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L'inflation réduit presque à zéro la rémunération du Livret A
LE MONDE | 25.11.03 | 12h46 Assorti d'un taux d'intérêt de 2,25 % face à une hausse des prix de 2,2 % à la fin octobre, le produit favori des épargnants ne rapporte plus rien, pour la première fois depuis le début des années 1980. Le gouvernement plaide que la mesure de l'inflation doit être jugée en excluant le tabac.
Le livret a, placement préféré des ménages, n'est plus attractif. Son taux d'intérêt - ramené de 3 % à 2,25 % le 1er août 2003 - se rapproche dangereusement du niveau de l'inflation. L'Insee a annoncé, le 13 novembre, que l'indice des prix à la consommation avait progressé de 2,2 % (tabac inclus) entre octobre 2002 et octobre 2003. Placer son argent sur un Livret A, un Livret bleu ou un Codevi ne rapporte donc plus que 0,05 % hors inflation. Une situation, inédite depuis le début des années 1980, qui n'est pas près de changer.
Le gouvernement a en effet décidé, le 21 juillet, que l'évolution du taux du Livret A ne serait plus le fruit d'une décision politique, mais d'un processus automatique. A partir du 15 juillet 2004, pour application le 1er août, le niveau de sa rémunération sera calculé par la Banque de France sur la d'une formule simple : il sera équivalent à la moyenne entre le taux d'inflation (hors tabac) et le taux d'intérêt de l'argent placé à trois mois (dit Euribor), majoré de 0,25 point. Il sera revu chaque semestre. D'ici là, aucun rendez-vous n'est prévu pour le modifier.
Les 46 millions de titulaires d'un Livret A n'auront pas d'autre choix que de se serrer la ceinture. Et si l'on décidait aujourd'hui d'en recalculer le taux en applicant la nouvelle formule, ils ne seraient pas gagnant pour autant. Le ministère des finances rappelle, en effet, que le taux d'inflation de référence pour le Livret A est l'indice des prix hors tabac. Or, une fois neutralisée la hausse brutale du prix des cigarettes en octobre, l'inflation s'établit non pas à 2,2 % sur un an, mais à 1,8 %. Cela laisserait donc une marge de 0,45 % aux titulaires de Livret A. Le texte réglementaire qui définit la formule ne précise pas explicitement qu'il s'agit de l'inflation hors tabac. Mais, "il y a au moins huit ou dix ans que l'on raisonne hors prix du tabac, car celui-ci est essentiellement composé de taxes, ce n'est pas un prix de marché", explique Philippe Auberger, député (UMP, Yonne), président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui centralise les fonds déposés sur les livrets A afin de les affecter au financement du logement social. "Si l'on incluait le tabac, il faudrait réviser le taux du livret, chaque fois que l'on relève le prix des cigarettes dans le cadre de la lutte contre le tabagisme !", poursuit-il. Une source gouvernementale ajoute : "Il va falloir s'habituer à la politique de lutte contre le tabac ou l'alcool, à la politique de sécurité routière, elles sont là pour longtemps. En ce qui concerne le tabac, le but est qu'il ne soit plus un produit de consommation courante."
Le taux d'intérêt à trois mois étant de 2,15 %, si la nouvelle formule était appliquée, le taux du Livret A n'aurait donc pas besoin d'être modifié. S'il est si proche de l'inflation, cela tient aussi au très bas niveau des taux d'intérêt, précise-t-on à la CDC. En période de croissance vigoureuse, les investisseurs craignent des tensions sur les prix et exigent des taux supérieurs de un, voire deux points à l'inflation. Mais comme la reprise est molle, la hausse des prix ne semble pas les inquiéter. En outre, le faible niveau du dollar face à l'euro permet de faire baisser le prix des produits importés.
Selon la CDC, la situation ne justifierait donc sans doute pas - même s'il y avait une échéance en janvier pour recalculer le taux - que la Banque de France invoque des "circonstances exceptionnelles". Elle a, en effet, la possibilité de proposer un taux différent de celui résultant de la formule, si ce dernier ne permet pas "de préserver globalement le pouvoir d'achat des épargnants". La Banque de France précise, en outre, qu'elle ne pourra utiliser cette procédure qu'à partir de juillet 2004.
D'ailleurs les placements à taux de marché disponibles à court terme (les sicav monétaires, par exemple) offrent des taux aussi bas que ceux du Livret A et ils ne sont pas totalement défiscalisés. Les obligations d'Etat, les sicav obligataires, les contrats d'assurance-vie en euros (essentiellement placés en obligations) ou les actions rapportent certes plus. Mais ils sont plus risqués (en particulier pour les actions) ou supposent parfois que l'on bloque son épargne.
Le Livret A continue donc à intéresser les épargnants, et la baisse de son taux n'a pas entraîné de décollecte. Sur 2003, la Caisse des dépôts s'attend à 1 milliard d'euros de retraits (avec une accélération - 3 milliards de décollecte - entre août et fin décembre), sur un encours total de 110 milliards. Interrogé jeudi 20 novembre sur BFM, le directeur général de la CDC, Francis Mayer, a expliqué : "C'est beaucoup moins qu'après la baisse des taux de 1996, où la décollecte avait été supérieure à 11 milliards d'euros, et après celle de 1999, où elle avait été de l'ordre de 9 milliards d'euros." Il en conclut que l'opération de baisse des taux "était nécessaire et réussie". Il rappelle aussi qu'elle "permet de financer à un meilleur coût le logement social (...) ", ajoutant que "le gouvernement a demandé à la Caisse de réserver une enveloppe de 4 milliards (sur les fonds du Livret A) pour financer des grandes infrastructures comme les TGV ou les transports en sites propres dans les grandes villes".
M. Auberger rappelle que "l'économie souffre d'un excès d'épargne". Lundi 17 novembre, dans un discours devant la communauté financière, le ministre des finances a indiqué que "le niveau de l'épargne est élevé". "Notre objectif est donc de mieux orienter les flux d'épargne vers des usages productifs, notamment le financement des entreprises au travers de l'épargne en actions", a ajouté Francis Mer, saluant "la création du produit d'épargne retraite qui nous manquait, le PERP". Pour Jean-Pierre Balligand, député (PS) de l'Aisne, "la droite a diminué le taux du Livret A au moment où l'on commençait à voir poindre les prémices d'une reprise de l'inflation. Il aurait fallu baisser les taux beaucoup plus tôt. Leur décision n'est pas naïve : ils avaient décidé de s'attaquer à l'épargne populaire. Ils parient sur le redémarrage des Bourses et veulent orienter l'épargne vers de marché." M. Balligant prévient, toutefois, que "derrière le Livret A, il y a le logement social. S'il n'est plus attractif, il y a un risque d'hémorragie." Mais si les taux remontent, c'est la politique du gouvernement en matière de logement social qui peut être bousculée.
Sophie Fay
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