juste douze ans.
Chapitre 3
«
Le chemin de la connaissance est long, mais celui des arcanes magiques ne peut être parcouru en une seule vie humaine. La plupart des voyageurs qui empruntent cette route se perdent sur des voies sans issues. Seul l'esprit affûté saura trouver son chemin dans les méandres des écrits et distinguer la connaissance de la supposition ou de laffabulation. Au cours des siècles, certains voyageurs avisés posèrent des jalons pour ceux qui les suivraient.
Celui qui pose le premier pas sur cette route est l'Apprenti. Son esprit est encore embrumé d'illusions et la route lui paraît droite, directe et facile. Le Magicien est celui qui a appris à contourner la colline plutôt que de l'escalader. Il a déjà accomplit une partie du trajet, mais il n'a seulement traversé la forêt que pour arriver au pied de la montagne. Le Mage est un voyageur chevronné. Il sait reconnaître son chemin parmi les sentiers multiples qui s'offrent à lui. Il sait aussi reconnaître les signes laissés par ses prédécesseurs et est capable, le cas échéant, de tracer sa propre route. Le Sorcier est celui qui a renoncé à parcourir le chemin sous le soleil et les étoiles. Il préfère emprunter une obscure route souterraine dont il a trouvé l'embranchement au prix d'un pacte avec le Malin.
La plupart des voyageurs s'arrêtent au cours de l'ascension, victime de l'âge ou du destin, car la route n'est pas sans danger. D'autres abandonnent leur quête de savoir face à la falaise infranchissable de l'impossibilité ou le gouffre béant de l'inconnu. Pourtant, certains parviennent à se frayer un chemin jusqu'au sommet. Personnages de légende, esquisses dans un livre de magie, maîtres parmi les maîtres, leur nom est aussi puissant que la foudre ou le feu, et leurs mains déchirent les cieux et ouvrent les eaux. Mais cest avec leur esprit et la force de leurs Dons que les Archimages refaçonnent le monde.
Cependant toute ascension, aussi haute qu'en soit le sommet, commence toujours quelque part, aussi commenceront-nous par une étude approfondie de ce quest la Force dAme, source de toute manipulation magique.
»
Je me détournai du livre et fermai les yeux. Du bout des lèvres, je récitai dans un long murmure les chapitres suivants. Je voulais être absolument sûr de savoir par cur ce qui avait de limportance. Bien que Zaar ne lai pas expressément dit, je pressentais quune erreur serait impardonnable à ses yeux.
Deux ans sétait passé depuis cette terrible journée où ma vie avait basculé, devenant ainsi lApprentie de Zaar, mais aussi sa fille. Surmontant le chagrin, jai laissé derrière moi la fillette de bonne famille et ce qui était sa vie, pour devenir une Apprentie, une jeune personne qui, dans lattente du moment où le Don séveillera, apprend tout ce qui lui serait nécessaire pour maîtriser ce pouvoir à venir.
Avec patience et attention, Andrion mappris à déchiffrer les idéogrammes des innombrables livres que contenait la citadelle. A peine avais-je acquis la lecture et lécriture que le nécromant était réapparut, accompagné dun nouvel enfant.
Cétait un soir dhiver. La tempête sabattait sur la citadelle, et les bourrasques chargées de neige frappaient les murs et renversaient les tuiles. Réfugiés dans la bibliothèque, une des rares pièces pourvu de vitres et de lumière, Andrion et moi-même consultions de poussiéreux ouvrages. Je tentais de mettre à profit lenseignement de mon nouveau frère en décryptant par moi-même un tome spécialement destiné aux jeunes Apprentis. Suivant de mon doigt les idéogrammes compliqués qui formaient la complexe calligraphie des ouvrages ésotériques, je répétais à voix haute les phrases en même tant que mon esprit les déchiffrait. A lautre bout de la pièce, Andrion était installé à une table et travaillait à retranscrire des symboles qui, mavait-il confié, servaient à contrôler la fameuse Force dAme, la source de toute magie.
Une bourrasque plus violente que les autres fit trembler les vitres, et un vent glacial sinfiltra quelque part dans la citadelle pour remonter lescalier qui menait à la bibliothèque et sy déverser. Les bougies vacillèrent un instant, plongeant la pièce dans les ténèbres. Lorsque la lumière revint, le magicien se tenait devant nous, accompagné dune misérable chose.
Lenfant aux cotés de Zaar était courbé comme un vieillard. Son dos était déformé par une bosse et son visage était si défiguré que je ne pus mempêcher de plisser les yeux de dégoût. Malgré une première impression de répugnance, je lobservai plus longuement. Au-delà de sa monstrueuse apparence, je réalisai quil nétait quun enfant de mon âge.
Le magicien fit quelque pas dans la pièce et le jeune bossu se traîna dans sa suite, avançant en tirant sa jambe gauche comme un boulet au bout dune chaîne.
« Voici Tyor », avait dit Zaar, le présentant en usant de ce ton glacial quil avait également employé pour me parler lors de notre rencontre. « Il est votre frère à présent. »
Andrion se leva de sa chaise pour sapprocher du magicien et de ce nouveau parent. Son visage angélique séclaira dun sourire.
