PETITE INFO, J'ARRANGE AU FUR ET A MESURE QUE J'AVANCE LES CHAPITRES PRECEDENTS, ET DONC PEUT-ETRE QUE J'AI LAISSE QUELQUES GAFFES EN FAISANT DES COPIER/COLLER, MAIS JE CROIS PAS lol!
Chapitre premier
Le livre mystérieux
Cétait le printemps. Enfin ! Le royaume de Tolresia se remettait dun hiver rude et long. Le soleil avait enfin percé les nuages et la brume, puis la neige avait été chassée. Pour nombre de citadins et de villageois, cétait un nouveau départ ; car si le froid était parti, la misère, elle, semblait sêtre installée pour quelques temps. La cité de Tolresia, la plus grande de tout le royaume, regrettait quelques uns de ses habitants. Elle avait été bâtie au fond dune dépression où lair le plus glacial tombait. Plus personne ne pourrait admirer le visage angélique de Dame Ilda, lunique centenaire de la cité
Qui remplacerait Seigneur Granvoi, le tavernier ? Non pas que son savoir-faire eut été grand, mais sa gentillesse et ses yeux souriants étaient inimitables. On avait perdu ses « vieux » que lon aimait tant.
On sinquiétait également pour le seigneur Khangrin, le bibliothécaire préféré de Tolresia, qui nétait plus tout jeune lui aussi. Ebdeval Khangrin sétait installé depuis une petite dizaine dannées dans lancienne demeure dun comte, à lextérieur de la cité. Il avait apporté avec lui des trésors daventurier, dont les plus inestimables étaient ses livres, la plupart écrits de sa propre plume. Son affaire marchait bien, mais un jour, Seigneur Khangrin neut plus la force de faire les voyages jusquà la cité. Cette tâche fut donc dédiée à Fahel Loheptecl, un homme discret approchant la cinquantaine. Depuis peu, il y avait aussi une nouvelle recrue à la bibliothèque du vieil aventurier. Cétait un jeune homme âgé de vingt ans, nommé Théodin Sang-De-Lion. Il était arrivé à Tolresia il y avait deux années. La rencontre entre Théodin et Khangrin fut une chose merveilleuse pour tous deux. Ils étaient tellement attachés quils sétaient mutuellement adoptés. Lun avait toujours manqué dun père, et lautre dun fils. Ils ignoraient alors que leur séparation était imminente
Ce matin était celui du trois mars mille cinq cent dix-neuf, si lon sen remet au calendrier de lAge des Conquêtes. Pour la première fois depuis lautomne dernier, Théodin pouvait enfin se prélasser sur un lit dherbe et de soleil. Il se laissait bercer par la brise qui venait de louest, et respirait le printemps. De petites perles de rosée sétaient mêlées à ses cheveux bruns presque noirs, étincelant de mille éclats de cristal. Ses yeux étaient bleus comme le ciel à lapparition des premières étoiles. Sa peau mate absorbait la douceur du soleil, et son cur accumulait le bonheur dune vie paisible finalement trouvée.
A son cou pendait une amulette, un disque en or. Un lion était gravé à lavant, et il était inscrit « Théodin » au revers. Il effleurait inconsciemment lamulette de sa main, ainsi que le trouble passé quelle lui évoquait. Perdu en lui-même, il nentendait plus les bruits de la cité de Tolresia, au sud, transperçant les épais remparts de pierres.
Tolresia était une grande capitale, et on y affluait de toute part. Les jours prospères quelle connaissait depuis des siècles lui avait permis un essor rapide, si bien quelle abritait à présent plusieurs milliers dHommes. On y rencontrait également des Nains, venant des provinces du nord et attirés par un mode de vie nouveau. Des cloches sonnaient régulièrement, annonçant les entrées et sorties, le plus souvent de charrettes de commerce.
Plus à lest se trouvait Sudan, un village de fermiers à la bordure du Bois des Hêtres. Les maisons étaient basses mais larges, dun style rustique. Il y avait de grands arbres dans les jardins, gracieusement balancés par le vent. De grandes parcelles de terres étaient délimitées par de basses clôtures, où se promenaient monotonement les maigres troupeaux de vaches et de chèvres. Il y avait une myriade dautres villages au couchant, mais tous étaient plus petits et moins charmants. Les plus proches de Tolresia étaient Horchev, Lopure, Citadine, et Erbourg.
Tout prêt de Théodin sélevait un édifice de bois et de pierres, à larchitecture arrondie et fantaisiste. De la fumée séchappait par deux cheminées. Il sagissait de la bibliothèque du vieil aventurier. Onze heure approchait, et Théodin allait justement devoir se mettre à la tâche. Il attendait le retour de Fahel Loheptecl et les commandes en provenance de la cité. Mais il était si distrait quil ne le vit pas approcher, et ses bruits de pas le firent soudain sursauter.
