La sextape qui affole le Sénat
Un élu en position délicate, un toubib licencié, une maître chanteuse : ça chauffe, au Palais du Luxembourg!
L'AFFAIRE est tenue secrète depuis trois mois : Gérard Larcher, le président du Sénat, deuxième personnage de l'Etat, la sait délicate et n'en souffle mot, ne souhaitant pas qu'elle s'ébruite. Au cœur du dossier, une vidéo, que « Le Canard » a authentifiée. On y voit un sénateur ayant occupé de hautes fonctions filmé dans son bureau, le pantalon sur les chaussettes. Une femme qu'on entraperçoit dans un miroir immortalise la scène avec son téléphone portable tout en se réjouissant à haute voix d'une intimité partagée. Cette séquence privée entre adultes consentants ne regarderait personne si cette sextape n'était pas devenue un moyen de pression assez puissant pour déstabiliser la chambre haute. Une affaire de cornecul dont le Palais du Luxembourg fait des gorges chaudes.
Tout commence le 13 octobre 2023, lorsque le médecin du Sénat adresse à la directrice des ressources humaines de la chambre haute un courriel pour se plaindre du comportement de l'une de ses deux assistantes médicales. Trois jours plus tard, le voilà convoqué par la DRH. Le toubib raconte le cauchemar que lui ferait subir depuis deux ans sa subordonnée, qui se prétend «< intouchable » parce que « protégée », dit-elle, par un parlementaire très influent. L'assistante médicale se vante de pouvoir faire << virer n'importe qui >> grâce à une vidéo qu'elle a tournée. Le 17 octobre, la secrétaire générale de la questure - la plus haute fonctionnaire de la maison -, flanquée de la DRH et du directeur général de l'administration, s'entretient à son tour avec le médecin. A leur demande, le doc décrit par le menu le contenu de la fameuse vidéo que son assistante lui a adressée pour prouver qu'elle ne bluffait pas. Quelques jours plus tard, la secrétaire générale exige que le toubib lui remette une copie du film afin de la transmettre au président. Gérard Larcher est en sueur !
A son corps défendant
Un coup de théâtre survient alors. Les questeurs du Sénat, qui tiennent les cordons de la bourse, engagent contre le médecin une procédure de licenciement << sans préavis ni indemnité ». En poste depuis cinq ans, le toubib a pourtant toujours donné satisfaction. Dans une lettre datée du 24 janvier, dont le Palmipède a copie, les grands argentiers lui reprochent tout à coup d'avoir réalisé des prestations extérieures rémunérées au profit de la SNCF, de détenir des parts dans une société civile immobilière familiale, ou encore de s'être absenté sans prévenir une demi-journée durant. Ils se gardent bien, en revanche, de l'accuser d'être un témoin gênant, et leur missive de 10 pages ne mentionne jamais la vidéo explosive...
L'acte d'accusation ne dit rien non plus d'un autre scandale sexuel qui, quelques semaines plus tôt, a secoué le Sénat et auquel, à son corps défendant, le médecin a été mêlé. Le 17 novembre, le sénateur Joël Guerriau, membre de la très sensible commission de la Défense, est arrêté par la police. Il est soupçonné d'avoir tenté de droguer à son domicile une députée MoDem pour abuser d'elle. Après sa mise en examen, l'élu de Loire-Atlantique est allé consulter le médecin du Sénat, qui lui a prescrit un arrêt de travail. Une décision qui a mis Gérard Larcher hors de lui. << Lorsqu'il l'a découvert, Larcher a piqué une grosse colère, témoigne l'un de ses amis au Palais. Avant même les conclusions de l'enquête judiciaire, il voulait contraindre Guerriau de démissionner de ses postes de secrétaire du Sénat et de vice-président de la commission de la Défense. Mais, comme il est absent pour raison [de santé], c'est impossible ! » Le 7 décembre, le président du Sénat, qui n'a pas digéré le certificat médical, saisit l'Ordre des médecins. Le lendemain de Noël, il obtient une réponse... mais pas celle qu'il espérait. « Soumis au secret professionnel, le docteur a justifié l'entièreté de ses décisions thérapeutiques »>, écrit le conseil départemental de l'Ordre. Stupéfiant, non ?
Contactée par « Le Canard », la présidence du Sénat fait aujourd'hui la sourde oreille. Quant au médecin, il refuse de s'exprimer - de même que son avocat. Les autorités du Palais s'attendent à un recours de sa part devant le tribunal administratif. Le toubib l'a d'autant plus mauvaise que sa collaboratrice lui avait été imposée par le sénateur vedette de la vidéo compromettante. Lors d'un déjeuner en tête à tête, en avril 2021, à « la Baignoire », une enclave privée du resto du Sénat, l'élu s'était ému de la faible rémunération de sa protégée, assurant qu'il allait le faire savoir à son ami le président Larcher. Message reçu : l'assistante médicale avait vite été augmentée de 45 %. Personne, alors, n'avait pipé mot. |