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n°800230
Beavis and​ Butt-head
Posté le 08-07-2003 à 22:47:43  profilanswer
 

http://www.homme-moderne.org/index.html
 
 
Alain Accardo vient de publier << Le petit-bourgeois gentilhomme. La moyennisation de la société >>, aux Éditions Labor.
   
 
 
 
.1 - Au cours de votre parcours professionnel et intellectuel, dans quelles circonstances avez-vous rencontré le travail sociologique de Bourdieu, ainsi que cet auteur ?
 
R.- J?ai rencontré Pierre Bourdieu en 1958, à l?Université d?Alger où il avait été nommé assistant, à l?issue de son service militaire, effectué en Algérie. Il venait de publier son premier ouvrage, Sociologie de l?Algérie, et il était chargé d?enseigner la sociologie aux étudiants en philosophie dont je faisais partie (il n?y avait pas encore de filière autonome pour la sociologie). Il m?intégra rapidement à un groupe de recherche qu?il avait constitué et j?ai été ainsi conduit, en compagnie de mon condisciple Abdelmalek Sayad, qui devait devenir son collaborateur et ami ? et un éminent sociologue de l?émigration ? à participer aux enquêtes sur le terrain, à Alger d?abord, puis dans la région de Collo, en Petite-Kabylie, d?où devait sortir la publication de Travail et Travailleurs en Algérie (Mouton, 1963). Nous n?avons jamais perdu contact depuis ce temps-là.
 
 
 
Q.2 - En publiant La sociologie de Bourdieu (1986), avec Philippe Corcuff, et Introduction a une sociologie critique (1997), qu'est-ce qui vous a conduit à faire ?uvre de vulgarisation ?
 
R.- En fait l?Introduction à une sociologie critique (Le Mascaret, 1997) a été la réédition, refondue et augmentée, d?un ouvrage publié en 1991 sous le titre Initiation à la sociologie ? l?illusionnisme social ; une lecture de Bourdieu, ouvrage qui était lui-même une réédition améliorée d?un premier ouvrage publié dès 1983.
 
Au début des années 80, avant même le retour de la gauche au pouvoir et ses tristes reniements, mon évolution personnelle m?avait conduit à la conviction ? plus ou moins reléguée au second plan par la dépense d?énergie militante qu?il fallait investir en permanence sur le terrain du combat politique et syndical pour une union de la gauche qui ne fût pas un simple machin électoraliste (ce qu?elle allait malheureusement devenir) ? que la gauche dans son ensemble ne disposait pas de toutes les ressources théoriques nécessaires pour penser le mouvement réel de la société et le stade où celle-ci se trouvait. Jusque-là, l?ancrage de la tradition marxiste/communiste et le renfort du structuralisme avaient maintenu, dans le champ intellectuel, la vision théorique du social au niveau macrosociologique, celui des grandes structures objectives impersonnelles et des agents collectifs. Quant au niveau microsociologique, celui des interactions individuelles et des structures de la subjectivité personnelle, il était abandonné à des approches psychologiques qui tendaient trop souvent à réduire le social à de l?intersubjectif quand ce n?était pas à une simple juxtaposition de faits individuels. On était donc assez mal outillé pour combler l?écart entre les niveaux macro et micro, c?est-à-dire pour penser dialectiquement leurs rapports. Personnellement je me sentais de plus en plus mal à l?aise devant l?hiatus grandissant que je percevais entre les projets exaltants de l?utopie révolutionnaire et le mode de vie réel, à l?américaine, qui faisait du petit-bourgeois individualiste, hédoniste et spéculateur, la véritable figure de l?Homme nouveau.
 
En tant que sociologue, j?étais d?autant plus sensible à ces lacunes que j?étais assez bien informé des travaux réalisés en science sociale et plus précisément, pour en avoir suivi de façon détaillée la progression depuis le début, des travaux de Bourdieu et de son école. J?avais assisté avec enthousiasme, année après année, à la construction d?un édifice théorique, d?une richesse et d?une diversité empiriques impressionnantes et d?une grande puissance conceptuelle, qui faisait voler en éclats les cloisonnements académiques entre les différents terrains de la recherche et qui se caractérisait justement par sa capacité d?embrasser l?ensemble du monde social en articulant de façon cohérente le macro et le micro, l?objectif et le subjectif, l?interne et l?externe, en en montrant l?interpénétration et les rapports réciproques. Au début des années 80, des ?uvres importantes et parfois majeures étaient déjà publiées, comme L?amour de l?art (1966), Le métier de sociologue (1968), La reproduction (1970), La distinction (1979), Le sens pratique (1980). C?est dire qu?on disposait déjà des principaux outils d?analyse qui étaient à l??uvre dans la grille bourdieusienne et qui permettaient de se donner une vision plus juste et plus actuelle de la réalité des classes et de leurs rapports.
 
Malheureusement, la connaissance de ces travaux qui auraient pu aider à enrichir ou renouveler les perspectives traditionnelles sur le social, était assez peu répandue en dehors des cercles spécialisés (et encore !) et peu nombreux étaient, en France, ceux qui connaissaient vraiment la sociologie de Bourdieu et étaient capables d?en tirer parti dans leur travail personnel. Cette ignorance s?accompagnait même, dans bien des cas, dans le mouvement syndical et politique, d?une méfiance qui durait depuis le temps où la publication (en 1964) de Les Héritiers avait froissé la susceptibilité, c?est le moins qu?on puisse dire, des milieux enseignants de gauche, plutôt hermétiques, à cette époque-là, à l?idée que la lutte des classes était aussi une lutte des classements, y compris des classements scolaires et universitaires et que le système scolaire n?était pas aussi libérateur qu?on le proclamait depuis des générations. Il y avait aussi cette hostilité quasi instinctive et si répandue que déclenche chez les individus des sociétés individualistes, surtout chez les plus instruits, la menace supposée dans toute analyse sociologique de vouloir les arracher à leur singularité et leur originalité pour les renvoyer à leur sérialité et leur anonymat. D?une façon générale, les analyses de Bourdieu indisposaient tout le monde : d?un côté, les tenants de la tradition marxiste officielle parce qu?ils ne retrouvaient pas chez lui les schémas habituels qui servaient depuis des lustres à expliquer, de façon très objectiviste et économiste le mouvement de la société et à fétichiser le rôle révolutionnaire du prolétariat et de ses porte-parole. C?est ainsi qu?au PCF on a très longtemps tenu Bourdieu pour un sociologue « bourgeois » et « académique ». De l?autre, les partisans de l?ordre établi le tenaient pour un dangereux « gauchiste », voire un « crypto-communiste », rêvant de subversion violente. Les « gauchistes » enfin, parce que ses analyses de la prétention des prétendants au pouvoir éclairaient trop crûment leur révolutionnarisme de pacotille. Pour tous il faisait figure a priori d?adversaire et d?épouvantail, ce qui dispensait d?examiner vraiment ce qu?il disait. Les intellectuels, en particulier ceux qui avaient partie liée avec le pouvoir et les médias, l?ont très vite poursuivi de cette haine inexpiable et habilement euphémisée qui est un des sous-produits spécifiques du champ intellectuel. Bref, il dérangeait à droite, à gauche, au centre, partout, en pratiquant la sociologie comme « un sport de combat », sans concession.
 
En tant qu?intellectuel et militant de gauche, j?étais désolé de cette méconnaissance et de cette hostilité. J?avais le sentiment grandissant que ce qui manquait cruellement à la pensée de gauche, c?était une théorie de la subjectivité bien fondée sociologiquement, malgré les tentatives louables de certains penseurs marxistes pour développer une théorie matérialiste à partir des linéaments esquissés par Marx lui-même. Et le travail de Bourdieu, qui mariait le meilleur de Marx, de Durkheim et de Weber, me paraissait justement de nature à combler cette lacune. Il était de plus en plus clair à mes yeux que le nouveau matérialisme historique, le marxisme vivant en somme, c?était dans sa sociologie qu?il fallait le chercher, et pas ailleurs. Il me semblait donc nécessaire de faire connaître davantage ses analyses. Je m?y efforçais déjà dans le cadre de mon enseignement universitaire, mais il fallait aller au-delà de ce cadre restreint et contribuer à les populariser vraiment, pour répondre au souhait que Bourdieu formulait lui-même de « disséminer plus largement les armes de la critique sociale ». J?espérais, sans trop y croire, que d?autres sociologues, plus qualifiés et plus renommés que moi, s?attelleraient à cette tâche. J?étais plutôt sceptique parce que je savais (justement grâce aux analyses bourdieusiennes du champ intellectuel) que dans le monde scientifique en général, entre ceux qui se censurent parce qu?ils occupent des positions dominées et qu?ils craignent, à tort ou à raison, de paraître prétentieux ou de ne pas être à la hauteur de l?entreprise et ceux qui s?abstiennent parce que, occupant des positions dominantes, la divulgation de leur savoir leur paraît une tâche « vulgaire » et dévalorisante, il ne reste plus grand monde pour faire ce travail à la fois très délicat et peu rentable sur le plan universitaire, travail pourtant utile si on veut que la science serve à autre chose qu?à faire des carrières de mandarins, à alimenter des projets technocratiques et à renforcer l?arsenal symbolique des groupes dominants.
 
C?est la raison essentielle pour laquelle j?ai pris finalement la décision d?élaborer moi-même, vaille que vaille, un texte de vulgarisation de la sociologie de Bourdieu, ou plus exactement de ce que je pensais en avoir saisi et qui me paraissait tellement éclairant pour la compréhension des stratégies des agents sociaux. Ma motivation était donc fondamentalement militante. Dans mon esprit, il ne s?agissait absolument pas d?un investissement à finalité universitaire. Il s?agissait au contraire de faciliter l?accès à la sociologie de Bourdieu pour des militants politiques, syndicaux, associatifs, comme ceux que je côtoyais à longueur de temps et qui, à de très rares exceptions près, soit ne connaissaient rien de cette ?uvre, soit y avaient mis occasionnellement le nez et en avaient conclu que c?était « difficile à comprendre », « compliqué », voire « illisible » et avaient renoncé à aller plus loin. Mon entreprise rencontra succès et échec à la fois. Échec dans la mesure où le public visé par mon ouvrage, pour des raisons sociologiques que mon emballement militant m?avait fait sous-estimer, n?a pas été vraiment atteint. Succès dans la mesure où l?ouvrage trouva un public intellectuel (chez les enseignants et leurs élèves en particulier) et a quand même, finalement, contribué modestement à une plus large diffusion de la pensée bourdieusienne. D?autant que l?entrée de Bourdieu au Collège de France, en 1982, avait suscité une curiosité plus grande envers son travail. Par la suite, d?autres milieux se sont intéressés à mon ouvrage, comme celui des travailleurs sociaux. C?est cet accueil relativement favorable qui a justifié les rééditions successives et qui m?a encouragé à réaliser la seconde partie projetée de ce travail de présentation, sous forme d?un recueil de textes tirés des ?uvres de Bourdieu, que j?ai réalisé en collaboration avec Philippe Corcuff.
 
Aujourd?hui, le nom de Bourdieu est connu et respecté de tous ceux qui se battent contre les dominations établies et les abus de tous les pouvoirs. Cette immense célébrité est malheureusement de date récente. La plupart des gens de gauche connaissent l?homme pour ses prises de position politiques retentissantes de décembre 95 (mais cette intervention était loin d?être la première). Quant à l??uvre elle n?est, on peut le craindre, pas beaucoup mieux connue pour autant. Du moins dans sa substance profonde. Ceux qui ont eu la possibilité d?en prendre connaissance, des intellectuels pour la plupart, n?en ont pas toujours tiré un parti véritable (quand ils n?ont pas entrepris de la combattre furieusement, et pas toujours très honnêtement).
 
Comme le soulignait avec raison Jacques Bouveresse dans un hommage à la mémoire de Bourdieu, celui-ci a été « un des rares intellectuels d?aujourd?hui à être encore capable de tirer des conséquences » de ce qu?il avait appris et compris. Mais parmi ceux qui ont connaissance de ses analyses, rares sont ceux qui les comprennent, au sens fort du mot comprendre, c?est-à-dire qui les intègrent à leur propre substance, les ajoutent à leur être, en tirent les conséquences théoriques et surtout pratiques et s?en trouvent effectivement changés dans leurs rapports à eux-mêmes et au monde environnant. S?approprier les analyses de Bourdieu équivaut en effet à entreprendre un interminable travail de « socioanalyse » personnelle, un travail sur soi-même qui conduit à prendre conscience non seulement de l?existence de mécanismes objectifs cachés de la domination sociale (cet aspect des choses est relativement facile à comprendre et à admettre), mais encore et surtout que les plus cachés, les plus obscurs de ces mécanismes objectifs sont en nous, sont nous-mêmes, sont devenus notre propre substance. En d?autres termes, quiconque veut critiquer sérieusement, avec cohérence et conséquence, la société environnante, doit assumer le devoir d?autoréflexivité ou, si l?on préfère, la dimension autocritique inséparable de toute critique sociale, puisque la société n?existe pas seulement autour et à l?extérieur de nous, mais qu?elle est aussi nous-mêmes et qu?il faut donc éclairer cette dialectique complexe entre le social fonctionnant à l?extérieur (le social objectivé ou histoire-qui se fait-choses) et le social fonctionnant à l?intérieur (le social incorporé ou histoire-qui se fait-personnes), l?un ne pouvant fonctionner sans l?autre. Et cet aspect-là des choses, il ne suffit pas d?être « de gauche » pour le percevoir et le prendre en charge. Comme le disait encore Bouveresse à propos de Bourdieu : « il avait sûrement raison de penser qu?en matière sociale, la volonté de ne pas savoir est aujourd?hui une chose plus réelle que jamais. » Et si, en dépit des hommages de principe qui lui sont rendus, la vision bourdieusienne du social est si peu partagée en pratique, c?est parce qu?elle oblige ceux qui la prennent au sérieux à combattre en eux-mêmes, péniblement, douloureusement, cette « volonté de ne pas savoir » qui est précisément l?une des manifestations profondes et les moins contrôlées de l?incorporation du système dans les individus et la marque de leur adhésion à ce système-là, au-delà (ou en deçà) des critiques partielles qu?ils peuvent lui adresser explicitement sur certains points. Quand le social s?incorpore et s?intériorise, il se transforme en inconscient social. Ainsi beaucoup de gens à l?heure actuelle savent parfaitement que la mondialisation capitaliste est une abomination, une entreprise criminelle organisée et planifiée. Ils en dénoncent les promoteurs et se mobilisent pour la combattre explicitement, dans certains de ses aspects objectifs les plus évidents. Mais entre deux manifestations pour une alter-mondialisation, nombreux sont ceux qui continuent à vivre ou à rêver d?une existence personnelle de plus en plus étroitement calquée sur le modèle de la petite-bourgeoisie américaine asservie au bonheur capitaliste, modèle dont ils ne réalisent pas, bien souvent, à quel point il est tributaire du capitalisme multinational et contribue en retour à diffuser, renforcer et imposer l?idéologie aliénante de la mondialisation capitaliste, ce qu?on pourrait appeler, avec Boltanski et Chiappello, Le nouvel esprit du capitalisme, cet esprit qui anime des millions d?hommes et de femmes des classes moyennes (et sans doute aussi de plus en plus des classes populaires) et qui en fait des complices qui s?ignorent du système capitaliste. La volonté de ne pas savoir n?est pas nécessairement une volonté expresse et délibérée de ne pas voir la réalité, de s?aveugler soi-même (encore que chez certains, à certains moments, on puisse en arriver à cette forme paradoxale de dénégation), c?est plutôt une volonté floue, diffuse, implicite, par défaut en quelque sorte, de préserver sa bonne conscience, son confort matériel, intellectuel et moral, en continuant à se raconter des histoires auxquelles on veut croire. Volonté de ne pas savoir et volonté de croire vont de pair. Trop de gens ne veulent changer du monde social que la place qu?ils y occupent. Ou bien sont prêts à révolutionner la société autour d?eux à condition de ne rien changer à eux-mêmes. C?est à travers ces stratégies équivoques que s?accomplit la logique d?un système qui excelle à changer pour mieux conserver.
 