Théodin ! Je savais que je te trouverais ici ! fit-il de sa voix profonde et grave.
Théodin se releva brusquement, et reconnut son ami. Il était grand et mince, ses longs cheveux noirs voilaient en partie son visage et contrastaient avec sa peau pâle. Théodin put tout de même distinguer un sourire, fait inhabituel.
Quy a-t-il ? finit par dire Théodin.
Je reviens de Tolresia, jai une nouvelle !
A présent, Fahel se frottait les mains en ricanant. Il faisait preuve dune fébrilité exceptionnelle, lui qui dordinaire était toujours si sérieux. Théodin commença vraiment à se demander ce quil était arrivé. Il pensa que Fahel avait peut-être eu une importante demande de livre ce jour-ci.
Mais de quelle nouvelle sagit-il ? simpatienta Théodin. Comment vont les affaires ?
Elles vont plutôt mal
Je nai eu aucune commande ce matin, car les gens sont occupés à autre chose que de lire des livres sans intérêts. Les prêtres Blancs viendront séjourner à Tolresia dès la semaine prochaine ! Comme chaque décennie, ils désirent former de nouveaux paladins !
Cela va redonner de lespoir au peuple ! senthousiasma Théodin à son tour. La pauvreté na que trop duré.
As-tu pensé à nous ? Théodin, nous pourrions devenir paladins !
Nous ?
Mais enfin ! Tu nimagines pas la qualité de vie dun paladin ! Cest une chance inespérée pour toi et moi, nous pourrions quitter la bibliothèque ! Voyager chaque jour vers de nouvelles horizons, rencontrer de nouvelles gens, être accepté et apprécié en tout endroit
Très peu pour moi ! Nous sommes bien tous les trois, Khangrin, toi et moi. Nous avons une belle et riche vie, remplie damitié.
Tu ne comprends pas Théodin, tu es encore trop jeune. Peut-être que lorsque javais vingt ans, je ne pensais pas comme aujourdhui
Mais si je deviens paladin, jai une chance dêtre respecté, et davoir le niveau de vie que je mérite. Et toi aussi !
Et quadviendra-t-il de notre bon seigneur Khangrin ? Il est bien trop âgé maintenant, on ne peut pas le laisser ! Il a tant fait pour moi depuis deux années. Fais ce que tu veux Fahel, mais moi, je resterai ici. Je ne veux pas devenir paladin.
Tu ne sais pas quelle occasion tu laisses filer. Le sacrement de nouveaux paladins Bleus, ainsi que lon nomme les apprentis paladin de lordre de Godron, est une chance que tu ne dois pas rater.
Mais Théodin ne répondit pas. Déçu de ne pas lavoir convaincu, Fahel se retira trouver meilleure oreille pour lécouter. Il alla à la bibliothèque pour arguer avec les clients. Théodin resta un instant dehors, puisquil navait pas de commande cette journée. Quand il entra dans la bibliothèque, il se dit que cétait sa demeure désormais et quil ne pouvait simaginer de vie autre part quici. Les grandes colonnes de pierres où étaient sculptés de petits anges souriants, les grandes dalles dardoise polie, le bois neuf des tables et les étagères emplies de livres, lui étaient si familiers à présent !
Il vit Fahel attablé avec Seigneur Rolan et ses deux fils, des clients réguliers. Le seigneur Rolan était un nouveau noble. La qualité de létoffe de ces vêtements avait toujours impressionné Théodin. Il ne pouvait sexpliquer pourquoi tout cela lui faisait quelque chose en son cur, lui qui navait jamais était attiré par la richesse. Seigneur Rolan était très impliqué dans ce quil racontait à Fahel. La discussion était agitée, et les voix semportaient.
Evidemment, je compte sur Trohn et Afirel pour exceller la semaine prochaine ! dit Seigneur Rolan en désignant ses deux grands enfants.
Et vous, cela ne vous intéresse pas ? dit Fahel.
Jai une famille, je ne peux pas tout quitter ainsi
Mais sinon
! Je vous envie Fahel, jespère que vous réussirez les épreuves.
Lassé par ces propos, Théodin alla vers laccueil, tenu par Khangrin. Le vieil homme avait les traits fatigués, tirés. Ses cheveux blancs et touffus retombaient négligemment sur son front, et la couleur de ses yeux était indicible, au mieux les aurait-on qualifiés de gris. Ses fines lèvres sourirent lorsquil vit Théodin, dévoilant ses mâchoires édentées.
