Baastien a écrit :
Bonjour... Voici un petit aperçu d'un problème de grammaire qui semble pour le mois négligé par les spécialistes. Nous tentons d'y apporter une réponse et j'aurais justement besoin de l'avis des quelques internautes éclairés qui pourront prendre cinq minutes pour lire ce qui suit. Vos remarques seront très précieuses pour nos recherches, alors je remercie par avance ceux qui voudront bien donner un peu de leur énergie pour livrer quelque commentaire! Voici le problème... ________________ << En sintéressant un peu à linfinitif, cette forme verbale qui semble si simple à utiliser comme à analyser, on sapercevra quen grammaire même les questions les plus simples peuvent nous réserver bien des surprises... Ce nest pas, en réalité, une interrogation quelconque sur cette forme du verbe qui nous a poussés à proposer ce qui suit, mais une autre question, tout aussi simple en apparence: soit la phrase << Jai réussi à faire mes devoirs. >> , quelle est la fonction syntaxique du syntagme << à faire mes devoirs >>? Cest un complément du verbe, un complément dobjet, ou régime. Mais ce régime-là est-il direct ou indirect? Certes, il y a bien une préposition, à... Mais ceux qui sont favorables à la tradition qui discrimine les compléments du verbe dits directs et ceux dits indirects reconnaîtront volontiers que ce nest pas la simple présence ou absence de la préposition qui peut apporter une réponse pleinement satisfaisante... Personne ne considérera, par exemple, que dans la phrase Il lui proposa de venir le régime de venir du verbe proposa soit indirect. En effet, le verbe proposer est bien dit transitif direct, on propose quelque-chose. La préposition de ne semble pas se justifier par le lexème du verbe. La conception la plus répandue est celle de lindice dinfinitif: avec quelques variantes parfois, on parle de préposition sans aucune valeur sémantique, dont le rôle serait simplement de permettre à linfinitif dacquérir une fonction dans la phrase... Admettons cette valeur du de. Pourquoi alors les spécialistes semblent-ils moins adeptes de cette façon dinterpréter le rôle de la préposition lorsquil sagit dà, comme dans la phrase Jai réussi à faire mes devoirs.? On na jamais, en effet, entendu parler dun à indice de linfinitif... Cette étonnante indécision apparaît comme paradoxale à côté de la relative uniformité des avis concernant la fonction du de et ne peut donc que révéler quelque faille plus profonde dans cette modélisation. Avant de poursuivre, il importe donc de bien répondre à une question fondamentale mais négligée: Doit-on traiter différemment là et le de précédent un infinitif? Pourquoi? Cest ici que nous nous sommes intéressés à un article fort intéressant publié par le linguiste Monsieur Ronald Lowe, directeur de la fondation Gustave Guillaume de lUniversité Laval, au Québec. Cet article sintitulant Analyse des prépositions à et de dans le cadre dune syntaxe opérative sinscrit naturellement dans le cadre détudes de psychomécanique du langage et ne peut donc pas directement apporter de réponses à notre analyse syntaxique traditionnelle. Mais deux choses essentielles y sont démontrées: dune part, les prépositions en questions sont à traiter de la même manière, sur le même plan, dautre part, les différences entre lune et lautre sont dordre sémantique et ne dépendent ni de lhabitude ni de leuphonie, contrairement à ce que suggère Grevisse. Ce que propose Monsieur Lowe, cest dattacher à là une nuance prospective, et au de, une nuance rétrospective, sachant quà prospectif peut être rattaché positif et quà rétrospectif peut être rattaché négatif. Quelques exemples rapides: On commence à (laction va se dérouler), on continue à (laction va se poursuivre), ou on continue de (on considère laction dun point de vue résultatif, et que cest un fait qui va se répéter), et lon arrête de (laction sachève, son déroulement appartient au passé). De même, on autorise à et on interdit de. Ces renseignements sont particulièrement appréciables: ils prouvent que, syntaxiquement parlant, (les points