Frédéric Jaunin et Niklaus Johner 3B Neutralité Suisse
Généralités : Il sagit dabord de distinguer différents aspects de la neutralité :
La neutralité occasionnelle :
Consiste, pour un état, à renoncer volontairement à sengager aux côtés dun belligérant lors dun conflit. Cest ce qua, par exemple, fait la Suède lors des deux guerres mondiales.
La neutralité permanente :
Résulte dun traité qui engage létat signataire à ne pas intervenir lors dun conflit international.
La Suisse quant à elle a un statut de neutralité permanente dès le congrès de Vienne de 1815. Nous allons donc nous préoccuper des devoirs et des droits dun état ayant le statut de neutralité permanente. Un état neutre a des obligations internationales résumées dans une convention internationale. Son premier devoir est de ne pas prendre parti dans les conflits internationaux ni de prendre les armes excepté pour sa défense. Il ne peut donc pas faire partie dune alliance militaire offensive ou dune quelconque union qui pourrait lamener à simpliquer dans un conflit. Il doit avoir une armée suffisamment bien préparée pour défendre son indépendance et sa neutralité. Il doit sefforcer de faire respecter linviolabilité de son territoire et de son espace aérien. Il doit empêcher que des opérations militaires aient lieu sur son territoire et que ce dernier ne soit traversé par des troupes étrangères ou quun belligérant étranger ny ouvre des bureaux de recrutement.
Létat neutre a le devoir, même en temps de paix, de ne pas être économiquement trop dépendant dun seul pays étranger. Il évite de participer à un blocus économique. En temps de guerre il ne peut pas soutenir financièrement les belligérants mais pourra leur apporter un soutien matériel équitable envers les différentes parties. En Suisse, afin de navantager personne, le volume du commerce serait fixé par des quotas. Lors dun conflit les organes officiels dun pays neutre doivent sabstenir dexprimer leur penchant pour lun ou lautre des partis. La presse, quant à elle, ne subit pas de restrictions, même si pendant la guerre de 14-18 elle fut invitée à la réserve...
Les pays ayant reconnu la neutralité dun autre état se doivent de la respecter. Cest à dire de ne pas utiliser son territoire comme champ de bataille, comme voie de passage ou de lui faire subir un blocus économique. Ils doivent également intervenir pour protéger cette neutralité, que ce soit militairement ou pas. Un autre avantage pour un état neutre est quil peut continuer de commercer avec des états en guerre.
Historique :
Dès Marignan, en 1515, la Confédération nétait plus intervenue dans les guerres européennes, les cantons laissant toutefois dimportants contingents de mercenaires être recrutés. Déjà durant la Guerre de Trente Ans (1618-1648) la Diète avait adopté une attitude de neutralité et avait, avec un succès relatif, interdit le passage des troupes étrangères sur son territoire. En 1647 larmée fédérale est levée pour faire respecter la neutralité. Jusquen 1798 les cantons sen tinrent à leur politique de neutralité. Puis sous lHelvétique et sous la Médiation la Suisse était vassale de la France et plus libre de choisir. Sa neutralité était reconnue mais pas appliquée. En 1813, insuffisamment armée elle navait pas pu empêcher le passage des Alliés et elle adhéra à lalliance dirigée contre Napoléon. En échange les puissances avaient promis de reconnaître la neutralité perpétuelle de la Confédération. Cest ce quelles firent au Congrès de Vienne en 1815. Ce même acte régit encore et garantit la neutralité suisse.
Les pourquoi de la neutralité : Après la défaite de Marignan, en 1515, lélan de conquête de la Confédération est brisé. La Suisse prend conscience quelle nest pas une grande puissance et quelle ne peut pas rivaliser. Alors les Suisses concluent toute une série dalliances et de pactes avec les pays dEurope. Puisque ceux-ci sont constamment en guerre les uns contre les autres, ces alliances sannulent. Il est impossible à la Suisse de soutenir chacun de ses alliés. Les divisions religieuses, linguistiques et culturelles ne permettent pas à la Suisse de mener une politique étrangère commune. Toute alliance de lun des blocs suisses avec létranger entraînerait une réaction des autres et pourrait provoquer une guerre civile. De peur de léclatement des " trois Suisses " le gouvernement doit sefforcer de maintenir la cohésion nationale. Une politique étrangère neutre paraît être une bonne solution, puisque elle permet le maintien des différentes alliances sans que la Suisse ait à prendre parti dans les conflits européens. La Suisse mène ainsi une politique de prudence...
Une neutralité non respectée par les pays voisins est inutile. Voyons donc les raisons qui ont poussé les autres pays à la respecter. Il y a tout dabord le respect du pacte de 1815 qui garantit la neutralité perpétuelle " dans les vrais intérêts de la politique de lEurope entière ". En effet, de par sa position géographique et sa taille, la Suisse se prête particulièrement bien à un statut neutre. Etant placée entre les grandes puissances européennes, elle facilite les négociations en cas de conflit. Il y a donc un intérêt diplomatique certain dans le respect de cette neutralité. De plus la Suisse a de tout temps fourni un grand nombre de mercenaires aux belligérants, ce quelle neût point pu faire si elle avait dû entrer en guerre. Le manque-à-gagner pour les armées étrangères eût été important. Notons que durant la première guerre mondiale 12000 Suisses se sont engagés dans les armées étrangères.