Bien Théodin, tu es là ! dit-il dun faible souffle. Comment te sens-tu aujourdhui ?
La journée est bonne, et je suis disponible pour vous apporter mon aide.
Je sais, je sais, dit pensivement Khangrin. Il y a de lagitation à Tolresia, nos clients ne parlent que de ça !
Quelle pesanteur ! Fahel vous a-t-il dit quil pensait à nous quitter ? Il espérait mentraîner avec lui !
Il na peut-être pas tort, as-tu pensé à tout ce que tu pouvais gagner si tu le suivais ?
Théodin sempourpra, il ne sattendait pas à ce que Khangrin soit rangé aux côtés de Fahel.
Ha non, vous nallez pas vous y mettre vous aussi ! Depuis quelques années, ma vie est agréable ici, mon âme est apaisée. Je ne veux plus voyager, je veux rester avec vous Khangrin, et je veux que vous continuiez à me donner de votre savoir ! On me parle de ce que je pourrais gagner au départ, mais les pertes pèseraient trop sur mon âme pour en profiter !
Comme sil voulut cacher un pincement au cur, Khangrin baissa le regard et se mordit les lèvres. Il posa un petit livre sur le comptoir.
Tiens Théodin, tu devrais lire ce livre. Je lai écrit lors de ma jeunesse, du temps où jétais aventurier. Il est différent de tous les autres. Cest dans ce livre que jai écrit toutes mes mauvaises pensées lors de mes voyages. Il était en quelques sortes mon confident secret.
Pourquoi voulez-vous que je le lise alors ?
Je crois que tu ferais une erreur si tu ne tentais pas ta chance pour devenir paladin Bleu. Vraiment.
Mais pourquoi ?
Khangrin sourit gentiment, et tendit le livre à Théodin.
La réponse est là-dedans.
Théodin saisit louvrage avec curiosité, et remarqua quune cordelette y était accrochée, au bout de laquelle était nouée une clé. Il y avait également une serrure de bronze encrée dans le cuir bleu de la couverture, empêchant de louvrir.
Lis-le maintenant, cela te plaira ! dit Khangrin.
Théodin chercha à trouver des réponses dans les yeux vacillant du vieillard, mais comprit quil nobtiendrait rien. Il salua les clients de la bibliothèque, puis monta à létage, où se trouvait des appartements privés. Il alla dans le salon et tira un vieux fauteuil au près de la cheminée, dans laquelle un feu se mourait en crépitements étouffés. Il semmitoufla dans une épaisse couverture et une fois bien à son aise, se mit à la lecture.
Cela lui rappelait ses premiers jours à la bibliothèque, où chaque soir il sinstallait ainsi, et où son esprit partait pour des contrées merveilleuses, peuplées de dragons et de géants. Mais il remarqua vite que ce livre était différent de tous les autres, comme le lui avait dit le vieillard. Lisant sans conviction au début, il se mit rapidement à prendre plaisir à dévorer chaque mot, et sarrêta sur un passage dès la seconde page.
« Ce coucher de soleil est magnifique, le désert dIvory mavait été conseillé pour cela justement. Je mattriste à la pensée de ne pas avoir de famille pour le partager. Un enfant dans mes bras, et une femme appuyée sur mon épaule
Je ne suis quun aventurier idiot. Je mène des quêtes qui nen sont que pour moi, pousser par ma soif de terres nouvelles, mais en réalité jerre sans but. Heureusement, jai des compagnons, ils sont tous comme une famille pour moi, mais ce nest pas pour autant que je trouve un sens à ma vie.
Jaurais du moffrir à une famille, ou à une cause
»
Plus loin, il était également écrit :
« A quoi me sert damasser tant de trésors, alors que je ne men servirai pas avant longtemps, et que dautres en ont vitalement besoin. Je pense que je vais me débarrasser dune partie de mon or, et je ne garderai que les plus beaux joyaux, mes compagnons. »
Après de nombreuses pages, lécriture était devenue plus profonde encore.
« Le voyage me pèse tant à présent. Je me souviens du temps où tout était encore à découvrir, que cétait bon ! A présent, chaque voyage meffraie, jai peur du jour où je connaîtrais bien plus de richesses quil ne men restera à découvrir.
