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- Extrait GEAB N°49 (15 novembre 2010) -
Une analyse LEAP publiée 4 mois avant le premier sondage confirmant cette tendance En France, l'année 2010 a vu la prise de conscience croissante dans l'opinion publique d'un triple échec de la stratégie de l'UMP et de son leader, Nicolas Sarkozy, qui a notamment abouti à des niveaux d'impopularité présidentielle sans équivalent depuis les débuts de la V° République en 1958 (1) et qui déterminent le choc électoral de 2012 : - l'incapacité à tenir les principales promesses électorales en matière de croissance, d'emploi et de revenu (résumées dans le fameux slogan de la campagne présidentielle « Travailler plus pour gagner plus »). En effet, la crise mondiale a mis un terme à tout espoir de réduction du chômage (c'est le contraire qui s'est imposé) tandis que l'austérité mise en place pèse lourdement sur les classes moyennes et défavorisées. - une méthode de gouvernement qui a heurté durablement une grande majorité de Français tout en prouvant son inefficacité opérationnelle. Trois exemples illustrent parfaitement ces tendances :
- en matière de politique extérieure : le retour de la France dans l'OTAN, l'engagement militaire français croissant en Afghanistan et l'alignement quasi-complet de la diplomatie française sur celle de Washington. Ces décisions ont été prises sans avoir été mentionnées dans la campagne présidentielle (c'est même le contraire que Nicolas Sarkozy avait annoncé en ce qui concerne l'Afghanistan) et sans aucune consultation démocratique ultérieure. Elles ont donc choqué une grande partie de l'opinion et en particulier une proportion significative de l'électorat UMP traditionnel, attaché à l'héritage gaulliste en matière d'indépendance nationale. C'est d'ailleurs cet électorat-là qui permet la candidature dissidente de Dominique de Villepin (2), ancien Premier Ministre de Jacques Chirac, à la manœuvre lors du refus français de soutenir l'invasion américano-britannique de l'Irak, puisqu'un nombre identique d'électeurs de droite (15% chacun) souhaitent leur candidature pour 2012 (3).
- en matière de politique économique, fiscale et sociale : le traitement du dossier des retraites sans aucun dialogue social et le « bouclier fiscal » (4) ont renforcé le sentiment général (ces thèmes génèrent des oppositions de larges majorités de Français y compris dans l'électorat de droite) (5) d'une approche inefficace des problèmes socio-économiques, ignorant toute dimension de dialogue et se faisant systématiquement au profit des classes les plus favorisées. L'affaire Bettancourt (héritière de l'Oréal et première fortune de France), son cortège de révélations problématiques pour les dirigeants français et le chaos judiciaire qui en résulte marquent profondément l'opinion publique, notamment dans les milieux populaires qui ont fourni les contingents d'électeurs-transfuges, passées en 2007 du vote Front national au vote UMP. Le clivage entre « eux et nous », « les riches et puissants » d'un côté et « le peuple » de l'autre joue désormais pleinement en défaveur de l'UMP alors qu'il avait fortement desservi le Parti socialiste en 2007 (thématique d'une « gauche-caviar », parisienne et déconnectée du peuple).
- en matière de grands principes républicains : les politiques mises en œuvre en ce qui concerne l'éducation nationale, le traitement des minorités ou des immigrés génèrent des sentiments croissants de rejet. Ce sont bien entendu des groupes différents qui réagissent selon les politiques concernées mais deux tendances se dégagent systématiquement : un sentiment d'une trahison de nombreuses valeurs républicaines (6), ce socle de valeurs communes qui fondent la France moderne depuis près de deux siècles et qui sont non seulement les héritières des Lumières mais aussi de la tradition chrétienne. Ce dernier point a été illustré par l'opposition bruyante des catholiques aux mesures prises contre les Roms. En résumé, sur cet aspect principiel, l'UMP apparaît de manière croissante, y compris à une partie traditionnelle de son électorat, plus proche du centre, comme un mouvement politique en rupture avec les valeurs du pays. D'ailleurs, le Nouveau Centre (7), pourtant satellite de l'UMP, compte bien présenter un candidat au premier tour des présidentielles de 2012 en la personne d'Hervé Morin, actuel ministre de la Défense. Ce seront encore quelques pourcentages de voix qui n'iront pas à l'UMP au premier tour.
- un style présidentiel qui n'aura pas survécu à la crise : l'UMP paiera en 2012 l'addition électorale du style « people » qu'a essayé d'imposer Nicolas Sarkozy à l'image présidentielle française. Personne ne saura jamais si sans la crise, le style « bling-bling », mêlant « paillettes » et « ors de la République », aurait eu une chance de réussir à séduire les Français. Toujours est-il que la crise mondiale et son cortège de difficultés économiques et sociales, de chômage et d'austérité, n'auront fait qu'une bouchée de cette tentative. Mais électoralement la difficulté durable pour l'UMP c'est que le président français ne parvient pas à effectivement effacer cette image de l'esprit collectif. Or la crise socio-économique ne pouvant que s'aggraver d'ici 2012, c'est désormais une image totalement contre-productive en terme de communication politique.
