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La panne en Italie souligne la fragilité de l'Europe de l'électricité
LE MONDE | 29.09.03 | 13h23
L'Italie a été totalement paralysée durant plusieurs heures, dimanche 28 septembre, par une gigantesque panne d'électricité. Les causes exactes demeurent à établir, l'hypothèse étant celle d'une série d'incidents dans les systèmes d'interconnexion avec la Suisse et la France. L'Italie importe en effet près de 20 % de son électricité, ayant renoncé au nucléaire civil et ayant gelé le développement de nouvelles capacités de production. Cette panne a relancé le débat sur la dépendance énergétique du pays. Mais elle souligne aussi les insuffisances des réseaux européens et des infrastructures de transport.
Rome de notre correspondant
A qui la faute ? La cause de la gigantesque coupure d'électricité qui a paralysé l'Italie pendant plusieurs heures, dimanche 28 septembre, n'était toujours pas clairement établie 24 heures après l'incident.
La complexité des réseaux interconnectés en Europe ne facilite pas les diagnostics, et les autorités italiennes, françaises et suisses n'ont cessé de se renvoyer la balle au cours de la journée de dimanche.
Une série d'incidents sur des lignes à haute tension venant de Suisse et de France ont provoqué des surcharges puis l'arrêt en cascade de tout le réseau électrique italien. "Nous avons perdu le contrôle en quatre secondes", a déclaré Andrea Bollino, le président du GRTN, la société gestionnaire du réseau électrique. A cette heure-là, les 6 000 mégawatts importés constituaient l'essentiel de l'énergie disponible dans le pays, car l'opérateur italien profite de tarifs nocturnes, plus avantageux pour ses achats.
"Notre système est vulnérable parce que nous dépendons trop de l'étranger pour la fourniture d'électricité", a admis M. Bollino. Selon les estimations officielles, l'Italie doit acheter 17 % de ses besoins sur le marché international. La production nationale, à travers un parc de centrales vieillissant, a de plus en plus de mal à répondre à une consommation en augmentation (environ 2 % par an). Fin juin, sous l'effet de la canicule et de la sécheresse, un pic de consommation avait obligé l'opérateur à d'importants délestages touchant 6 millions de foyers.
Le gouvernement italien a annoncé l'ouverture d'une enquête pour déterminer les raisons de la spectaculaire coupure de courant de ce week-end. Toutefois, le ministre de l'activité productive, Antonio Marzano, indique lui-même qu'il "faut distinguer entre les causes conjoncturelles et les causes plus profondes".
Le "black out", comme disent les Italiens, relance le débat sur les systèmes européens d'approvisionnement et sur l'indépendance énergétique de l'Italie. Cette question n'a jamais vraiment été tranchée depuis que les Italiens ont renoncé au nucléaire par référendum en 1987.
Pour Cofindustria, le patronat italien, il ne faut pas chercher plus loin la raison du "black out". "Il est le fruit dramatique d'une longue série d'erreurs que notre pays accumule depuis vingt ans, et de l'absence d'une politique énergétique nationale claire et précise", écrit l'organisation patronale dans un communiqué. "La question de l'énergie est devenue désormais une urgence nationale, insistent les industriels. Il est indispensable que le gouvernement Berlusconi l'affronte de manière décidée (...) sous peine de mettre à genoux l'économie italienne."
Ce jugement n'est pas très éloigné de celui de l'opposition de centre gauche, qui dénonce "la très lourde responsabilité du gouvernement". Selon Piero Fassino, secrétaire des Démocrates de gauche (DS), "ce gouvernement n'a pas avancé une seule proposition en matière énergétique depuis deux ans". Un projet de loi sur l'énergie, déjà passé à la Chambre des députés, est en panne au Sénat depuis 18 mois, essentiellement en raison de divergences entre les diverses composantes de la majorité.
RÉVEIL DU LOBBY NUCLÉAIRE
Le ministre de l'activité productive a néanmoins rappelé qu'un décret du gouvernement, l'an dernier, avait débloqué la construction de plusieurs nouvelles centrales électriques. Selon lui, des autorisations ont été données pour 11 000 mégawatts, mais seuls 2 000 sont actuellement en chantier. Ce retard est imputé aux lenteurs bureaucratiques et aux oppositions locales instrumentalisées par les écologistes.
"Il faut dépasser les divergences politiques et administratives qui ont empêché de construire en Italie toutes les nouvelles centrales électriques nécessaires à la consommation sociale et au développement économique", a averti le président de la République, Carlo Azeglio Ciampi, lors d'une cérémonie à Naples. Secrétaire d'Etat à l'activité productive, Adolfo Urso renvoie la responsabilité à l'opposition, "qui n'a pas fait ce qu'elle devait quand elle était au pouvoir". Selon lui, c'est "la charge émotionnelle de l'idéologie qui, depuis longtemps dans ce pays, a empêché de faire le nécessaire pour son autonomie et sa souveraineté énergétique, contrairement à des pays voisins comme la France".
Le lobby nucléaire de la Péninsule s'est aussitôt réveillé. Selon plusieurs experts, il faudrait entre cinq et dix ans pour construire une nouvelle centrale. Mais Paolo Fornaciari, président du Comité de relance du nucléaire, est plus volontariste. Selon lui, deux anciennes centrales (Caorso et Trino Vercellese) pourraient techniquement repartir. "En vingt mois, jure-t-il, on peut réactiver la production d'énergie électrique nucléaire."
Redevenue priorité nationale en l'espace de quelques heures, l'autonomie énergétique du pays devait figurer à l'ordre du jour du conseil des ministres, lundi 29 septembre. Un conseil pourtant déjà très chargé avec l'examen du projet de budget pour 2004 et la présentation de la réforme des retraites.
Jean-Jacques Bozonnet