helicon2 a écrit :
Il n'existe pas 36 définitions de la démocratie. Globalement, il y a la définition du mot lorsque le concept à été inventé (il y a 2500 ans) et cette définition a changé quelques dizaines d'années après les révolutions françaises et américaines.
Vu que pour en savoir plus, il faut absolument que ce soit écrit noir sur blanc sur ce forum, voici un transcript partiel d'une vidéo de Dupuis-Déri qui explique cette évolution. Et si tu es pressé, ne lis que le grand / rouge. Je peux pas mieux faire. A un moment, il faut bien prendre du temps pour comprendre les choses...
Voici une conférence passionnante organisée à l'UQTR (Université du Québec de Trois-Rivières) le 19 mars 2014 grâce à la collaboration du département de Philosophie et du département d'Histoire : Démocratie, l'origine politique d'un mot par Francis Dupuis-Déri (professeur de sciences-politiques à l'UQAM et auteur du livre « Démocratie. Histoire politique d'un mot aux États-Unis et en France »). http://www.youtube.com/watch?v=AJrdu0r6X90
2:45 : Francis Dupuis-Déri indique qu'il est étonnant que les pères fondateurs de la démocratie moderne n'utilise presque jamais le mot démocratie. Et lorsqu'ils utilisent ce mot, c'est d'ordre péjoratif et ce n'est jamais pour qualifier leur projet. Ils en parlent comme régime immoral, athée, tyrannie des pauvres etc. C'est donc étonnant que nous appelions nos régimes politique des démocraties alors que même les pères fondateurs ne définissaient pas leur projet comme cela.
6:00 : Il commence par rappeler l'origine des mots grecs monarchie (une personne qui gouverne), aristocratie (une minorité qui gouverne), démocratie (une majorité qui gouverne) et anarchie (personne ne gouverne).
8:30 : Il évoque le mot Iségoria qui signifie que chaque citoyen doit pouvoir s'exprimer à l'assemblée. Pour les grecs, ce concept est encore plus important que le concept de démocratie.
10:30 : Francis précise que ce mode (la démocratie) a en réalité été observé ailleurs qu'à Athènes. Il évoque le peuple Wandat (peuple autochtone du Québec) qui fonctionnait de manière démocratique.
12:15 : Il cite le jésuite Jean de Brébeuf (ndlr : le Québec a été colonisé par les français les plus croyants de France à partir de 1604) à propos des autochtones : "Il n'y en a quasi-point qui ne soit capable d'entretien et qui raisonne fort bien et en bons termes sur les choses dont il a connaissance." Pourquoi les autochtones ont cette capacité de bien débattre, de bien s'exprimer ? Le père Brébeuf répond "Ce qui les forme encore dans le discours, ce sont les conseils qu'ils tiennent quasi tout les jours, en toutes occurrences, quoique les anciens y tiennent le haut bout, néanmoins s'y trouve qui veut et chacun peut donner son avis."
16:00 : Il expose les différences entre le fonctionnement militaire des wandats et notre fonctionnement actuel qui n'ont strictement rien à voir.
17:45 : Il évoque le moyen-âge occidental et ses communautés d'habitants. Ces endroits avaient un statut juridique. Environ 12 fois par an, les habitants se réunissaient car les seigneurs et les rois ne géraient pas la santé, l'école et le commun (terres communales). Ces assemblées discutaient des affaires publiques communales (rénovation du puits, du pont, de l’Église, recrutement de berger, de gardien, de sage-femme, de professeur...)
22:15 : Il existait des guildes par métiers. C'était donc les corps de métiers qui s'auto-géraient (mutuelle santé, assurance, fêtes religieuses...). Ces guildes fonctionnaient aussi en assemblée, il est donc possible de les qualifier de démocratiques.
24:10 : En Afrique, il y avait l'arbre à palabres. Au Nigeria, chez les Igbo, des centaines de milliers de femmes ont envahis et saccagé en 1929 les centres administratifs des colons. Une cinquantaine de femmes sont mortes suite à la réplique des militaires. La division du travail des terres existe car les femmes cultivent des semences destinée à l'alimentation locale alors que les hommes s'occupent des terres dont la production est destinée à l'exportation. Il évoque les assemblées non-mixte de femmes (mikiri) qui pouvaient durer 2 à 3 jours et qui regroupaient toutes les femmes des villages aux alentours. Elles prenaient des décisions sur tous les sujets qui les concernaient. Ces assemblées de femmes furent ensuite interdites par les colons britanniques et ils nommèrent des fonctions politiques uniquement pour les hommes afin de créer un patriarcat.
