Bonjour Elfik.
Parler de son bégaiement est très important. On ma déjà dit que pendant les stages auxquels je participais je ne parlais pas beaucoup. Pour ma part j’ai passé un cap en écrivant mon livre et je laisse parler les autres parce que je sais que raconter leur histoire est très important pour eux.
De même pour aider les nouveaux. Je cède très souvent la place aux autres anciens ou anciennes pour donner des conseils à ceux qui apprennent la méthode. Ca les aides eu même à parfaire ce qu’ils ont acquis.
Je vais mettre ici 2 passages de mon bouquin qui feront peut-être comprendre à certaines personnes que des fois le bégaiement n’est pas facile a vivre.
Apparemment, avant le déraillement de la parole, c’était un bon élève. 4e sur 31. Il pensait que ce n’était pas mal et était assez fier de lui, même s’il regrettait parfois qu’aucun compliment ne vienne de la part de ses parents. Après, 32e sur 32, la chute a été vertigineuse. Quelquefois, un camarade de classe prenait sa place. De ce fait il passait 31 e. Malheureusement pour lui, jamais pour très longtemps ! Il maudissait celui qui avait inventé l’école, encore plus celui qui l’avait rendue obligatoire, parce que sa scolarité a été psychologiquement très difficile à supporter.
L’incertitude de ne pas savoir si les mots allaient sortir correctement ou non, interdisait à François de lever le doigt toutes les fois que la maîtresse interrogeait la classe. Tous ses membres tremblaient au moment où elle l’appelait au tableau et il maudissait Crésus de l’avoir créé.
― Varasse, au tableau. Récite-moi la récitation.
― Oh ! Excusez-moi. Je ne l’ai pas encore présenté. Il s’appelle François Varasse et comme vous l’avez lu, il a trois frères, une sœur, un papa, une maman et pendant ses moments de déprime, son chien Youqui sera son confident.
Le petit enfant, en se levant, n’osait pas regarder derrière lui. Par expérience, il savait d’avance la réaction des autres élèves derrière son dos. Ne pouvant faire autrement, tout tremblant, il se dirigeait vers l’estrade, montait la marche pour accéder au tableau, puis, n’ayant pas le choix, devait se retourner. Dans l’instant qui suivait, une angoisse, doublée d’une envie de fuir, ou de pleurer, le prenait à la gorge.
Tous les élèves le fixaient un sourire aux lèvres, prêts à applaudir. Même les pestiférés, qui se foutaient royalement des cours et qui passaient leur temps à regarder les mouches voler, ou à faire des concours de pets malodorants au fond de la classe, le regardaient accoudés à leur table, les mains sous le menton. Des fois, il connaissait par cœur sa récitation. Néanmoins, pour éviter les rires et moqueries, il préférait dire qu’il ne l’avait pas apprise ; il évitait la honte !
― 0. Va t’asseoir. A la prochaine interrogation tu as intérêt à bien la connaître, sinon je t’envoie directement chez le directeur avec un bonnet d’âne. Tu lui expliqueras pourquoi tu vas le voir avec ce bonnet sur la tête !
― Oui Madame.
En redescendant la marche, il lisait de la déception sur tous les visages.
Cette scène se répétera des dizaines de fois, jusqu’au jour où il voulut faire voir à la maîtresse que le fainéant était capable d’apprendre une récitation sur le bout des ongles.
La récitation était belle, il l’aimait beaucoup. (Le lièvre et la tortue.) En sachant très bien que ses camarades allaient prendre un malin plaisir à le rabaisser plus bas que terre, François osa lever le doigt au moment de l’interrogation. Une des rares fois où il fit cela, si ce n’est la seule.La maîtresse, étonnée, l’appela au tableau et François, face à ses camarades de classe, commença.
― Llle...le li..li...lièvr, lle..lièvr, le..llièvre et. et.et l..la, le lièvre et.et.et l..la torrrtu, llaa torrtue. Dit-il, crachant comme un crapaud.
Il transpirait de la tête au pied, tellement son effort pour parler était grand. Son maillot de corps, qui était sec comme un coup de trique quelques instants auparavant, pouvait sans problème passer à l’essoreuse. Si dans la classe quelqu’un avait soif, il pouvait venir boire un coup à l’œil, aujourd’hui c’était gratis !
Quelquefois, il réussit malgré tout à dire un ou deux mots sans bégayer. Peine perdue, parce qu’aussitôt après la mitraillette reprenait de plus belle. La classe, comme d’habitude, cachée dans les fourrés à l’affût de la moindre erreur, éclata de rire. Ils y en a même, se croyant chez Guignol, qui applaudissaient pour encourager la marionnette à continuer. Il ne saura jamais si la maîtresse a eu pitié de lui, ou en a eu marre de l’écouter.
― 6 sur 10. C’est bien, va t’asseoir. Lui dit-elle après plusieurs phrases laborieuses.
Il croit plutôt qu’elle avait hâte que le chahut s’arrête et comme à chaque fois, un « oh ! » général de mécontentement se faisait entendre.
― Eh oui les mecs, la récréation, comme le spectacle, sont terminés. Malheureusement pour vous, il va falloir reprendre les cours.
Je ne serai jamais la tortue.
A aucun moment je ne rattraperai la parole !
La vie suivait tranquillement son cours, jusqu’au jour où, en cherchant désespérément un filtre pour la robinetterie de la salle de bain dans un magasin de bricolage, Cécile et moi avons du nous adresser à un vendeur. Comme d’habitude, je pensais que ma moitié allait prendre l’initiative de la demande et arrivé devant le vendeur, le plus naturellement du monde, j’attendis qu’elle le questionne.
― Explique-lui ce que l’on veut, moi je n’y connais rien. Me demanda Cécile, m’invitant ainsi à prendre la parole le premier.
N’étant pas habitué à ce genre de situation, je me sentis pris au dépourvu, ce qui me déstabilisa en me faisant bégayer plus que jamais. Depuis de longues années, une chose pareille ne m’était arrivée, dans la mesure où aucune syllabe ne put sortir correctement. En prime, je fus pris de tremblement de la tête aux pieds et manquant d’air tel un vieux bœuf malade, je sentis ma tête se relever comme un cheval grimaçant prêt à hennir. Rouge comme une pivoine, je réussissais malgré toutes ces contorsions grotesques à poser ma question.
Mon regard se porta sur Cécile, qui, pour la première fois depuis que nous nous connaissions, ne put se retenir d’être hilare devant le comique de la situation. Le vendeur, quant à lui, attendait tout sourire que le bouffon finisse sa phrase pour le renseigner. Le spectacle terminé, il lui donna le renseignement en évitant de regarder son interlocuteur, tellement son envie d’éclater de rire était flagrante !
Blessé dans mon amour-propre par leurs réactions, la sueur me coulant dans le dos, je me jurais, quitte à mourir, que plus jamais une telle humiliation ne se reproduirait.
Et oui, le bégaiement n’est pas facile à vivre pour certaines personnes !