Bref, je persiste à penser, vingt ans après ma première tentative de vulgarisation, que si la gauche avait appris à porter sur le social (et donc aussi sur elle-même) un regard plus bourdieusien, elle ne serait pas intellectuellement dans l?état semi-comateux où l?ont mise les penseurs de « l?adaptation à la modernité » et du libéral-socialisme. Et c?est pourquoi j?approuve et soutiens la démarche de ceux qui, aujourd?hui, font l?effort d?étudier et de diffuser la sociologie de Bourdieu, qui reste, dans l?état actuel des choses, un des meilleurs instruments de compréhension du monde social dans toutes ses dimensions.
 
 
 
Q.3 - En tant que vulgarisateur de Bourdieu et pamphlétaire, appelant à une prise de conscience, votre travail de réflexion est basé sur l'idée qu'il y a une importante dimension libératrice dans le dévoilement des mécanismes cachés de la domination. Jusqu'où, selon vous, peut aller cette marge de man?uvre face aux contraintes sociales décrites par Bourdieu ?
 
R.- J?ai déjà répondu en partie à cette question en répondant à la question précédente. J?ajouterai seulement que si le « dévoilement des mécanismes cachés de la domination » a toujours été un travail d?une importance capitale dans la lutte révolutionnaire ? l?idée que les « lumières » de la raison sont libératrices est aussi vieille que le rationalisme ? il faut éviter de tomber dans l?erreur typiquement intellectualiste de croire qu?il suffit de mettre en circulation des idées justes et vraies pour changer la réalité et libérer le genre humain. Bourdieu ne commettait pas cette erreur. Au contraire il a forgé des outils théoriques qui permettent justement de comprendre pourquoi les idées, même justes, ne suffisent pas, à elles seules, à changer le monde. Les idées qui circulent ne sont pas émises ni reçues par de purs esprits « sans attaches ni racines », mais par des agents sociaux individuels et collectifs façonnés et structurés en profondeur par un univers social déterminé. Ils sont enracinés dans cette réalité sociale autant qu?elle est enracinée en eux, sous forme de représentations, d?intérêts, de croyances, de sentiments, d?habitudes, de désirs, d?inclinations, etc., en rapport étroit et toujours pré-réflexif au départ, avec leur condition de classe et les positions occupées dans les différents champs de leur pratique individuelle et collective. C?est dire que s?il est possible, en principe, de savoir où commence (dans quelle expérience, quel événement, quelle situation) la prise de conscience d?un agent, on ne peut pas savoir à l?avance jusqu?où elle ira ni avec quels effets. Cela dépendra du double rapport des forces qui va s?instaurer autour de lui et en lui, entre l?ensemble des propriétés qui poussent au changement et l?ensemble des propriétés qui poussent à la conservation. Quoi qu?il en soit, l?évolution des agents sociaux ne s?effectue pas de façon mécanique, ni automatique, ni monolithique, non plus que dans une totale clarté de l?entendement. Nous sommes porteurs d?intérêts et d?attentes multiples et contradictoires, liés à nos investissements pratiques dans différents champs sociaux, spécifiques et relativement autonomes les uns par rapport aux autres et chacun de nos intérêts a des raisons que la raison ignore. De façon très générale, on a tendance à sous-estimer la force d?inertie liée à la capacité des agents sociaux, socialement acquise et entretenue, à faire de nécessité vertu, à s?accommoder de tout, même du pire, et à « aimer leur destin ». Et c?est un travail terriblement long et difficile de repérer et de couper, les unes après les autres, avec le bistouri de l?analyse rationnelle, les adhérences charnelles qui nous attachent viscéralement à notre univers existentiel et nous font supporter l?insupportable.
 
Pour quelqu?un qui s?efforce de penser la réalité (et donc aussi de se penser) dans une optique bourdieusienne, l?obstacle peut-être le plus difficile à surmonter, et pour cette raison parfois insurmontable, c?est l?effet de désenchantement que provoque l?analyse sociologique en faisant apparaître le caractère mystificateur des multiples mythologies dont ont besoin les rapports de domination pour fonctionner sans trop recourir à la coercition (par exemple le mythe de l?individu libre et souverain dans notre système). Toutes ces illusions, qui flattent notre besoin de distinction personnelle et de prestige collectif, agissent sur nous comme des stupéfiants dont nous avons du mal à nous décrocher.
 
C?est pourquoi d?ailleurs il est préférable de cheminer avec d?autres, d?inscrire son combat personnel dans une lutte collective ; ça aide à réfléchir et à avancer, à condition de ne pas s?en remettre totalement à des gens qui pensent et agissent en votre nom. Marx le soulignait déjà, la transformation de soi-même et la transformation des circonstances extérieures vont de pair dans l?activité révolutionnaire.
 
 
 
Q.4 - Dans l'introduction de La société de verre, Philippe Corcuff se réclame, en partie, de votre réflexion. Vous même, avez-vous lu de Corcuff Bourdieu autrement ? Qu'en pensez-vous ?
 
R.- Je ne peux que penser beaucoup de bien d?un ouvrage qui, avec une évidente sympathie pour son objet et en s?appuyant sur une connaissance approfondie de l??uvre de Bourdieu, s?efforce de montrer en quoi et dans quelle mesure celle-ci constitue une contribution majeure à l?avancement de la science sociale. À la différence de certains autres sociologues actuels, Corcuff ne nie pas sa dette envers le travail de Bourdieu auquel il rend justice contre certains contresens et caricatures. En même temps il est très attentif, selon son habitude, aux limites et conditions de validité des énoncés, aux disparates, aux modulations, aux ruptures et aux imports normatifs qu?introduit dans toute ?uvre scientifique d?envergure le fait qu?elle se soit édifiée dans le temps, dans la controverse et sur des bases empiriques et des méthodes déterminées. Mais cela n?a vraiment de sens que pour un lecteur qui a déjà une bonne connaissance des travaux en question et qui peut vérifier sur pièces le degré de bien-fondé des interprétations proposées. Personnellement, elles me paraissent procéder pour une grande part d?un pointillisme épistémologique que je ne partage pas.
 
Cela dit, on le sait, le propre des grandes ?uvres, c?est de se prêter à des lectures multiples, jamais exhaustives ni définitives, qui sont d?ailleurs tout autant en rapport avec la complexité et la richesse de leur contenu objectif qu?avec la trajectoire et les propriétés positionnelles de chaque lecteur. La multiplicité des églises « chrétiennes », des courants « marxistes » et des chapelles « freudiennes » n?a rien ôté à l?importance des ?uvres fondatrices, au contraire. Pour autant on ne peut faire dire à ces ?uvres tout et le contraire. Il faut se garder, quand on décompose un tout en ses éléments constituants, d?altérer ou de perdre le sens global qu?il possède en tant qu?ensemble organisé, sa « gestalt » en quelque sorte. Il est arrivé à Bourdieu de définir lui-même sa sociologie comme un « structuralisme constructiviste ». On peut, comme fait Corcuff, être plus sensible à la dimension constructiviste de l??uvre et aux « fragilités » de son auteur, ou bien, comme je le fais, être plus sensible à la dimension structuraliste et à la fermeté de sa pensée et de son combat. Je ne pense pas que ces différences d?appréciation constituent un vice rédhibitoire pour l?une ou l?autre lecture, dès lors qu?elles préservent l?essentiel. Mais je continue à croire que l?appel à la mobilisation et à la lutte pour changer la réalité ? appel devenu récurrent et explicite chez Bourdieu ? serait proprement inutile si l?histoire avait montré que l?inertie des structures sociales existantes pouvait être surmontée de façon progressive ? et dans un sens progressiste ! ? par le jeu spontané, conjoncturel et consensuel des forces de changement. Ce n?est au contraire qu?en mettant énormément d?énergie sociale au service d?un projet révolutionnaire explicite et raisonné qu?on peut espérer surmonter la violence inerte des structures et leur durable capacité de reproduction globale (élargie ou pas). Il y a aujourd?hui, dans le monde intellectuel, soumis à sa façon aux mêmes forces fondamentalement rétrogrades et réactionnaires qui poussent à revenir sur tous les acquis progressistes dans tous les domaines, une tendance à sous-estimer le poids et la cohérence des structures objectives, à nier l?existence même d?un « système » au nom des failles, des lacunes et des contradictions internes de tout système social complexe historiquement constitué, et à surestimer l?autonomie des stratégies individuelles et la liberté de man?uvre des agents. On a là un exemple de plus de ce « biais scolastique » dont parlait Bourdieu à propos des intellectuels qui tendent à généraliser leur propre rapport au monde, beaucoup moins lucide et libre qu?ils ne le croient généralement. En fait, ce que l?on constate depuis fort longtemps, c?est que spontanément et dans l?ensemble, les capacités d?innovation des individus vont plutôt dans le sens de la soumission à la logique des structures que dans le sens de la résistance et de la subversion, comme on peut le vérifier en examinant les stratégies de la plupart des individus de la plupart des groupes sociaux, y compris chez les très distingués professionnels de l?innovation créatrice, libre et jaillissante que seraient les cadres ou les artistes ou les intellectuels, dont les poussées d?anti-conformisme et les révolutions de palais sont généralement parfaitement contenues et gérées par l?ordre établi. Le système capitaliste se fout éperdument des « transgressions symboliques ». Mieux même, il les organise et les cultive. Non, on n?insistera jamais assez sur le fait que l?ordre établi est aussi installé dans les têtes et dans les tripes et que ce qui fait sa force, du moins chez nous, ce ne sont pas ses sbires, mais c?est, comme le soulignait déjà Spinoza, cette « volonté qu?il installe en nous de nous plier à son usage », notre « sens pratique, socialement constitué » dirait Bourdieu. C?est d?ailleurs le contraire qui serait surprenant et difficilement explicable sociologiquement. C?est pourquoi on est obligé de se battre, de toutes ses forces, pour essayer de renverser la vapeur. « Là où il y a de la lutte, il y a de l?espoir », répétait Bourdieu. Et là seulement. Et ce n?est pas, j?en suis convaincu, un militant sincère et de longue date comme Corcuff qui soutiendrait le contraire.
 
 
 
Q.5 - Lorsque vous interpellez les intellectuels, est-ce parce qu'ils ont, de par leur capital culturel et symbolique, proportionnellement plus d'atouts pour se libérer des contraintes sociales ? Ou, à l'inverse, est-ce parce qu'ils ont un rôle déterminant dans la légitimation de la domination ?
 
R.- C?est pour les deux raisons, qui d?ailleurs n?en font qu?une à mes yeux.
 
 
 
Q.6 - Si nos actes et nos prises de positions sont le produit de dispositions socialement déterminées, que peut-on attendre d'une prise (crise ?!) de conscience ?
 
R.- Que précisément elle nous conduise, moyennant le travail nécessaire, à comprendre que nos dispositions sont socialement conditionnées et dès lors à agir sciemment sur les conditions sociales, dans un sens ou un autre, au lieu de rester passivement agis par elles, dans une illusion de liberté. S?agissant de gens « de gauche », on peut espérer que, prenant conscience de ce qu?est réellement, objectivement, leur conditionnement social, ils cessent de croire qu?on change la société capitaliste en changeant de gouvernement.
 
 
 
Q.7 - Dans Le petit-bourgeois gentilhomme, vous prônez, p. 84, le refus de participer à l'orgie consumériste et une forme raisonnée et maîtrisée de consommation, comme un aspect essentiel (mais non exclusif) du combat à mener contre le capitalisme. En quoi ce discours se différencie-t-il de ceux des sociologues de la massification dont se moquait Bourdieu ?
 
R.- C?est une chose de constater des phénomènes objectifs (et mesurables) de « massification » sur le marché de l?offre et de la demande de biens de toute nature (plus de nourriture, de voitures, d?appareils électro-ménagers, d?ordinateurs, de maisons individuelles, d?études et de diplômes, de vacances à la neige, etc.), c?en est une autre d?en inférer, comme ont cru pouvoir le faire certains sociologues, que dans notre « société d?abondance » tout le monde consomme de tout, que les inégalités ont été rabotées, et surtout que la transformation de la population en une masse de libres consommateurs accédant tous au libre marché a fait disparaître la structure des classes sociales et a démocratisé les rapports sociaux.
 
À ce genre d?élucubrations (pas tout à fait innocentes) on peut répondre, comme l?a fait Bourdieu dans La distinction en particulier, d?abord qu?en matière d?analyse des pratiques et des consommations il faut être attentif au moins autant à leur modalité qu?à leur matérialité. Monsieur Jourdain peut se payer des pratiques de gentilhomme, mais son argent ne peut lui procurer la manière aristocratique de se les approprier, ce style de vie qui fait encore la différence entre le parvenu et l?indigène de vieille souche.
 
