l'Antichrist | alcyon36 a écrit :
ca se defend, mais je la trouve un peu limite cette these.
Car, dans les Discours, certes Machiavel prends clairement position pr le regime republicain qui s'avere superieur, mais il ne faut pas pr autant s'aveugler sur le contenu des DIscours. par exemple,au milieu de passages concernant la vie et le dclin du regime republicain, il explique meme comment le prince pt profiter des difficultés du regime republicain pr tenter d s'emparer du pouvoir afin de sauver la republique.
Quand, on lit les Discours, il me semble assez clair que Machaivel n'a pas simùplement pour but de condamner la strategie du prince en la dévoilant puisqu'il "approuve" la prise de pouvoir par le prince. par ex, les chap IX et X du livre I comporte, sous certaines conditions jentends bien, un eloge du pouvoir princier, mais c'est un eloge tt de meme. Bref, Machiavel me semble bien plus compliqué, plus ca va, plus je le trouve interessant. en revanche, faut kan meme avouer que le niveau des ruses et stratagemes politiques que decrit Machiavel, est vraiment à chier.Quand on lit le Livre du prince Shang, L4art de la guerre, ou le celebre Livre des ruses...Machiavel a tendance à me faire sourir
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Si Machiavel « approuve » le pouvoir princier, c'est parce que, reprenant lhéritage des historiens romains, en particulier Tite-Live et Tacite, sa pensée contribue à resémantiser le terme de multitude (multitudo), jusquà lui donner une signification centrale dans la philosophie politique, dans lanalyse de ce que peut être un groupe humain à son niveau originel ou naturel, en-deçà de toute société civile. Une telle perspective apparaît quand la multitude ne désigne plus prioritairement une classe sociale en proie aux séditions à lintérieur du peuple, mais un groupe dhomme non encore constitué en Cité, nayant aucun liant politique.
Pour les Anciens (Aristote par exemple), un tel problème ne se posait pas, puisque la position dune socialité naturelle et par conséquent normative des hommes a pour effet de maintenir, en dépit de tout, un liant politique minimal. Ce qui donne à ce domaine particulier de la vie humaine cette qualification de « politique » nest autre que ce lien de nature ou de raison. Par conséquent, la possibilité de la communication par le discours est lindice de ce lien par nature : quand les hommes délibèrent, même dans le pire des cas, leurs discours recèlent un élément irréductible, sans lequel ils ne pourraient pas parler ni échanger entre eux des arguments. Ils prouvent par là quils sont des êtres politiques, même sils le sont de la pire façon. La parole, la raison fondent la communication entre les hommes : elles fondent leur sociabilité naturelle. Il entre dans la constitution naturelle des hommes de vivre en société, parce quune telle vie correspond à leur faculté naturelle de communiquer par des discours : « Cest pourquoi il est évident que lhomme est un animal politique plus que nimporte quelle abeille et que nimporte quel animal grégaire. Car, nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux lhomme a un langage. Certes, la voix est le signe du douloureux et de lagréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusquau point déprouver la sensation du douloureux et de lagréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester lavantageux et le nuisible, et par suite aussi, le juste et linjuste » (cf. Aristote, Les politiques, I, 2). La finalité des sociétés est par ailleurs clairement énoncée par Aristote : le bonheur dêtre ensemble. Dire de lhomme quil est un « animal politique », cest penser quil ne peut trouver son achèvement que dans la cadre dune communauté. La société répond donc, selon Aristote, à un besoin premier, à une tendance fondamentale de lhomme. La sociabilité de lhomme semble bien une disposition de nature : lhomme est naturellement pour lhomme le plus utile et le plus précieux des biens.
L « état de nature » ou la « condition naturelle des hommes » ne devient une préoccupation proprement philosophique quà partir du moment où lon suppose que les hommes ne sont pas naturellement orientés vers la vie sociale et politique qui suppose le souci dautrui, et quon exclue le langage comme porteur dévaluations et comme point de départ de la recherche. Partout, en effet, la conception dune humanité naturellement sociable semble contredite : le rassemblement des hommes soulève des tensions, développe des conflits si forts quon ne vient à douter que ce dernier soit fait pour vivre en société. Cest pourquoi, Rousseau construit le paradigme de lhomme naturel fait pour la solitude : seul un cataclysme extraordinaire a pu contraindre à ces regroupements artificiels et aliénants que sont les sociétés humaines. La communauté humaine nest alors plus donnée, mais à fonder, à constituer sur ce nouveau paradigme quest la « méchanceté » humaine (Machiavel) ou légoïsme naturel (Hobbes). Cest la terreur et la violence qui sont originelles et définissent la condition dune multitude dhommes en labsence de toute institution politique. Autrement dit, les mécanismes naturels des passions humaines (le désir, lorgueil et la peur de mourir) entraînent fatalement une guerre incessante entre les hommes. La sociabilité, loin de reposer sur un principe (la phusis) dépassant la vie politique, doit être déduite déléments plus originels : les individus en conflit les uns avec les autres, formant une multitude déréglée et dangereuse pour lordre politique. Ainsi, ce jeu naturel des passions mènerait vite à lautodestruction de lespèce, si lhomme navait, pour sen prémunir, recours à un artifice : linvention de lEtat, comme appareil supérieur de contraintes garantissant la sécurité et la paix parmi les hommes dans le cadre de sociétés réglées.
