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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
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 273 votes
1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
 105 votes
7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
 113 votes
8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
 133 votes
9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
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10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°10232724
Ache
immatriculé-conception
Posté le 26-12-2006 à 22:13:09  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

pascal75 a écrit :

Je comprends ton souci, mais si tu dis q'un "concept est ce qui est pensé" tu vides de sens la notion de concept.


Et que faut-il pour remplir un concept? Il faut une intuition, et l'intuition vient du savoir du corps. Pour en revenir au sujet, et comme écrit plus haut, "ce qui est pensé" n'est pas ma définition du concept, parce que "ce qui est pensé", c'est déjà une expression qui cache une complexité fabuleuse. Il faut donc partir de plus élémentaire. Mais 'élémentarité' ne signifie pas réduction et simplification. "L'importance de l'élémentarité est ailleurs : elle est le critère de manifestation de la différence. On ne peut avoir ni concept, ni notion, ni distinction, ni philosophe, ni scientifique, sans reconnaître le champ d'élémentarité des différences possibles". (cf. discussion avec xantox)  

 
pascal75 a écrit :

Ton souci est celui des fondements.

 

Donc, mon souci n'est pas le fondement, mais la reconstruction. Je n'utilise pas le terme fondement, et pourtant il me parle, car son sens usuel renvoie à l'idée d'une stabilité chimérique qui serait celle de principes écrits sur une page, ce qui est trompeur, car le 'fondement' est lui-même un se faisant.

 
pascal75 a écrit :

mais je maintiens, avec Deleuze, que la philosophie est une activité particulière qui ne se confond pas avec celle de penser (heureusement pour ceux qui font pas de philo, ils pensent aussi, pour la plupart).

 

Une fois de plus, comme écrit précédemment, tous les auteurs cités 'pensent', qu'ils soient mathématiciens ou plombiers. Et c'est parce qu'ils le font tous, qu'on ne peut en rester à des distinctions hautes comme le "concept" ou la "fonction".

 
pascal75 a écrit :

Mais on peut comprendre ton souhait d'aller plus bas comme tu dis. Je prends un exemple trivial pour me faciliter l'explication : tu es un menuisier intello et tu te poses la question des conditions de possibilité de ton travail, alors moi j'arrive et je te dis que c'est le bois, mais ça ne te suffit pas, tu me dis non, rien du tout, c'est pas le principe premier, mon principe premier c'est la nature (je dis ça mais si ça t'arrange on peut en trouver un autre). Mais n'empêche que le menuisier travaille le bois et pas le métal, sinon il ne s'appelle pas menuisier. Alors tu peux me dire (je parle à ta place, c'est plus facile pour te répondre :D) balivernes ! c'est moi qui décide de m'appeler menuisier même si je travaille le métal.

 

Les étiquettes, qu'elles soient menuisier ou métallurgiste, arrivent toujours en fin de chaîne. (aux yeux du langage le travail est un invisible). Par conséquent, si on veut étudier ce travail, il convient de ne pas se téléporter directement et artificiellement au point d'arrivée. Donc, cela exige de la reconstruction qu'elle soit le re-parcours du parcours qui a aboutit à l'étiquette. Nous comprenons une chose lorsque nous sommes capable de la recréer, cette chose, et pas une autre.

 
pascal75 a écrit :

La division entre menuisier et métallo, ou entre philosophe et mathématicien n'est pas arbitraire comme tu dis.


Je n'ai jamais dit cela et seul un fou pourrait le dire. Comprendre pour distinguer un mathématicien d'un métallurgiste, c'est se rendre capable de renaître avec leurs conditions. Distinguer le calcul différentiel de la fraise, signifie dans un cas reconstruire la géométrie analytique et la quadrature des courbes, et dans l'autre la nécessité d'un efficace entre un besoin et l'expérience-confrontée-au-matériau-métal des réponses possibles à ce besoin. Je note que la rationalité des deux n'est pas fondamentalement différente : le chemin est donc 'le' critère. Mais pour qu'il y ait "rationalité", "construction" et "expérience", il faut des conditions de possibilité qui sont de l'ordre du corps sensible et motile. C'est par exemple le propos de la phénoménologie.

 
pascal75 a écrit :

La matière du philosophe c'est le concept, celle du scientifique c'est la fonction, d'après Deleuze.


Deleuze n'est pas épistémologue et ne saurait valoir comme référence dans le domaine scientifique. La seule utilisation du terme "fonction" le rendrait douteux aux yeux d'un mathématicien, et cela suffit largement à l'accuser de "détermination non suffisante".

 
pascal75 a écrit :

Je crois que c'est la grande force de ce livre de poser très pratiquement ce problème et la réponse à la question qu'est-ce que la philosophie ? lui prend un livre entier, très beau et pas toujours simple dont je conseille la lecture http://forum.altab.info/images/perso/1/pascal-san.gif

 

C'est déjà fait.. Deleuze a été une rencontre fabuleuse, mais à chaque temps sa rencontre. Ce qu'il disait du concept me parlait et je trouvais cela lumineux. Mais le propos n'est pas Deleuze, il est celui d'assoir ce qu'on dit et par exemple 'le concept'. Donc, et nécessairement, coïncider avec les conditions de possibilité du 'concept', qui sont un se faisant, c'est à dire, ce que peut le corps, jusqu'à se retrouver 'comme chez soi'. En clair cela signifie la reconstruction du philosophe lui-même, car la philosophie est création de soi par soi.


Message édité par Ache le 27-12-2006 à 07:42:32
mood
Publicité
Posté le 26-12-2006 à 22:13:09  profilanswer
 

n°10232927
pascal75
Posté le 26-12-2006 à 22:33:26  profilanswer
 

Ache > http://forum.altab.info/images/perso/1/pascal-san.gif Je ne peux pas te répondre sur ce que tu penses et ne penses pas, sinon que j'ai l'impression que tu reproches à Deleuze de n'être pas assez kantien... et comme il n'a jamais eu l'intention de l'être, ça tombe bien.  
Mais nous sommes d'accord au moins sur le fait que Deleuze a été pour nous une rencontre fabuleuse ;)


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°10233134
Profil sup​primé
Posté le 26-12-2006 à 23:06:07  answer
 

hephaestos a écrit :

Je suis d'accord. Ce qui fout tout par terre, c'est l'obstination d'Hotshot à considérer que la biologie est une science. Comme s'il pouvait y avoir des sciences...

 

De l'art, à la rigueur.

 

Sinon ta femme ça va ?

