je recherche une école de commerce pour ma fille et je suis tombée sur cet article (un peu long mais instructif) qu'il paru utile de communiquer sur ce forum.
pris sur le Nouvel Observateur fin mars 05
"Alors que la compétition mondiale se durcit la triste guéguerre que se livrent nos grandes écoles de commerce paraît périlleuse à plusieurs experts. Selon eux, sans rapprochements entre écoles, l'influence française dans le monde du management pourrait être marginalisée
Ils sont trois. Trois profs appartenant à nos trois plus prestigieuses grandes écoles de commerce: l'ESCP-EAP, l'Essec et HEC (1). Et ils ont commis l'irréparable. Olivier Basso, ancien de Normale sup et de HEC, Philippe-Pierre Dornier, ingénieur civil des Mines et prof à l'Essec, et Jean-Paul Mounier, ancien patron du MBA de HEC, font scandale pour avoir osé, dans un livre dé¬coiffant « Tu seras Patron, mon fils », Editions Village mondial), poser des questions remet¬tant en cause le discours officiel lénifiant et au¬tosatisfait de ces écoles. «Cessons de prétendre que nos écoles sont la crème de la crème, le fer de lance français face aux fameux MBA américains. En réalité, elles sont très vulnérables, financière¬ment faibles, sans influence dans le monde. Mais c'est scandaleux de le dire », résume Dornier, si¬déré par l'hostilité qui a accueilli leur livre, surtout à l'Essec et à HEC. «Comme s'il s'agissait d'un débat interdit. »
Pourquoi ces écoles, générale¬ment encensées, sont-elles devenues si nerveuses? Parce que tout se passe comme si elles se retrou¬vaient, avec l'harmonisation mon¬diale des diplômes, en situation de non-conformité. D'abord, elles sont pilotées par des chambres de commerce, alors que presque partout ailleurs elles relè¬vent de l'université. Deuxième ex¬ception : les fameuses classes préparatoires aux concours d'en¬trée, qui durent deux ans. Les matières qu'on y enseigne n'ont rien à voir avec le management. On y fait surtout beaucoup de maths. Les deux tiers des élèves admis dans les « trois parisiennes ont un bac scientifique, avec un record de 68% à HEC. Hors Hexagone, ces bac+5 qui n'ont fait que trois ans de management sont des... bac+3. Les supporters du "système prépa " rétorquent que les étrangers louent la finesse intellectuelle des jeunes qui y sont passés... Pourtant, si un lourd programme de maths est nécessaire pour préparer un cursus scientifique, il ne se justifie plus pour intégrer les grandes écoles de mana¬gement (qui l'ont fait pour copier les écoles d'ingénieurs, réputées attirer les meilleurs cer¬veaux) quand on compare les cursus à l'échelle mondiale. Du coup, ces écoles courent le risque d'être prises en tenaille entre quatre autres standards de diplômes qui montent:
1. Le format Sciences-Po, soit cinq années d'études dont une obligatoire à l'étranger, ce qui n'est pas le cas dans les trois écoles de commerce parisiennes. Seule l'ESCP, qui enseigne sur cinq campus européens, propose au plus grand nombre d'élèves un fort éclairage international.
2. Le format master universitaire, introduit par la réforme LMD, qui monte en pres¬sion de façon remarquable. Pour la première fois en 2003, le nombre de bacheliers généraux entrant en fac, qui diminuait depuis 1995, s'est remis à grimper. Et le nombre d'élèves inscrits en classes prépa a chuté de 9% en 2004.
3. Le format écoles de commerce sans classes préparatoires. Toute une série d'écoles "challengers" offrent à des bacheliers des cursus en quatre ou cinq ans incluant un ou deux ans à l'étranger. Certains diplômés dé¬butent trilingues, avec des salaires supérieurs à ceux des écoles classiques (2). Plusieurs ont plus de 3000 candidats, alors qu'un tiers des écoles classiques ont attiré cette année moins de 2000 candidats.
4. Le format MBA. C'est le diplôme de management le plus célèbre au monde. Né aux Etats-Unis, il a essaimé partout. Formation d'un an, intensive et coûteuse, pour des personnes ayant déjà en principe trois à cinq années d'expérience, ce standard est à l'origine d'une polémique rugueuse entre HEC et l'Essec, doublée d'une opération rocambo¬lesque. L'Essec ayant décidé de proclamer que son diplôme est un MBA - arguant du fait que ses élèves ont dix-huit mois d'expérience ac¬quise en cours d'études - HEC a appointé un consultant en intelligence économique pour monter de faux témoignages (sur internet et dans des forums d'orientation) pour contrer cette option. Révélée par un livre paru voici un an (3), l'affaire semble avoir été étouffée d'un commun accord.