33:10 : Après avoir parlé de ces plusieurs exemples, il conclus sur le fait que la démocratie a été bien plus pratiquée qu'on ne le croit.
34:50 : Il considère que nous ne sommes pas en démocratie car les citoyens ne peuvent pas s'occuper des affaires communes.
36:40 : Il cite John Adams (vice-président du premier président des USA puis second président des USA) "J'ai toujours été pour une République libre mais non pour une démocratie. Parce qu'une démocratie c'est un gouvernement arbitraire, tyrannique, sanglant, cruel et intolérable."
38:30 : En occident, à la sortie du moyen-âge, il y a une lutte pour retravailler les rapports de force (pouvoir monarchique, pouvoir parlementaire...)
46:45 : Les monarchistes vont accuser les parlementaires d'être des démocrates (à savoir être des défenseurs des intérêts des pauvres, tyrannique, cruel, etc). La couronne et les parlementaires sont pourtant d'accord pour freiner la démocratie lors des guerres civiles.
47:40 : Les parlementaires doivent rechercher un principe de légitimité contre le roi. Hors, cette légitimité, c'est la représentation populaire. Cependant, ils ne sont pas dans l'idée de démocratie car la démocratie est pour eux, un problème.
49:30 : Les parlementaires sont généralement issu de la classe supérieure et sont souvent des juristes (comme actuellement). Ces parlementaires ont eu une éducation greco-romaine et lorsqu'ils s'opposent à la démocratie, c'est parce qu'ils s'opposent au régime Athéniens. Leur modèle est plutôt Sparte ou Rome. Ils souhaitent former une République mais surtout pas une démocratie. Il y a une autre raison pour lesquels les parlementaires ne veulent pas une démocratie, c'est parce que dans ce régime, ils ne serviraient plus à rien.
52:25 : En France, comme au Canada, les parlementaires veulent le pouvoir politique du roi, non pas pour le peuple mais pour le conserver. Il cite un passage du journal révolutionnaire français La Bouche de fer : "A l'aristocratie héréditaire, ne vous apercevez-vous pas que vous y avez substitué l'aristocratie élective ?"
53:30 : L'aristocratie élective est une notion qu'on retrouve chez Spinoza, chez Montesquieu ou chez Rousseau. Ils estiment que la logique de l'élection est en réalité une aristocratie (élective).
54:00 : L’aristocratie héréditaire est la plus connue mais lorsqu'il y a élection, on parle d'une aristocratie élective. Ces philosophe disent que l'élection est un principe qui est antinomique de la démocratie, c'est un principe aristocratique. A travers l'élection, les meilleurs seront sélectionnés pour gouverner.
56:00 : L'Assemblée Nationale met en place un comité qui se nomme AMAR qui pose deux questions : "Les femmes peuvent-elles exercer des droits politiques et prendre une part active au gouvernement ?" et "Les femmes peuvent être délibérer et se réunir en association politique et populaire ?" Les hommes français ont répondu par la négative.
58:15 : En 1794, un décret est paru pour empêcher le rassemblement de 5 femmes ou plus dans l'espace public. Autre cas, la loi Le Chapelier qui a interdit les guildes. Les corps de métiers ne peuvent plus se réunir, délibérer et s'occuper des affaires publiques. C'est donc une question de rapport de force : qui va pouvoir discuter ? qui va pouvoir prendre des décisions ?
1:00:45 : Au début du XIXème siècle, le mot démocratie commence à se transformer aux USA et en France. C'est en 1828 que la transformation va s'effectuer avec Andrew Jackson. Les différents candidats à l'élection se présentent en 1824 comme étant des républicains et Andrew Jackson est battu. En 1828, il prend comme concept marketing le fait d'être un démocrate, afin de dire qu'il veut défendre les petits travailleurs, les ouvriers des villes ouvrières qui commencent à émerger ainsi que des petits fermiers du mid-west. Il dit "Vous êtes le peuple contre l'aristocratie financière, le milieu des affaires, l'aristocratie politique". Andrew Jackson se présente comme démocrate, comme défenseur du peuple et il gagne. Pourtant, le système politique n'a absolument pas changé ! Il n'y a aucune modification fonctionnelle, aucun changement concernant le processus de décisions, aucune modification organisationnelle, aucune modification du type de suffrage, rien. Juste un candidat qui, dans une approche populiste, s'est réclamé du peuple et de la démocratie.
