2 Querelle du Cid
Le triomphe du Cid (1637) fit date dans la carrière de Corneille : alors que le succès public le consacrait avec éclat dans son métier de dramaturge, il dut affronter ce qu'on appelle « la querelle du Cid ». Cette polémique naquit sans doute de conflits d'intérêts divers et des jalousies aiguisées par le succès de la pièce, mais elle donna lieu à un débat intéressant qui nous renseigne a posteriori sur la formation de l'esthétique classique.
En effet, ses ennemis reprochèrent à Corneille de n'avoir pas respecté tout ce qui constitue l'idéal classique au théâtre, notamment les règles de la vraisemblance et de la bienséance, celle des trois unités, ainsi que celle qui préconise la séparation distincte des tons et des genres.
Les deux grands genres classiques sont l?épopée (« poème héroïque ») et la tragédie
La règle fondamentale la plus célèbre du théâtre classique est celle dite « des trois unités » (d?action, de temps, de lieu) : selon cette règle, l?intrigue forme un tout organique (unité d?action). De plus, elle préconise, pour une « imitation » parfaite, d?éviter la rupture spatio-temporelle : la scène ne représente qu?un seul lieu (unité de lieu), l?entrée et la sortie des personnages se fait de façon à marquer l?enchaînement temporel des scènes (liaison des scènes), le temps de la fiction se rapproche du temps de la représentation en n?excédant pas vingt-quatre heures (unité de temps).
S?ajoutent à ces règles celles de la vraisemblance, de la cohérence des caractères et de la « bienséance » (celle-ci recommande de ne pas choquer le spectateur).
Le théâtre de Racine, davantage que celui de son aîné Corneille, trouve précisément sa force esthétique dans le respect même de ces unités, qui créent une atmosphère de huis clos et semblent par cela même participer à l?élaboration de la « crise » tragique (le moment le plus intense de la pièce, celui où se joue le destin des personnages).
Malherbe, qui fut le grand théoricien de l'esthétique classique, préconisait en poésie l'utilisation d'une langue tout à fait différente de celle de tous les jours : il s'agissait de privilégier l'emploi d'un lexique « noble » (les mots jugés indignes ou triviaux étant rejetés) et de recourir à une syntaxe complexe, où primaient les inversions et les périphrases (voir rhétorique, figures de).
Sans renoncer totalement aux théories de l'inspiration, l'âge classique eut la particularité de remettre à l'honneur l'idée de « travail » poétique, l'idée d'une élaboration laborieuse et progressive du texte, en bref d'un véritable artisanat poétique que les siècles précédents avaient dédaigné.
Le XVIIIe siècle étant celui de la pensée rationnelle et de la réflexion philosophique, il privilégia la prose, et son apport en matière de poésie fut assez faible ; il se contenta de prolonger la tradition du siècle précédent, en considérant la poésie comme un simple « ornement de l'esprit » : à l'exception très notable de Chénier, qui annonce la sensibilité du siècle suivant, les poètes conservèrent en effet, sans les enrichir ni les renouveler, les grandes lignes de l'esthétique classique.