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Les annotations illégales des consultants de Michael Page
La justice est saisie au sujet de fiches de recrutement aux commentaires racistes et sexistes. Le syndicat Sud des commerces et services a saisi, mercredi 19 février, le procureur de la République de Nanterre (Hauts-de-Seine) au sujet de fiches manuscrites de comptes-rendus d'entretiens rédigées par des consultants du cabinet de recrutement Michael Page International, dont le siège est à Neuilly-sur-Seine.
Elles concernent des candidats qui, durant l'année 2002 et jusqu'au début de février 2003, se sont présentés, répondant à des offres d'emploi dans le commerce et la distribution pour des postes allant du simple vendeur au directeur de magasin.
L'apparence physique tient une place toute particulière dans ces annotations. Les consultants-recruteurs n'hésitent pas à formuler des commentaires à caractère racial et sexiste. Certains candidats ont un "look Afrique du Nord. C'est un bon petit gars qui en veut", un "type Afrique du Nord chauve. Ressemble à l'acteur Farid Chopel. Fait un peu petite frappe... pas une flèche" ; une "Tête de raton-laveur. Regard pas très franc. Pas beaucoup de charisme. D'origine algérienne". D'autres présentent un "look vendeur du Sentier, cheveux bruns gominés. Fait branleur. Glandeur" ou "Black à lunettes, regard fuyant... t'as envie de lui donner un grand pied dans le cul, potentiel limité", voire un "look particulier, sort tout droit de la présélection "Pop Star", banlieue RP. Pas la classe..." L'un d'eux n'échappe pas au ? mauvais ? jeu de mots : "assez bonne tête. Turc". Le suivant qui "pu (sic) la cigarette, droit comme la justice"est crédité néanmoins d'appréciations professionnelles plus flatteuses.
Pour la plupart au patronyme à consonance étrangère, titulaires de diplômes de l'enseignement supérieur, ces candidats font pourtant état de leurs expériences dans de grands hôtels parisiens, des succursales de marques sur les Champs-Elysées où certains ont dirigé des équipes de plusieurs dizaines de salariés.
Les candidates ne sont guère plus épargnées. Passe peut-être pour la "Martiniquaise-Guadeloupéenne. Pas d'accent". Mais "pas très sexy, l'Asiatique, petite taille, style moyen". Le "look Afrique du Nord, du charme, raffinée, belle plante (fait de la musculation)" succède à "démarche nonchalante, regard de chien battu", puis à "blonde décolorée, fade, anneau aux oreilles, diams dans le pif", suivie d'une "assez forte, limite obèse". Quant à la "vieille fille, pas très raffinée, ne fait pas nette sur elle, gilet de grand-mère", elle a quand même fini par trouver un travail, assure Fabrice Lacombe, directeur général du réseau français de ce cabinet international. Sans cacher son embarras, avant de dénoncer cette pratique, il invoque "l'abus de quelques consultants isolés", parmi une équipe de 180 personnes qui, à raison de 10 entretiens par semaine, reçoivent environ 80 000 candidats par an.
Des règles strictes ont pourtant été édictées dans l'entreprise. Ces appréciations manuscrites, non conformes à la loi, sont, assure-t-il, "filtrées" lors de la saisie informatique. Ces données n'apparaissent plus sur les fichiers disponibles pour l'ensemble du réseau et ne sont pas communiquées aux entreprises clientes.
Le règlement interne, dont M. Lacombe n'a pas souhaité donner communication, aurait été élaboré avec l'aval de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui, il y a deux ans, s'est intéressée aux méthodes de l'entreprise. Dans ses fiches de comptes-rendus, le cabinet a prévu l'attribution de notes de 1 à 5 assorties de commentaires sur la présentation (impression, style, attitude, professionnalisme), la communication (sens commercial, crédibilité, clarté, synthèse) et le potentiel (évolution, punch, ténacité, maturité, capacité à diriger...). Ces appréciations, pourtant, ne figurent pas dans le fichier type élaboré en mars 2002 par la CNIL avec le Syndicat du conseil en recrutement, qui ne retient que des renseignements neutres (identité, formation, expérience et motivation).
Par ailleurs, M. Lacombe s'interroge sur la "disparition" de ces fiches communiquées à la justice. Il établit un lien avec le licenciement d'une déléguée syndicale dont l'autorisation est soumise à l'avis de l'inspection du travail.
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