1:04:20 : C'est ce qu'on appellerait aujourd'hui du marketing politique, un nouveau branding. Dans les années 30, cela va s'accélérer très rapidement car les autres candidats se rendent compte que ce mot vaut de l'or car il rapporte des voix.
1:05:15 : Dans un journal pro-Jackson, qui constate que les adversaires commencent à se définir comme démocrate écrit : "Nous protestons contre le fait qu'ils nous volent notre nom, prenez n'importe quel autre nom mais le mot démocrate est à nous". William Henry Harrison (1840) disait : "La chose la plus extraordinaire de cette compétition et que nous nous battons tous sous la même bannière, tous sous l'appelation de démocrate, la question est de savoir qui a le droit de se définir comme démocrate ?"
1:06:20 : Le processus général en France est à peu près similaire. Dans les années 20 du XIXème siècle, les républicains n'ont pas le droit de se qualifier comme cela donc ils cherchent un autre mot...
1:08:00 : En 1837, aux Etats-Unis, on peut y lire que la démocratie est la cause de l'humanité, la cause de la philantropie, la cause de la chrétienneté, la moralité, le code morale de toute philosophie, la perfection et la raison de Dieu. En deux générations, il n'y a eu aucun changement de structure mais le mot démocratie n'était plus du tout synonyme de tyrannie et du système originel...
1:09:20 : A travers l'histoire du mot, on voit qu'il y a une lutte politique, des logiques de contrôle du pouvoir, de la rhétorique, de la manipulation de l'opinion publique.
1:11:20 : Au Canada, il y a un décalage dans le temps par rapport aux autres régimes. En 1867, c'est la fondation du Canada moderne. Les pères fondateurs du Canada sont anti-démocrates et ne veulent pas de démocratie. A cette époque, quand on s'oppose à la démocratie, on ne s'oppose plus à Athènes mais au système politique américain, à savoir une République à l'américaine. John F. McDonald dit "Nous devons avoir un gouvernement fort et solide, sous lequel nous pouvons créer une liberté constitutionnelle opposée à la démocratie."
1:14:00 : Dans le cas du Canada, Robert Laird Borden, le 8ème Premier ministre du Canada, dans le contexte de la première guerre mondiale, soumis en matière de politique militaire à Londres, essaye de convaincre le peuple que c'est une bonne guerre, qu'il faut que le peuple canadien se mobilise. Borden dit que dans cette guerre, le Canada est du côté de la démocratie, qu'il doit se battre contre les barbares allemands. Au nom de la démocratie, les canadiens doivent se battre et ce premier ministre dit : "Dans cette guerre, le Canada marche à la tête des deux démocraties des amériques". Ce discours de la démocratie sera utilisée comme stratégie de judo par les femmes pour obtenir le droit de vote (Alice Paul).
1:17:52 : C'est donc au début de la première guerre mondiale que la démocratie s'instaure au Canada bien qu'il n'y ait aucune modification du système politique. Le seul changement est le fait qu'il y a plus de monde dans les tranchées. Puis pendant la guerre froide, l'idée d'être en démocratie va se populariser. L'union soviétique se revendiquent de la démocratie. En 1949, dans le journal La Presse, une série d'article est publiée indique que le Canada est une démocratie. Le gouverneur général du Canada, le vicomte Alexander, le représentant de la Reine dit "Le Canada est une grande démocratie, c'est une des plus grandes démocratie du monde aujourd'hui". N'est-ce pas un paradoxe de la part d'un gouverneur ?
1:20:26 : Dans le mois colonial (forum sur les colonies), il est indiqué "Autre grand pas vers l'idéal démocratique : Il est difficile de rendre l'idéal démocratique accessible aux peuples qui ne l'ont jamais connus (les peuples colonisés), y réussir par des méthodes démocratiques est aussi difficile que de faire tenir deux os l'un sur l'autre".
1:22:00 : Francis Dupuis-Déri en conclut que nous ne sommes pas en démocratie et que si l'on nomme notre système politique une démocratie, nous nous faisons avoir par les aristocrates, nous tombons dans le piège des aristocrates qui, pour se faire élire, se sont donné comme nom ou comme bannière le mot "démocratie" et ceci a complétement perverti le mot "démocratie".
Applaudissement de la salle.
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