 
Spoiler :

je suis un vil personnage et je vous merde [:mmmfff]

 

Tiens, puisqu'on cause de concepts, faut reconnaître que Dawkins aurait mieux fait de rester dans son bistro favori le jour où il a sorti des cartons son "mème", notion qu'il n'a jamais été foutue de définir autrement que comme un synonyme "trendy" de "concept"... c'était bien la peine de sortir un nouveau mot...

Message cité 1 fois
Message édité par Profil supprimé le 26-12-2006 à 23:08:43
n°10233371
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 26-12-2006 à 23:38:35  profilanswer
 

Putain ouais, la tronche que je tire quand on me demande ce que c'est qu'un mème... :/
 
En plus, je peux pas dire que c'est pourri, merde, Dawkins quoi !

n°10235306
l'Antichri​st
Posté le 27-12-2006 à 11:09:21  profilanswer
 

neojousous a écrit :

l'Antichrist, j'ai réussi à lire et comprendre en partie un de vos posts (un peu de mal avec le début), j'en suis plutôt content :). C'est amusant, car vous appartenez à une école de pensée qui m'est étrangère, mais vous dites finalement des choses que j'ai déjà lu ou pensé en épistémologie, avec des concepts intéressants (des formalismes monstrueux j'ai envie de dire), mais tiré de la tradition plus "classique". Puisque vous avez considérablement élargi le centre de discussion, quelques questions :  
 
1) Quand vous dites "il est impossible d’établir un fait transcendantal antérieur à la Loi", qu'est-ce que cette fameuse loi symbolique ? C'est quelque chose comme la structure de l'esprit, tel qu'on peut se le représenter dans le courant structuraliste, ou rien à voir ?
 
2) Vous dites "la science (dont l’unité n’est qu’une hypothèse fictive de recherche)". Vous le pensez réellement, ou vous l'avez dit un peu vite ? Personnellement j'aurai parlé d'hypothèse méthodologique pour désigner l'unité de la science, sans avancer qu'elle est fictive, et donc sans prendre parti par rapport au réductionnisme. Je dis cela, car on peut tout à fait accepter vos arguments sur la rationalité (ce que j'appelle paradigme finalement), en défendant un réductionnisme en principe.
 
Il faudrait que je maitrise Kant pour comprendre tout ce que vous racontez... Le prochain semestre j'aurai un cours consacré à la Critique de la Raison Pure, mais d'ici  là dur dur de dialoguer avec vous sans maîtriser vos concepts...


 
Oui, je comprends votre trouble : par souci de synthèse, j’ai sans doute fait l’impasse sur certaines étapes de l’explication. Reprenons donc !
 
1) La Loi est le principe (principien) de la Raison pure (théorique et pratique), elle est le symbole de la liberté qui équivaut (notez ici le recours fort subtil de la part de Kant a un langage métaphorique ou analogique !), de l’aveu même de Kant dans la Critique de la raison pratique, à la « conscience du pratique inconditionné ». La Loi est donc principe d’action.
 
Mais pas seulement, comme on le dit encore trop souvent à propos de Kant, en tant qu’il nous faudrait obéir au principe de la loi morale comme à une super-norme ou méta-norme dont on sait depuis Popper et Quine et plus récemment avec Gibbard ou Putnam, qu’elle définie dans le domaine de l’épistémologie une rationalité fondée sur l’accord collectif (puisqu’il n’y a pas de faits normatifs), critère déterminable linguistiquement (cf. Wittgenstein) et communautairement, sans pour autant être fondé sur l’intersubjectivité (c’est l’accord qui déterminera la norme et l’objectivité du jugement, même si cet accord est le résultat d’une histoire et d’une évolution qui peuvent être vues comme naturelles). Notre « schème conceptuel » est fondé sur une distinction fait / norme nette, sorte de super-norme sur laquelle repose notre idéal d’explication et de justification du réel. Mais si les normes sont fondamentales pour la pensée, si nous ne pouvons penser de manière systématique sans accepter des normes, si l’acceptation des normes est présente dans toutes nos activités de connaissance, comme le dit Gibbard « ce n’est pas parce que la justification des croyances factuelles est affaire normative que cela fait des énoncés factuels des jugements normatifs » : comme l’a bien montré Kuhn, il y a souvent confusion entre pouvoir théorique et pratique. L’idée d’autorité théorique mêle le cognitif et le normatif. Elle joue précisément sur le caractère parfois problématique de la distinction. Ainsi, dans les faits, il peut aisément y avoir confusion du normatif et du théorique. Cette confusion apparaît de manière amusante dans les célèbres expériences sur l’obéissance de Milgram, où des sujets convoqués à l’expérience ont (en grande majorité) obéi, quoiqu’avec réticence et mauvaise conscience, à un homme d’allure professorale ou scientifique qui leur ordonnait d’administrer des chocs électriques de plus en plus intenses à une personne (en fait, complice de l’opération). Il s’agit d’un problème de mélange entre autorité théorique et pratique, ou d’un conflit entre deux systèmes de normes : la norme d’obéissance à l’autorité et la norme morale de ne pas faire de mal. Dans cette perspective il faudrait distinguer, d’un point de vue moral, deux types de norme : les normes conventionnelles (obéir à l’autorité - certaines autorités -, vouvoyer les gens qu’on ne connaît pas, ne pas faire de bruit en mangeant) qui sont locales, et les normes morales qui sont universelles (même si on a du mal à s’accorder sur ce corpus de normes universelles, cela ne change rien à la nécessité de la distinction). Ces normes s’apprennent de manières distinctes, et leur acceptation s’accomplit de manière différente. C’est la différence qu’établit Gibbard entre internaliser une norme et l’accepter de manière rationnelle.
 
Or, dans une perspective respectueuse de la lettre kantienne, le questionnement normatif est bien plus radical : il n’y a aucune réponse prédéfinie ni même a-fortiori ultime. Le domaine de la Raison pure est indéfiniment ouvert, fondé philosophiquement sur sa propre face cachée relevant pour une large part du « monde de la vie » et du « sol natal » de la raison moderne.
 
Avant de revenir au domaine de l’épistémologie, disons-le en termes métaphysiques :
 
A l’aurore de notre civilisation, l’ontologie de Parménide a accompli un progrès décisif en pensant le problème de l’origine métaphysique à partir de l’identité remarquable entre Pensée = Etre. Parménide nous fait assister à une apparition de l’Etre aussitôt occulté par la mise en branle de l’histoire manifeste de la pensée occidentale. Selon Heidegger, il s’agit donc pour nous de retrouver la mémoire, la mémoire perdue de l’aube de l’humanité, c’est-à-dire de l’aube primordiale où l’Etre, tout en advenant déjà en son retrait, ne s’était pas encore voilée d’oubli : c’est en effet le privilège de l’aube d’être le moment où l’Etre apparaît comme ce qu’il est en vérité, c’est-à-dire comme retrait, retrait qui se trouva dans l’histoire ultérieure, perdu comme tel, c’est-à-dire oublié et toujours plus décisivement recouvert.
 
