....Le stockage en formation géologique profonde apparaît comme une solution adaptée à des déchets qui, pour certains d'entre eux, demeurent radioactifs pendant des millions d'années. Le rapport précité de MM. Christian Bataille et Robert Galley sur l'aval du cycle nucléaire estime que, à condition de multiplier les barrières s'opposant à une migration éventuelle des radioéléments et d'inclure ceux-ci dans des matrices de verre adéquates, l'immobilisation des déchets radioactifs sur la durée requise est garantie, sauf intervention humaine accidentelle ou séisme.
Cette appréciation s'appuie sur des modélisations mathématiques à partir d'observations expérimentales, mais aussi sur l'étude du gisement d'uranium d'Oklo, au Gabon, dans lequel les restes de quinze "réacteurs naturels" ont été découverts en 1977. Ces réactions atomiques enclenchées grâce à une concentration naturellement suffisante du minerai se sont poursuivies pendant cinq cents ans, il y a deux milliards d'années, avant de s'éteindre. Les produits de fission radioactifs sont restés piégés quasiment sur place.
Scientifiquement crédibles, les solutions de stockage en formation géologique profonde tardent à être politiquement mises en oeuvre.
L'une des raisons pouvant expliquer ce retard est le débat relatif à la réversibilité. Il s'agit là d'une question éthique, qui engage la responsabilité des décideurs actuels à l'égard des générations futures. Une forme irréversible de stockage des déchets nucléaires présente l'avantage de décharger les générations futures de toute obligation de gestion et de surveillance. Mais elle peut les exposer à un risque en cas d'accident géologique.
Une forme réversible de stockage impose un suivi permanent des déchets de génération en génération. Mais la reprise des combustibles usés pourrait être justifiée dans deux hypothèses. La première serait une perte de confinement dangereuse pour l'environnement. La seconde serait un progrès suffisant des recherches sur la transmutation des radioéléments (19) pour permettre une diminution notable de leur radiotoxicité.
La réversibilité a un coût important, car elle oblige à renforcer les conditions de sûreté et suppose une durabilité inhabituelle pour tout un ensemble de technologies et d'équipements. Cette notion séduisante semble toutefois avoir la faveur de tous les pays européens concernés, dans la mesure où elle permet de préserver les voies qui pourraient être ouvertes par les progrès scientifiques futurs.
Actuellement, aucun des États membres de l'Union européenne n'a dépassé le stade des études et enquêtes préalables pour le stockage définitif des déchets nucléaires hautement radioactifs.
La Belgique mène des études dans un laboratoire souterrain implanté dans une couche argileuse, à plus de 200 mètres de profondeur sous le site nucléaire de Mol.
En France, la construction d'un laboratoire souterrain en site argileux a été autorisé dans la Meuse, et des prospections sont en cours dans l'ouest du pays pour l'implantation d'un second laboratoire en site granitique. Le choix de sites définitifs de stockage a été repoussé à 2006.
En Allemagne, des travaux expérimentaux sont conduits dans le laboratoire souterrain de la mine de sel de Morsleben. S'agissant des sites de stockage profond, la mine de sel de Gorleben est prospectée, pour les déchets dégageant de la chaleur, et l'ancienne mine de fer de Konrad fait l'objet d'une procédure d'autorisation, pour les autres déchets.
La Suède conduit des expériences en site granitique dans le laboratoire souterrain d'Äspö, mais le dépôt d'une demande d'autorisation pour un centre de stockage ne devrait pas intervenir avant 2003.
Au Royaume-Uni, si l'industrie nucléaire a pu procéder à des forages de puits afin de tester le site de Sellafield, la construction d'un laboratoire souterrain lui a été refusée pour l'instant. La commission de la Science et de la technologie de la Chambre des Lords s'est prononcée en faveur de la création d'un centre de stockage profond, mais le gouvernement a répondu qu'il ne prendrait aucune décision avant d'avoir procédé à de larges consultations.
La Finlande est l'Etat membre le plus avancé dans la voie d'une solution définitive, puisqu'elle vient de désigner le site retenu pour l'enfouissement de ses déchets nucléaires, à plusieurs centaines de mètres sous le socle granitique scandinave. Mais la construction du dépôt souterrain ne devrait démarrer qu'en 2010.
Certes, la lenteur des décisions peut s'expliquer par la complexité des études scientifiques préalables, et par la nécessité de convaincre les populations localement concernées.
(...) cette lenteur trahit surtout la répugnance des gouvernements européens à trancher dans un domaine aussi sensible pour leurs opinions publiques.
Cette attitude de temporisation est encouragée par le fait qu'il n'y a pas d'urgence technique, puisque les déchets radioactifs doivent d'abord refroidir en étant provisoirement entreposés en surface une cinquantaine d'années.
Mais elle compromet de manière grave la crédibilité de toute la filière électronucléaire. En effet, tant qu'un centre d'enfouissement des déchets radioactifs en formation géologique profonde ne fonctionnera pas dans chacun des Etats membres concernés, un doute subsistera dans l'esprit des citoyens européens sur la pérennité du cycle nucléaire."
source: Sénat français - Délégation pour l'Union européenne. L'énergie nucléaire en Europe: union ou confusion Rapport d'information (no 320) sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l'énergie nucléaire en Europe. Session ordinaire de 1999-2000. Annexe au procès-verbal de la séance du 2 mai 2000. Rapporteur: Aymeri de Montesquiou