En 25 ans, le nombre de détenus a doublé et la durée moyenne de détention a doublé.
[ LE MONDE du 10.04.03 ]
La France n'a jamais compté autant de détenus. A l'exception des 60 000 prisonniers recensés à la Libération, dont près du tiers étaient des collaborateurs présumés, c'est le chiffre le plus élevé relevé depuis la création des statistiques pénitentiaires, en 1852.
Ce record s'inscrit dans l'augmentation spectaculaire du nombre de personnes détenues depuis l'automne 2001. A cette époque, une série de manifestations contre le "laxisme" des juges avaient été organisées par les syndicats de policiers après la libération de Jean-Claude Bonnal, un truand multirécidiviste impliqué dans six meurtres après sa sortie de prison. Cette polémique avait coïncidé avec le développement du débat sur la sécurité, qui a ensuite dominé la campagne de l'élection présidentielle de mai 2002.
Affectés par leur mise en cause répétée, les juges semblent avoir, depuis lors, fait preuve d'une sévérité accrue qui s'est traduite par une explosion sans précédent du nombre de détenus : la population pénale, qui n'avait cessé de baisser entre 1996 et 2001, a bondi de 25 % en dix-huit mois, passant de 46 698 en octobre 2001 à plus de 60 000 aujourd'hui, un "pic" jamais atteint depuis le sommet historique de juin 1996 (58 856 détenus). Sur une plus longue période, le nombre de détenus a plus que doublé en vingt-cinq ans on comptait 27 000 personnes emprisonnées en 1976 , alors qu'il était resté relativement stable de la fin du XIXe siècle au début des années 1970.
Avec un total de 48 603 places opérationnelles, le taux d'occupation moyen des prisons atteint, lui aussi, un nouveau record, de 121,7 %, un ratio qui masque de fortes disparités entre établissements. Selon les chiffres de l'administration pénitentiaire, la densité dépasse en effet 200 % dans 18 établissements ou quartiers pénitentiaires, et 150 % dans 44 autres. La situation est particulièrement alarmante dans les 117 maisons d'arrêt, réservées aux personnes placées en détention provisoire qui sont en attente de jugement définitif ou aux condamnés dont le reliquat de peine est inférieur à un an.
Certaines affichent même des taux d'occupation supérieurs à 260 %, comme à Béziers, où 127 détenus se partagent 48 cellules. "On est en train de mettre une mèche à un baril de poudre", commente Jacques Floch, député (PS) de la Loire-Atlantique, pour qui "les conditions d'enfermement vont devenir telles qu'au moindre coup de chaleur on va faire tout exploser".
La surpopulation carcérale, dénoncée aussi bien par certains syndicats de surveillants (UFAP, FO, CGT) et de magistrats (Syndicat de la magistrature) que par des associations de défense des droits de l'homme, résulte toutefois moins d'une augmentation des incarcérations (plus de 2 200 nouveaux détenus depuis le début de l'année) que d'un allongement continu des peines de prison. Entre 1975 et aujourd'hui, la durée moyenne de détention a pratiquement doublé, passant de 4,3 mois à 8,4 mois. Cette sévérité croissante des tribunaux s'est manifestée par une augmentation sensible des très longues peines (de 20 à 30 ans), sanctionnant notamment viols et agressions sexuelles. Ce dernier type d'infraction représente désormais près du quart des condamnations.
Le recours à la construction de prisons a souvent constitué la principale réponse au problème récurrent de la surpopulation carcérale, sans toutefois réussir à endiguer le phénomène. En 1986, le garde des sceaux de Jacques Chirac, Albin Chalandon, a lancé le programme "13 000 places", qui a abouti à l'ouverture, au début des années 1990, de 25 nouveaux établissements. En 1995, un nouveau programme de 4 000 places était engagé avec l'ouverture de six nouveaux établissements, dont deux viennent d'entrer en service à Seysse-Toulouse et Avignon.
Le gouvernement actuel a enfin annoncé la création de 28 nouvelles prisons d'ici à 2007 pour porter la capacité du parc pénitentiaire à 60 000 détenus. "On aura construit 30 000 places en vingt ans avec le seul objectif de résorber la surpopulation carcérale", s'indigne Patrick Marest, de l'Observatoire international des prisons (OIP), pour qui les juges ne doivent plus craindre de "s'interdire le recours à l'incarcération systématique".
Alexandre Garcia