Désormais, au-delà de Heidegger, et quel que soit son acharnement à dévoiler l’Etre voilé, pour nous l’Etre est le n’Etre-plus. Cette négation (même sous la forme de la négation de la négation) n’est certes pas la fin du monde - elle a conduit la pensée occidentale vers son destin scientifique -, mais elle est la source de toutes les plaintes, de toutes les évocations, au-delà des émois factuels ou passagers : ces plaintes sont l’émanation de ce qui est devenu pour nous un état de la sensibilité, une nostalgie indicible pour l’originaire, un besoin inassouvi, le désir impossible d’un retour au bonheur oublié d’une enfance vécu d’abord sans conscience et élevée dans les temps modernes à la maturité de la conscience de soi. L’expérience de la modernité est celle de la séparation : nous ne pouvons plus accéder au sacré que de manière privative. La phusis d’Héraclite, que notre modernité à faussement identifié à la Nature, n’est un sanctuaire que pour les poètes et encore est-il presque désaffecté ! La nature est « dépossédée des Dieux » ; s’en allant, ils ont emporté la beauté et le sublime, les couleurs et les sons de la vie. « Il ne nous est resté que le verbe sans âme » : cette voix pathétique du jeune Hölderlin traduit une nostalgie passéiste qui fera bientôt place à la recherche active d’un originaire et d’un monde sauvage. La peinture de Cézanne et de Gauguin, la poésie de Rimbaud, les « vraies richesses » de Giono, la phénoménologie et son retour aux choses, le cinéma néo-réaliste, la vogue de l’ethnologie, Claude Lévi-Strauss regrettant le temps « ...où le ciel et la terre marchait et respirait dans un peuple de Dieux... », tous ces symptômes de la postmodernité s’alimentent à la même source de désir, à l’espoir d’un contact brut avec les choses.
 
Nous pourrions continuer longtemps ainsi à dresser le bilan de notre modernité en explorant, dans les philosophies, les inquiétudes et les espoirs : tandis que Nietzsche avait fait une généalogie de la logique et pénétré le nihilisme impliqué dans nos valeurs, Freud diagnostiquait le malaise de notre civilisation : le refoulement d’Eros, Husserl dénonçait l’étouffement de la transcendantalité par le développement de la rationalité (la Krisis, l’ouvrage ultime qui remet en question tous les travaux antérieurs de Husserl, s’aventure du côté de la Lebenswelt, le « monde vital » duquel nous avons débouché vers la science), et Heidegger parlera du « sol natal » qui constitue cette souche à restituer par une genèse existentielle permettant d’aller au fond, c’est-à-dire au compte et au décompte tout à la fois du mot, du signe et de la chose.
 
C'est pourquoi, un naturalisme à la Quine révèle très vite ses limites. Que nous dit Quine : notre connaissance est le produit d’une évolution - même si elle ne s’explique pas en termes évolutionnistes, parce qu’elle est une construction trop élaborée - : l’homme vit de pain et de science fondamentale, et notre schème conceptuel, même s’il est un résultat d’un processus d’adaptation, trouve sa justification ailleurs (par ex. la logique peut s’expliquer en termes génétiques et d’apprentissage. Il n’en reste pas moins que sa justification est ailleurs). Bref, c’est le naturalisme voir le physicalisme qui impose des limites à la naturalisation. C’est ce qu’on peut déduire de l’idée centrale de Quine, esquissée dès Les deux dogmes de l’empirisme, de la continuité entre science et philosophie : il n’y a pas de philosophie première, la philosophie n’a pas à fonder la science (elle est une science parmi d’autres) et aucun énoncé n’est à l’abri de l’expérience. La perspective naturaliste de Quine, dans son ensemble, est antifondationnaliste : la philosophie n’a pas à déterminer le statut de la science, ni à la justifier. Il n’existe pas de philosophie première, et notre connaissance, comme la logique, « prend soin d’elle-même ». Elle n’a pas à être fondée de l’extérieur, mais défendue de l’intérieur. (« La vérité est immanente », dit Quine dans Theories and Things). Pour Quine, l’épistémologie doit donc compter sur ses propres forces, devenir une réflexion de la science sur elle-même : « L’épistémologue peut faire librement usage de toute la théorie scientifique ». Dès lors qu’il ne s’agit plus de fonder la science, l’épistémologie, « libérée », peut et doit s’aider de la science naturelle pour comprendre comment l’homme a pu évoluer vers un appareil référentiel aussi développé et théorique que le nôtre. Quine substitue à la question sceptique du fait de la connaissance, et à la question transcendantale de sa justification, la question naturaliste : comment, pourquoi « parvenons-nous à notre théorie du monde ? ». Dans cette démarche épistémologique, le seul modèle de connaissance et d’ontologie qui soit à notre disposition est la science. C’est dans la science que se trouvent les réponses aux questions épistémologiques. « Car nous pouvons entièrement garantir la vérité de la science naturelle et pourtant soulever la question, de l’intérieur de la science naturelle, de savoir comment l’homme élabore la maîtrise de cette science ». La question épistémologique devient donc immanente à la science naturelle, et ainsi la question ontologique devient immanente au schème conceptuel physicaliste de la science.
 
Sauf que ce n'est pas le schème qui donne le fondement (« se faisant », pour reprendre l'expression de Ache...) de la pratique scientifique mais le symbole !!!
 
C’est pourquoi, un retour au symbolisme chez Kant est ici nécessaire, car seule la Loi se découvre à nous comme une finalité suprasensible. En tant que le suprasensible est final, à travers le jugement esthétique, dans le beau se trouve le symbole (et rien que le symbole) du bien moral puisque la finalité est alors absolument a priori. Si elle n’est que purement symbolique, notre connaissance de Dieu pourtant décide pratiquement de ce que l’Idée de l’objet doit être pour notre jugement réfléchissant, et dans son usage final ; mais bien sûr cette connaissance n’est en rien susceptible d’être prise pour schématique, car elle serait absolument incapable de déterminer théoriquement ce que l’objet est en soi : ce faisant, nous tomberions, en effet, comme le pense justement Kant, dans l’anthropomorphisme (cf. Critique du jugement, §. 59) en confondant « le schème pour le concept » avec le « symbole pour la réflexion ».
 