de suspension marquent un linfinitif régime) aimer à..., continuer de..., réussir à..., apprécier de..., et cetera, sont équivalents La valeur de la préposition dans ces phrases doit donc être universelle; il reste maintenant à la déterminer. En premier lieu, il ne nous a pas semblé que la préposition devait être considérée comme un outil de subordination qui joindrait le régime au verbe de phrase, comme dans Je vais à Paris. ou Je parle à Pierre.. En effet, nous lavons déjà dit, le verbe réussir ne nécessite pas la préposition à par son lexème. On réussit bien quelque-chose. Dautre part, la pronominalisation possible par cela écarte la possibilité dun complément indirect. Ensuite, le fait que le rôle de la préposition ne peut pas être de subordonner un syntagme au verbe est encore plus visible dans des exemples comme Il est interdit de..., et cetera. Enfin, il nous a paru que le groupe préposition+infinitif devait se comprendre de façon globale, dans son ensemble, formant en définitive une unité sémantique, une unité grammaticale, et - Pourquoi pas? - une unité lexicale... Voici un passage important de nos recherches. Habituellement, la préposition est considérée comme un mot servant à raccorder deux éléments de la phrase. Et si cela était en réalité trop schématique pour être universel? Sil sagissait en réalité ici dun seul mot, formé de linfinitif et de sa préposition, dont le rôle serait en fait den nuancer le sens afin de le rendre, dans certains cas, compatible sémantiquement avec le verbe dont il est sujet ou régime? En effet, le diastème perçu dans la phrase: *Jai réussi faire mes devoirs. serait-il plutôt de nature syntaxique ou de nature sémantique? Proposons-nous alors de considérer cela comme un paradigme. Linfinitif présent et linfinitif passé posséderaient alors chacun trois formes, que nous appellerons trois degrés: le degré neutre, le degré à et le degré de, correspondant respectivement aux exemples Souffler nest pas jouer., Il a commencé à jouer. et Il a arrêté de jouer.. Nous avons ici trois exemples de linfinitif du verbe souffler, décliné dans chacun de ses degrés. Il reste alors à comprendre en quoi cet usage se nécessite, cest-à-dire quel est lapport sémantique de la préposition dans la formation du nouveau lemme, avec les particularités sémantiques de son nouveau lexème. Il nest pas particulièrement aisé que de trouver des réponses à ce genre de questions puisquil sagit de phénomènes plutôt inconscients dans lusage habituel du langage. Cependant, nous pouvons proposer une première tentative danalyse. Il semblerait quil y ait une gradation du degré dit neutre, numéro un, au degré dit de, numéro trois. Celui-là serait le plus abstrait, celui-ci, le plus concret. Plus précisément, on pourrait considérer que le degré neutre serait la forme la plus virtuelle du verbe, celle qui est justement utilisée pour la simple désignation du verbe ou de laction quil représente, celle encore qui sait rester suffisamment vague pour pouvoir adopter au besoin nimporte-laquelle des nuances propres aux autres degrés. Le degré à serait celui de laction dans son déroulement, envisagée comme un processus. Le degré de, lui, serait celui de laction comme quelque-chose de particulièrement concret, de réalisé, comme une sorte délipse à lexpression le fait de. Pour illustrer ce qui vient dêtre énoncé, revenons tout dabord sur lexemple Souffler nest pas jouer.. Dans la règle du jeu de dames, cette phrase signifie que la première de ces deux actions ne peut pas être considérée comme équivalente à la seconde. Pourquoi alors ne dirait-on pas plutôt *À souffler nest pas à jouer.?Pourquoi cette formulation ne nous apparaît-elle pas cohérente? Tout simplement car elle serait trop réductrice. En effet, dans cette sorte de comparatif dinégalité qui est établi entre souffler et jouer, on souhaite pouvoir établir une analogie entre nimporte-lequel des aspects envisageables de chacune de ces deux actions. On pourra dire dun jouer qui sapprête à souffler quil ne sapprête pas à jouer, dun joueur qui vient de souffler