Ensuite et surtout, il faut tenir compte de la translation structurale qui généralement, dans un domaine donné, maintient les écarts entre les pratiques dominées et les pratiques dominantes. Celles-ci forment avec celles-là une structure de distribution relativement stable et solidaire. Si les unes évoluent dans les mêmes proportions et dans le même sens que les autres, au bout du compte le fossé persiste, quand il ne s?est pas creusé davantage et la compétition sociale s?apparente ainsi à une course-poursuite épuisante et interminable, où l?avance quantitative et qualitative des dominants ne peut pas diminuer. Ce qui fait la supériorité sociale et le prestige des dominants, ce n?est pas tant la grandeur en valeur absolue de leurs propriétés, que la différence ? l?écart temporel, en particulier ? entre ces propriétés et celles des autres concurrents.
 
C?est pourquoi je pense que, du moins en ce qui concerne les classes moyennes particulièrement investies dans cette course ruineuse aux consommations et aux pratiques (faussement) distinctives, ce mode de vie est évidemment plus conforme et favorable à la logique du capitalisme que la démarche inverse, celle qui consiste à refuser de jouer plus longtemps ce jeu de dupes et à se donner d?autres objectifs dans l?existence que d?accroître sa consommation en croyant qu?on accroît son importance sociale. A fortiori si on veut lutter contre le capitalisme. C?est ce que j?ai essayé d?expliquer dans mes derniers ouvrages.
 
J?ai conscience qu?il faudrait beaucoup insister sur cette question qui est, selon moi, d?une importance cruciale pour l?avenir de notre société. Le système capitaliste tire sa force de l?adhésion de la majorité des populations, au moins dans nos sociétés développées. Cette adhésion n?est pas, le plus souvent, une adhésion intellectuelle, lucide et explicite aux dogmes du libéralisme. C?est une adhésion plus pratique que réfléchie, qui s?effectue sur le plan de la vie quotidienne, et plus précisément par le biais du niveau de vie et du style de vie, que les agents adoptent ou s?efforcent d?adopter continûment. Ils ont le sentiment que globalement, vivre ainsi, c?est bon, c?est beau, c?est bien, c?est souhaitable (même s?il y a « des choses à améliorer »). Et à la base (ou au centre) de ce mode de vie, il y a le fait de consommer, c?est-à-dire d?effectuer, moyennant finances, une appropriation matérielle et/ou symbolique. La « ruse objective » du système capitaliste c?est d?avoir, au fil des générations, transformé l?être humain en un consommateur insatiable de biens, réel ou potentiel. Toute société et tout individu dans la société ont besoin de définir un « sens de la vie », de trouver leur raison d?être. Tout se passe comme si la seule raison d?être massivement reconnue et acceptée était désormais d?accéder à de nouvelles consommations, comme si consommer n?était plus un moyen de vivre mais la fin en soi de toute existence. Et comme dans l?économie capitaliste tout bien est une marchandise qui se vend et s?achète, la boulimie consumériste forme un cercle vicieux avec la soif d?argent qui permet de se procurer toute marchandise.
 
Il est très difficile de développer une réflexion critique sur cet aspect des choses. Pour une raison évidente : l?existence d?inégalités fantastiques entre les consommations des uns et des autres. Ces inégalités sont arbitraires, iniques et révoltantes. Et c?est un devoir fondamental de tout humanisme digne de ce nom de les combattre. On ne peut donc qu?approuver et soutenir toutes les revendications visant à améliorer les moyens d?existence des êtres humains. Mais le légitime combat pour améliorer les moyens d?existence est difficile, obsédant et interminable, génération après génération, à tel point qu?il finit par obnubiler tout horizon et que les moyens d?existence se transforment pratiquement en fins ultimes, deviennent des valeurs en soi, dans un système qui a fait de l?argent le critère de toute valeur. Il est significatif à cet égard que si la collectivité s?accorde à admettre qu?il existe un « seuil de pauvreté » au-dessous duquel il est dramatique de descendre, en revanche il n?existe aucune notion de « seuil de richesse » au-delà duquel il serait indécent de monter. Et l?immense majorité de la population trouve normal de vivre dans une société dont la devise réelle est devenue : « enrichissez-vous et jouissez sans fin et sans frein de tous les plaisirs que l?argent achète ! » Devise dont on ignore ou feint d?ignorer que son accomplissement concret au bénéfice de certains, repose sur l?appauvrissement, l?exploitation et l?oppression du plus grand nombre.
 
On entend de plus en plus souvent dire, à juste raison, que ce qui est en jeu au-delà ou au travers des revendications portées par les mouvements sociaux d?aujourd?hui, c?est « un choix de société », « un choix de civilisation ». Telle est en effet la question majeure que pose à l?Humanité tout entière l?évolution du monde : « pour quoi faire sommes-nous sur la Terre ? pour mener quelle vie ? » Question « toute bête » et en même temps fondamentale, décisive, vitale.
 
On conçoit que des hommes et des femmes dont la vie est un enfer de chaque jour, comme il y en a des millions sur la planète (y compris dans les sociétés « développées »), des êtres dont le peu d?énergie dont ils disposent leur sert uniquement à survivre, soient éventuellement conduits à mettre entre parenthèses toute spéculation sur des questions de civilisation, et se laissent fasciner par le spectacle clinquant et alléchant du monde riche. Personne de sensé n?aurait l?indécence de le leur reprocher ni de craindre qu?ils tombent trop vite dans de regrettables excès.
 
Mais quand on considère les populations comme celles dont nous faisons partie, qu?il est convenu d?appeler globalement « classes moyennes » ou « petites-bourgeoisies », et qu?on constate que le plus souvent, même quand (dans le meilleur des cas) elles critiquent le système, leurs critiques vont rarement jusqu?à remettre en question la pente fondamentale imprimée à leur existence par le système, faute de voir clairement que c?est justement par le style de vie unique qu?il impose (et pas seulement par la « pensée unique »), que le système capitaliste les tient prisonniers et complices (qui ne-veulent-pas-savoir) de ses iniquités morales, de son indigence spirituelle, de sa démesure et de sa barbarie, alors, quand on constate cela, on se sent en droit, et même en devoir, de dire haut et fort : « nous faisons fausse route, réfléchissons aux moyens individuels et collectifs de sortir de cette danse macabre, et même s?il n?est pas possible de couper d?un coup tous les fils qui nous attachent au système, refusons d?être plus longtemps des marionnettes qu?il agite à sa guise. » Une socioanalyse d?inspiration bourdieusienne peut grandement nous y aider.


Message édité par Beavis and Butt-head le 10-07-2003 à 14:03:09
mood
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Posté le 08-07-2003 à 22:47:43  profilanswer
 

n°800239
loOol
Laura
Posté le 08-07-2003 à 22:49:13  profilanswer
 

[:totozzz] faut etre motivé pour tt lire, un ptit resumé ?

n°800248
kowalski
Posté le 08-07-2003 à 22:50:40  profilanswer
 

loOol a écrit :

[:totozzz] faut etre motivé pour tt lire, un ptit resumé ?


 
Tu connais pas B&B :D
 
 
Coucou beavis au fait  :hello:

n°800265
verdoux
And I'm still waiting
Posté le 08-07-2003 à 22:53:13  profilanswer
 

Tain, ça faisait longtemps !
 
T'as mis du temps pour le taper celui-là. Toujours tes pb psycho-moteurs ?

n°800273
kun
Power, Beauty and Soul
Posté le 08-07-2003 à 22:54:10  profilanswer
 

verdoux a écrit :

Tain, ça faisait longtemps !


 
merde j allais le dire  :lol:

n°800299
Dion
Acceuil
Posté le 08-07-2003 à 22:57:17  profilanswer
 

Je me pose une question, pkoi on lui dit rien alors qu'il ne fait que copier coller une page sans rien apporter comme commentaires ou autres ? :D
 
(j'aime B&B :D)

n°800315
freewind
Soliste en MAJEUR
Posté le 08-07-2003 à 22:59:55  profilanswer
 

gni!!!!!!
 :heink:
ya un concours pour le post le plus long????  :heink:

n°800328
Osama
Posté le 08-07-2003 à 23:01:28  profilanswer
 

j'ai pas compris à partir de la 2ème ligne http://a1112.g.akamai.net/7/1112/492/07312000/www.wired.com/news/images/thumbs/starwarskid2.gif

n°800522
Muchacho
Posté le 08-07-2003 à 23:41:42  profilanswer
 

Intéressant.
Mais ce qui m'intéresserait plus, ce serait de savoir ce que toi tu en penses, Beavis & Butthead.

n°800583
izz
NON aux Brevets Logiciels
Posté le 09-07-2003 à 00:00:46  profilanswer
 


Tiens, le retour de B&B. Salutations. Je vais lire ça ...
 
 [:izz]  

mood
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Posté le 09-07-2003 à 00:00:46  profilanswer
 

n°800685
Iblis666
Il est tout vert...
Posté le 09-07-2003 à 00:17:04  profilanswer
 

Muchacho a écrit :

Intéressant.
Mais ce qui m'intéresserait plus, ce serait de savoir ce que toi tu en penses, Beavis & Butthead.


 
parce que tu crois sérieusement qu'un mec qui poste ce genre de discours prémaché est capable de penser par soi-même ? [:rofl]

n°800712
Pyrus
Pas de cravate ? Erreur 1017
Posté le 09-07-2003 à 00:22:45  profilanswer
 

Tous complice ainsi que quelques phrases glanés de ci de là ...
C'est un texte d'un trotskiste de chez Arlette ?

n°800715
amibe
nage forrest, nage!
Posté le 09-07-2003 à 00:23:05  profilanswer
 

Iblis666 a écrit :


 
parce que tu crois sérieusement qu'un mec qui poste ce genre de discours prémaché est capable de penser par soi-même ? [:rofl]


 
c'est plutôt par lui-même  :o  
mais bon c'est HS  :D  

n°800724
Iblis666
Il est tout vert...
Posté le 09-07-2003 à 00:24:41  profilanswer
 

amibe a écrit :


 
c'est plutôt par lui-même  :o  
mais bon c'est HS  :D  
 


 
euh ouais [:aloy]

n°800745
amibe
nage forrest, nage!
Posté le 09-07-2003 à 00:28:44  profilanswer
 

Iblis666 a écrit :


 
euh ouais [:aloy]


 
 
dsl je pinaille un peu ça doit être le sommeil...  :sleep:  
hop au dodo  :ange:

n°802246
Muchacho
Posté le 09-07-2003 à 11:41:10  profilanswer
 

Iblis666 a écrit :


 
parce que tu crois sérieusement qu'un mec qui poste ce genre de discours prémaché est capable de penser par soi-même ? [:rofl]


Le discours n'a rien de "premaché". Je suppose que tu veux dire que B&B n' fait que regurgiter un bouquin, ce qui est vrai.
Et j'ose esperer que quelqu'un ayant lu l'oeuvre de Bourdieu a un espirt critique, d'ou ma question.

n°807779
Beavis and​ Butt-head
Posté le 10-07-2003 à 12:57:38  profilanswer
 

Comme si un up pouvait faire remonter l'intelligence de quelques anonymes aux cervelles incapables du moindre effort neuronal soutenu.

n°807879
freaxinthe​night
Posté le 10-07-2003 à 13:18:53  profilanswer
 

Muchacho a écrit :

Intéressant.
Mais ce qui m'intéresserait plus, ce serait de savoir ce que toi tu en penses, Beavis & Butthead.


il me semble que c'est bien résumé dans le titre ? Ou alors ça aurait pu être "tous soumis" ?

n°808070
kowalski
Posté le 10-07-2003 à 13:47:28  profilanswer
 

Beavis and Butt-head a écrit :

Comme si un up pouvait faire remonter l'intelligence de quelques anonymes aux cervelles incapables du moindre effort neuronal soutenu.


 
Notre satanée névrose anale :/  :love:

n°832606
Muchacho
Posté le 15-07-2003 à 22:01:11  profilanswer
 

Beavis and Butt-head a écrit :

Comme si un up pouvait faire remonter l'intelligence de quelques anonymes aux cervelles incapables du moindre effort neuronal soutenu.

HS.
 
T'interesser a des commentaires ineptes ne fait rien avancer.

n°832611
THE REAL K​RYSTOPHE
ストリートファイターBrasileiro NTSC-J
Posté le 15-07-2003 à 22:01:57  profilanswer
 

tien B&B  ca rulez ?


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AC : SW-5993-1459-0978 / dani / THE REAL KRYSTOPHE (Miss) / Pinacolada   Hémisphère sud
n°832614
Profil sup​primé
Posté le 15-07-2003 à 22:02:13  answer
 

tin ca existe encore ces topics la  :love:  :love:  :love:

n°832617
THE REAL K​RYSTOPHE
ストリートファイターBrasileiro NTSC-J
Posté le 15-07-2003 à 22:02:39  profilanswer
 

BudWeiser a écrit :

tin ca existe encore ces topics la  :love:  :love:  :love:  


 
ds 30 sekondes c loké par goret !! :D


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AC : SW-5993-1459-0978 / dani / THE REAL KRYSTOPHE (Miss) / Pinacolada   Hémisphère sud
n°847013
Beavis and​ Butt-head
Posté le 18-07-2003 à 13:09:39  profilanswer
 

Muchacho a écrit :

Intéressant.
Mais ce qui m'intéresserait plus, ce serait de savoir ce que toi tu en penses, Beavis & Butthead.


 
Vas-y! Toi d'abord!

n°847088
ChtiGariX
Retraité
Posté le 18-07-2003 à 13:22:07  profilanswer
 

:lol:


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Retraité de discussions
n°847208
Beavis and​ Butt-head
Posté le 18-07-2003 à 13:41:24  profilanswer
 

THE REAL KRYSTOPHE a écrit :

tien B&B  ca rulez ?


 
Ca bronzez! ;)
Et toi? Do you bronzé?

n°847249
Gurumedita​tion
Dépoussiérant
Posté le 18-07-2003 à 13:45:31  profilanswer
 

Yaisse ! Un topic b&b, ca faisait carrément longtemps !!
 
t'étais ban ou quoi ?