Jai perdu certains de mes compagnons, paix à ton âme Grelin, paix à ton âme Amandantor. Avant votre disparition, sentant que vos blessures ne tarderaient pas à vous emporter, vous maviez demandé de poursuivre le voyage. Cest pour vous que je continue à présent, même si je sais que je ne croiserai plus jamais votre route
Cest drôle, je crois que jai enfin trouvé un but auquel je dois me rattacher
Cest pour vous que je continue à présent. »
Théodin lut durant toute laprès-midi. Le crépuscule sévanouissait, et ses lueurs orangées pénétraient le salon par lunique fenêtre. Dans la cheminée, le feu nétait plus quun tas de cendres. Théodin navait pas quitté son fauteuil de la journée, trop absorbé par les confessions de Khangrin. Toutes fois, il ne pensait pas y avoir trouvé de raison suffisante pour devenir paladin Bleu, et au contraire, il était plus déterminé que jamais à rester aux côtés de Khangrin. Il avait compris quil était devenu le fils que Khangrin rêvait tant davoir, et que lui-même le prenait pour un père.
En bas, il ny avait plus un client dans la bibliothèque. Fahel était affairé à préparer le repas, tandis que Khangrin se reposait sur une chaise. Son front était perlé de sueur, et il râlait après son corps malade qui se mourait. Il aurait bien voulu monter à létage pour rejoindre Théodin, mais ses jambes tremblaient, si bien quil était incapable de prendre lescalier. Il tenta dappeler Théodin, mais nul autre son quun râle ne se fit entendre. Khangrin séclaircit la voix, et appela de nouveau. Les pas de Théodin faisant craquer lescalier de bois ne se firent pas attendre.
Le repas va être prêt, lui dit Khangrin dune humeur bougonne. Aide Fahel à disposer la table.
Théodin nota immédiatement la mauvaise santé de Khangrin, et la mauvaise humeur qui en résultait. Mais il fit mine de ne rien voir, pour ne pas le blesser davantage. Il alla à la cuisine, une petite pièce reculée de la bibliothèque. Fahel fredonnait gaiement en touillant une marmite noircie par les flammes. Assurément, la bonne humeur ne lavait pas quitté ! Cétait agréable de le voir ainsi.
Lorsque les couverts furent posés sur la table, Khangrin vînt sasseoir au près de ses amis, mais les avertit quil ne participerait pas au repas. Théodin fut assez surpris, car Khangrin semblait se porter mieux, et dordinaire, il ne ratait pas une occasion de bien manger. Et il faut dire quen matière de bien manger, Fahel savait si prendre pour donner lappétit. Le repas du soir était composé de châtaignes grillées et dune belle pièce de viande fumée. Khangrin engagea la discussion, sentant quun lourd silence risquait de sinstaller.
Alors Théodin, quas-tu pensé de mon livre ?
Le jeune homme sentit que la discussion allait inévitablement se terminer sur le thème des prêtres et des paladins.
Jy ai appris beaucoup de choses intéressantes, répondit-il, et je vous comprends mieux à présent.
De quel bouquin sagit-il ? demanda Fahel dont la curiosité séveillait.
Cest une sorte de journal intime, lui répondit Khangrin. En temps normal, je ne laurais fait lire à personne, mais certaines choses qui y sont écrites pourraient finir de convaincre Théodin quant à sa carrière de paladin.
Justement ! dit Théodin. De tout ce que je viens de lire, il ny a rien qui me donne lenvie de vous quitter ! Au contraire. Et il y a tant de malheurs dans ce que vous abordez, ce nest plus une vie pour moi. Peut-être que quatre ans auparavant
Il se tut soudainement, et sortit son amulette de sous son col.
Il est des blessures qui ne se ferment jamais Théodin
, dit Khangrin. Il test impossible doublier que tes parents te manquent.
Je ne les ai jamais connus ! Alors peu mimporte. Je naurais pas du quitter ma famille adoptive pour rechercher ceux qui nont pas voulu de moi, leur propre enfant !
Tu ne peux pas dire ça ! dit Fahel. Tu ne sais pas ce qui leur ait arrivé.
Et puis nous serions-nous jamais rencontré sinon ? ajouta Khangrin. Nous sommes compagnons maintenant ! Cest là lun des plus beaux cadeaux de la vie daventurier, comme tu las sans doute découvert cet après-midi !
Mais jai déjà trouvé mes compagnons, et je ne veux pas les perdre, cest ainsi. Cessez de vouloir me convaincre à présent.
Khangrin poussa un long soupir. Son visage sinonda de peine. Ses yeux troublés par lémotion se posèrent sur Théodin.
Tu comprendras mieux dici la venue des prêtres Blancs à Tolresia ! Bientôt, tu relieras ce livre.
Les assiettes sétaient vidées depuis quelques instants lorsque lobscurité de la nuit tomba et que les premières étoiles scintillaient dans le ciel. Théodin commença de débarrasser la table avant que Khangrin ne sy mette. Fahel sortit chercher du bois pour la nuit.
Dehors, lair était froid mais étouffant, dépais nuages arrivaient par louest. Depuis le matin, le vent navait cessé de souffler, et avait même gagné en intensité. Il y avait une petite étable derrière la bibliothèque où se trouvaient les bûches.