Dans la Loi nous voyons à l’œuvre la spécificité de l’affectif, car la conscience intellectuelle est irréductible à la conscience affective, et vice-versa même si l’une et l’autre sont imprégnées l’une de l’autre (je me demande encore si Ache a bien compris cet aspect fondamental du problème : comment échapper au mouvement dialectique ? Ce que Deleuze justement est incapable de comprendre...). Le savoir qui concerne la conscience affective ouvre vers l’ontologie, mais une ontologie indicible dans le langage de la raison, d’où la nécessité des Idées esthétiques, inadéquates à de purs concepts, et que Kant opposait aux Idées rationnelles, inadéquates à l’intuition. Représentation de l’imagination sans concepts : telle est l’œuvre de l’artiste. Concepts qu’aucune intuition ne peut rendre : telle est l’œuvre de la Raison. Cette dernière opère en tout homme, à quelque moment qu’on le prenne dans son histoire, à quelque lieu qu’on le trouve dans son existence. On peut dire alors, avec Hegel, que les Idées esthétiques et les Idées rationnelles étaient faites pour se rencontrer dans ce qu’il nomme « l’art symbolique ». Des idées muettes se sont figées dans ces blocs de pierre qui les symbolisent pour l’éternité et pour le silence de notre compréhension : puisque nous ne connaissons pas les mots qui nous les feraient comprendre.
 
Eu regard à cette conscience affective, qui peut aussi par bien des côtés nous rester inconsciente, puisqu’elle n’est que la face visible de l’iceberg, Sigmund Freud a désigné du terme de frustration « le fait qu’un instinct ne soit pas satisfait » de celui d’interdiction « le moyen par lequel cette frustration est imposée », et de celui de privation « l’état que produit l’interdiction ». Privation imposée par la civilisation, souffrance occasionnée par les autres hommes, maux infligés par la nature, telles sont les raisons qui poussent vers une consolation surnaturelle du type « rien n’est en vain » et qui relègue le sens dans la puissance d’un être supérieur qui nous fait penser que sur chacun de nous veille une Providence bienveillante, qui n’est sévère qu’en apparence. Telle est la revanche affective offerte par la religion aux frustrations dont nous sommes le théâtre. La religion a ainsi partie liée avec la raison.
 
Selon un mouvement d’équilibration réciproque entre la raison et la civilisation, mouvement qui est fonction de la nature d’une société (étatisée ou non étatisée), la raison dans la civilisation prévoit les aspirations de la conscience affective en rationalisant jusqu’à un certain point l’irrationnel, du moins en lui donnant un débouché superlatif et un sens éminent, suivant le type de rationnel dont peut disposer toute civilisation en un temps et un lieu déterminés, et inversement suivant le type de civilisation dont dispose ce qu’on nomme raison. Auguste Comte avait vu, en effet, la corrélation s’établissant entre les deux pôles, spirituel et temporel, d’une même société, et rattaché au type de civilisation accompli le type de raison approprié. La vocation universelle de la raison passe par les formes réalisées de la société : l’évolution des deux instances étant corrélatives. Car même le fétichisme implique des virtualités positives.
 
Si l’on considère que la religion constitue un élément rationalisateur, on voit alors comment Freud, dans la perspective de L’Avenir d’une illusion, déracine, de son point de vue, cette rationalisation constituée objectivement par la religion : ainsi, le père, un « danger » dans le rapport de l’enfant à sa mère (elle-même la première garantie naturelle contre l’angoisse) mais encore une protection reconnue face aux grands dangers de l’existence, devient le modèle des puissances supérieures, « divines », à la fois dignes d’amour, de crainte et d’admiration. Autrement dit, Freud rattache les idées religieuses à leurs racines dans des « faits » exigeant notre foi. Tandis que les Pères de l’Eglise enseignaient le credo quia absurdum, les philosophes s’accommodèrent de la ressource du « comme si » à partir des positions kantiennes concernant l’impossibilité, établie dans la Critique de la raison pure (cf. « dialectique transcendantale » : livre deuxième, chapitre trois), des trois preuves - ontologique, cosmologique et physico-théologique - de l’existence de Dieu.
 
De même, nous pouvons mettre en évidence un imaginaire constitutif de la raison scientifique : ce domaine de l’imagination scientifique a été étudié par Gerald Holton, à Harvard, qui reconnaît un processus profond sous les événements de surface : sous les « révolutions », il faut admettre une certaine homogénéité, la persistance d’un certain nombre de débouchés structurés par ce que Holton appelle des thêmata, et cela se vérifie à propos de la constitution matérielle du monde. Ainsi la véritable genèse de l’œuvre scientifique, sans être illogique, est cependant a-logique. Ces thêmata se caractérisent par leur ancienneté, leur rôle méconnu, et même inconscient, leur rareté. On peut compter une cinquantaine de couples ou de triades de cette sorte pour suffire, dans l’histoire des sciences, à négocier la grande variété des découvertes. Aidé d’une documentation historiographique très poussée, Gerald Holton s’est mis en quête des modèles de l’imagination scientifique, entreprenant une « anthropologie de la science ». Les décisions thématiques interviennent dans les documents scientifiques, le plus souvent privés, définis par le point d’intersection de la trajectoire du temps de l’état de la connaissance scientifique publique, avec la trajectoire du temps de l’activité scientifique privée de la personnalité scientifique examinée, avec la trajectoire des mouvements idéologiques ou des conditions sociales d’une époque. Chacune des sciences dispose d’un spectre de thêmata qui la met à l’abri de se retrouver enfermée dans quelque piège totalitaire. Si Einstein refusait d’admettre les thêmata de compensation intervenant dans l’œuvre de l’école de Copenhague en mécanique classique (et liés à la philosophie de Kierkegaard), il s’entendait, par ailleurs, avec Bohr sur bon nombre de points. Il n’y a pas deux chercheurs qui présentent exactement le même ensemble de thêmata ni surtout l’ensemble de tous les thêmata. Dans ces conditions, une innovation scientifique est toujours possible, sans jamais être absolument révolutionnaire. Si Bohr puise ses thêmata dans un rapprochement des philosophies de Kierkegaard et de James, la plupart des thêmata remontent à des intuitions ontologiques ou métaphysiques très anciennes qui n’apparaissent plus quand le savant a réussi à justifier ses travaux aux yeux de ses condisciples. Le cheminement même de l’invention demeure presque du domaine privé : en tout cas, il demeure la plupart du temps inconnu et reste absent des grands traités classiques. Ainsi, ce que Gerald Holton, physicien et épistémologue, réussit à dégager, c’est bien ce nouvel aspect des choses, avec la « méthode de la méthode » ou le multiple « fondement de la méthode », la face cachée relevant de cette affectivité de la raison moderne.
 
