Nous souhaitons pour assurer l'avenir de l'Irak, une fois Saddam Hussein chassé du pouvoir, la constitution d'un gouvernement d'union nationale représentatif de toutes les composantes du pays. Mais si les Etats-Unis s'installent durablement en Irak, il faudra craindre le pire."
Chef incontesté du Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak (CSRI), l'ayatollah Mohamed Baker el-Hakim, en exil en Iran, est à la tête d'un des principaux partis de l'opposition au régime de Saddam Hussein.
Un parti-clé avec lequel Washington devra compter. Militairement présent sur le front intérieur, avec au nord les volontaires des brigades Al-Badr et, au sud, avec les combattants des milices populaires, le CSRI rassemble les chiites irakiens, majoritaires dans le pays avec 62% de la population. Leur leader, l'ayatollah Baker el-Hakim vient d'une famille qui a lourdement payé son tribut à la lutte contre le pouvoir en place à Bagdad.
Près de trente de ses parents ont été exécutés depuis l'avènement du parti Baas.
Un chef bien gardé
L'ayatollah Baker el-Hakim a installé son quartier général dans une grande villa cossue sise dans une rue tranquille de Téhéran. Avant de rencontrer le chef du CSRI il faut montrer patte blanche. Et franchir de nombreux contrôles de sécurité, effectués par des gardes en treilli militaire, la mine sombre, attentifs au moindre geste suspect. La méfiance règne. L'attentat qui a coûté la vie à l'Afghan Massoud, assassiné par de pseudo journalistes, a servi de leçon...
"Vous avez un téléphone portable?" L'appareil, confisqué, ne sera rendu qu'au moment du départ. "Vous voulez faire des photos? Enregistrer?" Le matériel vérifié dans le détail sera ouvert, le logement des piles inspecté. "Levez les bras"! S'ensuit une fouille au corps minutieuse pour s'assurer que le visiteur ne cache pas d'arme. "Ok..."
Escorté de ses proches collaborateurs, l'ayatollah Baker el-Hakim s'installe dans le salon de réception. Après une invite à boire le traditionnel thé à l'arabe, il ouvre la discussion.
"Il y a actuellement en Irak une double situation. D'une part le régime de Saddam Hussein se prépare à faire face à la guerre. Il installe des unités militaires dans le centre des principales villes du pays et les mêle aux populations locales. Il tente ainsi de provoquer un maximum de pertes parmi les civils afin d'obliger les opinions publiques horrifiées à faire pression sur leurs gouvernements.
D'autre part le peuple irakien attend avec impatience la chute de la dictature et espère que les événements lui rendront la liberté.
- Mais si les Etats-Unis n'attaquent pas?
- Actuellement le gouvernement de George W. Bush poursuit le déploiement de ses forces dans la région dans l'attente d'une résolution des Nations Unies pour intervenir. Mais tout indique aujourd'hui que les Etats-Unis sont déterminés à passer à l'attaque, même seuls.
- Selon vous Saddam Hussein possède-t-il des armes de destruction massive?
- L'existence de ces armes est une réalité en ce qui concerne le chimique et le biologique. C'est dans ces domaines à l'évidence que l'ONU doit chercher des preuves. Nous l'avons dit depuis le début des inspections.
En ce qui concerne le nucléaire, je suis catégorique. L'Irak ne possède pas la bombe atomique, même s'il essaie d'acquérir la technologie nécessaire à sa fabrication.
- Si Washington décide d'une guerre cela impliquera la présence de soldats américains sur sol irakien. Qu'en pensez-vous?
- Nous ne connaissons pas les intentions des Américains sur le long terme. Mais s'ils veulent confisquer la conduite des affaires de l'Irak, le peuple refusera. Cela créera des problèmes pour tout le monde et des accidents pourraient survenir. Jamais l'Irak n'a accepté une présence étrangère sur son territoire national. De graves incidents surviendraient car une occupation ouvrirait la voie aux extrémistes.
- A court terme que cherchent les Américains?
- Les Américains ont trois désirs. Ils essaient de se débarrasser du régime de Saddam Hussein et des dangers qu'il représente. Ils tentent de trouver une balance sur le marché du pétrole qui leur permette de réguler l'approvisionnement mondial. Enfin, ils veulent transformer l'Irak sur un modèle occidental.
- Mais est-ce que ça peut marcher?
- La menace réside dans l'importance des changements qu'ils entendent instaurer. Si le peuple irakien ne peut accepter ces conditions, ce sera une nouvelle guerre!
- Quelle solution politique préconisez-vous?
- La meilleure solution consiste, après la chute de la dictature, à laisser le peuple irakien libre de commencer lui-même les changements. La communauté internationale doit aider à la constitution d'un gouvernement issu de la volonté populaire, représentatif de toutes les composantes de la nation, qu'elles soient chiites, sunnites ou kurdes...
- On évoque parfois une partition de l'Irak entre ces trois composantes...
- Il ne s'agit pas d'un danger car le peuple irakien souhaite conserver sa cohésion nationale. Une partition devrait être imposée par la violence. Et si c'était le cas l'intervention américaine se transformerait en invasion!
- Comment voyez-vous la réconciliation nationale dans l'Irak de l'après-Saddam?
- Nous pensons qu'un nombre limité de gens ont du sang sur les mains. Beaucoup ont certes des responsabilités dans les crimes mais à des degrés à déterminer. Un gouvernement national devra se pencher sur ces problèmes et le cas échéant décréter une amnistie pour les complices du régime les moins coupables. Mais si des troupes américaines devaient s'installer en Irak pour une longue période, un processus de réconciliation serait voué à l'échec car très vite il laisserait place à des règlements de comptes incontrôlables.
- Si les Irakiens s'emparaient de Saddam vivant, que se passerait-il?
- Il faudrait le passer en jugement pour démontrer la gravité de ses crimes. Le monde n'a pas vraiment conscience des méfaits de cette dictature. Et un procès permettrait de vérifier l'importance d'un gouvernement d'union nationale, basé sur la justice et la loi. Et surtout sans immixtion étrangère!
Propos recueillis à Téhéran
par Antoine Gessler
Source www.nouvelliste.ch
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Le Smiley de la mort !! (8÷þ