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mikhail a dit : Comme j'ai dis plus haut, on va parler des nouvelles découvertes et peut importe qu'elle sont conforme aux lois de la physique ou non. C'es tout. De toute façon, le temps mettras tout a ça place.
n°847687
THE REAL K​RYSTOPHE
ストリートファイターBrasileiro NTSC-J
Posté le 18-07-2003 à 14:25:34  profilanswer
 

Beavis and Butt-head a écrit :


 
Ca bronzez! ;)
Et toi? Do you bronzé?  


 
nan un peu le bronzage informatik albinos la  mais ds 15 joors kramage indice de kreme 150 :D


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AC : SW-5993-1459-0978 / dani / THE REAL KRYSTOPHE (Miss) / Pinacolada   Hémisphère sud
n°847792
Maitre Obi​wan
Jack D. featuring Obiwan K.
Posté le 18-07-2003 à 14:37:31  profilanswer
 

vive les copier coller!
 
on devrait euthanasier ceux qui font des topic au sujet aussi long  :o


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Je sais ce qui ne va pas dans ce pays, nous dépensons un fric que nous n'avons pas pour acheter des choses dont nous n'avons pas besoin pour impressionner des gens que nous n'aimons pas...
n°848157
chimere
Ce soir c est bonsoir .
Posté le 18-07-2003 à 15:18:59  profilanswer
 

c est quoi ce topic ?!!!
je vais pas passer 3 heures a lire ce pavé personne pour faire un résumé ?

n°848215
Beavis and​ Butt-head
Posté le 18-07-2003 à 15:25:51  profilanswer
 

gurumeditation a écrit :

Yaisse ! Un topic b&b, ca faisait carrément longtemps !!
 
t'étais ban ou quoi ?


 
Bien vu!
J'ai eu le malheur d'utiliser les mots "chochotte" et "taffiote" pour décrire un blablateur...une modote que j'avais traitée de névrosée quelques jours plus tôt a sauté sur l'occasion. La vengeance est un plat qui se mange tiède! Et la censure une réalité sur les forums internet. Mais bon...c'est pire à la télé...et je n'ai pas la parole tous les soirs à 20h sur TF1...

n°848283
Beavis and​ Butt-head
Posté le 18-07-2003 à 15:33:19  profilanswer
 

THE REAL KRYSTOPHE a écrit :

nan un peu le bronzage informatik albinos la  mais ds 15 joors kramage indice de kreme 150 :D


 
La crème 150 est de couleur albinos justement! Si ce serait pas ce que Derrick appelerait un indice alors je donne ma langue au chien! Tu partirais pas en direction de ce que d'aucuns appellent...le soleil? Alors? Qui c'est le champion?

n°848296
THE REAL K​RYSTOPHE
ストリートファイターBrasileiro NTSC-J
Posté le 18-07-2003 à 15:35:11  profilanswer
 

Beavis and Butt-head a écrit :


 
La crème 150 est de couleur albinos justement! Si ce serait pas ce que Derrick appelerait un indice alors je donne ma langue au chien! Tu partirais pas en direction de ce que d'aucuns appellent...le soleil? Alors? Qui c'est le champion?


 
je sais pas le troo ds la kooche d eauzone peut etre ?


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AC : SW-5993-1459-0978 / dani / THE REAL KRYSTOPHE (Miss) / Pinacolada   Hémisphère sud
n°848307
freaxinthe​night
Posté le 18-07-2003 à 15:36:27  profilanswer
 

Beavis and Butt-head a écrit :


 
Bien vu!
J'ai eu le malheur d'utiliser les mots "chochotte" et "taffiote" pour décrire un blablateur...une modote que j'avais traitée de névrosée quelques jours plus tôt a sauté sur l'occasion. La vengeance est un plat qui se mange tiède! Et la censure une réalité sur les forums internet. Mais bon...c'est pire à la télé...et je n'ai pas la parole tous les soirs à 20h sur TF1...


non  :ouch: ... incroyable !  :lol:  

n°848325
moyen_moin​s
chat réincarné
Posté le 18-07-2003 à 15:39:11  profilanswer
 

sacré b&b
tjs aussi imbitable c post :o

n°848459
spice di c​onass
totalement anticonformiste!!
Posté le 18-07-2003 à 15:57:39  profilanswer
 

tain b&b, on t'a déjà dit que Joce a réparé la faille SQL qui permettait de faire exploser le tampon!!! essaie pas de faire des copier coller de plus en plus grand ...ca sert plus à rien!!!!
 
alalalala sacré hacker va!! :o


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spicialiste de l'islam[:lozoic] compteur de godwin points: 8 [:spice di conass]
n°848563
freaxinthe​night
Posté le 18-07-2003 à 16:11:33  profilanswer
 

Pire que les mouches ces p'tits forumeurs-là  :lol:

n°848579
ayreonaut
And words become a song.......
Posté le 18-07-2003 à 16:13:49  profilanswer
 

Beavis and Butt-head a écrit :

http://www.homme-moderne.org/index.html
 
 
Alain Accardo vient de publier << Le petit-bourgeois gentilhomme. La moyennisation de la société >>, aux Éditions Labor.
   
 
 
 
.1 - Au cours de votre parcours professionnel et intellectuel, dans quelles circonstances avez-vous rencontré le travail sociologique de Bourdieu, ainsi que cet auteur ?
 
R.- J’ai rencontré Pierre Bourdieu en 1958, à l’Université d’Alger où il avait été nommé assistant, à l’issue de son service militaire, effectué en Algérie. Il venait de publier son premier ouvrage, Sociologie de l’Algérie, et il était chargé d’enseigner la sociologie aux étudiants en philosophie dont je faisais partie (il n’y avait pas encore de filière autonome pour la sociologie). Il m’intégra rapidement à un groupe de recherche qu’il avait constitué et j’ai été ainsi conduit, en compagnie de mon condisciple Abdelmalek Sayad, qui devait devenir son collaborateur et ami — et un éminent sociologue de l’émigration — à participer aux enquêtes sur le terrain, à Alger d’abord, puis dans la région de Collo, en Petite-Kabylie, d’où devait sortir la publication de Travail et Travailleurs en Algérie (Mouton, 1963). Nous n’avons jamais perdu contact depuis ce temps-là.
 
 
 
Q.2 - En publiant La sociologie de Bourdieu (1986), avec Philippe Corcuff, et Introduction a une sociologie critique (1997), qu'est-ce qui vous a conduit à faire &#339;uvre de vulgarisation ?
 
R.- En fait l’Introduction à une sociologie critique (Le Mascaret, 1997) a été la réédition, refondue et augmentée, d’un ouvrage publié en 1991 sous le titre Initiation à la sociologie — l’illusionnisme social ; une lecture de Bourdieu, ouvrage qui était lui-même une réédition améliorée d’un premier ouvrage publié dès 1983.
 
Au début des années 80, avant même le retour de la gauche au pouvoir et ses tristes reniements, mon évolution personnelle m’avait conduit à la conviction — plus ou moins reléguée au second plan par la dépense d’énergie militante qu’il fallait investir en permanence sur le terrain du combat politique et syndical pour une union de la gauche qui ne fût pas un simple machin électoraliste (ce qu’elle allait malheureusement devenir) — que la gauche dans son ensemble ne disposait pas de toutes les ressources théoriques nécessaires pour penser le mouvement réel de la société et le stade où celle-ci se trouvait. Jusque-là, l’ancrage de la tradition marxiste/communiste et le renfort du structuralisme avaient maintenu, dans le champ intellectuel, la vision théorique du social au niveau macrosociologique, celui des grandes structures objectives impersonnelles et des agents collectifs. Quant au niveau microsociologique, celui des interactions individuelles et des structures de la subjectivité personnelle, il était abandonné à des approches psychologiques qui tendaient trop souvent à réduire le social à de l’intersubjectif quand ce n’était pas à une simple juxtaposition de faits individuels. On était donc assez mal outillé pour combler l’écart entre les niveaux macro et micro, c’est-à-dire pour penser dialectiquement leurs rapports. Personnellement je me sentais de plus en plus mal à l’aise devant l’hiatus grandissant que je percevais entre les projets exaltants de l’utopie révolutionnaire et le mode de vie réel, à l’américaine, qui faisait du petit-bourgeois individualiste, hédoniste et spéculateur, la véritable figure de l’Homme nouveau.
 
En tant que sociologue, j’étais d’autant plus sensible à ces lacunes que j’étais assez bien informé des travaux réalisés en science sociale et plus précisément, pour en avoir suivi de façon détaillée la progression depuis le début, des travaux de Bourdieu et de son école. J’avais assisté avec enthousiasme, année après année, à la construction d’un édifice théorique, d’une richesse et d’une diversité empiriques impressionnantes et d’une grande puissance conceptuelle, qui faisait voler en éclats les cloisonnements académiques entre les différents terrains de la recherche et qui se caractérisait justement par sa capacité d’embrasser l’ensemble du monde social en articulant de façon cohérente le macro et le micro, l’objectif et le subjectif, l’interne et l’externe, en en montrant l’interpénétration et les rapports réciproques. Au début des années 80, des &#339;uvres importantes et parfois majeures étaient déjà publiées, comme L’amour de l’art (1966), Le métier de sociologue (1968), La reproduction (1970), La distinction (1979), Le sens pratique (1980). C’est dire qu’on disposait déjà des principaux outils d’analyse qui étaient à l’&#339;uvre dans la grille bourdieusienne et qui permettaient de se donner une vision plus juste et plus actuelle de la réalité des classes et de leurs rapports.
 
Malheureusement, la connaissance de ces travaux qui auraient pu aider à enrichir ou renouveler les perspectives traditionnelles sur le social, était assez peu répandue en dehors des cercles spécialisés (et encore !) et peu nombreux étaient, en France, ceux qui connaissaient vraiment la sociologie de Bourdieu et étaient capables d’en tirer parti dans leur travail personnel. Cette ignorance s’accompagnait même, dans bien des cas, dans le mouvement syndical et politique, d’une méfiance qui durait depuis le temps où la publication (en 1964) de Les Héritiers avait froissé la susceptibilité, c’est le moins qu’on puisse dire, des milieux enseignants de gauche, plutôt hermétiques, à cette époque-là, à l’idée que la lutte des classes était aussi une lutte des classements, y compris des classements scolaires et universitaires et que le système scolaire n’était pas aussi libérateur qu’on le proclamait depuis des générations. Il y avait aussi cette hostilité quasi instinctive et si répandue que déclenche chez les individus des sociétés individualistes, surtout chez les plus instruits, la menace supposée dans toute analyse sociologique de vouloir les arracher à leur singularité et leur originalité pour les renvoyer à leur sérialité et leur anonymat. D’une façon générale, les analyses de Bourdieu indisposaient tout le monde : d’un côté, les tenants de la tradition marxiste officielle parce qu’ils ne retrouvaient pas chez lui les schémas habituels qui servaient depuis des lustres à expliquer, de façon très objectiviste et économiste le mouvement de la société et à fétichiser le rôle révolutionnaire du prolétariat et de ses porte-parole. C’est ainsi qu’au PCF on a très longtemps tenu Bourdieu pour un sociologue « bourgeois » et « académique ». De l’autre, les partisans de l’ordre établi le tenaient pour un dangereux « gauchiste », voire un « crypto-communiste », rêvant de subversion violente. Les « gauchistes » enfin, parce que ses analyses de la prétention des prétendants au pouvoir éclairaient trop crûment leur révolutionnarisme de pacotille. Pour tous il faisait figure a priori d’adversaire et d’épouvantail, ce qui dispensait d’examiner vraiment ce qu’il disait. Les intellectuels, en particulier ceux qui avaient partie liée avec le pouvoir et les médias, l’ont très vite poursuivi de cette haine inexpiable et habilement euphémisée qui est un des sous-produits spécifiques du champ intellectuel. Bref, il dérangeait à droite, à gauche, au centre, partout, en pratiquant la sociologie comme « un sport de combat », sans concession.
 
En tant qu’intellectuel et militant de gauche, j’étais désolé de cette méconnaissance et de cette hostilité. J’avais le sentiment grandissant que ce qui manquait cruellement à la pensée de gauche, c’était une théorie de la subjectivité bien fondée sociologiquement, malgré les tentatives louables de certains penseurs marxistes pour développer une théorie matérialiste à partir des linéaments esquissés par Marx lui-même. Et le travail de Bourdieu, qui mariait le meilleur de Marx, de Durkheim et de Weber, me paraissait justement de nature à combler cette lacune. Il était de plus en plus clair à mes yeux que le nouveau matérialisme historique, le marxisme vivant en somme, c’était dans sa sociologie qu’il fallait le chercher, et pas ailleurs. Il me semblait donc nécessaire de faire connaître davantage ses analyses. Je m’y efforçais déjà dans le cadre de mon enseignement universitaire, mais il fallait aller au-delà de ce cadre restreint et contribuer à les populariser vraiment, pour répondre au souhait que Bourdieu formulait lui-même de « disséminer plus largement les armes de la critique sociale ». J’espérais, sans trop y croire, que d’autres sociologues, plus qualifiés et plus renommés que moi, s’attelleraient à cette tâche. J’étais plutôt sceptique parce que je savais (justement grâce aux analyses bourdieusiennes du champ intellectuel) que dans le monde scientifique en général, entre ceux qui se censurent parce qu’ils occupent des positions dominées et qu’ils craignent, à tort ou à raison, de paraître prétentieux ou de ne pas être à la hauteur de l’entreprise et ceux qui s’abstiennent parce que, occupant des positions dominantes, la divulgation de leur savoir leur paraît une tâche « vulgaire » et dévalorisante, il ne reste plus grand monde pour faire ce travail à la fois très délicat et peu rentable sur le plan universitaire, travail pourtant utile si on veut que la science serve à autre chose qu’à faire des carrières de mandarins, à alimenter des projets technocratiques et à renforcer l’arsenal symbolique des groupes dominants.
 
C’est la raison essentielle pour laquelle j’ai pris finalement la décision d’élaborer moi-même, vaille que vaille, un texte de vulgarisation de la sociologie de Bourdieu, ou plus exactement de ce que je pensais en avoir saisi et qui me paraissait tellement éclairant pour la compréhension des stratégies des agents sociaux. Ma motivation était donc fondamentalement militante. Dans mon esprit, il ne s’agissait absolument pas d’un investissement à finalité universitaire. Il s’agissait au contraire de faciliter l’accès à la sociologie de Bourdieu pour des militants politiques, syndicaux, associatifs, comme ceux que je côtoyais à longueur de temps et qui, à de très rares exceptions près, soit ne connaissaient rien de cette &#339;uvre, soit y avaient mis occasionnellement le nez et en avaient conclu que c’était « difficile à comprendre », « compliqué », voire « illisible » et avaient renoncé à aller plus loin. Mon entreprise rencontra succès et échec à la fois. Échec dans la mesure où le public visé par mon ouvrage, pour des raisons sociologiques que mon emballement militant m’avait fait sous-estimer, n’a pas été vraiment atteint. Succès dans la mesure où l’ouvrage trouva un public intellectuel (chez les enseignants et leurs élèves en particulier) et a quand même, finalement, contribué modestement à une plus large diffusion de la pensée bourdieusienne. D’autant que l’entrée de Bourdieu au Collège de France, en 1982, avait suscité une curiosité plus grande envers son travail. Par la suite, d’autres milieux se sont intéressés à mon ouvrage, comme celui des travailleurs sociaux. C’est cet accueil relativement favorable qui a justifié les rééditions successives et qui m’a encouragé à réaliser la seconde partie projetée de ce travail de présentation, sous forme d’un recueil de textes tirés des &#339;uvres de Bourdieu, que j’ai réalisé en collaboration avec Philippe Corcuff.
 