L’épistémologie contemporaine travaille à révéler la symbolisation effective de la science se faisant, face à la science institutionnalisée et faite pour les traités. Cette symbolisation n’est au départ qu’une activité de fiction, de création symbolique et schématique, souvent produite « à l’aveugle », allant au-devant de ce « réel » se constituant non seulement sous l’impulsion de l’imagination et de l’entendement, d’une raison privée de perception (comme chez Kant) mais encore sous celle d’une raison commune et universelle, qui impose le consentement de tous à l’édification de la science, et ainsi pour légitimer, en fait, régularise. Avant d’être confirmée par la communauté des savants, par le cogitamus bachelardien (cf. voir mon post plus haut…), l’activité scientifique est élaboration de symbolisation, pratique du terrain symbolique. Dans cette perspective, l’activité rationnelle n’est plus l’appréhension des essences, mais pas davantage l’adéquation au Réel : ces deux dernières possibilités ne sont plus que des « vérités » en conflit, car il faut se ranger à la constatation que la légalité rationnelle a peu à peu substitué sa propre « volonté de puissance » au Réel qu’elle veut légitimer. Cette « volonté de puissance » inhérente à la dynamique de la « raison » n’est donc finalement qu’une anti-raison que la raison porte en elle, l’irrationnel, s’il en est, son « trou noir ».
 
La porte est désormais ouverte pour la phénoménologie...

Message cité 3 fois
Message édité par l'Antichrist le 27-12-2006 à 13:50:39
n°10236044
neojousous
Posté le 27-12-2006 à 13:24:04  profilanswer
 

Waou, excellent, merci ! Réussir à parler de Putnam, Quine et Heidegger dans le même post, ça me permet d'avoir une vision d'ensemble de problèmes contemporains. Je vas relire ça en détail, car j'ai l'impression d'être sur la piste de pas mal de choses...

n°10236828
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 27-12-2006 à 15:25:20  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Oui, je comprends votre trouble : par souci de synthèse, j’ai sans doute fait l’impasse sur certaines étapes de l’explication. Reprenons donc !
 
1) La Loi est le principe (principien) de la Raison pure (théorique et pratique), ...


 
 
Il a oublié le 2) :sweat: , et peut-être même le 3)  :ouch:  

n°10237512
neojousous
Posté le 27-12-2006 à 16:49:18  profilanswer
 

Ce que Holton appelle thêmata m'a l'air de correspondre énormément à ce que j'entendais par principes métaphysiques motivant les scientifiques. Hop dès la rentrée direction la BU pour le lire.
Une de vos phrases m'intrigue, l'Antichrist, vous dites "Si Einstein refusait d'admettre les thêmata de compensation intervenant dans l'oeuvre de l'école de Copenhague en mécanique classique (et liées à la philosophie de Kierkegaard".
1) Que voulez-vous dire par thêmata de "compensation" ?
2) Vous voulez plutôt dire mécanique quantique et non pas mécanique classique, puisque l'école de Copenhague caractérise un paradigme et une interprétation la mécanique quantique ?
3) Et enfin quel est le lien entre l'école de Copenhague et Kierkegaard ?
 
Je vois que vous faites allusion à l'opposition entre Bohr et Einstein sur le statut de la mécanique quantique, mais je ne comprend pas vraiment ce que vous en dite.
 
EDIT : pour ceux qui veulent suivre sans lire tout l'Antichrist, vous pouvez lire l'avant dernier paragraphe de son dernier post, qui avec Holton introduit le concept de thêmata, et recoupe beaucoup ce que je racontais avant.

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Message édité par neojousous le 28-12-2006 à 17:41:24
n°10238481
rahsaan
Posté le 27-12-2006 à 20:05:59  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Désormais, au-delà de Heidegger, et quel que soit son acharnement à dévoiler l’Etre voilé, pour nous l’Etre est le n’Etre-plus. Cette négation (même sous la forme de la négation de la négation) n’est certes pas la fin du monde - elle a conduit la pensée occidentale vers son destin scientifique -, mais elle est la source de toutes les plaintes, de toutes les évocations, au-delà des émois factuels ou passagers : ces plaintes sont l’émanation de ce qui est devenu pour nous un état de la sensibilité, une nostalgie indicible pour l’originaire, un besoin inassouvi, le désir impossible d’un retour au bonheur oublié d’une enfance vécu d’abord sans conscience et élevée dans les temps modernes à la maturité de la conscience de soi. L’expérience de la modernité est celle de la séparation : nous ne pouvons plus accéder au sacré que de manière privative. La phusis d’Héraclite, que notre modernité à faussement identifié à la Nature, n’est un sanctuaire que pour les poètes et encore est-il presque désaffecté ! La nature est « dépossédée des Dieux » ; s’en allant, ils ont emporté la beauté et le sublime, les couleurs et les sons de la vie. « Il ne nous est resté que le verbe sans âme » : cette voix pathétique du jeune Hölderlin traduit une nostalgie passéiste qui fera bientôt place à la recherche active d’un originaire et d’un monde sauvage. La peinture de Cézanne et de Gauguin, la poésie de Rimbaud, les « vraies richesses » de Giono, la phénoménologie et son retour aux choses, le cinéma néo-réaliste, la vogue de l’ethnologie, Claude Lévi-Strauss regrettant le temps « ...où le ciel et la terre marchait et respirait dans un peuple de Dieux... », tous ces symptômes de la postmodernité s’alimentent à la même source de désir, à l’espoir d’un contact brut avec les choses.


 
Dans l'Anti-Nature, Clément Rosset a excellement montré que la nostalgie de la nature perdue, la recherche de l'authentique, le désir de retrouver une origine vierge de toute dégradation... n'ont rien de spécifiquement modernes, mais que l'on retrouve ces désirs à toutes les époques, dans l'Antiquité comme de nos jours. En sorte que la Nature constitue bien un des fantasmes les plus puissants de l'humanité et qu'il n'y a guère d'espoir de le voir disparaître un jour, puisqu'il constitue l'équivalent rassurant d'une mère, et permet d'asseoir toutes les idéologies du manque et les discours de dénigrement du réel (Platon, Rousseau, les freudo-marxistes...)
Inversement, Rosset montre qu'il y a eu des penseurs qui ont réussi à penser en-dehors du fantasme de la nature, acceptant pleinement la dimension artificielle de ce qui est, c'est à dire le caractère factice, hasardeux et fragile de toutes choses (Lucrèce, Montaigne, Machiavel, Nietzsche...) Et il ne peut y avoir d'approbation inconditionnelle à ce qui est sans cette reconnaissance du caractère tragique (=hasardeux et insignifiant) du réel.

