Voici un article très instructif. On peut dire qu'Alstom n'est pas né sous une bonne étoile.
Tiré du Monde du 06/08/03
" Une défaillance majeure du capitalisme français
La question de la viabilité d'Alstom était posée avant même sa naissance.
Contrairement à l'affable Pierre Bilger, son prédécesseur, Patrick Kron, PDG d'Alstom depuis mars, n'a jamais caché son inquiétude sur l'avenir du groupe. On le comprend. Avec près de 5 milliards d'euros d'engagements financiers, soit près de cinq fois ses fonds propres, l'entreprise est au bord de la faillite. Sa reprise en mains par ses créanciers et l'Etat en témoigne. Une fois de plus, les administrateurs vont chercher à sauver les apparences. Pourtant, la transparence - nouveau sésame du capitalisme - devrait au contraire inciter les actionnaires à comprendre comment ce grand nom de l'industrie mondiale en est arrivé là.
M. Bilger, qui aurait dû avoir la décence de ne pas quitter l'entreprise avec 5,1 millions d'euros d'indemnités, porte sa part de responsabilité. Autant par ses choix stratégiques que parce qu'il a toujours refusé de reconnaître que les conditions mêmes de la naissance d'Alstom compromettaient son avenir. Pourtant, lorsque Alcatel et le britannique GEC, ses deux actionnaires à 50-50, le mettent en Bourse en 1998, ils siphonnent au préalable le groupe en exigeant 1,2 milliard d'euros en guise d'adieux ! Un mois avant que sa filiale ne prenne son autonomie, le groupe de Serge Tchuruk l'oblige même à s'endetter pour racheter 1,5 milliard d'euros Cegelec, autre filiale dont Alcatel veut se débarrasser. Alstom n'avait que faire de Cegelec - qui sera revendu, en 2001, 756 millions - mais qu'importe : M. Tchuruk a touché son chèque qu'il investira, avec le succès que l'on sait, dans les télécommunications.
Dès lors, Alstom fait irrésistiblement penser au loup de Tex Avery courant dans le vide au-delà de la falaise, avant de s'écraser au sol. Dans cette industrie lourde où un contrat se négocie souvent durant plusieurs années, Alstom est obnubilé par ses soucis financiers à court terme. Du coup, le groupe est obligé de prendre des risques insensés. Quitte, par exemple, à se retrouver avec huit navires de croisière sur les bras quand le client, Renaissance Cruise, est incapable d'honorer sa commande.
Outre sa fragilité originelle, Alstom a aussi été victime de la crise provoquée par Enron et quelques autres. Ces courtiers en énergie promettaient tant et tant que les fournisseurs de centrales se frottaient les mains. Puisque les prix de l'électricité allaient baisser grâce à la concurrence, la demande allait forcément exploser. Il fallait donc construire des centrales, et vite. Au lieu de mettre au point sa propre technique, Alstom, qui jusque-là travaillait sous licence avec General Electric, a décidé d'acheter le savoir-faire d'ABB. L'erreur a été fatale : la technique n'était pas au point. Outre une image de marque ternie, ce rachat coûtera plus de 5 milliards d'euros à Alstom, un montant qui finira d'achever le malade.
DEMANDER DES COMPTES
Gouvernement d'entreprise oblige, les salariés, les pouvoirs publics et les petits actionnaires sont en droit de demander des comptes aux administrateurs. Alcatel et GEC (aujourd'hui Marconi) ont-ils vraiment agi dans l'intérêt d'Alstom en le mettant sur le marché sans s'assurer qu'il dispose d'un actionnariat stable capable de voler à son secours ? Le tour de table est éloquent : Alstom est aujourd'hui la propriété des seuls financiers, majoritairement anglo-saxons, et de ses salariés, seuls actionnaires stables !
De même, il est permis de s'interroger sur le fonctionnement du conseil d'administration. Alors qu'il siégeait dans le saint des saints, le comité d'audit, M. Kron a reconnu dans Le Monde (du 29 avril) que la situation était "plus difficile que ce qu'-il- avai -t- anticipé". Est-ce à dire qu'il ne connaissait pas tous les engagements d'Alstom ?
Le fait que près de quatre mois se sont écoulés entre son arrivée comme directeur général (le 1er janvier 2003), sa prise de pouvoir effective (en mars) et ses premières annonces stratégiques (en avril) ne laisse pas de surprendre. Il est vrai qu'en novembre M. Bilger tenait encore des propos lénifiants : " Au cours des sept ou huit dernières années, nous avons positionné Alstom comme l'un des trois premiers mondiaux dans chacun de ses quatre métiers. Patrick Kron va devoir transformer l'essai. A partir de ces positions de premier plan, en termes de parts de marché, son défi est de porter la performance opérationnelle d'Alstom au niveau mondial", expliquait-il dans Le Monde (du 6 novembre 2002). Tenait-il ce discours devant les administrateurs ?
Moins médiatique que l'échec de Jean-Marie Messier, la faillite d'Alstom offre une nouvelle illustration des dysfonctionnements du capitalisme français que l'intervention en catastrophe de l'Etat ne fait que souligner."
Message édité par tuxracer le 07-08-2003 à 18:39:05