Cette inférence tirée des passions forme le point de départ de tous les théoriciens de lEtat moderne au XVIIe siècle, et notamment Spinoza. Le premier chapitre de la première partie du Traité politique démantèle ainsi la philosophie politique classique, comme une « Satire », car « les philosophes conçoivent les hommes [...] non comme ils sont, mais comme ils voudraient quils fussent » (cf. Traité politique, I, 1). Dénoncée comme « chimère » et « système quon pourrait établir dans un pays dUtopie », Spinoza lui oppose une politique fondée sur lexpérience, sur la prise en compte de la nature humaine effective (comme lont fait les Politiques, parmi lesquels Spinoza compte justement Machiavel): « [...] jai pris soin à dessein de ne pas porter en dérision les actions humaines, de ne pas les déplorer, de ne pas les maudire, mais de les comprendre. Cest ainsi que jai considéré les affections humaines telles que lamour, la haine, la colère, lenvie, la présomption, la pitié et les autres mouvements de lâme non comme des vices, mais comme des propriétés de la nature humaine, qui lui appartiennent de la même façon que le chaud, le froid, la tempête, le tonnerre et dautres phénomènes qui font partie de latmosphère » (cf. Traité politique, I, 4).
D'où la question, que soulève votre texte, de savoir comment ces passions, au départ individuelles, deviennent-elles relationnelles, jusquà engendrer cette multitude dont les passions sont désormais collectives et donc beaucoup plus dangereuses ?
Cette question des passions revient à poser la question politique sous un autre angle également : en effet, pour Spinoza, les passions de la multitude sont rapportées à une aliénation dans lordre de la connaissance. Le vulgaire est ainsi le versant cognitif de la multitude, dont létude fourni les préalables épistémologiques de la politique. Cest en effet en tant que les hommes saccordent rarement sur les mêmes objets, quils ne les connaissent pas et ne se connaissent pas adéquatement, quon peut dire quils sont en proie aux passions. Le genre daffection qui détermine notre conatus est nécessairement générateur de conflits, parce que nous ne sommes pas immédiatement rationnels, libres, et les rapports de composition avec autrui nous déterminent souvent à des rapports violents. Former une association rationnelle entre les hommes ce serait, idéalement, en faire une communauté de philosophes qui saccorderaient spontanément dans la connaissance. Contrairement à Hobbes, pour qui tout ce que je peux attendre de la société est quelle massure la paix et la sécurité (et rien de plus), Spinoza situe sa théorie politique par rapport à léthique ; il ny a pas dautonomie de léthique par rapport à la politique, pas plus quil ny a dautonomie de la politique par rapport à léthique : la nécessité, pour les hommes, de vivre libres sous la conduite de la raison ne peut saccomplir que dans la cité : « Lhomme que mène la raison est plus libre dans la cité, où il vit selon le décret commun, que dans la solitude, où il nobéit quà lui-même ». Loin de supprimer le droit naturel de lindividu, la cité le prolonge et laccomplit. Le passage à la société civile ne constitue pas une privation de liberté, mais est au contraire un enrichissement dêtre, la constitution dune forme supérieure de liberté. La raison, en ce sens, « ne demande rien qui soit contre la nature, cest elle-même qui demande que chacun saime lui-même, cherche ce qui lui est utile, ce qui lui est véritablement utile, et aspire à tout ce qui mène véritablement lhomme à une plus grande perfection, et, absolument parlant, que chacun sefforce, autant quil est en lui, de conserver son être » (cf. Ethique, IV,18, scolie).
Mais les préoccupations de lEthique se heurtent au réalisme politique des deux Traités, liées à la crainte des masses. Pas plus quon ne peut réformer la nature humaine dun jour à lautre, on ne peut, directement ou indirectement, rendre raisonnable une multitude dhommes en proie à leurs passions. Le simple passage à la société ninduit nécessairement, ni une cession unilatérale des droits ni, a fortiori, une rationalisation des comportements. Une des grandes découvertes de Spinoza a sans doute consisté à montrer quil ny a pas dantinomie entre l « état de nature » et la société politique en ce sens que les passions nont pas obligatoirement un caractère socialement destructeur : quoique très éloignées dun mode de vie raisonnable, elles peuvent favoriser lunification de la multitude sous des modalités imaginaires. Ce type de socialisation passionnelle est dailleurs la seule forme dunification que connaissent les sociétés existantes (la nôtre y compris...). |