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Message édité par rahsaan le 27-12-2006 à 20:07:12

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10239029
Ache
immatriculé-conception
Posté le 27-12-2006 à 21:33:45  profilanswer
 

Et pourquoi y a-t-il une structure dans les nombres? Pourquoi-même y a-t-il des structures? Pourquoi y a-t-il une stabilité dans les nombres premiers? Pourquoi certains nombres sont divisibles par d'autres nombres non unitaires alors que certains ne le sont pas? On définit des nombres entiers naturels par le successeur toujours possible, et on définit les nombres rationnels comme le quotient de deux nombres entiers, et ce nouvel ensemble devient dense contrairement au premier, car entre deux nombres rationnels il y en a toujours un troisième, et cependant, on correspond terme à terme les éléments de ces deux ensembles pour dire que c'est pourtant le même infini et ajouter qu'il y a d'autres infinis plus puissants! Comment est-ce qu'un esprit puisse dire cela, construction à l'appui? Et pourquoi une structure dite de groupe est-elle possible : comment est-ce que des lois de composition fondent 'un monde de son intérieur', en retournant les sorties depuis les entrée vers le même ensemble de départ, et cependant en devenant l'archétype de la symétrie et en dessinant un territoire irréductible à la tautologie stérile? Et par quelle sorcellerie ces structures de groupe 'imposent' l'existence d'observables physiques avant même leur observation, comme une mélodie appellerait à sa résolution? Et comment une manipulation de lignes géométrique est-elle possible, par le calcul, avec des symboles, sur le papier? Et ce faisant, l'édifice gigantesque possède une cohérence et des renvois intérieurs inattendus et fructueux, car on fait des choses, et ça marche. Sans doute 'l'effet Pygmalion' tient son rôle. Une torpeur de l'a posteriori nous glace dès qu'on cesse de faire son chemin pour se retourner vers le résultat de ce chemin, mais cela à son tour réfléchit la question : comment est-ce qu'un être jeté au monde puisse dérouler ce 'grand diamant', si tout n'est que "hasard et insignifiance"?

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Message édité par Ache le 28-12-2006 à 08:41:36
mood
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Posté le 27-12-2006 à 21:33:45  profilanswer
 

n°10239416
Ache
immatriculé-conception
Posté le 27-12-2006 à 22:28:51  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Je me demande encore si Ache a bien compris cet aspect fondamental du problème : comment échapper au mouvement dialectique ? Ce que Deleuze justement est incapable de comprendre...


Et je me demande encore si M.Henry est un illuminé doué par quelques instants de grâce, ou si son discours est authentiquement le début de la synthèse que nous attendons tous. A plusieurs reprises j'ai tenté d'amorcer un échange à ce sujet, sur le fil du libre-arbitre ou encore ici dans ce lien, mais vous n'avez pas donné suite, ce qui ne peut donc stabiliser vos interrogations sur Henry et moi. Pour fixer les idées (et nous le devons) à propos de l'auto-affectivité, il faut l'envisager du point de vue d'un "projet concret" dont l'objet est en réalité la méthodologie elle-même ("la méthode de la méthode" ). Le "concret" de ce projet consiste à se dire : "comment vais-je m'y prendre pour réaliser une entité affective" (appelons-le projet IA).  
 

  • La réponse épistémologique et physicaliste forte dit que c'est un problème épistémique : nous progressons dans la connaissance de la perception et de la conscience comme nous progressons dans la connaissance de la physique et de l'univers.  


  • La réponse de la phénoménologie dit que c'est un problème méthodologique : nous ne progresserons pas dans la connaissance de la perception et de l'existence comme nous progressons dans la connaissance de la physique et de l'univers, car il n'y a pas de méthode. L'accomplissement du projet se fera "en temps réel" : cela revient par exemple à re-parcourir l'histoire des mathématiques pour se rendre maître du 'Je peux' mathématicien. Pour le projet, l'acte de concevoir sera contemporain à l'acte de l'exécution, comme un 'fais-le toi-même'. On 'rattrape' les structures de la perception comme 'on rattrape une balle'. Ce qui sera ainsi engendrée, c'est identiquement la 'lecture' de 'l'épreuve' du 'se faisant' de 'soi'. Maintenant : où se trouve M.Henry ? Que permet-il ? Qu'interdit-il ?


Vous aviez déjà produit des hypothèses en ce sens, et il est bon d'user de ce projet positif pour construire, ou pas, un accord sur la phénoménologie matérielle. Ce projet, qui est la reconstruction, je le commente comme un rendez-vous raté entre la philosophie et la démonstration, ou pas, de ce qu'elle dit. Car ce que proclame en substance la phénoménologie, c'est qu'une philosophie expérimentale est possible.


Message édité par Ache le 27-12-2006 à 22:36:41
n°10243158
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 13:46:24  profilanswer
 

Ache a écrit :

Et pourquoi y a-t-il une structure dans les nombres? Pourquoi-même y a-t-il des structures? Pourquoi y a-t-il une stabilité dans les nombres premiers? Pourquoi certains nombres sont divisibles par d'autres nombres non unitaires alors que certains ne le sont pas? On définit des nombres entiers naturels par le successeur toujours possible, et on définit les nombres rationnels comme le quotient de deux nombres entiers, et ce nouvel ensemble devient dense contrairement au premier, car entre deux nombres rationnels il y en a toujours un troisième, et cependant, on correspond terme à terme les éléments de ces deux ensembles pour dire que c'est pourtant le même infini et ajouter qu'il y a d'autres infinis plus puissants! Comment est-ce qu'un esprit puisse dire cela, construction à l'appui? Et pourquoi une structure dite de groupe est-elle possible : comment est-ce que des lois de composition fondent 'un monde de son intérieur', en retournant les sorties depuis les entrée vers le même ensemble de départ, et cependant en devenant l'archétype de la symétrie et en dessinant un territoire irréductible à la tautologie stérile? Et par quelle sorcellerie ces structures de groupe 'imposent' l'existence d'observables physiques avant même leur observation, comme une mélodie appellerait à sa résolution? Et comment une manipulation de lignes géométrique est-elle possible, par le calcul, avec des symboles, sur le papier? Et ce faisant, l'édifice gigantesque possède une cohérence et des renvois intérieurs inattendus et fructueux, car on fait des choses, et ça marche. Sans doute 'l'effet Pygmalion' tient son rôle. Une torpeur de l'a posteriori nous glace dès qu'on cesse de faire son chemin pour se retourner vers le résultat de ce chemin, mais cela à son tour réfléchit la question : comment est-ce qu'un être jeté au monde puisse dérouler ce 'grand diamant', si tout n'est que "hasard et insignifiance"?


