L'Antichrist a écrit :
Citation :
Quand la partie a conscience du tout,ne peut t'on pas dire que le tout a conscience de lui meme ?
exemple: l'homme a conscience de l'univers,mais l'univers ,considéré dans son ensemble,c'est a dire atemporel ou incluant la dimension du temps,pourrait t_il avoir conscience de lui meme ?
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Une pensée peut éclairer ta question, celle de Hegel (mieux même que celle de Spinoza). Il s'agit de donner un sens au savoir absolu sans faire intervenir le Dieu des religions.
Tout le projet de Hegel est de montrer que la totalité est le dépassement de toutes les bribes mais il faut éprouver les bribes parce que la totalité se donne dans les bribes. Sans les parties, le tout n'est qu'un agrégat et non une totalité vivante. Il faut échapper à l'indifférenciation de la totalité où l'on ne peut rien connaître. Penser un système de la totalité, c'est éprouver toutes les bribes mais aussi le passage de telle bribe à telle bribe. Etre dans la totalité, c'est ne pas être dans l'indifférencié : c'est vivre au contraire les différences, c'est éprouver les moments de morts, c'est sentir " la puissance du négatif ". La bribe n'est donc pas coupée de la totalité. Il faut comprendre que la vérité (qui est la vérité de la totalité) passe par la vie et la mort de toutes les bribes qui constituent la totalité. Mais pour atteindre la totalité, il faut accepter de lâcher les bribes c'est-à-dire ne pas s'attacher aux différents visages que prend la totalité. Pour atteindre le Vrai, il ne faut donc pas être fétichiste. Il faut lâcher les bribes pour s'élever au savoir absolu. Comment quitter la partie ? En s'élevant à la totalité, qui n'est pas un Tout indifférencié (où l'on ne peut rien penser) mais un Tout vivant qui ouvre à la vérité.
Vouloir connaître, c'est vouloir connaître la totalité. C'est ne rien vouloir laisser à l'extérieur. Mais n'est-ce pas l'essence même de la raison qui est intériorisation ? La raison connaissante intériorise : elle ne laisse rien à l'extérieur. Quand je pense une galaxie, je ne la pense pas extérieurement à moi mais en moi. Elle est moi. Etre un sujet, c'est donc intérioriser ce qui est. C'est avoir la totalité en soi. Le concept de totalité n'est donc pas d'abord l'extérieur que je veux saisir mais est l'extérieur en tant qu'il est saisi dans et par moi. En tant qu'il est moi. Dans le domaine de la connaissance, je suis dans la sphère de l'intériorisation. Quand je veux connaître, je veux connaître la totalité. Mais puis-je réaliser cela sans l'exemplification, sans le morceau, sans la bribe ? C'est, par exemple, ce que nous expérimentons en art. N'est-ce pas dans une oeuvre d'art particulière que nous voyons le support de l'Art tout entier ? Où est l'art si ce n'est dans les exemplifications que sont les oeuvres ? " La " musique n'existe pas : n'existent que des morceaux de musique. Cependant, dans un morceau, toute la musique est présente. Le morceau est bien support parce que si on le retire, la musique disparaît. Le monde de l'art est le monde de la totalité qui ne prend forme que dans l'instance particulière d'une oeuvre toujours circonstanciée. A ce moment là, la totalité n'est pas le contraire de la partie ou de la bribe : la bribe est ce qui soutient la totalité. Que se passe-t-il dans l'expérience esthétique ? Je suis face à une oeuvre particulière avec des sons et des couleurs particulières et pourtant, elle supporte l'art tout entier. Tout l'art est une toile de Vermeer, mais aussi dans une toile de Picasso, mais aussi dans un morceau de Beethoven, mais aussi dans une pièce de Rodin. L'art n'existe que dans les oeuvres. La totalité n'existe que dans les bribes. La symphonie est dans la totalité des notes mais sans note, on ne peut rien entendre. Les notes de musique soutiennent la totalité de la partition. La réciproque de cette idée réside en ceci que chaque note au moment où elle apparaît est la totalité de la symphonie. La totalité n'est donc plus à concevoir ce qui coiffe infiniment les bribes mais les bribes sont absolument nécessaires à l'existence de la totalité. Sans oeuvre d'art, l'art n'existe pas. Le morceau est donc la totalité : il n'y a que des morceaux. Nous ne pouvons pas faire l'expérience de l'art en général. Nous ne jouissons que d'oeuvres particulières. Mais dans chaque oeuvre, il y a la totalité de ce qu'il y à voir. L'oeuvre d'art soutient l'art. La bribe soutient la totalité. Soutien au sens fort : si nous l'enlevons, tout disparaît.
Mais reste le sujet qui fait l'expérience de tout cela ! C'est en moi que se joue la bribe et la totalité. Tout le problème consiste à savoir si je suis une totalité ou bien si je suis un morceau !
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