Létable était le seul lieu que Khangrin navait pas transformé depuis quil était propriétaire de la bibliothèque. Lorsque Khangrin laventurier fut devenu trop vieux pour poursuivre ses voyages, il préféra racheter cette propriété proche de la cité, sans avoir à se mêler à la foule quil naimait pas franchement côtoyer.
Dès que Fahel y pénétra, un frisson parcouru son dos. La pluie se mit à tomber violemment, et une bourrasque de vent hurla dans les champs, faisant claquer la porte ! Fahel se hâta de rentrer avec le bois. Il retourna à la cuisine pour entretenir le feu, et monta à létage pour en allumer un dans le salon. Khangrin lobservait avec satisfaction.
Regarde comme il a lair plein dentrain ! dit-il à Théodin.
Cette nouvelle la changé
Jespère quil sera heureux sil nous quitte, et que ce ne sera pas trop long avant de le revoir.
Soudain, quelquun tapa avec force à la porte dentrée de la bibliothèque. Les coups se répétèrent frénétiquement. Entendant la pluie qui tombait, Théodin se précipita pour ouvrir. Dans lobscurité, il eût du mal à discerner qui était au seuil de la porte. Mais il comprit rapidement que la personne était terrorisée. Il sagissait dun homme, enveloppé dans une cape foncée. Il serrait contre sa poitrine un livre, avec tant de force qu'il semblait s'étouffer. Il tremblait, tous ses membres sagitaient, comme possédés par des volontés distinctes
On aurait dit un pantin dont se jouait la Peur.
Sauvez-moi ! cria-t-il. Il faut menlever tout ça vite !
Sa voix renfermait une profonde angoisse. Désemparé, Théodin sécarta pour inviter lhomme à entrer.
Non ! Prenez mon grimoire, je dois partir ! Il faut que je sois le plus loin possible de toutes ces horreurs
Prenez-le dans votre bibliothèque, je vous en prie !
Lindividu sobscurcit tout à coup, comme si une ombre était en train de labsorber. Il serra le livre avec plus de force encore. Il hurla de douleur et dépouvante. Théodin remarqua alors que le grimoire était devenu plus sombre que l'ébène, et que de la fumée noire s'en évacuait. Alertés par les cris, Khangrin et Fahel vinrent prêter main forte à Théodin pour calmer létranger.
Que se passe-t-il ? dit Fahel.
Il veut quon accepte son grimoire, dit Théodin, je crois quil est possédé par une force obscure !
Khangrin aperçut le livre étrange, et se hâta de le saisir. Mais le poids du livre était bien ce qu'il réservait de plus impressionnant : il était plus lourd qu'un Homme !
Aide-moi Fahel ! dit-il avec peine. Rentrons ce livre à lintérieur !
Théodin alla relever le pauvre homme qui revenait à lui. Lombre seffaçait. Ils se regardèrent avec soulagement, et leurs visages étaient si proches que Théodin discerna ses traits dans la nuit. Ses yeux étaient boursouflés, au point même où ils ne pouvaient plus être ouverts. Sa peau était encore bien plus pâle que celle de Fahel, et légèrement grise, comme en décomposition. Il sétait mordu les lèvres jusquau sang, au point où sa barbe en était imbibée.
Fahel et Khangrin posèrent avec toutes les peines du monde le livre sur un bureau. Lhomme remercia Théodin, et son visage se détendit, comme sil était devenu serein. Lombre lavait entièrement quitté.
Venez maider ! dit Théodin. Il est lourd !
Fahel se dépêcha, et lorsqu'il sempara du poignet de linconnu, il remarqua tout de suite quil navait plus de pouls.
Il est mort, Théodin !
Mort ? dit Théodin dun ton assommé.
Amenez-le moi ! ordonna Khangrin, tandis quil auscultait le grimoire dans la bibliothèque.
Ils traînèrent le cadavre jusquà Khangrin, qui ne détourna même pas la tête. Sous ses ordres, Fahel ferma la porte, et remarqua alors que la pluie avait cessé ; les nuages sétaient précipitamment évaporés. Théodin approcha du grimoire, et jeta un il.
La couverture était sculptée dans lébène et incrustée de gemmes grises et violettes. Les pierres précieuses formaient un symbole indéchiffrables, mais terrifiant. Bien que le livre nétait pas ouvert, Théodin remarqua que la tranche des pages était faite décailles vertes. Fahel approcha une main, mais Khangrin linterrompit.
Ne touche pas à ce livre ! Il pourrait porter une malédiction, ou pire encore ! Ne louvrez surtout pas, vous mentendez ?
