la critique TELERAMA
attention SPOILER disséminés à tous les coups, spour ca, je lis pas
Ladykillers
Des escrocs minables face à une mamma noire : la nouvelle farce macabre et délectable des Coen.
Le premier plan finit sur une gargouille. Sur laquelle se pose un corbeau. Le corbeau d'Edgar Allan Poe. L'un des auteurs préférés du professeur (Tom Hanks), qui cite ses poèmes avec componction. Dès cet instant, on devine que cette gargouille, ce corbeau, Poe et le professeur seront liés les uns aux autres par les caprices d'un facétieux destin. La fatalité est en marche mais nul ne sait encore quand et comment elle frappera.
Et surtout pas le professeur Goldwaith Higginson Dorr, aux costumes et au vocabulaire aussi désuets que son interminable patronyme. Pour l'instant, G.H. Dorr s'attache, en lui louant une chambre, à gagner la confiance de Mrs Munson - Irma P. Hall (1) -, une mamma noire, veuve et bigote. La confiance de Mrs Munson est indispensable au professeur : c'est de sa cave qu'il compte, avec l'aide de complices déguisés en musiciens de la Renaissance, creuser le tunnel qui les amènera sur un coffre contenant les pertes accumulées par les clients malchanceux du casino voisin. Un vrai pactole...
Le nouveau film des frères Coen est une gourmandise que l'on déguste avec délectation. Avec brio, ils ont transposé dans le sud des Etats-Unis le film si british tourné dans les années 50 par Alexander Mackendrick, avec Alec Guinness et Peter Sellers. Cela leur permet d'enrichir de quelques spécimens croquignolets la galerie de pompeux crétins et d'indécrottables bouseux qui parsèment leur univers, d'Arizona Junior à Fargo.
Shérif niais, petits chefs que l'on achète pour quelques dollars et des chocolats, grenouilles de bénitier croyant bien faire. Avec une ironie mordante, les Coen orchestrent une farandole de médiocres satisfaits, d'excentriques hallucinés. C'est la « conjuration des imbéciles » que décrivait si bien le romancier John Kennedy Toole.
A commencer par les cinq héros de cette farce macabre. Tom Hanks, déchaîné, en roue libre, fait de G.H. Dorr un pantin caractériel qu'il pare de petits rires soudains, faussement civils, babines retroussées. Ses complices ? Pires que lui : un débile léger, un ex-officier indochinois taciturne et clopeur, un Black rouleur de mécaniques, secrètement terrifié par « môman », plus un artificier maladroit, juste bon à se faire exploser l'index... Et les catastrophes de pleuvoir lorsque ces bras cassés se mettent en tête de liquider la malheureuse Mrs Munson, qui aura surpris leurs coupables activités.
Constamment, les Coen jouent sur les mots et la musique des voix. Lump, l'idiot, s'exprime en onomatopées sourdes. Le jeune Black balance sur un rythme de rap. L'artificier à l'organe grave semble sorti d'un film de guerre, genre série Z, tandis que Mrs Munson parle avec la sonorité traînante et agaçante de son Sud natal. Le linguiste le plus distingué reste le professeur, toujours prêt, entre deux formules doctes, à faire la leçon aux autres. « Professeur, je suis surprise ! », s'exclame Mrs Munson devant le spectacle incongru qu'elle découvre dans sa cave. « Non, madame, corrige l'ineffable G.H. Dorr, c'est nous qui sommes surpris. Vous, vous êtes décontenancée. »
Certains parleront de film mineur. Mais, s'ils existent vraiment, les films mineurs révèlent, mieux que certains « majeurs », le talent de leurs réalisateurs. Dans le cas des Coen, leur sens du cadrage, du rythme et de l'humour noir. Témoin l'inénarrable séquence où l'un des méchants est liquidé par l'association inattendue d'un coucou suisse (avec Jésus dans le rôle du coucou), d'un dentier dans un verre et d'un chat. Bref, on nage dans la folie douce, le burlesque décalé à la Blake Edwards, qu'annonçaient déjà les séquences finales d'Intolérable Cruauté, le précédent film des frères Coen. Décidément de plus en plus déjantés et de plus en plus jubilatoires.
Message édité par Profil supprimé le 11-06-2004 à 00:27:30