sujet 23-Talbazar
 
 Ambiance New-Yorkaise, là-haut, au petit-déjeuner : Fine Young  Cannibals -The Raw and the cooked. Au début j'aimais bien, maintenant je suis gavé.  La ville s'agite sous les grandes baies fumées, des taxis jaunes, des gens les mains pleines de sacs qui piétinent les trottoirs comme des fourmis, des marteaux-piqueurs, une chaleur déjà étouffante, des bruits de sirènes auxquelles je me ferais jamais. Elle trempe ses lèvres dans ce café dégueulasse, elle fait la moue, j'ai de la chance de pas y goûter. Si j'étais vivant, j'aurais engueulé le personnel. A sa place j'aurais pris du thé, pour tester, j‘ai jamais goûté. Je ne suis qu'un esprit avide de savoir. Si j'étais vivant je me ferais plaisir à raccrocher au nez des sangsues voraces qui vous appellent à 8h du matin pour vous vendre des chaudières, en plein été. Je l'entend répondre poliment : non madame, merci madame, je t’en ficherai ! D’ailleurs, si j’étais vivant j’en ferais des trucs, comme mater la voisine d’en face qui met jamais ses rideaux, exprès, je suppose, l’autre, là-haut, elle s’en fiche pas mal ! Où je détacherais ce vieux clébard pelé de la pizzéria, au coin de la rue, qui ne mange que les restes et aboie comme un fou le jour comme la nuit. Il me fait pitié. J’irai dans les boîtes à strip-tease m’éclater, elle, c’est pas son truc. Je l’entend discuter, remercier pour le café, non mais ça va pas la tête ?
 Il fait chaud, elle a chaud, mais comment je le sais, moi ? De toute façon j’ai toujours chaud.  
Elle monte la clim, c’est quoi la clim ? Ils ont pleins de boutons et d’interrupteurs qui prolongent leurs corps, leurs idées, c’est plutôt cool, j’essaierai bien. Je suis un peu perdu à vrai dire, malgré le fait que je possède une mémoire d’éléphant, comme si j’avais dix siècles d’existence... Pourtant je ne suis pas vivant ! Eh là, doucement, ça s’agite, là-haut, elle se sent pas au top, elle veut s’asseoir, que dalle ! Elle retombe, vaincue. Moi je vais pas très bien non plus, on me pousse de partout. J’avais le doigt dans la bouche, je me le met dans l’œil, aïe ! doucement derrière ! Un doigt, un oeil, mais je vais pas bien, moi ? La chaleur, sans doute. Bon faut qu’elle se calme, parce que je vais pas tenir longtemps à ce rythme. Tiens, la blonde est revenu la voir, super, celle-là, elle sent bon, enfin, ce que j’en dit, moi, c’est pour ceux qui ont du nez. Attendez, les gars, j’ai un nez, moi aussi, allez pas croire, simplement je prend mon temps de savourer, par procuration. Ah la vache, là j’ai mal, ça pousse trop. C’est çà la douleur ? Ben ça promet ! Bon il y a un truc que j’ai appris : quand on est vivant, on file des coups de pieds rageurs, quand les mots manquent. Des mots, moi j’en ai pas, ma bouche ne sait pas les dire. Ma bouche, ah oui, c’est vrai, j’ai toujours  le doigt dedans, à me ronger les ongles. Parce que j’ai des ongles, pas des griffes, sinon j’aurais pu m’en servir, c’est plus efficace que les coups de tatane. Bon tiens, vlan, voilà un coup de pied de ma part mais je ne crois pas avoir calmé le jeu, au contraire. On m’étrangle, on me tue, pourtant je ne suis pas vivant. Ben si finalement, je suis comme tout le monde, ben çà alors ! J’ai même un nom, un prénom, un sexe, une taille, un poids, c’est un début, quoi ! Elle m’a expulsé un jeudi, à 10 h20 du matin et m’a mis sur son ventre pour me donner le sein.  C’est drôle, je la voyais pas comme çà, mais qu’est ce qu’elle est belle, j’en reviens pas...  L’autre, la blonde qui sent bon, elle l’a félicité, elle m’a même caressé la tête ! C’était plutôt cool ! Et puis on est resté seuls, elle et moi, j’ai sucé le truc mes frères : je m’en suis mis plein la lampe!
 
 
 

Sujet 23 - Mario_
 
J'aimerais vous raconter une histoire. Cette histoire m'est arrivée personnellement et a changé ma vie. J'étais alors jeune médecin, frais émoulu de la faculté d'Edimbourg et j'écrivais également pour le plaisir. J'avais déjà réussi à publier quelques nouvelles mais rien ne me permettant de vivre. Mon activité en tant que médecin commençant à devenir fructueuse, je ne pouvais me consacrer plus que nécessaire à ce loisir.
 
C'était en 1885. Je devais me rendre à Londres pour un congrès sur la gastrectomie, je vous laisse deviner mon enthousiasme... J'y allai en train et m'installa dans un compartiment vide. Je sortai mon calepin et couchai quelques pense-bêtes sur le papier lorsque quelqu'un pénétra dans le compartiment.
 