« Voici Andrion, continua Zaar. Il a été le premier que jai choisi. Et voici ma fille, Lysandre
»
Le mot fille percuta mon esprit. Lannée passée avec Andrion avait été paisible mais la présence du magicien me fit revoir des visions de destruction et de mort. Mais ces souvenirs appartenaient a Lysane, pas à Lysandre. Avec ce qui était maintenant une habitude, je les reléguai au fond de ma mémoire.
«
elle tapprendra à lire et à écrire afin que tu puisses te préparer à la première leçon de mon enseignement. »
Tyor leva les yeux vers moi, plongeant son regard dans le mien. Je ne fus nullement surprise de trouver dans cet échange ce même regard vide et détruit que me renvoyait le miroir dargent de ma chambre. Toutefois, au delà du néant apparent, je devinai cette étincelle, cette volonté de survivre qui mavait poussé, une année plus tôt, à accepter la proposition du magicien.
« ..Bientôt viendra lheure déveiller vos Dons, mes enfants. Et toi Tyor, lorsque ce moment viendra, sache que si tu venais à faire défaut à mes espérances, la misérable vie à laquelle je tai arraché te semblera enviable car je te ferais regretter de mavoir fait perdre mon temps. »
Les yeux noirs sans pupilles de Zaar glissèrent sur chacun dentre nous. Bien quaucun mot ne fut ajouté, je compris que ce regard lourd de sens nous invitait, Andrion et moi-même, à se souvenir que de semblables avertissements nous avaient été délivrés.
Puis, Zaar se détourna et disparut dans lobscurité qui régnait au dehors de la pièce, laissant Tyor avec ceux qui étaient maintenant sa nouvelle famille.
« Lysandre, ? » souffla-t-il dune voix rauque.
« Bienvenue parmi nous, répondis-je. Dès que tu seras installé, je tapprendrais à lire et écrire
- Je sais déjà lire et écrire le valarite, » intervint Tyor dun ton légèrement agacé.
En guise de réponse, je lui apportai louvrage que je consultais au moment où Zaar avait fait irruption. Tyor baissa les yeux vers les pages calligraphiées de symboles complexes avant de relever la tête pour me fixer dun air surpris. Jaffichai un petit air narquois devant lincompréhension du jeune bossu. Javais conservé de Lysane lart et la manière de surprendre les autres.
« Les ouvrages que tu trouveras ici sont écrits dans la langue des magiciens, lAnsalor. Ainsi ils peuvent être utilisés par nimporte quel utilisateur des Dons, fut-il valarien ou eldryn. »
Replongé dans la transcription de ses symboles, Andrion émit un petit rire en reconnaissant les phrases quil avait utilisés quelques mois plus tôt lors de mon apprentissage, phrases quil tenait lui-même de Zaar. Pourquoi réinventer la roue alors que je navais quà retransmettre les leçons que javais reçues ? Il est dailleurs probable que Zaar avait prévu que cela se passerait ainsi.
« Je reconnais que je ne comprends rien à ce texte, admit Tyor.
- Dans ce cas, commençons simplement par la première page. LAnsalor est un langage dont les symboles représentent essentiellement des concepts. Il na pas de grammaire propre car chaque auteur aligne les signes selon limportance quil leur attribue. Lordonnancement des mots pour la compréhension se fait en utilisant une calligraphie particulière pour représenter lacteur, une autre pour le destinataire, et ainsi de suite. Par exemple sur la première page, cet idéogramme représente Le chemin de la connaissance, cest à dire la somme dans le temps des efforts quune personne entreprend pour étendre son savoir. Comme lauteur a placé ce symbole en premier, cela signifie que ce concept est lidée clef de la phrase, comprend-tu ?
- Je pense, dit Tyor dune voix peu assurée.
- Ne craint rien, une grande partie de lapprentissage consiste à maîtriser la lecture, et même avec le temps lexercice nest pas évident. »
Tyor hocha la tête, les yeux fixé sur mon doigt, lequel pointait justement Le chemin de la connaissance.
« Bien, repris-je. Comme tu peux le remarquer, tous les idéogrammes sont composé de neuf traits. Le premier représente le Don. Chacun des Dons donne un sens différent à lidéogramme.
- Je ne comprends pas. »
Je memparai dune feuille vierge et dun pinceau. Avec attention, je traçai huit traits pour former un symbole complexe.
« Voici la base pour lidéogramme qui représente le feu. Si je rajoute ce trait, alors cela signifie quil sagit du feu pour le Don de Radiance, par exemple un brasier puissant. Par contre, si jutilise ce trait ci, alors il sagit du feu pour le Don dInvestiture, par exemple un bûcher funéraire.
- Je ne comprends toujours pas, admit Tyor, troublé de ne pas voir où je voulait en venir.
- La caractéristique première du Don de Radiance est lintensité des effets. Un feu allumé par une utilisation de ce Don sera toujours composé de puissantes flammes, et brûlera longtemps, même sans combustible.