Aujourd’hui, le nom de Bourdieu est connu et respecté de tous ceux qui se battent contre les dominations établies et les abus de tous les pouvoirs. Cette immense célébrité est malheureusement de date récente. La plupart des gens de gauche connaissent l’homme pour ses prises de position politiques retentissantes de décembre 95 (mais cette intervention était loin d’être la première). Quant à l’&#339;uvre elle n’est, on peut le craindre, pas beaucoup mieux connue pour autant. Du moins dans sa substance profonde. Ceux qui ont eu la possibilité d’en prendre connaissance, des intellectuels pour la plupart, n’en ont pas toujours tiré un parti véritable (quand ils n’ont pas entrepris de la combattre furieusement, et pas toujours très honnêtement).
 
Comme le soulignait avec raison Jacques Bouveresse dans un hommage à la mémoire de Bourdieu, celui-ci a été « un des rares intellectuels d’aujourd’hui à être encore capable de tirer des conséquences » de ce qu’il avait appris et compris. Mais parmi ceux qui ont connaissance de ses analyses, rares sont ceux qui les comprennent, au sens fort du mot comprendre, c’est-à-dire qui les intègrent à leur propre substance, les ajoutent à leur être, en tirent les conséquences théoriques et surtout pratiques et s’en trouvent effectivement changés dans leurs rapports à eux-mêmes et au monde environnant. S’approprier les analyses de Bourdieu équivaut en effet à entreprendre un interminable travail de « socioanalyse » personnelle, un travail sur soi-même qui conduit à prendre conscience non seulement de l’existence de mécanismes objectifs cachés de la domination sociale (cet aspect des choses est relativement facile à comprendre et à admettre), mais encore et surtout que les plus cachés, les plus obscurs de ces mécanismes objectifs sont en nous, sont nous-mêmes, sont devenus notre propre substance. En d’autres termes, quiconque veut critiquer sérieusement, avec cohérence et conséquence, la société environnante, doit assumer le devoir d’autoréflexivité ou, si l’on préfère, la dimension autocritique inséparable de toute critique sociale, puisque la société n’existe pas seulement autour et à l’extérieur de nous, mais qu’elle est aussi nous-mêmes et qu’il faut donc éclairer cette dialectique complexe entre le social fonctionnant à l’extérieur (le social objectivé ou histoire-qui se fait-choses) et le social fonctionnant à l’intérieur (le social incorporé ou histoire-qui se fait-personnes), l’un ne pouvant fonctionner sans l’autre. Et cet aspect-là des choses, il ne suffit pas d’être « de gauche » pour le percevoir et le prendre en charge. Comme le disait encore Bouveresse à propos de Bourdieu : « il avait sûrement raison de penser qu’en matière sociale, la volonté de ne pas savoir est aujourd’hui une chose plus réelle que jamais. » Et si, en dépit des hommages de principe qui lui sont rendus, la vision bourdieusienne du social est si peu partagée en pratique, c’est parce qu’elle oblige ceux qui la prennent au sérieux à combattre en eux-mêmes, péniblement, douloureusement, cette « volonté de ne pas savoir » qui est précisément l’une des manifestations profondes et les moins contrôlées de l’incorporation du système dans les individus et la marque de leur adhésion à ce système-là, au-delà (ou en deçà) des critiques partielles qu’ils peuvent lui adresser explicitement sur certains points. Quand le social s’incorpore et s’intériorise, il se transforme en inconscient social. Ainsi beaucoup de gens à l’heure actuelle savent parfaitement que la mondialisation capitaliste est une abomination, une entreprise criminelle organisée et planifiée. Ils en dénoncent les promoteurs et se mobilisent pour la combattre explicitement, dans certains de ses aspects objectifs les plus évidents. Mais entre deux manifestations pour une alter-mondialisation, nombreux sont ceux qui continuent à vivre ou à rêver d’une existence personnelle de plus en plus étroitement calquée sur le modèle de la petite-bourgeoisie américaine asservie au bonheur capitaliste, modèle dont ils ne réalisent pas, bien souvent, à quel point il est tributaire du capitalisme multinational et contribue en retour à diffuser, renforcer et imposer l’idéologie aliénante de la mondialisation capitaliste, ce qu’on pourrait appeler, avec Boltanski et Chiappello, Le nouvel esprit du capitalisme, cet esprit qui anime des millions d’hommes et de femmes des classes moyennes (et sans doute aussi de plus en plus des classes populaires) et qui en fait des complices qui s’ignorent du système capitaliste. La volonté de ne pas savoir n’est pas nécessairement une volonté expresse et délibérée de ne pas voir la réalité, de s’aveugler soi-même (encore que chez certains, à certains moments, on puisse en arriver à cette forme paradoxale de dénégation), c’est plutôt une volonté floue, diffuse, implicite, par défaut en quelque sorte, de préserver sa bonne conscience, son confort matériel, intellectuel et moral, en continuant à se raconter des histoires auxquelles on veut croire. Volonté de ne pas savoir et volonté de croire vont de pair. Trop de gens ne veulent changer du monde social que la place qu’ils y occupent. Ou bien sont prêts à révolutionner la société autour d’eux à condition de ne rien changer à eux-mêmes. C’est à travers ces stratégies équivoques que s’accomplit la logique d’un système qui excelle à changer pour mieux conserver.
 
Bref, je persiste à penser, vingt ans après ma première tentative de vulgarisation, que si la gauche avait appris à porter sur le social (et donc aussi sur elle-même) un regard plus bourdieusien, elle ne serait pas intellectuellement dans l’état semi-comateux où l’ont mise les penseurs de « l’adaptation à la modernité » et du libéral-socialisme. Et c’est pourquoi j’approuve et soutiens la démarche de ceux qui, aujourd’hui, font l’effort d’étudier et de diffuser la sociologie de Bourdieu, qui reste, dans l’état actuel des choses, un des meilleurs instruments de compréhension du monde social dans toutes ses dimensions.
 
 
 
Q.3 - En tant que vulgarisateur de Bourdieu et pamphlétaire, appelant à une prise de conscience, votre travail de réflexion est basé sur l'idée qu'il y a une importante dimension libératrice dans le dévoilement des mécanismes cachés de la domination. Jusqu'où, selon vous, peut aller cette marge de man&#339;uvre face aux contraintes sociales décrites par Bourdieu ?
 
R.- J’ai déjà répondu en partie à cette question en répondant à la question précédente. J’ajouterai seulement que si le « dévoilement des mécanismes cachés de la domination » a toujours été un travail d’une importance capitale dans la lutte révolutionnaire — l’idée que les « lumières » de la raison sont libératrices est aussi vieille que le rationalisme — il faut éviter de tomber dans l’erreur typiquement intellectualiste de croire qu’il suffit de mettre en circulation des idées justes et vraies pour changer la réalité et libérer le genre humain. Bourdieu ne commettait pas cette erreur. Au contraire il a forgé des outils théoriques qui permettent justement de comprendre pourquoi les idées, même justes, ne suffisent pas, à elles seules, à changer le monde. Les idées qui circulent ne sont pas émises ni reçues par de purs esprits « sans attaches ni racines », mais par des agents sociaux individuels et collectifs façonnés et structurés en profondeur par un univers social déterminé. Ils sont enracinés dans cette réalité sociale autant qu’elle est enracinée en eux, sous forme de représentations, d’intérêts, de croyances, de sentiments, d’habitudes, de désirs, d’inclinations, etc., en rapport étroit et toujours pré-réflexif au départ, avec leur condition de classe et les positions occupées dans les différents champs de leur pratique individuelle et collective. C’est dire que s’il est possible, en principe, de savoir où commence (dans quelle expérience, quel événement, quelle situation) la prise de conscience d’un agent, on ne peut pas savoir à l’avance jusqu’où elle ira ni avec quels effets. Cela dépendra du double rapport des forces qui va s’instaurer autour de lui et en lui, entre l’ensemble des propriétés qui poussent au changement et l’ensemble des propriétés qui poussent à la conservation. Quoi qu’il en soit, l’évolution des agents sociaux ne s’effectue pas de façon mécanique, ni automatique, ni monolithique, non plus que dans une totale clarté de l’entendement. Nous sommes porteurs d’intérêts et d’attentes multiples et contradictoires, liés à nos investissements pratiques dans différents champs sociaux, spécifiques et relativement autonomes les uns par rapport aux autres et chacun de nos intérêts a des raisons que la raison ignore. De façon très générale, on a tendance à sous-estimer la force d’inertie liée à la capacité des agents sociaux, socialement acquise et entretenue, à faire de nécessité vertu, à s’accommoder de tout, même du pire, et à « aimer leur destin ». Et c’est un travail terriblement long et difficile de repérer et de couper, les unes après les autres, avec le bistouri de l’analyse rationnelle, les adhérences charnelles qui nous attachent viscéralement à notre univers existentiel et nous font supporter l’insupportable.
 
Pour quelqu’un qui s’efforce de penser la réalité (et donc aussi de se penser) dans une optique bourdieusienne, l’obstacle peut-être le plus difficile à surmonter, et pour cette raison parfois insurmontable, c’est l’effet de désenchantement que provoque l’analyse sociologique en faisant apparaître le caractère mystificateur des multiples mythologies dont ont besoin les rapports de domination pour fonctionner sans trop recourir à la coercition (par exemple le mythe de l’individu libre et souverain dans notre système). Toutes ces illusions, qui flattent notre besoin de distinction personnelle et de prestige collectif, agissent sur nous comme des stupéfiants dont nous avons du mal à nous décrocher.
 
C’est pourquoi d’ailleurs il est préférable de cheminer avec d’autres, d’inscrire son combat personnel dans une lutte collective ; ça aide à réfléchir et à avancer, à condition de ne pas s’en remettre totalement à des gens qui pensent et agissent en votre nom. Marx le soulignait déjà, la transformation de soi-même et la transformation des circonstances extérieures vont de pair dans l’activité révolutionnaire.
 
 
 
Q.4 - Dans l'introduction de La société de verre, Philippe Corcuff se réclame, en partie, de votre réflexion. Vous même, avez-vous lu de Corcuff Bourdieu autrement ? Qu'en pensez-vous ?
 
R.- Je ne peux que penser beaucoup de bien d’un ouvrage qui, avec une évidente sympathie pour son objet et en s’appuyant sur une connaissance approfondie de l’&#339;uvre de Bourdieu, s’efforce de montrer en quoi et dans quelle mesure celle-ci constitue une contribution majeure à l’avancement de la science sociale. À la différence de certains autres sociologues actuels, Corcuff ne nie pas sa dette envers le travail de Bourdieu auquel il rend justice contre certains contresens et caricatures. En même temps il est très attentif, selon son habitude, aux limites et conditions de validité des énoncés, aux disparates, aux modulations, aux ruptures et aux imports normatifs qu’introduit dans toute &#339;uvre scientifique d’envergure le fait qu’elle se soit édifiée dans le temps, dans la controverse et sur des bases empiriques et des méthodes déterminées. Mais cela n’a vraiment de sens que pour un lecteur qui a déjà une bonne connaissance des travaux en question et qui peut vérifier sur pièces le degré de bien-fondé des interprétations proposées. Personnellement, elles me paraissent procéder pour une grande part d’un pointillisme épistémologique que je ne partage pas.
 
Cela dit, on le sait, le propre des grandes &#339;uvres, c’est de se prêter à des lectures multiples, jamais exhaustives ni définitives, qui sont d’ailleurs tout autant en rapport avec la complexité et la richesse de leur contenu objectif qu’avec la trajectoire et les propriétés positionnelles de chaque lecteur. La multiplicité des églises « chrétiennes », des courants « marxistes » et des chapelles « freudiennes » n’a rien ôté à l’importance des &#339;uvres fondatrices, au contraire. Pour autant on ne peut faire dire à ces &#339;uvres tout et le contraire. Il faut se garder, quand on décompose un tout en ses éléments constituants, d’altérer ou de perdre le sens global qu’il possède en tant qu’ensemble organisé, sa « gestalt » en quelque sorte. Il est arrivé à Bourdieu de définir lui-même sa sociologie comme un « structuralisme constructiviste ». On peut, comme fait Corcuff, être plus sensible à la dimension constructiviste de l’&#339;uvre et aux « fragilités » de son auteur, ou bien, comme je le fais, être plus sensible à la dimension structuraliste et à la fermeté de sa pensée et de son combat. Je ne pense pas que ces différences d’appréciation constituent un vice rédhibitoire pour l’une ou l’autre lecture, dès lors qu’elles préservent l’essentiel. Mais je continue à croire que l’appel à la mobilisation et à la lutte pour changer la réalité — appel devenu récurrent et explicite chez Bourdieu — serait proprement inutile si l’histoire avait montré que l’inertie des structures sociales existantes pouvait être surmontée de façon progressive — et dans un sens progressiste ! — par le jeu spontané, conjoncturel et consensuel des forces de changement. Ce n’est au contraire qu’en mettant énormément d’énergie sociale au service d’un projet révolutionnaire explicite et raisonné qu’on peut espérer surmonter la violence inerte des structures et leur durable capacité de reproduction globale (élargie ou pas). Il y a aujourd’hui, dans le monde intellectuel, soumis à sa façon aux mêmes forces fondamentalement rétrogrades et réactionnaires qui poussent à revenir sur tous les acquis progressistes dans tous les domaines, une tendance à sous-estimer le poids et la cohérence des structures objectives, à nier l’existence même d’un « système » au nom des failles, des lacunes et des contradictions internes de tout système social complexe historiquement constitué, et à surestimer l’autonomie des stratégies individuelles et la liberté de man&#339;uvre des agents. On a là un exemple de plus de ce « biais scolastique » dont parlait Bourdieu à propos des intellectuels qui tendent à généraliser leur propre rapport au monde, beaucoup moins lucide et libre qu’ils ne le croient généralement. En fait, ce que l’on constate depuis fort longtemps, c’est que spontanément et dans l’ensemble, les capacités d’innovation des individus vont plutôt dans le sens de la soumission à la logique des structures que dans le sens de la résistance et de la subversion, comme on peut le vérifier en examinant les stratégies de la plupart des individus de la plupart des groupes sociaux, y compris chez les très distingués professionnels de l’innovation créatrice, libre et jaillissante que seraient les cadres ou les artistes ou les intellectuels, dont les poussées d’anti-conformisme et les révolutions de palais sont généralement parfaitement contenues et gérées par l’ordre établi. Le système capitaliste se fout éperdument des « transgressions symboliques ». Mieux même, il les organise et les cultive. Non, on n’insistera jamais assez sur le fait que l’ordre établi est aussi installé dans les têtes et dans les tripes et que ce qui fait sa force, du moins chez nous, ce ne sont pas ses sbires, mais c’est, comme le soulignait déjà Spinoza, cette « volonté qu’il installe en nous de nous plier à son usage », notre « sens pratique, socialement constitué » dirait Bourdieu. C’est d’ailleurs le contraire qui serait surprenant et difficilement explicable sociologiquement. C’est pourquoi on est obligé de se battre, de toutes ses forces, pour essayer de renverser la vapeur. « Là où il y a de la lutte, il y a de l’espoir », répétait Bourdieu. Et là seulement. Et ce n’est pas, j’en suis convaincu, un militant sincère et de longue date comme Corcuff qui soutiendrait le contraire.
 
