En Australie, des coraux deviennent plus résistants à la chaleur
Classée patrimoine mondiale de l’UNESCO depuis 1981, la Grande Barrière de corail s’étend sur 2 300 km le long des côtes australiennes. Elle est aujourd’hui menacée par le réchauffement climatique. Une étude publiée en janvier 2019 montre toutefois des signes encourageants : les coraux seraient devenus plus résistants à la chaleur. Reportage.
A Cairns, les agences de voyage succèdent aux boutiques touristiques, les hôtels de luxe aux auberges de jeunesse à longueur de rue. Chaque commerçant déborde d’imagination pour être le plus grand, le plus beau, le plus impressionnant afin d’attirer les touristes.
L’enjeu est de taille : 5,3 millions de passagers passent par l’aéroport de Cairns chaque année, un chiffre en constante progression qui fait de cette ville de 150 000 habitants l’une des plus visitées d’Australie. L’un des principaux atouts de Cairns n’est pourtant pas à terre, mais au large, à 15 milles nautiques. Point de départ de nombreuses croisières pour la plongée, le port de Cairns offre l’accès le plus rapide à la Grande Barrière de corail à seulement une heure de bateau.
L’un des principaux atouts de Cairns n’est pourtant pas à terre, mais au large, à 15 milles nautiques. Point de départ de nombreuses croisières pour la plongée, le port de Cairns offre l’accès le plus rapide à la Grande Barrière de corail à seulement une heure de bateau.
La Grande Barrière de corail… 2 900 récifs et 900 îles. Le plus grand ensemble corallien de la planète, la plus grande structure vivante visible de l’espace. Un vrai prospectus publicitaire pour la plongée sous-marine ! Sheetal, une Londonienne en voyage en Australie pour deux semaines n’aurait manqué ça pour rien au monde. « Je suis venue en Australie pour un mariage à Melbourne mais je ne pouvais pas rater la Grande Barrière de corail. Peut-être que quand je reviendrai dans ce pays elle n’existera plus…»
Car le spectre de la disparition des coraux plane désormais sur la ville de Cairns. De plus en plus d’agences de voyage privilégient les plongées sur les récifs extérieurs de la Grande Barrière même s’ils sont plus loin et donc plus chers. « A l’intérieur, il y a des zones totalement blanches, sans aucune couleur », précise Brenda, une Irlandaise de 28 ans venue réaliser son rêve de plongeuse. Nombreux sont les touristes qui remontent de leur plongée avec un goût amer. « Quand on a plongé dans d’autres endroits magnifiques et qu’on voit qu’ici tous les coraux sont blancs, forcément on est déçus », explique Vincent, un Français en vacances sur la côte est de l’Australie.
Pour en savoir plus sur la cause de ce blanchissement, il faut rouler quelques heures le long de la mer de Corail. Direction l’Université James Cook de Townsville, un établissement spécialisé dans la biodiversité et les milieux tropicaux. C’est là que le professeur Terry Hughes a établi son laboratoire.
Le chercheur Terry Hughes a fait une découverte étonnante sur la résistance des coraux à la chaleur.
Terry Hughes est l’un des meilleurs spécialistes de biologie marine. Ses recherches sur les coraux lui ont valu de nombreux prix. Il leur a consacré des dizaines de livres et des milliers d’articles. Son point de vue est sans appel : « La principale raison de la mortalité et du blanchissement des coraux est la hausse de la température de l’eau. Certains endroits ont blanchi plus que d’autres, c’est là où l’eau était la plus chaude ». La Grande Barrière de corail n’est pas seulement le plus grand récif corallien du monde. Elle nourrit aussi 1 500 espèces de poissons et 4 000 espèces de mollusques. Les coraux abritent un quart de la biodiversité marine du monde. Pourtant, en scrutant les données de 2017, Terry Hughes a fait une découverte étonnante. « En 2017, la vague de chaleur a été plus importante qu’en 2016 et pourtant on a recensé moins de blanchissement des coraux que l’année précédente. [20% de coraux morts en 2017, contre 30% en 2016, ndlr] Logiquement, on devait s’attendre à l’inverse », s’étonne-t-il.
La « mémoire écologique » des coraux
Comment expliquer ce résultat paradoxal ? Le professeur Terry Hughes a retourné la question dans tous les sens. La première explication selon lui est la structure et la résistance même des différents types de coraux. « La majorité de ceux qui sont morts ou qui ont blanchi en 2016, étaient plus sensibles, comme les coraux en forme de tables et n’ont pas résisté à la première vague de chaleur. En 2017, on observe plus de coraux résistants, plus durs, plus robustes comme les coraux de cercles. »
Mais le scientifique avance une autre hypothèse : l’existence d’une « mémoire écologique ». L’écosystème réagit en fonction des derniers phénomènes qui l’ont impacté grâce à sa mémoire génétique et à des mécanismes physiques. Les coraux, qui sont des êtres vivants, ont donc pu s’adapter à la vague de chaleur grâce à leur expérience de l’année précédente. Longue de 2 300 km, la Grande Barrière de corail n’est pas affectée de la même manière partout. En fonction des zones géographiques, la température de l’eau est plus ou moins chaude, et les coraux sont plus ou moins touchés. En 2016, la partie nord fut la plus affectée.
Cette inégalité est une aubaine pour Agnès Water. A 1 000 kilomètres au sud de Townsville, Agnès Water, 2 000 habitants, ne peut rivaliser avec Cairns en termes d’infrastructure. Quim et Pere, deux Catalans sont venus ici pour observer les coraux. « Le sud de la Grande Barrière de corail est encore bien préservé. J’ai entendu beaucoup de personnes dire qu’à Cairns, il y a des endroits entiers où les coraux sont blancs », explique Pere, un ancien dentiste devenu professeur de surf. « Je voulais que mon cousin voit le plus de choses alors on est allé à Lady Musgrave Island, la traversée est très chère mais c’est magnifique, on a vu beaucoup de poissons, de coraux, des tortues. »
Une transformation inéluctable
Si le sud de la Grande Barrière de corail a été épargné, c’est en partie grâce aux cyclones. Les cyclones réduisent mécaniquement la température de l’eau. On estime par exemple qu’en 2016, le cyclone Winston a entraîné une baisse de la température de 2,5 degrés.
La puissance et la violence de ces phénomènes peuvent aussi détruire complètement les coraux. Mais globalement c’est bien un réchauffement général qui est observé. Le professeur Terry Hughes distingue quatre grands épisodes de blanchissement : 1998, 2002, 2016 et 2017. « Auparavant, l’intervalle entre deux épisodes étaient de 25 ans, ce qui permettait aux coraux de se reconstruire, il est de 6 ans aujourd’hui et phénomène exceptionnel, entre 2016 et 2017, il y a eu qu’une seule année d’intervalle », observe Terry Hughes.
https://www.lemonde.fr/planete/arti [...] _3244.html