C'est sur cette toile de fond qu'est sorti le livre des trois profs. Il décrit, de façon argu¬mentée, toute une série de problèmes. Extraits: «Au niveau académique, ces écoles ne produisent pas de travaux ayant une réelle influence sur l'évolution des théories du management dans le monde. Sur ce plan, elles n'existent donc pas. » Sur le plan pratique, «elles forment relati¬vement peu de dirigeants de haut rang: 53% des patrons des grandes entreprises du CAC 40 sont ingénieurs, contre 20% issus d'écoles de gestion et 15% de Sciences-Po ». Côté pédagogie: « Peut-t'on enseigner à des étudiants sans expérience le management des entreprises, c'est-à-dire la théorie d'une pratique qu'ils n'ont jamais vécue? Les MBA ne rencontrent pas cette difficulté. Côté budget enfin: «Le différentiel est de 1 à 10 par rapport aux universités américaines. » Disséquant les voies choisies par chaque école, ils montrent que toutes posent problème, concluant à « un risque fort de marginalisation du système français, et en particulier des trois parisiennes».
D'où la nervosité des écoles. Lors de l'enquête, nombre de témoins n'ont accepté de parler qu'anonymement. Il faut dire que, véritable casus belli, le livre critique la gestion des chambres de commerce, qui régentent ces écoles. C'est s'attaquer à un formidable lobby. « Un gros travail de sape a été mené pour laisser entendre que ce livre est nul », estime l'un des auteurs. De fait, aucun d'eux n'a été invité à s'exprimer aux récentes Rencontres nationales de la Fondation natio¬nale pour l'Enseignement de la Gestion des Entreprises (Fnege) sur le thème: « L'enseignement de la gestion à l'horizon 2015 ,). Côté éditeur - Village mondial, une référence dans l'univers du management - Sylvie Chauveau s'étonne que le livre, quatre mois après sa parution, n'ait fait l'objet d'aucun débat dans l'influent quotidien de l'économie « les Echos » (qui a parrainé les rencontres de la Fnege), ni dans « le Monde « l'Express, ou « le Point ». «Ces écoles font beaucoup de com¬munication. Tout un jeu de réseaux semble avoir joué pour étouffer ce livre », échafaude l'éditeur. Côté écoles, on brandit le réflexe patriotique: «Ne nous trompons pas d'adversaire, notre concurrent, c'est le système anglo-saxon», dit l'Essec. «Nous sommes tout à fait patriotes, pro¬teste Dornier, notre livre plaide pour de grandes business schools françaises à rayonnement mondial. A commencer par celle qui résulterait de la fusion des trois parisiennes. » Il est un fait que, longtemps illusoire, cette perspective est devenue réaliste car ces trois écoles sont toutes équiva¬lentes: « C'est un secret de Polichinelle que l'ESCP-EAP est aussi bonne sinon meilleure que HEC, mais on n'a pas le droit de le dire » confesse un connaisseur, membre de la chambre de commerce de Paris, qui chapeaute ces deux écoles. De fait, à plusieurs reprises, et en 1997 encore, la fusion de HEC et de l'ESCP a failli se faire. Hugues du Rouret, influent président du conseil d'établissement de l'ESCP-EAP, ancien pa¬tron de Shell France, ne dissimule pas son avis: « Dans dix ans, les trois pari¬siennes devraient avoir fusionner. » Il fait remarquer que, même cumulés, leurs budgets restent infé¬rieurs de 100 millions de dollars au budget de Harvard. Le 4 mars dernier, sous le titre « Grandes Ecoles de gestion: oser le débat » Thomas Legrain, vice-président des anciens de l'Essec, a repris cette thèse dans une tribune libre des « Echos » « Une véritable grêle d'obus s'est abattue sur moi », raconte-t-il. Sidéré par les attaques reçues, il a collé sa démission de vice-président avec un communiqué rageur demandant que « ces écoles changent d'urgence leur mode de pensée et fusionnent pour accéder à la taille internationale». «Il est temps que l'atmosphère change, cet uni¬vers est truffé d'ayatollahs », maugrée Philippe Pierre Dornier. De fait, la guéguerre ne frappe pas qu'à Paris: localement, les écoles de Lyon et Grenoble, Marseille et Nice, Bordeaux et Toulouse, Nantes et Rennes constituent des doublons aux relations souvent tendues... Toute école qui s'intéresse à la nouvelle norme MBA de l'Essec est mise d'office au pilori, ainsi l'ICN de Nancy (qui vient de se rapprocher de l'IECS de Stras¬bourg) a subi les foudres de l'EM de Lyon. Symptôme qui ne trompe pas: pour esquisser leurs cinq scénarios d'évolution à l'horizon 2015 au colloque de la Fnege, les écoles de commerce ont dû faire appel à... un ingénieur, Thomas Durand, directeur du laboratoire Stratégie et Technologie à l'Ecole centrale. Une sorte de démineur, en somme.
Scène comique récente dans un magazine parisien: « C'est qui les papes français du management? », interroge à la cantonade un rédacteur en chef en quête d'avis d'experts sur la stratégie d'une multinationale. Mines contrites des journalistes: pas un seul nom ne sort... Pour des pro¬blèmes d'économie, de société ou de géostratégie, les noms de cinq ou six experts jaillissent illico, en général profs à Sciences-Po ou à l'université. « Les écoles de commerce sont plus fortes par leurs mafias d'anciens élèves que par les experts qui y enseignent », résume, un peu vache, un universitaire."