 
 
Q.5 - Lorsque vous interpellez les intellectuels, est-ce parce qu'ils ont, de par leur capital culturel et symbolique, proportionnellement plus d'atouts pour se libérer des contraintes sociales ? Ou, à l'inverse, est-ce parce qu'ils ont un rôle déterminant dans la légitimation de la domination ?
 
R.- C’est pour les deux raisons, qui d’ailleurs n’en font qu’une à mes yeux.
 
 
 
Q.6 - Si nos actes et nos prises de positions sont le produit de dispositions socialement déterminées, que peut-on attendre d'une prise (crise ?!) de conscience ?
 
R.- Que précisément elle nous conduise, moyennant le travail nécessaire, à comprendre que nos dispositions sont socialement conditionnées et dès lors à agir sciemment sur les conditions sociales, dans un sens ou un autre, au lieu de rester passivement agis par elles, dans une illusion de liberté. S’agissant de gens « de gauche », on peut espérer que, prenant conscience de ce qu’est réellement, objectivement, leur conditionnement social, ils cessent de croire qu’on change la société capitaliste en changeant de gouvernement.
 
 
 
Q.7 - Dans Le petit-bourgeois gentilhomme, vous prônez, p. 84, le refus de participer à l'orgie consumériste et une forme raisonnée et maîtrisée de consommation, comme un aspect essentiel (mais non exclusif) du combat à mener contre le capitalisme. En quoi ce discours se différencie-t-il de ceux des sociologues de la massification dont se moquait Bourdieu ?
 
R.- C’est une chose de constater des phénomènes objectifs (et mesurables) de « massification » sur le marché de l’offre et de la demande de biens de toute nature (plus de nourriture, de voitures, d’appareils électro-ménagers, d’ordinateurs, de maisons individuelles, d’études et de diplômes, de vacances à la neige, etc.), c’en est une autre d’en inférer, comme ont cru pouvoir le faire certains sociologues, que dans notre « société d’abondance » tout le monde consomme de tout, que les inégalités ont été rabotées, et surtout que la transformation de la population en une masse de libres consommateurs accédant tous au libre marché a fait disparaître la structure des classes sociales et a démocratisé les rapports sociaux.
 
À ce genre d’élucubrations (pas tout à fait innocentes) on peut répondre, comme l’a fait Bourdieu dans La distinction en particulier, d’abord qu’en matière d’analyse des pratiques et des consommations il faut être attentif au moins autant à leur modalité qu’à leur matérialité. Monsieur Jourdain peut se payer des pratiques de gentilhomme, mais son argent ne peut lui procurer la manière aristocratique de se les approprier, ce style de vie qui fait encore la différence entre le parvenu et l’indigène de vieille souche.
 
Ensuite et surtout, il faut tenir compte de la translation structurale qui généralement, dans un domaine donné, maintient les écarts entre les pratiques dominées et les pratiques dominantes. Celles-ci forment avec celles-là une structure de distribution relativement stable et solidaire. Si les unes évoluent dans les mêmes proportions et dans le même sens que les autres, au bout du compte le fossé persiste, quand il ne s’est pas creusé davantage et la compétition sociale s’apparente ainsi à une course-poursuite épuisante et interminable, où l’avance quantitative et qualitative des dominants ne peut pas diminuer. Ce qui fait la supériorité sociale et le prestige des dominants, ce n’est pas tant la grandeur en valeur absolue de leurs propriétés, que la différence — l’écart temporel, en particulier — entre ces propriétés et celles des autres concurrents.
 
C’est pourquoi je pense que, du moins en ce qui concerne les classes moyennes particulièrement investies dans cette course ruineuse aux consommations et aux pratiques (faussement) distinctives, ce mode de vie est évidemment plus conforme et favorable à la logique du capitalisme que la démarche inverse, celle qui consiste à refuser de jouer plus longtemps ce jeu de dupes et à se donner d’autres objectifs dans l’existence que d’accroître sa consommation en croyant qu’on accroît son importance sociale. A fortiori si on veut lutter contre le capitalisme. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer dans mes derniers ouvrages.
 
J’ai conscience qu’il faudrait beaucoup insister sur cette question qui est, selon moi, d’une importance cruciale pour l’avenir de notre société. Le système capitaliste tire sa force de l’adhésion de la majorité des populations, au moins dans nos sociétés développées. Cette adhésion n’est pas, le plus souvent, une adhésion intellectuelle, lucide et explicite aux dogmes du libéralisme. C’est une adhésion plus pratique que réfléchie, qui s’effectue sur le plan de la vie quotidienne, et plus précisément par le biais du niveau de vie et du style de vie, que les agents adoptent ou s’efforcent d’adopter continûment. Ils ont le sentiment que globalement, vivre ainsi, c’est bon, c’est beau, c’est bien, c’est souhaitable (même s’il y a « des choses à améliorer »). Et à la base (ou au centre) de ce mode de vie, il y a le fait de consommer, c’est-à-dire d’effectuer, moyennant finances, une appropriation matérielle et/ou symbolique. La « ruse objective » du système capitaliste c’est d’avoir, au fil des générations, transformé l’être humain en un consommateur insatiable de biens, réel ou potentiel. Toute société et tout individu dans la société ont besoin de définir un « sens de la vie », de trouver leur raison d’être. Tout se passe comme si la seule raison d’être massivement reconnue et acceptée était désormais d’accéder à de nouvelles consommations, comme si consommer n’était plus un moyen de vivre mais la fin en soi de toute existence. Et comme dans l’économie capitaliste tout bien est une marchandise qui se vend et s’achète, la boulimie consumériste forme un cercle vicieux avec la soif d’argent qui permet de se procurer toute marchandise.
 
Il est très difficile de développer une réflexion critique sur cet aspect des choses. Pour une raison évidente : l’existence d’inégalités fantastiques entre les consommations des uns et des autres. Ces inégalités sont arbitraires, iniques et révoltantes. Et c’est un devoir fondamental de tout humanisme digne de ce nom de les combattre. On ne peut donc qu’approuver et soutenir toutes les revendications visant à améliorer les moyens d’existence des êtres humains. Mais le légitime combat pour améliorer les moyens d’existence est difficile, obsédant et interminable, génération après génération, à tel point qu’il finit par obnubiler tout horizon et que les moyens d’existence se transforment pratiquement en fins ultimes, deviennent des valeurs en soi, dans un système qui a fait de l’argent le critère de toute valeur. Il est significatif à cet égard que si la collectivité s’accorde à admettre qu’il existe un « seuil de pauvreté » au-dessous duquel il est dramatique de descendre, en revanche il n’existe aucune notion de « seuil de richesse » au-delà duquel il serait indécent de monter. Et l’immense majorité de la population trouve normal de vivre dans une société dont la devise réelle est devenue : « enrichissez-vous et jouissez sans fin et sans frein de tous les plaisirs que l’argent achète ! » Devise dont on ignore ou feint d’ignorer que son accomplissement concret au bénéfice de certains, repose sur l’appauvrissement, l’exploitation et l’oppression du plus grand nombre.
 
On entend de plus en plus souvent dire, à juste raison, que ce qui est en jeu au-delà ou au travers des revendications portées par les mouvements sociaux d’aujourd’hui, c’est « un choix de société », « un choix de civilisation ». Telle est en effet la question majeure que pose à l’Humanité tout entière l’évolution du monde : « pour quoi faire sommes-nous sur la Terre ? pour mener quelle vie ? » Question « toute bête » et en même temps fondamentale, décisive, vitale.
 
On conçoit que des hommes et des femmes dont la vie est un enfer de chaque jour, comme il y en a des millions sur la planète (y compris dans les sociétés « développées »), des êtres dont le peu d’énergie dont ils disposent leur sert uniquement à survivre, soient éventuellement conduits à mettre entre parenthèses toute spéculation sur des questions de civilisation, et se laissent fasciner par le spectacle clinquant et alléchant du monde riche. Personne de sensé n’aurait l’indécence de le leur reprocher ni de craindre qu’ils tombent trop vite dans de regrettables excès.
 
Mais quand on considère les populations comme celles dont nous faisons partie, qu’il est convenu d’appeler globalement « classes moyennes » ou « petites-bourgeoisies », et qu’on constate que le plus souvent, même quand (dans le meilleur des cas) elles critiquent le système, leurs critiques vont rarement jusqu’à remettre en question la pente fondamentale imprimée à leur existence par le système, faute de voir clairement que c’est justement par le style de vie unique qu’il impose (et pas seulement par la « pensée unique »), que le système capitaliste les tient prisonniers et complices (qui ne-veulent-pas-savoir) de ses iniquités morales, de son indigence spirituelle, de sa démesure et de sa barbarie, alors, quand on constate cela, on se sent en droit, et même en devoir, de dire haut et fort : « nous faisons fausse route, réfléchissons aux moyens individuels et collectifs de sortir de cette danse macabre, et même s’il n’est pas possible de couper d’un coup tous les fils qui nous attachent au système, refusons d’être plus longtemps des marionnettes qu’il agite à sa guise. » Une socioanalyse d’inspiration bourdieusienne peut grandement nous y aider.


 
 
 
 Le site personnel du Pr. Wacquant, Department of Sociology, University of California, Berkeley, USA. (Research Interests, Books, Selected Recent Papers Journals, Courses Taught, In Memoriam Dee Dee Armour, Legendary Boxing Trainer) @
     
 
Notes :
- [@] : articles hébergés ailleurs, signalez-moi, s.v.p., les liens qui ne fonctionneraient plus, merci.
- [:)] : articles destinés au "grand public".
- [S] : articles de sociologie, plus difficiles.
     
 
Inégalités et marginalités urbaines
   
 
 Retour de la « cité-tourbillon », Le Monde diplomatique, novembre 1997. :)
   
 
 Pour en finir avec le mythe des "cités-ghettos"... , Annales de la Recherche Urbaine, n°54, 03/1992. S
 
 
   
 
Pénalisation de la misère
   
 
 WESH WESH AVEC LE CHÉ, Les Inrockuptibles, n°340, 29 mai-4 juin, pp. 23-24.:)
     
 
 LES SOCIALISTES PRIS DANS LEUR PROPRE PIÈGE SÉCURITAIRE, Entretien, LES INROCKUPTIBLES, 24-31 Avril 2002.:)
 Serge Halimi and Loïc Wacquant : Jospin pays for the class betrayal of the Socialists, THE GUARDIAN, 25 April 2002.:)UK
 Serge Halimi et Loïc Wacquant : Le prix du reniement. Version française remaniée du précédent. Mai 2002. À paraître in Le Passant Ordinaire.:)
     
 
 « Excuses sociologiques » et « responsabilité individuelle ». La Vache Folle, n°25, janvier-février 2000, pp. 16-17. :)
     
 
 Serge Halimi et Loïc Wacquant : Démocratie à l'américaine, Monde Diplomatique, décembre 2000. @ :)
     
 
 Traque des ex-délinquants sexuels aux Etats-Unis, Le Monde Diplomatique, décembre 1999. @ :)  
     
 
 L'État-pénitence tend à se substituer à l'État-providence, entretien donné au Monde, 07/12/99. :) Suivi d'un article biographique : « Loïc Wacquant, un disciple de Pierre Bourdieu au-delà de l'Atlantique. », Cécile Prieur et Marie-Pierre Subtil, Le Monde 07/12/99.
   
 La mondialisation de la « tolérance zéro ». Agone : Philosophie, Critique, Littérature, octobre 1999, 22 : 127-142. :)
Ce texte est extrait pour majeure partie du livre Les Prisons de la misère (Paris, Éditions Liber-Raisons d’agir, 1999).
   
 
 Ce vent punitif qui vient d'Amérique, Le Monde Diplomatique, Avril 1999. @ :)  
     
 
 La colonie pénitentiaire. 16/12/1998. Les Inrockuptibles, n°178, 16/12/98. :)
 
 
 L'emprisonnement des classes dangereuses aux États-Unis, Le Monde Diplomatique, juillet 1998.:)
- Imprisoning the American poor, Translated by Julie Stoker. US@ :)
 
 
 LES PAUVRES EN PÂTURE : LA NOUVELLE POLITIQUE DE LA MISÈRE EN AMÉRIQUE. Décembre 1996, paru in Hérodote, 85 (Spring),1997 :21-33 :)
   
 
 Quand le président Clinton « réforme » la pauvreté, Le monde Diplomatique, 09/1996. @ :)  
     
 
 La montée de « l'État pénal » en Amérique. Bigre! USA, Hiver 1995-1996.:)
   
 
     
Pierre Bourdieu
   
 
 LA VIE SOCIOLOGIQUE DE PIERRE BOURDIEU, Politique. Revue européenne de débat, automne 2002.
     