Théodin était déconcerté, et ne savait absolument plus comment agir. Il avait limpression que le temps sétait accéléré, les événements allaient trop vite pour lui. Fahel fouilla dans les affaires de linconnu, espérant découvrir quelque chose, mais il ne portait sur lui que quelques piécettes et une alliance.
Cet homme était marié
, dit Fahel à voix basse.
Penses-tu quil venait de la ville ? demanda Khangrin.
Je nai pas relevé dindices répondant à la question.
Il est mort dans mes bras ! réalisa Théodin. Il avait lair soulagé de mourir. Jai vu une ombre étrange le quittait.
Une ombre ? dit Khangrin. Et elle la quitté lorsque lon a amené le grimoire ici
Il ny a pas de doute alors, c'est une malédiction !
Vous aviez déjà trouvé pareil livre dans le passé, nest-ce pas Khangrin ? demanda Fahel. Je lai lu dans vos écrits. Savez-vous de quel genre de malédiction il sagit ?
Les maléfices enfermés dans des objets sont très variés. Parfois, cela vous transforme en pierre, jai même entendu parler dun homme devenu femme après avoir porté une simple écharpe ! Je ne sais pas encore ce quil en est pour ce livre
Il faut labandonner, ou le brûler ! sexclama Théodin. Je ne me sens pas à laise
Non, le mieux à faire et denquêter sur ce livre
On ne peut le laisser dans la nature, et le brûler pourrait délivrer une créature maléfique
On ne va pas le garder dans la bibliothèque ? dit Fahel. Je ne pourrais pas dormir tranquille !
Je ne sais pas trop, occupons nous déjà denterrer cet homme. Pour moi, ce cadavre nest pas plus agréable que le grimoire. Théodin, occupe-toi de rassembler mes encyclopédies sur les enchantements ou sur les objets magiques, pendant ce temps, Fahel va maider à rendre sa dignité à cet homme.
Lorsque Théodin se retrouva seul dans la bibliothèque, il séloigna autant que faire se peut du grimoire maudit. Une fois la pile d'encyclopédies préparée, il sassit sur une chaise, et feuilleta en attendant le retour de ses compagnons. Il pensa quil était plus prudent quil reste dans la pièce, même sil souhaitait donner un coup de main dehors. Il avait limpression dêtre observé, et le silence linquiétait.
Il ny a que moi, et ce livre, dit-il à haute voix pour se rassurer.
Khangrin et Fahel rentrèrent. Le vieillard avait quelque chose de changer, il était plus détendu. Fahel, lui, semblait fortement troublé. Khangrin approcha avec un sourire.
Je vois que toutes les encyclopédies sont là ! Bien, je ne refuserai pas votre aide pour éplucher leur contenu !
Ils allumèrent les chandeliers, et chacun sinstalla à une table. Fahel surveillait fréquemment le grimoire, car il lui semblait quil nétait pas immobile. Il jetait également dinterminables regards sur Khangrin, et se cachait derrière lombre de ses cheveux. Théodin soutenait son front dune main et plissait ses yeux, fatigués par une journée entière de lecture. Il remarquait létrange comportement de son ami, et malgré tous ses efforts pour se dissimuler, Théodin sentit sa mélancolie.
Ils restèrent ainsi de longs moments. Dans la pièce, on entendait que le bruissement des pages tournées. Dehors, le vent avait cessé. Après avoir rapidement passé en revue les écrits concernants les malédictions et enchantements, les trois se regardèrent troublés ; ils navaient rien découvert
Fahel était dune nature peu patiente envers les énigmes, et il céda à lénervement.
Ce nest pas possible ! dit-il en approchant du grimoire. Quel est ton secret ? ragea-t-il en tapant du poing sur le bureau.
Le grimoire sursauta et souvrit brusquement ! Le choc nétait pourtant pas assez puissant pour lébranler
Khangrin ordonna à Fahel de fermer le livre sans le lire. Fahel resta un instant à ne rien faire, pris entre sa curiosité et sa peur.
Il se sentit appeler par des milliers de voix, et sa main savança sans quil ne sen rende compte. Au fur et à mesure qu'il approchait, il lui semblait que le grimoire gagner en taille, au point d'être plus grand que le bureau où il était posé. Ses yeux parcoururent la double page sur laquelle le grimoire sétait ouvert. Il ny avait rien décrit ! Les pages étaient vierges, faites en peau de reptile, probablement de dragon
Sa main voulut absolument les toucher, les voix lappelaient de plus en plus fort
Il sursauta, et retrouva tout à coup ses esprits. Khangrin venait de fermer le livre, et lui jetait un regard sévère.
