La justice mexicaine oblige l'armée à réincorporer des soldats séropositifs
 
 
Le ministère mexicain de la défense a accepté, mardi 6 mars, de réincorporer dans l'armée quatre soldats séropositifs qui avaient été envoyés en retraite anticipée à cause de leur infection, et avaient perdu de ce fait tout droit à être soignés aux frais de l'institution. Cette décision est la conséquence d'un vote de la Cour suprême, le 27 février, qui marque un changement d'attitude dans une société imprégnée de préjugés. La Cour a jugé "discriminatoire", donc contraire à la Constitution, une loi adoptée à l'unanimité par le Congrès en 2003, qui ajoutait le virus du sida à la liste des maladies incompatibles avec la fonction militaire.
 
 
 
Salué par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme, ce verdict réhabilite quatre soldats séropositifs, dans l'attente que la Cour examine six autres cas. Les arguments échangés par les juristes de la Cour, dont les débats sont retransmis à la télévision et sur Internet, ont révélé une étonnante ignorance : l'un des juges, réputé progressiste, redoutait que des soldats puissent être contaminés par des piqûres de moustiques et autres insectes lorsqu'ils sont envoyés en mission dans des zones rurales.
 
Il leur a fallu entendre des experts pour se convaincre que des soldats séropositifs ne mettaient pas forcément en danger toute la "communauté militaire", et qu'il existe des médicaments qui leur permettent de mener une vie normale. L'ancien président - et toujours membre - de la Cour suprême, le conservateur Mariano Azuela, a avoué qu'il avait subi une "dépression terrible", ses détracteurs le faisant passer pour un "ennemi de la science".
 
Plus qu'un déficit d'information, cette affaire met surtout en lumière l'"homophobie" qui règne encore au Mexique, souligne la féministe Marta Lamas dans l'hebdomadaire Proceso. Certains magistrats avaient des difficultés à "distinguer le thème de la contagion physique par la maladie de celui de la contagion symbolique par l'homosexualité". Au lieu de s'offusquer que les militaires aient entre eux des contacts homosexuels, l'armée ferait mieux de l'accepter et de prendre les mesures de prévention médicale qui s'imposent, dit-elle.
 
L'intolérance envers l'homosexualité contraste avec l'impunité dont bénéficient parfois des militaires soupçonnés d'agression contre des femmes, surtout quand les victimes sont des prostituées ou membres de communautés indigènes. La mort, fin février, d'une paysanne de 72 ans, brutalisée et sodomisée par plusieurs soldats, a suscité une vague d'indignation.
 
Le Mexique, qui accueillera en 2008 la Conférence mondiale sur le sida, compte près de 108 000 malades (dont un nombre croissant de femmes au foyer infectées par leur conjoint). Le ministre de la santé, José Angel Cordova, considéré comme proche de la droite catholique, a souligné, en février, que l'usage du préservatif était "l'une des stratégies prioritaires qui a fait ses preuves" contre la pandémie.  
 
Joëlle Stolz