 
 Loïc Wacquant Discusses the Influence of Pierre Bourdieu, Who Died Wednesday, and His Last Projects. By SCOTT McLEMEE, The Chronicle of Higher Education, Friday, January 25, 2002.US
 Loïc WACQUANT parle de l’influence de Pierre BOURDIEU, décédé mercredi, et de ses derniers projets. Par Scott McLemee : The Chronicle of higher education, 25 janvier 2002. [Traduction Marie Meert pour Les Pages Bourdieu]  
     
 
 Un savant inventif et iconoclaste. Paris, 25 janvier 2001.:)
— An Inventive and Iconoclastic Scientist. Berkeley Journal of Sociology 46: 177-179, 2002.[Fichier pdf US] ***
 
 Une entrevue avec Pierre carles et Olivier Cyran, à l'occasion de la sortie en salles de « La sociologie est un sport de combat — Pierre bourdieu », un film de Pierre Carles. :)
   
 
 A sociological workshop in action : Actes de la recherche en sciences sociales. February 1998. In Lawrence D. Kritzman (ed.), The Columbia History of Twentieth-Century French Thought (New York, Columbia University Press, 2000. S
     
 Reading Bourdieu's «Capital», Foreword to the English-language translation of Pierre Bourdieu, La noblesse d'État. Grandes écoles et esprit de corps (Paris, Editions de Minuit, 1989); The State Nobility (Cambridge, Polity Press, 1997). U.S. S
     
 Notes tardives sur  le "marxisme" de Bourdieu. In Actuel Marx, n°20,1996, « Autour de Pierre Bourdieu ». S
     
  DURKHEIM ET BOURDIEU  : LE SOCLE COMMUN ET SES FISSURES. Critique, 579-580 (Septembre 1995, numéro spécial double sur PB), 646-660. S
     
 
 Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant : Extrait de Réponses (1992, Seuil) pp. 78-80 [différence entre un champ et un " appareil " au sens d'Althusser ou un système tel que le conçoit Luhmann / Conduite de l'étude d'un champ]  S  
     
Théorie et idéologie
   
 
 LA PENSÉE CRITIQUE COMME DISSOLVANT DE LA DOXA. Entretien avec Loïc Wacquant. "El pensamiento crítico como disolvente de la doxa.", Adef : Revista de Filosofía, 26-1 (May), 2001, (Buenos Aires): 129-134. S
     
 
 Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant : La nouvelle vulgate planétaire, Monde diplomatique, mai 2000. @ :)  
     
 
 AU CHEVET DE LA MODERNITÉ : LE DIAGNOSTIC DU DOCTEUR GIDDENS. Cahiers internationaux de sociologie XCIII (décembre 1992). S
     
 


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One Cosmic Soul was created...
n°848588
ayreonaut
And words become a song.......
Posté le 18-07-2003 à 16:15:16  profilanswer
 

en fait le plus significatif, ça doit etre ça :
 
AU CHEVET DE LA MODERNITÉ :
  LE DIAGNOSTIC DU DOCTEUR
  GIDDENS.  
   
 
     
Harvard University et EHESS-Paris.
Cahiers internationaux de sociologie XCIII (décembre 1992) : 389-397.      
    Résumés :
 
Cet article propose une analyse critique de la théorie de la modernité d'Anthony Giddens. Cette théorie a le mérite d'éclater la notion faussement unitaire de "modernité" en quatre logiques institutionnelles partiellement autonomes —capitalisme, industrialisme, surveillance et militarisme—, chacune vecteur de profils de risque, de mouvements sociaux, et de contradictions spécifiques, et dont l'extension simultanée à l'échelle planétaire marquerait non point l'entrée dans l'ère post-moderne mais l'acmé de la société moderne. Cependant, cette théorie est essentiellement faite d'un écheveau de distinctions conceptuelles, déconnectées à la fois du réel et de la pratique de la recherche, qui fonctionnent à un niveau d'abstraction tel qu'on peine à discerner leur utilité pour l'analyse sociohistorique. Au point qu'on peut se demander si on n'est pas là en présence d'une réincarnation de la Théorie Suprême à la manière parsonienne dont la pertinence parait douteuse au moment où l'ensemble des sciences sociales négocient un "tournant historique" auquel, paradoxalement, Giddens a puissamment contribué.
 
This article offers a critical analysis of Anthony Giddens' theory of modernity. The value of this theory lies in breaking the falsely unitary notion of "modernity" into four partially autonomous institutional logics--capitalism, industrialism, surveillance, and militarism--, each being the carrier of specific risk profiles, social movements, and contradictions. Their concurrent extension at the global level, argues Giddens, signals not the transition to postmodernity but the apex of modernity. This theory, however, consists essentially of a web of conceptual distinctions disconnected from the real world and from the practice of research which function at a level of abstraction such that it becomes difficult to discern their usefulness for sociohistorical analysis. So much so that one wonders if we are not dealing here with a reincarnation of Grand Theory in the parsonian mold, i.e., a theoretical scholasticism whose relevance appears doubtful at a time when the social sciences are effecting a "historic turn" to which Giddens has, paradoxically, made a most significant contribution.
 
epuis une vingtaine d'années, le prolifique sociologue britannique Anthony Giddens s'est dévoué avec une rare energie à deux projets connexes: d'une part développer une théorie générale capable de rendre compte de la constitution mutuelle de l'action et de la structure sociales, théorie dite "de la structuration" censée nous sortir des apories léguées par les théorisations classiques du lien social;(1) de l'autre cerner ce qui fait la spécificité des sociétés capitalistes modernes.(2) Du premier, C.-Wright Mills dirait sans doute qu'il s'inscrit dans le lignage parsonien de la "Théorie Suprême"; le second relève indirectement de la tradition weberienne d'exploration de la "particularite de l'Occident".
 
 C'est à la croisée de ces deux entreprises que se situe The Consequences of Modernity.(3) Sous forme d'un long essai écrit dans une langue souple et élégante, version remaniée d'une série de conférences prononcées à l'Université de Stanford en 1988, Giddens y propose une "analyse institutionnelle de la modernité aux connotations culturelles et épistémologiques" qui s'affiche résolument contre l'idée de postmodernité, telle que l'avance Jean-Francois Lyotard par exemple.(4) Loin d'être entrés dans une ère nouvelle, affirme-t-il, nous nous mouvons dans une phase de "modernité avancée" où les conséquences des transformations sociales initiées par les deux grandes révolutions s&#339;urs que sont la Révolution française dans l'ordre politique et la révolution industrielle dans l'ordre économique se déploient dans toute leur amplitude.
 
 L'avènement de la modernité, que Giddens définit succinctement comme l'ensemble des "modes d'organisation de la vie sociale apparus en Europe à partir du dix-septième siècle et qui ont depuis étendu leur influence à l'échelle du monde entier" (p. 1), a marqué une rupture profonde dans l'évolution historique en ceci qu'il a démultiplié le rythme et l'étendue du changement social et détermine l'émergence d'un complexe organisationnel spécifique. Cependant les analyses sociologiques de la modernité se sont jusqu'ici rendues fautives de trois simplifications. Premièrement, elles aplatissent sa dynamique multidimensionnelle en la réduisant à une tendance ou à un processus institutionnel unique —capitalisme chez Marx, industrialisme pour Durkheim, rationalisation selon Max Weber.(5) Ensuite, le concept de société qui les informe fait écran à la réalité de l'État-nation comme invention historique et au procès de "distanciation spatio-temporelle" qui lui est sous-jacent.(6) Troisième défaut, les théories existantes de la modernité souffrent d'une conception positiviste et instrumentaliste de la connaissance inapte à reconnaître le fait que, loin de lui être extérieur et de le refléter à la manière d'un miroir, "le savoir rentre et sort de l'univers de la vie sociale à la manière d'une spirale" (p. 15).(7)  
 
 Contre cette vision (quelque peu simplificatrice il est vrai),(8) Giddens argue que le dynamisme de la modernité provient de trois sources distinctes: la séparation et la recombinaison de l'espace et du temps favorisées par l'émergence d'un temps uniforme, abstrait, et universel;(9) "le désengagement des rapports sociaux de leurs contextes locaux et leur restructuration à travers des plages indéfinies d'espace-temps" (p. 21), désencastrage qui s'opère par le biais des "gages symboliques" tel que l'argent et des "systèmes experts" que sont les professions libérales et leurs substrats scientifico-techniques; enfin, le savoir produit sur le monde social renforce la tendance structurale de la modernité à la mutabilité, ce en quoi cette dernière "est elle-même profondément et intrinsèquement sociologique" (p. 43).
 
 Au fil de ce diagnostic, Giddens esquisse une critique de la notion de postmodernité. On sait que cette notion admet une pluralité d'acceptions et qu'aucun accord ne s'est fait sur sa signification en dépit des débats vigoureux qu'elle a déclenché parmi ses partisans.(10) Pour Anthony Giddens, celle-ci réside essentiellement dans l'idée que nul savoir n'est désormais fermement établi (fin du fondationalisme), l'histoire dépourvue de téléologie (fin du mythe du progrès), et qu'un ordre du jour sociopolitique renouvelé s'impose sur le devant de la scène publique, porté par les "nouveaux mouvements sociaux" et signalant la fin de l'hégémonie de la lutte des classes.(11) Au c&#339;ur de la thèse postmoderniste, il décèle une contradiction que l'on peut résumer comme suit: si le savoir n'a plus de fondement, comment prétendre fonder la notion même de postmodernisme comme transformation sociétale? Certes, concède Giddens, nous assistons en cette fin de siècle à la dissolution de l'évolutionnisme, à la disqualification de l'eschatologie historique —si l'on exclut la mode passagère des gloses journalistiques sur "l'homme et la fin de l'histoire"— et à une prise de conscience de la réflexivité constitutive du savoir social (p. 51). Mais le déclin relatif de l'Occident et de sa culture ne traduit pas tant la fin de la modernité que la globalisation du complexe institutionnel qui la définit en propre.
 
 Ce complexe est fait de quatre "nodules organisationnels" ayant chacun sa logique propre, ses contradictions, ses tensions et ses mouvements et contre-mouvements: le capitalisme, défini comme l'accumulation du capital au moyen de marchés compétitifs sur lesquels s'échangent force de travail et marchandises; l'industrialisme, soit la transformation de la nature par l'usage systématique des machines et le développement de l'"environnement construit" chers à Raymond Aron et à la géographie néo-marxiste de David Harvey respectivement; la surveillance, ou le contrôle administratif des informations et la supervision politique des activités de la population sujette (thème emprunté à Foucault); et le militarisme, i.e., la croissance et la monopolisation des moyens de violence et de destruction par l'État suite à l'industrialisation de la guerre. Ce qui caractéristique la modernité sous cet angle, c'est qu'elle est intrinsèquement globalisante; elle a d'emblée vocation à s'étendre à l'ensemble de l'humanité en "étirant" les complexes institutionnels qui la constituent à l'échelle de la terre entière. La mondialisation procède donc de concert dans un espace quadri-dimensionnel, via le développement de l'économie-monde capitaliste, la croissance de la division internationale du travail, la structuration du système des États-nations et la formation d'un ordre militaire mondial, les deux premières dimensions étant dominées par les entreprises multinationales et les deux dernières par les grandes puissances nationales.
 
 De là le contraste entre les "profils de risques"(12) des sociétés pré-modernes et modernes (commodément résumé par le tableau p. 102) et le rôle-pivot que joue dans ces dernières la diffusion de la confiance. Dans les formations sociales prémodernes, la confiance est étroitement localisée et s'appuie sur les rapports de parenté, la communauté proche, les cosmologies religieuses et la tradition; l'environnement de risques comprend la nature, la menace de violence physique provenant "du bas" avec les bandits et "du haut" avec les seigneurs, la déchéance religieuse et la magie. Dans la société moderne, où les principaux dangers sont liés à la réflexivité, à la violence issue de l'industrialisation de la guerre et à la perte de signification individuelle (anomie), la confiance s'investit principalement dans des systèmes abstraits, désincarnés et "désencastrés", et les rapports sociaux sont stabilisés par les relations interpersonnelles d'amitié ou d'attraction sexuelle. Le sentiment que les choses et les personnes sont fiables prend dans ce contexte la forme d'un "engagement impersonnel" (faceless commitment) alors que, dans la société prémoderne, il s'ancre dans un engagement personnel activé par ce que Goffman appelle le "travail de face-à-face".
 
 En guise de conclusion, Giddens défend l'idée qu'une théorie critique "sans garantie" capable de "créer des modèles de la bonne société" se doit d'être "sociologiquement sensible", "géopolitiquement responsable" et consciente "qu'une politique émancipatrice ne peut être séparée d'une politique de la vie" (p. 156). Et, du haut de notre modernité avancée, il distingue quatre tendances qui pourraient nous conduire au delà de l'ère moderne, vers d'une société véritablement postmoderne caractérisée, non par l'éclatement du savoir, des identités, et des rapports sociaux, mais par la transcendance des contradictions dont chacun des axes institutionnels de la modernité est le vecteur. À quoi ressemblerait une telle "utopie réaliste", comme dit l'auteur? Un système économique issu du capitalisme y mettrait fin au règne de la nécessité tandis que l'humanisation de la technologie réduirait les coûts et comblerait les ornières de l'industrialisme; une participation démocratique démultipliée ou polyarchique permettrait d'échapper à l'emprise de la surveillance, de même que la démilitarisation immanente au procès d'industrialisation de la guerre à celle du militarisme (p. 169). Mais de puissantes tendances de sens contraire se manifestent simultanément le long de ces quatre axes sous forme de l'érosion des mécanismes de la croissance économique, de l'épuisement écologique, de la montée des pouvoirs totalitaires, et de la possibilité d'un conflit nucléaire ou d'une guerre (quasi-) mondiale qui conduirait à l'anéantissement tout ou partie de l'humanité.
 
 Les analyses de Giddens, nourries d'une impressionnante multiplicité de littératures sociologiques, historiques et philosophiques sont stimulantes et souvent incisives et le champ de réflexions qu'il laboure avec une belle audace vaste et fertile. L'idée de "casser" la notion de modernité en axes organisationnels partiellement autonomes a l'indéniable vertu de complexifier notre conceptualisation des propriétés constitutives des sociétés avancées et d'ouvrir la voie d'une analyse historique de chacun de ces modes et de leurs rapports changeants. On mesure au passage les progrès réalisés par rapport à la théorie unilinéaire de la modernisation, aujourd'hui définitivement déconsidérée, et par rapport à la théorie du système-monde d'Immanuel Wallerstein, pour laquelle tout ce qui ne ressortit pas directement du seul ordre économique, et notamment la culture, reste une sorte de boîte noire qu'on ne se résout à ouvrir que par effraction.(13) Outre cette idée-force, plusieurs des interprétations que Giddens offre de tel ou tel aspect de la modernité soulèvent des points de débat ou suggèrent des pistes d'exploration intéressantes: ainsi son élaboration critique des vues de Luhman sur la confiance, l'usage qu'il fait des écrits d'Erik Erikson sur la sécurité ontologique, ou encore ses suggestions de l'importance croissante des systèmes experts dans la coordination de l'action sociale à travers l'espace et le temps.
 