 
Je ne suis pas sûr de comprendre le sens de ces expressions... "Dérouler un grand diamant" ?  :heink:  
 
Mais passons, je comprends bien le sens général du texte.  
Or, ce que tu me proposes ici, en gros, c'est la preuve de l'ordre de l'univers par la perfection de sa construction. En gros, cela correspondrait soit à la preuve cosmologique (par la causalité), soit à la preuve par la beauté du monde, signe de l'existence de Dieu (seul garant, rappelons-le, de l'ordre du monde comme création parfaite).  
Donc, derrière ce vocabulaire de science contemporaine, tu proposes en gros la reprise d'un thème de disputatio médiévale: on est donc moins du côté du théorème de Gödel et de la physique des neutrinos que des raisonnements de Saint-Anselme... Mais soit, pourquoi pas ?
 
Seulement, le monde peut être "structuré" par autant de loi que l'on voudra, il n'en demeure pas moins que l'existence même de ces lois peut être parfaitement hasardeuse, du moment qu'aucune finalité ne vient, au bout du compte, en rendre raison. Et de manière générale, on sait bien, depuis Kant, que les preuves de ce genre n'ont aucune valeur, et surtout pas les preuves qui ne sont pas "ontologiques" (cette dernière, la preuve ontologique, étant la seule à poser vraiment problème -mais on ne parle pas ici de celle-ci).  


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n°10243355
l'Antichri​st
Posté le 28-12-2006 à 14:06:09  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Dans l'Anti-Nature, Clément Rosset a excellemment montré que la nostalgie de la nature perdue, la recherche de l'authentique, le désir de retrouver une origine vierge de toute dégradation... n'ont rien de spécifiquement modernes, mais que l'on retrouve ces désirs à toutes les époques, dans l'Antiquité comme de nos jours. En sorte que la Nature constitue bien un des fantasmes les plus puissants de l'humanité et qu'il n'y a guère d'espoir de le voir disparaître un jour, puisqu'il constitue l'équivalent rassurant d'une mère, et permet d'asseoir toutes les idéologies du manque et les discours de dénigrement du réel (Platon, Rousseau, les freudo-marxistes...).
 
Inversement, Rosset montre qu'il y a eu des penseurs qui ont réussi à penser en-dehors du fantasme de la nature, acceptant pleinement la dimension artificielle de ce qui est, c'est à dire le caractère factice, hasardeux et fragile de toutes choses (Lucrèce, Montaigne, Machiavel, Nietzsche...) Et il ne peut y avoir d'approbation inconditionnelle à ce qui est sans cette reconnaissance du caractère tragique (= hasardeux et insignifiant) du réel.


 
Mouais, pas très convainquant : votre position est beaucoup trop simple. Mais peu importe, cela tombe, m’a foi, plutôt bien puisque les auteurs que vous citez, et surtout Lucrèce (lu très attentivement par Montaigne), sont justement ceux qui célèbrent le mieux l’union avec cette Nature (certes à reconstruire pour Nietzsche - comme je l’ai déjà indiqué dans plusieurs posts - alors que le « Bonum summum » est toujours déjà donné pour Lucrèce et Montaigne et cela même si seule une éthique peut effectivement nous permettre d’en saisir pleinement la saveur) … mais toujours dans le « savoir (principale fidélité de Lucrèce à Epicure) du corps » (pour reprendre une fois encore une belle expression de Ache). Laissez- moi vous conter cette histoire antique et merveilleuse d’un « savoir du corps ».
 
Ce qui fait la profonde originalité du naturalisme de Lucrèce par rapport aux grandes cosmologies qui l’ont précédé et qui pensent la nature en termes de dépendance (ainsi en va-t-il de ce démiurge du Timée de Platon, qui modèle l’ensemble des êtres les yeux fixés sur le monde immobile des formes intelligibles, ou de la physis aristotélicienne, dominée par le prestige et l’efficience de la cause finale, tendue vers la perfection immobile du premier moteur), c’est, comme le dit d’ailleurs Bergson dans Ecrits et Paroles, qu’il fonde et enracine une éthique du salut (comme chez Spinoza) dans ce qu’il est convenu d’appeler la « canonique lucrétienne », c’est-à-dire une théorie de la connaissance dont les principes et les règles de fonctionnement supposent une philosophie radicalement moniste et ennemie de la transcendance. L’idée de nature, au lieu d’être, comme chez Epicure, un simple prolégomène à l’ataraxie, une simple thérapeutique de l’angoisse, est au contraire fondée et développée dans un livre de science physique !
 
Je ne vais pas reprendre dans le détail la physique de Lucrèce, c’est-à-dire l’explication de la formation des corps dans le cadre d’un matérialisme atomiste. Je ne retiendrais que ce qui nous intéresse au premier chef.
 
Reprenant le principe épicurien fondamental de la physique, celui du naturalisme athée, Lucrèce affirme pourtant que rien ne naît de rien : « Le principe qui sera notre point de départ, c’est que rien, jamais, n’est engendré de rien par l’effet d’un pouvoir divin… Si quelque chose pouvait se former de rien, toute espèce d’être pourrait naître de n’importe quoi, rien n’aurait besoin de semence… » (cf. De Natura rerum, livre I). L’ordre de la genèse des phénomènes suppose qu’il y a des corps dont on doit « accorder à la fois qu’ils sont réels et ne peuvent être vus » (cf. Ibidem). Rien ici de mystérieux, d’irrationnel ou de divin : « Ces objets, nous le voyons, se réduisent, usés par le frottement, mais les particules qui à tout moment s’en séparent, la nature jalouse nous a refusé le moyen de les voir » (Ibidem). Les atomes, à la fois principes et éléments des corps, se meuvent perpétuellement dans le vide, dans toutes les directions, à une vitesse « sans égale », entraînés par la pesanteur. Solides, éternels et simples, ces éléments des corps qui « voltigent indestructibles à travers l’éternité des âges » (cf. Ibidem), supposent l’alternance de la matière et du vide, « puisque le plein ne s’étend pas partout, ni non plus le vide » (cf. Ibidem). « En limitant la matière par le vide et le vide par la matière » (cf. Ibidem), la nature nous montre qu’il est impossible d’arrêter l’opération par laquelle un corps limité par le vide se poursuit par celle du vide limité par un corps, et ainsi de suite, sans pouvoir rencontrer l’extrême bord. L’univers est donc infini et ne saurait avoir ni extrémité, ni limite, ni mesure.
 
