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Je ne parviens pas à trouver d'explications satisfaisantes aux motivations de Sharon qui l'ont poussé à venir en visite officielle à Paris pendant trois jours autres que celle-ci : un changement de cap sérieux de la politique française au Proche-Orient.
Derrière le blitz médiatique de ces derniers jours, j'essaie de comprendre la réalité stratégique du rapprochement franco-israélien.
(Les avantages pour la France sont évidents.
Pour la France de Chirac, comme nous l'avons déjà expliqué, le soutien fanatique aux Palestiniens s'est soldé par un échec complet. La France y a perdu toute crédibilité en Israël alors que c'est l'État hébreu qui est en position de force sur le terrain et qu'il bénéficie déjà du soutien américain. L'Intifada a eu des conséquences dramatiques sur le territoire national (explosion d'antisémitisme) que la France ne peut plus se permettre. Enfin, la mort d'Arafat, la fin de l'Intifada et le plan de désengagement ont créé une situation nouvelle propice à un changement d'orientation qui sauve les apparences.
Aujourd'hui, la France peut ainsi être réintégrée dans le jeu proche-oriental grâce à son attitude plus "équilibrée" et espérer y jouer un rôle conforme à son rang. Et pour jouer un rôle, il faut passer par Israël, qui jusqu'ici acceuillait très froidement les initiatives françaises et européennes.)
La question qui se pose, c'est donc : pourquoi Sharon est-il allé faire ce cadeau à la France?
Sharon est un chef de gouvernement particulièrement doué et tenace, beaucoup plus brillant que son apparence rude peut laisser croire à certains. C'est, de l'avis général, un excellent stratège et tacticien.
De plus, il n'apprécie pas particulièrement les voyages à l'étranger et est aujourd'hui particulièrement accaparé par le désengagement.
Plusieurs raisons à sa venue sont évoquées par la presse mais aucune n'est pleinement satisfaisante : remercier Chirac de le fermeté de sa lutte contre l'antisémitisme, concrétiser le dégel des relations entre les deux pays, marquer sa satisfaction de la politique française face à l'Iran, montrer à son opinion le soutien international qu'il reçoit, même de la France, accélérer encore la coopération bilatérale, etc.
Selon ma modeste personne, l'intérêt de Sharon provient de trois facteurs :
1) La France est le plus pro-arabe des pays occidentaux, donc une grosse prise potentielle dans son arsenal.
2) La France est orgueilleuse : elle veut à tout prix un rôle dans le Processus de paix! Obsession gaullienne du rang de la France.
3) La France est très affaiblie. N'oublions pas que le déclic de l'acceptation par Sharon de sa venue à Paris, c'est le "Non" du 29 mai : c'est deux semaines après que le déplacement était annoncé.
La France veut à tout prix un rôle dans le Processus de paix : soit! Comme elle est affaiblie, c'est Sharon lui-même qui prend les devants et lui faire comprendre, très courtoisement, le rôle qu'elle va bien vouloir jouer. Et comme la France est proche des pays arabes et des Palestiniens, cette évolution française fait l'affaire de Sharon!
En somme, Sharon accepte de "pardonner" à la France ses errances passées et lui accorde un rôle sur mesure.
Sharon est à Paris d'abord et avant tout pour préparer l'après-Gaza : il aimerait que la France y joue un rôle (écrit par lui, évidemment). Il entend tester la volonté française à cet égard.
Car Sharon pense déjà au réglement final. Dans un rapport de forces très favorable face aux Palestiniens exsangues, bénéficiant d'un soutien américain sans failles, auréolé de son courageux retrait de Gaza, Sharon a tout intérêt à négocier dans ce contexte un réglement final. Il sait qu'il obtiendra que de grands blocs d'implantation dans les Territoires soient inclus à l'intérieur des nouvelles frontières israéliennes. Les Américains, par la lettre du président Bush d'avril 2004, s'y sont engagés et les Palestiniens n'auront pas grand chose à dire.
Il a aussi besoin de la France et de l'Europe pour jouer un rôle non seulement économique (bien sûr) mais aussi politique. Il s'agit d'abord de régler le problème du terrorisme palestinien. Sur cette question, tirant parti de sa bonne côte dans le monde arabe, la France peut être un intermédiaire efficace. Lors de sa visite, Sharon a d'ailleurs exprimé publiquement ce désir, espérant que Paris puisse trouver les "mots clairs" pour amener les Palestiniens à reprendre le chemin des négociations avec Israël. "La France peut faire comprendre aux Palestiniens qu'il faut avancer dans les négociations et lutter contre le terrorisme", a déclaré sur TF1 le premier ministre israélien. "Ce sont des mots clairs que l'on peut attendre de la part des Français qui sont susceptibles de faire avancer le processus de paix", a-t-il ajouté.
Au moment des négociations finales, Sharon estime que la France n'aura pas d'autre choix que de jouer le jeu et de revenir sur beaucoup de ses positions, notamment le retrait par Israël de TOUS les territoires ainsi que la question des réfugiés. Sharon veut faire jouer à la France et l'Europe affaiblies ce rôle de faire avaler de grosses concessions aux Palestiniens sans qu'ils n'explosent encore en Intifada.
Est-ce une stratégie risquée? Certains pensent que oui car ils doutent de la sincérité française.
Par exemple, cet extrait de la revue de presse de l'Ambassade de France en Israël :
"Mais les sourires ne dureront pas longtemps, estime le Yédiot : après le désengagement, les Français lui cuisinent toute une série de surprises, dont une conférence internationale pour la paix. Pour briser ce cercle vicieux, les Français veulent réunir un forum international avec la participation d'Israël, des Palestiniens, des Américains et de représentants de l'ONU. Ils pourraient également proposer de déployer une force internationale formant écran entre Israël et l'Etat palestinien. Comme si cela ne suffisait pas, les Français - à en juger par les conversations ici - estiment qu'il sera inévitable d'aborder à cette conférence des questions très épineuses, comme le « Droit au retour » des réfugiés, par exemple."
Il est tout à fait exact qu'il y a encore des divergences profondes (bien exposées ici) entre les positions israéliennes et les positions européennes (en grande partie édictées par la France) : barrière de sécurité, exécutions extrajudiciaires des terroristes palestiniens, préalable de l'arrêt du terrorisme, réfugiés, frontière, Jérusalem notamment.
Mais qu'est-ce que ça prouve? L'heure de la grande négociation n'est pas encore venu. C'est alors qu'on adoucit ses positions, jamais avant. Il n'aurait aucun sens pour la France de modérer certaines positions essentielles avant l'heure. La négociation aura pour résultat un compromis accepté par les deux parties, sous l'égide des puissances. Ce compromis dépendra exclusivement des rapports de force en présence, pas des positions prises préalablement.
Les pessimistes (qui ont raison de se méfier de la sincérité française) oublient que Sharon bénéficie de toute façon de son alliance avec les Américains vers qui il pourra se recroqueviller totalement si le nouveau partenaire français ne se révélait pas fiable.