Je ne sais pas ce qui ma pris
, dit Fahel. Il ma appelé, il ma suppliait de le faire.
Khangrin demanda à Théodin de laider à transporter le livre, et ils montèrent à létage.
Je peux vous aider ! dit Fahel.
Il se sentait coupable, et cherchait à se racheter. Mais on ne lui répondit pas. Avec efforts, le grimoire fut emmené dans la chambre de Khangrin, et enfermé dans une armoire en bois.
Allez à vos lits maintenant, ordonna Khangrin. Il faut se reposer pour retrouver nos esprits. Nous réfléchirons mieux demain. Bonne nuit, si cela est possible.
La nuit fut longue mais le sommeil court pour tous
Durant des heures, Théodin avait entendu dans la pièce voisine le pauvre Khangrin pris dune mauvaise toux, rauque et profonde. Fahel sétait levé régulièrement pour faire quelques pas puis se recoucher. Au petit matin, sa première réaction fut de se rendre chez Khangrin pour vérifier que le grimoire navait pas disparu. Mais alors quil arrivait, lappréhension le prit, et il alla taper à la porte dà côté. Théodin lui ouvrit.
Veux-tu bien maccompagner ? lui dit Fahel. Allons vérifier si le grimoire est toujours à sa place !
Lorsquils entrèrent dans la chambre, ils découvrirent le vieillard dans un bain de sueur. Théodin se précipita à son chevet, tandis que Fahel lobserva dun air triste, et se tourna vers larmoire.
Seigneur ! sexclama Théodin. Il est brûlant !
Déshabille-le, dit Fahel. Il faut le plonger dans une bassine deau pour le refroidir.
Je vais chercher de laide à Tolresia !
Khangrin toussa bruyamment.
Non, ce nest pas la peine, dit-il en suffoquant. Le pire est passé, je me sens mieux à présent.
Il fut pris dune quinte de toux. Théodin ne discuta pas, car il savait que Khangrin était trop fier et trop sensible dès quil sagissait de sa santé. Il alla préparer un bain.
Fahel était toujours devant larmoire. Sa façade présentait deux grandes glaces, dans lesquelles il sobservait. Il sentait, derrière son reflet, une aura lattirer
A nouveau, sa main se leva, et se posa sur la poignée sans quil nen soit conscient
Mais Khangrin avait fermé la serrure à clé !
Fahel ! souffla Khangrin. Ce grimoire est un tel maléfice ! Regarde dans quel état il ma mis. Toute la nuit il ma appelé. Ses voix sont multiples, et si pénétrantes !
Fahel continuait de tirer sur la poignée de manière incontrôlée. Une main se posa sur la sienne, et le tira brusquement de son rêve.
Théodin ?
Il faut soccuper de Khangrin, laissons le grimoire pour tout à lheure.
Oui
, dit Fahel qui observait où il se trouvait. Oui, bien sûr
Khangrin fut amené à son bain. Malgré toutes ses protestations, et tous ses dires sur sa santé convalescente, Théodin voyait bien que les choses nallaient pas mieux. Il était blessé par la réaction de Fahel, qui harcelait le pauvre malade dune question
« Mais où est la clé de larmoire ? » répétait-il sans cesse. « Cest trop dangereux
» lui répondait parfois Khangrin.
Cela dura ainsi jusquau soir. La bibliothèque était restée fermée, la santé de Khangrin ayant empiré. On l'avait couché dans le salon, car il ne voulait plus se trouver dans sa chambre. Il navait rien avalé de la journée. Théodin nen pouvait plus de voir Fahel prendre le peu de vitalité quil lui restait.
Mais laisse-le enfin ! avait imploré le jeune homme. Tu sais bien que le grimoire est dans larmoire, nul besoin est de vérifié. A nouveau, tu étais possédé ce matin, à quoi veux-tu te frotter ?
Fahel navait pas répondu, mais avait laissé un peu de sa tranquillité à Khangrin. Cela navait duré que trop peu de temps
Théodin décida alors de fouiller dans toute la bibliothèque, et finit par découvrir la clé au fond dune botte. Il la montra à Fahel.
La clé est ici Fahel, je vais la garder. Si tu veux, nous pouvons jeter un il ensembles sur le grimoire, mais nous ny toucherons pas.
Fahel sassagit soudain, et abandonna Khangrin.
Merci Théodin
Je pourrai retrouver mon calme ensuite.
Théodin se demanda sil faisait bien, mais il ne vit pas dautre solution. Il se dirigea avec son compagnon à létage. Mais alors quils étaient tout prêts de la chambre de Khangrin, il y eut un bruit sourd, et un fracas de verre.
Larmoire ! sexclama Fahel.