quil ne vient pas de jouer... Ensuite, on remarquera que les aspects des degrés à et de qui viennent dêtre décris sont propices à ce quils acquièrent des nuances respectivement prospectives et rétrospectives: lorsque lon dit commencer à..., on envisage laction qui débute comme quelque-chose qui va se produire, cest-à-dire, en définitive, une action en tant que telle, et, lorsquon dit arrêter de, on envisage alors laction comme quelque-chose qui vient de se dérouler, qui va sachever, et, donc, finalement, plutôt comme un résultat, un fait. En outre, on peut dire continuer à... ou continuer de... selon que lon se place dans une logique plutôt prévisionnelle de la chose: laction va se poursuivre, ou plutôt résultative: cest cest ce qui sest produit juste avant (un fait, donc) qui va se reproduire. En somme, ne peut-on pas considérer le degré zéro comme la forme atone de linfinitif et les autres degrés comme des formes obliques? Dautre part, ce qui peut poser de grands soucis quelques-soit la façon denvisager le problème, cest la différence existant entre la forme de linfinitif utilisée en sujet grammaticale et celle utilisée en sujet réel de tournures impersonnelles: Pourquoi dit-on Il est interdit de faire... si lon dit Faire ... est interdit.? Afin dessayer dapporter une réponse, penchons-nous sur la valeur de cet il impersonnel. Pour cela, nous nous sommes basés sur un article publié par Madame Louise Guénette, intitulé Les pronoms neutres il/ce/ça; une comparaison de leurs emplois et de leurs signifiés. La chercheuse, dans le cadre de cette comparaison entres ces trois pronoms, propose que cet il serait, le pronom qui permettrait à un énoncé dêtre actualisé, dexister dans la réalité. Dans cette perspective, il apparaît cohérent que linfinitif soit à son degré de lorsquil est sujet réel de tournures impersonnelles, puisque ce qui est susceptible dexister dans la réalité, cest bien une action matérielle, concrète. À linverse, il nest pas étonnant que lon dise Faire ... est interdit puisquen labsence de lil temporel on peut prendre nimporte-quel aspect de laction, de préférence, le plus vague, pour linterdire. On peut noter que De faire ... est interdit., sil est moins usité, ne choque pas tellement loreille, et cest peut-être parce-quil napparaît pas si anormal que de prendre la représentation de laction sous son degré le plus pratique pour linterdire; cest quelque-chose de concret et de précis que lon veut interdire, pas une simple idée... En fait, on peut dire que le degré de qui, à la base, indique laction dans son aboutissement, son achèvement, son résultat, et cetera, se prête, par extension de cette valeur sémantique, fort bien à ce qui est de la désignation de laction. Cest un peu le mode nominal du verbe. Doù le fait que le de pourrait, dans une analyse synchronique de la langue, être perçu comme un simple outil permettant à linfinitif de devenir un constituant phrastique supérieur. Mais il semblerait que ce soit là le fait dun sens assez précis de linfinitif et de la préposition (de leur combinaison, en fait) et non dun simple gallicisme inexplicable... Revenons-en donc maintenant à notre exemple de départ: << Jai réussi à faire mes devoirs. >>. Le verbe réussir est transitifs direct, il ne nécessite pas par son lexème de préposition dans son lien avec son régime. Mais quindique le verbe réussir? Que lon parvient à atteindre un but donné. Que réussit-on, alors? Une action. On réussit à mener une action à son terme, cest à dire à la faire se dérouler jusquà ce quelle soit achevée. Sur quoi se concentre-t-on, alors, lorsque lon emploi le verbe réussir avec un infinitif en régime? Sur laction, dans son déroulement, en tant que processus. Voilà pourquoi on ne réussit pas faire quelque-chose (forme totalement virtuelle, incompatible), ni ne réussit de faire quelque-chose (malgré le côté rétrospectif de laction que lon a menée à son terme). Ce que lon réussit, cest bien une action, en tant que telle... >> ____________________________________
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