Plutôt grand, habillé d'un costume en tweed à carreaux et portant un chapeau melon de la même teinte. Il portait un petit bagage à main et un parapluie. Il avait une petite moustache et semblait avoir le front un peu dégarni. Il me fit un sourire théâtral et m'adressa un "Bonjour!" enjoué auquel je répondis timidement. Il déposa ses affaires dans le filet et s'assit en face de moi, à côté de la vitre.
 
Je reposai négligemment mon carnet dans mon bagage et jetai un oeil absent vers l'extérieur. Le train partit. Je sentai qu'il me dévisageait mais je n'osais pas soutenir son regard. Il rompit finalement la glace.
 
- Vous allez au congrès de médecine ?
- Je vous demande pardon, répondis-je après une courte hésitation, ne m'attendant pas à être à ce point pris au dépourvu.
- Le congrès de médecine qui se passe à Londres d'ici quelques jours... C'est bien là que vous allez ?
- Oui... Oui, en effet mais comment avez-vous bien pu deviner ?
- Oh, je ne voudrais pas vous ennuyer avec mes raisonnements, il s'agit de mon métier.
- Votre métier ?
- Je suis inspecteur à Scotland Yard. J'étais dans votre charmante ville pour une enquête de routine et me voilà de retour vers ma chère ville.
- Je serais vraiment curieux de savoir...
- Soit. Il ne s'agit pas d'une science exacte alors je ne sais pas si je vous l'expliquerai bien. Arrêtez-moi en cas de doute.
 
Il déchaussa ses lunettes et les frotta avec un mouchoir. Il continua son explication sans me regarder.
 
- Vous avez vous-mêmes des lunettes et semblez plutôt jeune. Il existe évidemment de nombreux jeunes qui ont des défauts occulaires et sont contraints très jeunes d'en porter. Ce n'est apparemment pas votre cas puisqu'elles sont dans votre poche. Elles y étaient déjà lorsque vous écriviez et que j'entrai dans le compartiment.
- Vous en concluez donc que je ne les porte qu'occasionnellement ?
- Voilà. Exactement. Ces lunettes en demi-lune sont caractéristiques des étudiants habitués à travailler à la lueur d'une faible lumière et concentrés sur leur feuillet. Vu votre âge, je suppose que vous en fûtes. Je dirais même que vu vo vêtements, vous êtes un habitant de la région.
- Et concernant la médecine ?
- Tenez-vous bien, c'est plus compliqué, dit-il avec un sourire narquois qui m'invitait à ne pas prendre la mouche. Votre alliance à la main droite m'indique que vous êtes probablement fiancé. Vu votre tenue plutôt distinguée, je suppose que vous vous rendez effectivement à Londres, vu qu'il n'y a pas d'arrêt dans une ville importante sur tout notre trajet. N'importe quel Anglais se rendant à Londres emmènerait sa fiancée, encore plus s'il est aussi jeune que vous. J'en conclus donc qu'il ne s'agit pas d'un voyage d'agrément pour vous. Je me trompe ?
- Non c'est exact mais je ne saisis pas le ...
- Le rapport ? J'y viens. Vous êtes donc jeune, fiancé, cultivé et vous vous rendez à Londres pour le travail. Quel genre de travail pourrait vous requérir à Londres ? Je suis au courant du congrès de gastrectomie, il me fallait donc confirmer mon intuition. C'est alors que j'ai regardé votre bagage à main.
- Mon bagage à main ?
- Tout à fait. Il semble déjà vieux et abîmé, le cuir est très usé et plein de tâches. Et pourtant je peux encore le sentir, il n'est donc pas si vieux. Il a donc subi une dégradation de courte durée. Cela doit sûrement correspondre aux nombreuses visites que vous effectuez. Il y a donc de fortes chances que vous soyez médecin, quasiment jamais dans votre cabinet. Je suppose même que vous ne travaillez pas à Edimbourg même et que vous prenez souvent des chemins pleins de cailloux. Voilà, je crois n'avoir rien oublié.
 
Il conclut cette phrase d'un clin d'oeil. Je restais héberlué par son raisonnement. Evidemment, tout n'était pas d'une logique implacable mais il était parvenu à découvrir la vérité à force de logique, probabilités et intuition. Le reste de notre voyage se fit à force de moultes discussions sur de nombreux sujets où mon interlocuteur faisait à chaque fois démonstration de son art et de sa culture.
 
Et comment cela a-t-il changé ma vie, me demanderez-vous peut-être ?
Et bien, cette rencontre, aussi brève qu'instructive m'a donné une inspiration phénoménale, à tel point que je fermai mon cabinet quelques mois plus tard et me décidai de me consacrer finalement à l'écriture.
Et alors ? Et bien devinez donc...
Je venais de découvrir celui qui allait inspirer mon personnage de Sherlock Holmes.