La forte industrialisation de la Suisse lui permet de fournir une aide matérielle aux pays en guerre, une aide considérable quils ne veulent pas perdre.
La position géographique de la Suisse favorise également laide humanitaire quelle peut apporter. Sa neutralité lui permet, pendant la guerre franco-allemande(1870-71), lévacuation des civils assiégés dans Strasbourg. Elle soutient laction humanitaire de la Croix-Rouge et donne lasile à des troupes battues qui se réfugient chez elle, après avoir été désarmées.
Pour toutes ces raisons ainsi que pour le coût élevé et la difficulté de la conquête du hérisson helvétique, le respect de la neutralité suisse est un avantage pour tous et donne une importance certaine à la petite Suisse.
Restrictions :
Dans la nouvelle conception de la guerre totale, la neutralité économique nest quune illusion. Les opérations militaires sont indissociables du commerce et de léconomie. Pour assurer son approvisionnement la Suisse doit renoncer à sa souveraineté économique, se soumettre aux conditions des belligérants qui contrôlent son commerce et utilisent son industrie pour leurs besoins civils et militaires. Les belligérants disposent ainsi de moyens de pression considérables.
La neutralité dopinion paraît également très difficile à appliquer. En effet il est facile de ne pas intervenir dans un conflit, mais peut-on ne pas se forger une opinion ?
La Suisse, tenant à rester fidèle à sa politique de neutralité, éprouve des difficultés à faire partie dorganisations telles lONU ou la CEE, même alors quelles visent des fins humanitaires. On peut par exemple mentionner le cas de la Suisse qui avait tenu à faire partie de la SDN en 1920 et à qui on avait dû accordé un statut spécial de neutralité différentielle. Ainsi elle participait entièrement aux sanctions financières et économiques, mais aucunement aux interventions militaires. Cela lui permettait de garder de sa neutralité, tout en étant active dans la politique internationale.
Analyse dun document
Cette caricature date de la première guerre mondiale. On y voit un homme, qui marche sur un fil, symbolisant la neutralité suisse, tenant un balancier sur lequel sont perchés le coq français et laigle allemand. Sous léquilibriste, les deux armées respectivement sous leur emblème. Les deux armées sont représentées par des figurines en plomb, peut-être pour montrer leur immobilisme ou leur inhumanité, contrairement à la Suisse qui doit continuer davancer pour atteindre la stabilité. On note que léquilibriste porte lhabit militaire traditionnel des confédérés daprès une gravure représentant la bataille de Marignan (marquant le début de la politique de neutralité). Cest une neutralité traditionnelle, qui se trouve sur le fil depuis ses débuts. On peut également voir que laigle est en dessous du coq, il a plus de poids, mais le coq est plus fier et plus haut(ain), il semble le dominer.
Le commentaire " il sagit darriver au bout ! " nous montre que cest une caricature romande, pouvant expliquer la domination du coq.
En effet, pendant la guerre, la Suisse se trouvait entre les deux armées, subissant des pressions de part et dautre, menacée dans sa neutralité. Son économie nétait pas suffisamment indépendante et préparée pour assurer lapprovisionnement de la population en denrées alimentaires et celui des industries en matières premières. Basée sur limportation, léconomie suisse ne pouvait guère pratiquer la neutralité. Larmée, elle aussi, menaçait la neutralité du pays, car déjà en 1915 le général Wille, chef de larmée suisse, suggérait lentrée en guerre aux côtés de lAllemagne. Reprise par quelques autres officiers, cette opinion creusait un fossé entre la Suisse romande, proche de la France et la Suisse alémanique, plus attachée à lAllemagne. Les intellectuels et le gouvernement sefforçaient de maintenir la cohésion de la Suisse, par la sauvegarde de la neutralité. Il faut que la Suisse se révolte contre les crimes de guerre, les injustices et la violation de sa neutralité, sans pour autant simpliquer dans la guerre, elle doit jouer un rôle pacifiste, humanitaire. Vu sa très forte industrialisation la Suisse a aussi profité de la guerre. Elle a soutenu les belligérants en leur fournissant matériaux, habits, armes et munitions. Ceci est-il compatible avec sa neutralité ? En quelque sorte puisquil sagit dun commerce de privés et non de lEtat même si certains réprouvent ce trafic car il prolonge la guerre. Les industriels disent quils navaient pas le choix, la reconversion de leur production était impérative, la guerre menaçait de réduire à néant les exportations et de provoquer un grave chômage. Cela nous ramène à la difficulté du maintien de la neutralité due à la dépendance de léconomie et à linsuffisance de larmée.
Bibliographie
- Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, tome 10, librairie Larousse, 1984
- Histoire générale de 1789 à nos jours, G.-A. Chevallaz, Payot Lausanne, 1974
- Histoire de la Suisse, J.P. Dorand, D. Stevan, J.C. Vial, F. Walter, Fragnère, Fribourg, 1987
- Histoire de la Suisse, H. Grandjean, H. Jeanrenaud, Payot, Lausanne, 1969
- Le grand défi de la neutralité, G.-A. Chevallaz, éditions de laire, Vevey, 1995
- Ces Messieurs de Berne, C. Mossé, Stock, Paris, 1997
- Un monde bascule ; la Suisse de 1910 à 1919, éditions Eiselé, Prilly, Lausanne, 1991
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mis sur Internet: 7.5.1999
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