En entrant, Théodin saperçut que le meuble sétait déplacé dun bon mètre. Les miroirs sétaient brisés, retombant en éclat dans toute la pièce. Fahel profita de la surprise de Théodin pour lui prendre la clé, et se jeta sur larmoire. Théodin vit alors quelque chose d'énorme tomber sur son ami. C'était le grimoire, mais sa taille avait incroyablement changé ! C'était à peine plausible qu'il put être enfermé dans l'armoire. Fahel sen empara, et le souleva comme sil ne pesait rien.
Fahel ! Que fais-tu ?
Je vous quitte Théodin ! Au diable la bibliothèque ! Au diable la vie de paladin !
Ses yeux grossissaient et ses pupilles se dilataient extraordinairement. Sa voix sétait alourdie. Son visage disparut totalement dans lombre de ses cheveux, qui sétait épaissie.
Je vais vendre ce livre contre plus de richesses que je nen aurai besoin durant toute ma vie !
Cest ton âme que tu es en train de vendre !
Fahel frappa du coude Théodin, et senfuit. Théodin tomba à terre, surpris par la violence du choc. Il poursuivit son compagnon jusquà lentrée de la bibliothèque, le souffle encore coupé. Fahel ouvrit la porte, et une épaisse brume tomba dehors. Il sy engouffra, et disparut totalement.
Théodin hésita. Dehors, il ne voyait rien. Désemparé, il ferma la porte. Il ne comprenait plus son ami. Etaient-ils toujours amis ? Il sétait peut-être trompé depuis le début, mais quelque chose en lui nier ceci.
Un cri résonna dans toute la bibliothèque. Cétait Khangrin, qui se reposait dans le salon à létage. A son arrivée, Théodin découvrit le vieillard allongé à terre, une main serrant sa poitrine. Il était plus mal que jamais, en proie à la mort. Le jeune homme sombra en sanglot.
Khangrin ! Par les dieux ! Que puis-je faire ?
Cest mon cur Théodin, il nen peut plus.
Ne parlez pas trop Khangrin, vous devez garder vos dernières forces !
Elles sont déjà parties. En fait, je le sais depuis quelques jours déjà, et je lavais expliqué à Fahel hier soir, lorsque nous creusions une tombe
Pourquoi ne rien mavoir dit ?
Jespérais partir après toi, si javais pu te convaincre de devenir paladin. Mais jai vite senti que les choses ne se passeraient pas ainsi. Je ne voulais pas te voir triste avant que je ne quitte la vie.
Khangrin suffoqua. Il sentait son cur écrasé dans sa poitrine devenue un véritable étau.
Fahel est parti, nest-ce pas ? demanda-t-il.
Il a emporté le livre avec lui
Mais ce nétait pas son choix, cest le grimoire qui le possédait !
Ce grimoire a accéléré mes souffrances
Jaurais pu tenir deux ou trois jours de plus peut-être.
Ne vous avouez pas vaincu si facilement ! Vous êtes toujours en vie !
Ce nest plus quune affaire de minutes désormais. Plus rien ne te rattache ici, et je ne veux pas que tu erres en ces lieux à la recherche de mon fantôme ! Vends la bibliothèque, et avec cet or, mène ton existence.
Je ne le pourrai pas !
Si javais eu un fils, jaurais aimé le voir devenir un grand paladin. Le temps me manque pour ten expliquer les raisons, mais tu es intelligent. Si tu relies le livre que je tai donné hier, les choses te sembleront plus claires !
Khangrin cessa de parler, et respira de plus en plus vite. Théodin lui apporta un coussin, et sécarta pour le laisser respirer. Il était gêné de rester là durant ces pénibles moments, mais il ne pouvait plus quitter Khangrin des yeux. Le vieil homme hurla pour la dernière fois, et son visage devint inerte. Ses yeux fixaient Théodin. Ce dernier le serra dans ses bras, sans cesser de pleurer.
Les heures passaient, et Théodin ne parvenait pas à abandonner Khangrin, il attendait de le voir revenir. Lorsquil neut plus assez de larmes pour pleurer, il se fit à lévidence. Khangrin était mort. Le monde sécroula autour de lui. Il comprit que tant de choses allaient lui manquer. Et Fahel nétait pas là pour le consoler. Ce chagrin était le plus grand quil eût connu. Son estomac sétait retourné de peine, comme sil pouvait dégurgité ses souffrances. Son cur était monté dans sa gorge, manquant de létrangler. En son esprit, un poignard le frappait fiévreusement. Ce poignard était une simple pensée, un souvenir qui se clarifiait. Il entendit en lui ces mots : « Il est des blessures qui ne se ferment jamais Théodin
».