En résumé, notre équipe constate donc qu'en cas très probable de nouvelle candidature de Nicolas Sarkozy (8), toutes les conditions sont désormais réunies pour que le premier tour de l'élection présidentielle française de 2012 voie un effondrement historique du score de l'UMP, déserté par ses électeurs centristes (9), par ses électeurs « gaullistes » et par son électorat populaire (transfuge 2007 du Front National pour l'essentiel). Et selon LEAP/E2020 cet effondrement profitera en premier lieu au Front National (10) pour trois raisons fondamentales : - l'électorat populaire qui avait permis la victoire de Nicolas Sarkozy était venu pour l'essentiel du Front National (qui avait alors réalisé un score très faible). Or cet électorat, déçu du Sarkozysme, est depuis reparti vers le FN qui a réalisé de très bons scores aux dernières élections régionales. Cette situation explique ainsi la récente radicalisation sécuritaire et anti-immigration du gouvernement français dans une vaine tentative de récupérer ces électeurs. Et elle s'illustre par les déclarations de députés UMP qui prônent une alliance avec le Front National lors des élections législatives de 2012 (11). La crainte d'une déroute législative de l'UMP en 2012 quelques semaines après une déroute présidentielle est visiblement présente dans l'esprit d'un nombre croissant de députés du parti actuellement au pouvoir en France. Et les alliances du même type effectuées aux Pays-Bas, au Danemark, en Italie ou en Autriche suscitent des vocations. - la multiplication de ces alliances en Europe entre la droite dite « traditionnelle » et l'extrême-droite reflète une tendance européenne fondamentale (12) dont la crise accélère l'évolution. Les inquiétudes socio-économiques facilitent l'impact des discours politiques simplistes, identifiant des boucs émissaires (minorités, immigrés) tandis que la crédibilité démocratique des partis de droite traditionnelle est érodée fortement par leur collusion avec les pouvoirs financiers au cœur de la crise et leur gestion de mesures impopulaires. En la matière, hélas, rien de bien neuf sous le soleil politique ! Et ce phénomène jouera donc pleinement en France en 2012. - l'émergence à la tête du Front National d'une nouvelle génération de « frontistes » incarnée par la « fille du chef », Marine Le Pen, renforce l'attractivité électorale de cette formation en modernisant son image (jeunes générations), en l'adoucissant (une femme) et en l'éloignant du passé « sulfureux » du fondateur. Marine Le Pen appartient pleinement à cette génération européenne des « petits-fils » (et « petites-filles » de Pétain, Mussolini, Hitler, Franco, ...) comme les Wilders (Pays-Bas), Fini (Italie), De Wever (Belgique), Strache (Autriche), Vona (Hongrie), Tudor (Roumanie), Kjaersgaard (Danemark), … (13) -------- Note: (1) Source : Le Figaro, 08/11/2010 (2) Le degré de haine entre ce dernier et Nicolas Sarkozy, nourri entre autres choses de la confuse « Affaire Clearstream », est tel que Dominique de Villepin ne se cache même pas de vouloir à tout prix empêcher l'actuel Président de la République d'être réélu en 2012. Il a même déclaré récemment que « Nicolas Sarkozy est un des problèmes de la France ». Source : Le Monde, 07/11/2010 (3) Source : L'Express, 14/09/2010 (4) Grande mesure symbolique du début de quinquennat, le gouvernement est dorénavant obligé d'envisager sa suppression. (5) Sources : Le Figaro, 15/10/2010 ; Le Point, 08/10/2010 ; France 2, 20/09/2010 (6) Nous ne mentionnerons qu'en passant la tentative avortée d'imposer le fils du président de la République à la tête de l'établissement public gérant le quartier d'affaires de La Défense qui a pourtant durablement choqué une partie de l'électorat de droite attachée aux valeurs de l'effort et du mérite. Pour en savoir plus : Wikinews (7) Qui fait entendre une voix de plus en plus discordante justement sur ces questions de valeurs (retraites, Roms, …). (8) Une autre candidature officielle de l'UMP reste bien entendu envisageable mais elle sonnerait en fait une implosion du parti lui-même conçu comme la machine électorale du président de la République et des luttes internes sauvages. Une candidature du Premier Ministre François Fillon continuerait à devoir payer le prix électoral de deux des trois échecs mentionnés ci-dessus (seul le « style présidentiel » ne serait plus un handicap) mais il est probable qu'elle n'empêcherait pas une multiplication de candidatures concurrentes car François Fillon n'a pas de légitimité électorale pour s'imposer aux autres prétendants. (9) Ceux du centre-gauche qui avait déserté la candidature de Ségolène Royal sont depuis un moment déjà revenu de toute illusion sur l'actuel président français comme l'a montré d'ailleurs l'échec de l' « ouverture à gauche », tombée aux oubliettes comme l'illustrera le prochain remaniement ministériel. (10) Il faut garder en mémoire qu'en 2002, le Front National avait créé la surprise en s'imposant au second tour de l'élection Présidentielle française, ayant dépassé le Parti socialiste. (11) Source : Le Figaro, 20/10/2012 (12) Il est intéressant de relire à ce sujet l'anticipation publiée par Franck Biancheri en Novembre 1998, intitulée « Europe 2009 : quand les petits-fils d'Hitler, Pétain, Franco et Mussolini prendront le pouvoir dans l'Union européenne ». Plusieurs des tendances à l'œuvre aujourd'hui et conduisant à ces chocs électoraux étaient déjà bien identifiables il y a une douzaine d'années. (13) Pour avoir une vue exhaustive de cette génération européenne d'extrême-droite, consulter la très bonne carte réalisée par L'Express du 11/10/2010.
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