 Pourtant, au fil des chapitres, le lecteur le plus sympathique qui espérait tirer de cet ouvrage les outils d'une compréhension affinée du monde qui l'entoure éprouve bien du mal à réprimer un sentiment grandissant de malaise. Car si nombre des reformulations que Giddens introduit suscitent l'intérêt, et même l'admiration pour l'agilité analytique dont elles témoignent, leur compilation produit à la longue l'effet inverse, surtout quand il s'avère, en fin de parcours, que l'érection de ce magnifique échafaudage conceptuel était à lui-même sa propre fin et qu'il ne débouche sur aucune analyse concrète des sociétés contemporaines à même d'en démontrer la solidité. Et c'est sans doute parce qu'il est l'un des maîtres du genre qu'a son corps défendant, Giddens souffre plus que d'autres des vices et des limitations inhérents à cette "théorie théoriciste" —pour ne pas dire scolastique— qui fait un grand retour sur la scène sociologique anglo-américaine depuis le début des années 80.(14) On est en droit de penser, en refermant The Consequences of Modernity, que ce type de labeur conceptuel dénué de tout contact avec l'empirie n'est pas le meilleur moyen de diagnostiquer les maux dont souffre la modernité. Une telle théorisation est trop prompte à se constituer en un domaine discursif clos et auto-référent (à preuve les nombreuses références de Giddens à... ses autres ouvrages théoriques), la confrontation systématique avec le réel cédant la place à une "manipulation interminable des Concepts"(15) où la quête de l'élégance terminologique prend le pas sur la pertinence historique et où la réification des catégories le dispute à l'arbitraire des typologies.
 
 Ainsi, la symétrie sans faille de l'argumentation de Giddens ne manque-t-elle pas de jeter le doute sur la validité du canevas de distinctions conceptuelles qui la soutient —d'autant que l'auteur lui-même souligne le "rapport direct" entre les diverses figures qui résument, au moyen d'un même schéma quadripartite, les dimensions de la modernité, les types de mouvements sociaux, et les tendances à la postmodernisation (p. 63). La correspondance parfaite qu'il établit entre les quatre "nodes institutionnels" de la modernité (capitalisme, industrialisme, surveillance, militarisme) et les quatre grands mouvements sociaux de notre temps (syndicalisme, écologie, poussée démocratique et mouvement en faveur de la paix et du désarmement), outre qu'elle repose sur une catégorisation étroite de chacun de ces derniers, laisse orphelines quelques-unes des forces sociales les plus significatives de ces dernières décennies: séparatisme noir, consumérisme et fondamentalisme religieux aux États-Unis, "coordinations", néo-populisme xénophobe et révolte des banlieues dans le cas de la France, effondrement soudain de régimes ossifiés et résurgence d'ethnonationalismes exacerbés dans les pays de l'Est. Il est à ce titre révélateur que Giddens ne sache trop que faire du féminisme, qui ne rentre dans aucune des "cases" préconçues de son modèle, et dont il se débarrasse sans gloire au détour d'une note infrapaginale (pp. 161-162).
 
 Faute d'un solide ancrage empirique, l'analyse de Giddens donne souvent l'impression de se résumer à une série de "discriminations conceptuelles" (p. 32) qui s'enfilent les unes derrière les autres à la manière des perles d'un collier, sans lien entre elles autre que syntagmatique ou terminologique. Au point qu'on peut se demander si certains des usages qu'il fait des travaux d'autres théoriciens produit des effets de connaissance qui vont au-delà du simple rapprochement ou de la retraduction dans son idiolecte conceptuel personnel (e.g., pp. 84-87).(16) Par endroits, la discussion atteint des sommets d'abstraction tels qu'elle prend l'allure d'une comparaison entre caricatures plus qu'entre d'idéal-types. Ainsi en est-il du contraste entre sociétés "moderne" et "prémoderne", dont on discerne mal à quelles formations sociales historiques il s'applique dans la forme hautement épurée où il est nous est ici livré. Ce qui conduit l'auteur à avancer des propositions vagues au point qu'il est difficile de dire sous quelles conditions les relations qu'elles stipulent sont susceptibles d'être vérifiées ou infirmées.(17) Une illustration parmi d'autres: "Ma thèse principale sera que les mécanismes de désencastrage entrent en interaction avec les contextes ré-encastres de l'action, qui peuvent soit renforcer soit miner leur efficacité; et que les engagements impersonnels sont semblablement liés de manière non-ambigüe aux engagements exigeant un travail de face-à-face" (p. 80). Ou bien le "théorème" selon lequel "la transformation de l'intimité peut s'analyser en termes de construction de mécanismes de confiance" (p. 114). Les rares prédictions empiriques auxquelles se hasarde Giddens ne sont pas plus heureuses: l'idée qu'il n'existe pas de Tiers-Monde militaire et qu'"une confrontation militaire de grande ampleur utilisant exclusivement des armes conventionnelles aurait des conséquences dévastatrices" pour l'humanité toute entière (p. 172) est difficile à réconcilier avec l'écrasement de l'Iraq par les forces alliées de l'Occident au printemps 1991. Un tel dérapage dans le ciel de l'abstraction aurait pu être évité ou tout du moins limité en prolongeant l'analyse des dimensions culturelle et cognitive de la modernité par l'étude des transformations de son infrastructure matérielle. Mais Giddens concentre ses efforts exclusivement sur celles-ci et évite la confrontation avec les diverses théories —capitalisme désorganisé ou consumériste, "spécialisation flexible" ou flexibilité, transition au postfordisme, etc.— qui défendent autant d'explications économiques de la mutation en cours des sociétés avancées. (18)
 
 Tout compte fait, le modèle élaboré par Giddens se révèle étrangement réminiscent, dans son architectonique comme dans son degré d'abstraction, du schéma AGIL de Talcott Parsons, dont le moins qu'on puisse dire est que sa capacité à générer une science sociale historique de la modernité est loin d'être démontrée. Et, à l'instar de Parsons, un raisonnement crypto-fonctionnaliste se glisse sous ce schéma quand Giddens affirme que l'humanité ne peut que se diriger vers une économie d'abondance sous prétexte qu'aucune "autre alternative ne s'offre à un monde qui n'est pas lance sur une trajectoire d'auto-destruction" (p.165). (19) L'effondrement des grands empires prémodernes, les conflits mondiaux de notre siècle, et, plus près de nous, le démembrement de l'ex-Yougoslavie sont là pour rappeler que rien n'interdit qu'un système social ne laisse ses contradictions se développer jusqu'à ce qu'elles l'anéantissent.  
 
 In fine, on pourrait appliquer à Anthony Giddens la critique qu'il adresse ailleurs à l'école structuraliste française, à savoir que "ses aperçus sont obscurcis par un appareil conceptuel qui en impose par son impénétrabilité" (20) et dont on peine à distinguer de quelle utilité il peut être pour l'analyse historique tant il parait déconnecté non seulement du réel mais surtout de la pratique de la recherche. Reconnaître que théorie et empirie jouissent toutes deux d'une autonomie relative ne signifie pas qu'on doit accorder à la première un chèque en blanc conceptuel. Car s'il est vrai qu'"on ne saurait exiger [de la pensée théorique] qu'elle soit liée en chacun de ses points à des considérations empiriques", (21) on peut penser, avec Weber, qu'elle a tout à gagner à leur rester aussi solidement arrimée que possible, surtout lorsqu'elle traite d'un problème où la tentation de la philosophie sociale est aussi forte que celui de la nature et du devenir des sociétés modernes. The Consequences of Modernity pose donc, avec une acuité particulière du fait de la dextérité conceptuelle exceptionnelle de son auteur, la question des mérites et des limites de la réflexion théorique pure au moment ou l'ensemble des sciences sociales ont pris un "tournant historique" auquel, paradoxalement, Anthony Giddens a contribué plus qu'aucun autre théoricien de langue anglaise. (22)
 
 
 
NOTES :
 
(1) Cf. Anthony Giddens, La théorie de la structuration, Paris, PUF, 1990 (orig. 1984), dont les étapes intermédiaires étaient présentées dans New rules of sociological method: A positive critique of interpretative sociology (Londres, Hutchinson, 1976), Central problems in social theory: Action, structure and contradiction in social analysis (Berkeley, University of California Press, 1979) et A Contemporary critique of historical materialism, vol. 1 (Berkeley, University of California Press, 1982). Pour trois évaluations critiques de l'entreprise giddensienne, voir David Held et John B. Thompson (eds.), Social theory and modern society: Anthony Giddens and his critics (Cambridge, Cambridge University Press, 1989); Christopher G.A. Bryant et David Jary (eds.), Giddens' theory of structuration: A critical appreciation (Londres, Routledge, 1991), Jon Clark, Celia Modgil et Sohan Modgil (eds.), Anthony Giddens: Consensus and Controversy (Londres, The Falmer Press, 1990). Dans un genre plus hagiographique, Ira J. Cohen, Structuration theory (New York, Saint Martin's Press, 1989).
 
(2) Notamment de leur structure de classe (cf. Anthony Giddens, The class structure of the advanced societies, New York, Basic Books, 1973, et Anthony Giddens et David Held, eds., Classes, power, and conflict: Classical and contemporary debates, Berkeley, University of California Press, 1982) et de leur évolution macrostructurelle (cf. The nation-state and violence, Berkeley, University of California Press, 1985).
 
(3) Anthony Giddens, The Consequences of Modernity, Cambridge, Polity Press et Stanford, Stanford University Press, 1990 (bibliogr., 178 p. + ix). Les mentions de page sans référence dans le texte renvoient à cet ouvrage.
 
(4) Jean-Francois Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Éditions de Minuit, 1979.
 
(5) Giddens a offert une interprétation systématique des écrits des trois "pères fondateurs" de la sociologie dans Capitalism and modern social theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1973.
 
(6) Cette idée est développée dans Anthony Giddens, La théorie de la structuration, op. cit., chapitre 3, à partir de la "géographie-temps" de Thorsten Hagestrand et Allen Pred. Sur l'émergence de la notion de société et ses acceptions conflictuelles, voir David Frisby and Derek Sayer, Society, Londres, Tavistock, 1986.
 
(7) Pour une analyse pénétrante de la trajectoire du positivisme, voir Anthony Giddens, "Positivism and its critics", in Tom Bottomre et Robert Nisbet (eds.), A history of sociological analysis, New York, Basic Books, 1978.
 
(8) Pour une lecture différente des théories de la modernité de Marx et de Weber, voir Derek Sayer, Capitalism and modernity: An excursus on Marx and Weber (Londres, Routledge, 1991).
 
(9) Dont on trouvera une analyse dans Eviatar Zerubavel, Hidden rythms: Schedules and calendars in social life, Chicago, The University of Chicago Press, 1981.
 
(10) Pour un échantillon de ce débat dans la sociologie anglo-américaine récente, dont la revue anglaise Culture, theory and society et la revue New Yorkaise Social text sont deux des hauts lieux de diffusion, voir Bryan S. Turner (ed.), Theories of modernity and postmodernity, Newbury Park, Sage, 1990. Pour deux formulations représentatives, Fredrick Jameson, "Postmodernism, or the cultural logic of late capitalism", New Left Review, 146, juillet-août 1984, pp. 53-72, et Scott Lash, Sociology of Postmodernism, Londres, Routledge, 1990.
 
(11) Sur ces mouvements, on lira Alberto Melucci, Nomads of the Present, Londres, Hutchinson, 1989, et Ron Eyerman et Andrew Jamison, Social movements: A cognitive approach, University Park, Pennsylvania State University Press, 1991.
 
(12) Notion que Giddens emprunte aux travaux d'Ulrich Beck sur la "société à risques" (Risikogesellschaft: Auf dem Weg in eine andere Moderne, Francfort, Suhrkamp Verlag, 1986) qui gagneraient à être connus en France.
 
(13) Comme le reconnaît Wally Goldfrank dans un récent bilan des acquis de l'école wallersteinienne ("Current Issues in World-Systems Theory", Review, 13-2, printemps 1990, pp. 251-254).
 
(14) Elle est amplement illustrée par le volume édité par Anthony Giddens et Jonathan Turner, Social Theory Today, Cambridge, Polity Press, 1987 (notamment par les chapitres de Jeffrey Alexander, Richard Munch et Jonathan Turner).
 
(15) Pour reprendre les termes de C.-Wright Mills dans L'imagination sociologique, Paris, Maspero, 1977 (orig. 1959).
 
(16) La difficulté que l'on a éprouvée à traduire certaines des notions élaborées dans ce livre est elle-même symptomatique du biais conceptuel, voire lexicologique, qui l'affecte. Sur ce point, voir les remarques de Paul Hirst, "The social theory of Anthony Giddens: A new syncretism?", Theory, culture and society, 1, 1982, pp. 78-82.
 
(17) Pour une critique de Giddens sur ce point, Arthur Stinchcombe, "Milieu and structure updated", Theory and Society, 15, 1986, pp. 901-913.
 
(18) Voir, respectivement, Claus Offe, The End of organized capitalism, Cambridge, MIT Press, 1985, et Scott Lash et John Urry, The End of Organized Capitalism, Madison, University of Wisconsin Press, 1987; Michael Piore et Charles Sabel, The Second Industrial Divide, New York, Basic Books, 1984; Alain Lipietz, Mirages and Miracles, Londres, Verso, 1990, et Robert Boyer (ed.), Capitalismes fin de siècle, Paris, PUF, 1986; David Harvey, The Condition of Postmodernity, Oxford, Basil Blackwell, 1989, et le numéro de la Socialist review consacré au postfordisme sous le titre "Postfordism: Flexible politics in the age of just-in-time production" (hiver 1991).
 
(19) Ce type de raisonnement est d'autant plus étonnant que Giddens est l'un des critiques les plus perspicaces du paradigme fonctionnaliste (cf. Central issues in social theory, op. cit., et "Functionalism: après la lutte", in Studies in social and political theory, New York, Basic Books, 1976, pp. 96-129).
 
(20) Anthony Giddens, "A reply to my critics", in David Held et John B. Thompson, Social Theory and Modern Societies, op. cit., p. 266.
 
(21) Anthony Giddens, "A reply to my critics", op. cit., p. 294. Pour une critique plus élaborée du biais théoriticiste de la sociologie de Giddens et de ses coûts, voir Nicky Gregson, "On the (ir)relevance of structuration theory to empirical research", in David Held et John B. Thompson, Social Theory and Modern Societies, op. cit., pp. 235-248 et la réponse de Giddens dans ce même volume (pp. 293-301).
 
(22) Cf. Philip Abrams, Historical sociology, Ithaca, Cornell University Press, 1982, et Terrence J. McDonald (ed.), The historic turn in the human sciences, Ann Arbor, University of Michigan, 1992.  
 


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One Cosmic Soul was created...
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THE REAL K​RYSTOPHE
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Posté le 18-07-2003 à 16:38:02  profilanswer
 

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