- Je comprends, invertint Tyor, avec un sourire satisfait. Et la caractéristique du Don de lInvestiture ? ajouta-t-il avec une impatience non contenue.
- Le feu est alors un instrument pour faire avancer quelque chose vers un autre état, un morceau de bois en cendre par exemple.
- Mais cela est le cas de tous les feux, non ?
- Certes, mais imaginons que tu veuille du charbon pour préparer une encre. Le feu que tu allume pour obtenir le matériau désiré peut être représenté en utilisant le trait pour le Don de lInvestiture, car ta principale motivation est dobtenir du charbon, cest à dire ton morceau de bois mais sous une autre forme. On dit alors que tu investis le bois par le feu. »
Tyor hocha de la tête, mindiquant de continuer mes explications.
« Il faut toujours garder à lesprit que les idéogrammes représentent des concepts. D'ailleurs, tu peux aussi symboliser les flammes dun fourneau par le feu de lInvestiture. La signification se fait ensuite en assemblant tous les symboles.
- Et quel Don est représenté par un cercle ? demanda Tyor en pointant Le chemin de la connaissance.
- Cest lexception à la règle. Le cercle rassemblent tous les Dons, ou bien aucun. En dautres termes, on lutilise pour représenter les concepts communs à tous les Dons, ou encore les éléments naturels. Le symbole du feu ajouté de ce cercle représente lélément feu tel quon le trouve dans la nature.
- Quel est le symbole suivant ?
- Il sagit du temps, et le trait utilisé est celui du Don de Radiance.
- Donc le Don de lintensité, » commenta Tyor.
Le jeune bossu regarda longuement le nouveau symbole tandis que je le laissais réfléchir à ses hypothèses quant à la signification du texte, ainsi quAndrion avait procédé avec moi.
- Cela signifie que le chemin de la connaissance est long ?
- Exactement. Maintenant ce troisième symbole
Couchant ma nuque sur le sommet de la chaise, je contemplais le plafond sans vraiment le voir, les souvenirs de ces premiers instants avec Tyor se superposant à la pierre effritée et lézardée.
Un peu plus dune année sétait écoulé depuis ce moment, et ce garçon à lapparence de monstre était devenu un véritable érudit, dévorant les livres les plus complexes sans lombre dune difficulté. En fait, javoue men être trouvé blessé dans mon orgueil lorsque je me rendit compte que Tyor apprenait bien plus vite et bien plus facilement que moi. Dailleurs, il ne fallut guère de temps avant que les rôles du professeur et de lélève soient inversés. Au-delà des menaces quavait émise le magicien, Tyor brûlait dune véritable soif de connaissance, ou plutôt dune formidable envie de pouvoir. Il nétait nullement besoin de le pousser ou de le menacer. Je pense que cétait sa manière de combattre ce terrible corps, une façon de devenir quelque chose dautre quun monstre aux yeux du monde.
Mon regard dérivai justement vers Tyor. Concentré dans sa lecture, le jeune bossu ne remarqua pas lattention que je lui portais. Pourtant, en dehors de la bibliothèque, le jeune garçon me suivait comme mon ombre et obéissait au moindre de mes caprices.
Nallez pas croire que jétais ignorante de ce que cela signifiait.
A Selystra, les enfants étaient confiés aux soins de nourrices pendant la journée, et depuis mon plus jeune âge, jai grandis au milieu de centaines de filles et de garçons. Même à cet âge, les premiers jeux de lamour sont loccupation principale. Etre la préférée du fils du grand maître de Selystra, remarquer lattention quun garçon vous porte, tester les limites quil était prêt à franchir pour un innocent baiser sur la joue, tout cela navait plus de secret pour moi.
Mais alors je remarquai chez Tyor cette adoration aveugle mais silencieuse que je connaissais bien, je fus hésitante à rejouer de nouveau à ce jeu de manipulation qui était lactivité principale de Lysane.
La curiosité me poussa cependant un jour à demander à Tyor de me parler de son passé. Hésitant tout dabord, Tyor se confia finalement. Lhorreur de son récit me fit regretter ma demande.
Et me revoilà dans la bibliothèque, vérifiant que chaque parcelle de connaissance que javais acquise ces deux dernières années restait présente et prête à lemploi, en prévision du grand moment pour lequel nous nous préparions : la première leçon du nécromant.
Mais alors que je ressassais mes premiers souvenirs de Tyor, je ne remarquai pas la main pernicieuse pleine de neige qui sapprochait de mon cou.
Un froid glacial et humide se déversa le long de mon dos. La surprise me fit crier très fort et Tyor en sursauta, lâchant son livre et tombant à la renverse de sa chaise.
Lorsque je me retournai, ce fut pour voir les têtes jumelles de Kalith et Kymnar, derniers Apprentis adoptés par Zaar, afficher ce sourire narquois et satisfait qui signifie quun tour pendable a été accompli avec succès.
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Voilà, j'espere que ces modestes lignes susciteront plus de réactions que les précédents chapitres
Message édité par deidril le 09-12-2004 à 16:48:05