L'Antichrist a écrit :
Ta question nur concerne le couple personne/personnage et la manière d?acquérir une identité (savoir qui l?ont est).
Depuis Kant, nous savons que le sujet est une forme vide est qu?il ne peut donc être un objet de connaissance pour lui-même, ni comme substance (Objekt), ni comme objet déterminable scientifiquement (Gegenstand) : la saisie immédiate de nous-mêmes au travers de nos actes ne peut nous livrer au mieux que le sentiment d'une existence qui est le contraire d'une connaissance objective. Je ne peux donc pas passer par moi-même, seul, de la conscience de moi à la connaissance de ce que je suis. Le discours des autres sur moi est indispensable. Par exemple, je ne peux m?affirmer et me connaître vulgaire, jaloux..., sauf si les autres me reconnaissent comme tel. L?extériorité est requise : autrui est celui qui sait ce que je suis et par qui je peux me connaître. Ce que, d?ailleurs, semble confirmer l'existence et les discours des sciences humaines qui m'apprennent sur moi ce que le plus souvent je n'aurais pas pu découvrir par mes propres moyens et ce, non pas par manque de lucidité, de sincérité ou de précautions, mais radicalement : parce que je ne peux à la fois être un objet et un sujet. Le passage par une forme de savoir nous offre donc des déterminations extérieures grâce auxquelles nous parvenons à nous objectiver dans le monde, à nous définir comme personnage, personnalité, comme personne responsable, ayant des droits et des devoirs. Ainsi, nous pouvons trouver notre place et vivre en harmonie avec nous-mêmes dans le milieu qui est le nôtre.
Mais ce que je suis ne serait-il que le personnage, la personnalité qui sont des " vêtements " auxquels on peut échapper, fruit du regard des autres ou d'une conception ? être "satisfait de soi" peut d?abord avoir ce sens : s?être identifié si parfaitement à son personnage que le sujet ne parvient plus à faire la différence entre ce qu?il a (qui le définit comme un individu unique mais qu?il peut perdre) est ce qu?il est (comme personne dont l?identité touche à une définition universelle de l?humain et qu?il est impossible de perdre).
Si la conscience est toujours " conscience de quelque chose ", elle est en même temps distance, séparation. Je ne me confonds jamais avec ce que je perçois, je sais que j'en suis distinct. Certaines connaissances scientifiques m'apprennent que j'obéis au déterminisme naturel, comme tout vivant, que j'agis parmi les hommes dans une société qui me façonne autant que je la transforme ; mais, par ma conscience, je me sépare de telles déterminations. Par ma conscience je ne suis pas simplement dans le monde, chose parmi les choses ; je suis face au monde et comme au-dessus de lui. Comme l'écrit Sartre : " L'homme est ce qu'il n'est pas (son projet) et n'est pas ce qu'il est (parce qu'il s'en sépare, en en prenant conscience) ". Ainsi, lorsque je me regarde, j'ai conscience d'un moi empirique qui n'est pas moi, que je place à distance dans un acte de transcendance, un horizon, un projet, un idéal qui le colore à mes yeux d'un sens nouveau, faisant éclater les limites d'une simple description objective de mon être. En ce sens, on peut dire que le savoir est aliénant, doublement aliénant même puisque, d'une part il m'enferme dans une essence, une série de déterminations que je n'ai pas toujours choisies et qui me définissent une fois pour toutes de l'extérieur. (cf. Huis-clos) : ce qu?on pense de l?autre le transforme. Je ne suis en effet aucunement indifférent à ce que les autres pensent de moi (et par là je me distingue des pierres !) " La défiance a fait plus d?un voleur ". De même que la confiance a fait plus d?un honnête homme : cf. l?épisode des deux chandeliers dans les Misérables. Mais d'autre part, ce savoir, fruit de l'apparence, d'une existence soumise à la présence de l'autre, est un savoir toujours inachevé, imparfait et insatisfaisant. Par lui, je suis pris dans un jeu de miroir qui me livre une image déformée de moi-même, sans cesse en mouvement. Privé de repère stable, je suis toujours au dehors de moi-même, à la recherche d'un moi que je ne peux jamais atteindre. D'où les souffrances que nous imposent notre existence sociale, vouée au culte de la personnalité et du personnage. Dans le même ordre d'idée, on peut tenir le discours des sciences humaines comme lui-même travaillé par les déterminations qu'il voit à l'?uvre en moi, et donc comme insuffisant, voire idéologique.
" être satisfait de soi " peut signifier alors que le sujet a réussi à dépasser toute forme d?aliénation. Nous savons que la liberté n'est pas donnée, que la volonté est d'abord passion (elle traduit l'extériorité) et non action (autonomie de la raison). Car la liberté implique toujours une re-définition de soi, un déplacement, une sublimation, un renversement des déterminations d'abord vécues passivement. Or, seule une démarche réflexive capable de problématiser les représentations ordinaires, de réélaborer de manière critique les cadres psychologiques et affectifs de notre existence, les valeurs idéologiques transformées en dogmes ou en traditions, est en mesure d'assurer notre réelle autonomie et ainsi de nous ouvrir à la compréhension de nous-mêmes (dans ce que nous avons de plus intime mais que nous partageons cependant avec l'ensemble des hommes). Ainsi, être soi-même c'est être libre de cette vraie liberté qui consiste à se détacher du monde pour mieux le réinventer idéalement conformément aux exigences les plus intimes de notre personne (et non du personnage) : dans notre confrontation avec le monde, il s'agit d'avoir le dernier mot. Etre, c'est revenir à soi, à ce à quoi nous aspirons vraiment, au-delà ou en deçà de toutes les fins pragmatiques ou sociales. Etre, c'est donc se faire par un projet et une action fidèle au projet puisqu'en définitive l'homme n'est que projet, liberté créatrice.
|