Incessamment agités, les atomes seraient emportés en ligne droite de haut en bas en vertu de leur poids propre, s’il ne leur arrivait « à des moments indéterminés et en des points indéterminés » (cf. De Natura rerum, II) de se déporter quelque peu de leur route verticale, « juste assez pour qu’on puisse dire que leur mouvement se trouve modifié… Sans cette déclinaison (clinamen)... jamais la nature n’eût rien créé » (cf. Ibidem). Dès lors que l’expérience sensible nous interdit de conclure à l’existence d’un mouvement oblique, il nous faut supposer le plus petit écart possible, la plus petite déviation, l’angle minimum.
 
L’histoire de la philosophie a accumulé des modèles de lecture pour rendre compte de cette légère déviation : Gassendi, dans son Syntagma Philosophiae Epicuri, reconstruit un clinamen « mécaniste » ; Diderot, dans le Rêve de D’Alembert évoque un clinamen « transformiste » ; Marx, dans sa thèse sur la Différence de la philosophie de la Nature chez Démocrite et Epicure, interprète un clinamen « dialectique » ; Bergson, dans son Lucrèce (in Ecrits et Paroles) et dans l’Evolution Créatrice pense un clinamen « énergétique ». Plus près de nous, Michel Serres, dans La Naissance de la Physique dans le texte de Lucrèce, en prêtant à Lucrèce la connaissance des théories physiques et astronomiques de son temps et les calculs mathématiques relatifs à la mesure du plus petit angle, et en faisant dialoguer le Poème de Lucrèce avec le corpus de la « physique mathématique » d’Archimède, établit un clinamen « hydraulique » au cœur du mouvement tourbillonnaire. Récemment, François Jacob, dans son Jeu des Possibles rend hommage à l’épicurisme et à Lucrèce auxquels il prête l’invention d’un clinamen « aléatoire ». Les atomes-semences, en nombre infini, sont l’alphabet de la nature autonome où se combinent les jeux du hasard. Ils produisent sens, forme et vie dans les combinaisons « réussies », c’est-à-dire possibles ou réelles. Ce qui seul peut naître naît, et ce qui naît peut naître. Ce sont les « foedera naturae », les pactes de la nature, pactes sans intention ni signataire, où se constitue le clinamen, force de résistance, imprévisible réponse du hasard à la nécessité, dont le deuxième Chant du Poème donne l’image : semblables aux chevaux dont le désir de s’élancer est ralenti par le poids de leur corps, nous éprouvons sans cesse ce conflit entre l’action volontaire et la contrainte, de même que l’atome emporté par la nécessité de la pesanteur verticale (cf. De Natura rerum, II). Qu’est-ce donc que le monde où nous vivons, sinon un lieu qu’aucune providence n’a construit pour nous ? « Si même j’ignorais ce que sont les éléments des choses, j’oserais pourtant, d’après le déroulement même des phénomènes célestes, d’après bien d’autres choses aussi, affirmer et prouver que la nature n’a nullement été aménagée pour nous par une volonté divine, tant elle se présente entachée d’imperfections. » (cf. Ibidem, V)
 
La mortalité du monde est l’un des indices de l’heureuse indifférence des dieux. Nulle intention animée par la finalité n’explique les actes - encore moins ceux des dieux que ceux des hommes ! - et aucun modèle nécessaire pour créer le monde n’existe nulle part, interdit par la perspective immanentiste de la physique lucrétienne. Il faut donc abandonner, avec la providence, la transcendance et la finalité, toute idée de création et lui substituer celle de production. Les productions de la nature, suscitées par les jeux hasardeux des atomes, ne sont ni intentionnelles ni finalisées, donc imprévisibles. Nulle différence entre le possible et le réel. « Car, certes, ce n’est pas en vertu d’un plan arrêté, d’un esprit clairvoyant, que les atomes sont venus se ranger chacun à leur place ; assurément ils n’ont pas combiné entre eux leurs mouvements respectifs mais les innombrables éléments des choses, heurtés de mille manières et de toute éternité par de nombreux chocs extérieurs, entraînés d’autre part par leur propre poids, n’ont cessé de se mouvoir et de s’unir de toutes les façons, d’essayer toutes les créations dont leurs diverses combinaisons étaient susceptibles » (cf. Ibidem, V).
 
La modernité, voire la post-modernité de Lucrèce s’aperçoit dans la position très spécifique et très radicale qu’il adopte sur la question de la causalité naturelle : de quel type de causalité la nature est-elle animée ? Dans l’exemple fameux du tonnerre (cf. Ibidem, V) où sont proposées neuf explications, par analogie avec les bruits terrestres, Lucrèce nous dit qu’à phénomène multiple, cause multiple : aucune recherche de l’unité, de la cause unique, toujours hantée par la tentation d’attribuer à une transcendance ou à une divinité la production des phénomènes : « Pourquoi Jupiter permet-il « que la foudre frappe l’homme juste et évite l’injuste » au lieu de réserver sa foudre pour ses ennemis (...) ? Pourquoi renverse-t-il les temples sacrés des dieux et ses superbes demeures d’un trait acharné à leur perte ? » (cf. Ibidem, VI) Il faut convenir, au contraire, que le hasard, associé à la pesanteur et au mouvement tourbillonnaire, permet de faire surgir un monde du chaos originel. L’infinie capacité de la nature à produire se manifeste avec la génération spontanée, confirmée par l’expérience (cf. Ibidem, II) et la disparition progressive des monstres, la seule survivance d’êtres « adaptés » inaugurent une véritable « lutte pour la vie ». Le transformisme lucrétien, dont le modèle explicatif séduira les « philosophes du vivant » au XVIIIe siècle, suppose en effet le principe de l’adaptation d’un vivant à un milieu qui ne lui est plus fatal. C’est encore le moyen de rejeter toute perspective finaliste au profit du rôle de la contingence. « Car toutes les (espèces) que tu vois jouir de l’air vivifiant possèdent ou la ruse ou la force ou enfin la vitesse qui, dès l’origine, ont assuré leur protection et leur salut » (cf. Ibidem, V).
 
Le champ d’application de la physique concerne alors l’âme, composée d’atomes, comme tous les phénomènes naturels : comment atteindre la réalité de la nature des choses à partir des sensations, chassant ainsi les erreurs et les superstitions ?
 
Là encore, je ne retiendrais que l’essentiel. Dans le quatrième chant, Lucrèce oppose à la science de l’eidos (la mauvaise imitation, la copie platonicienne), sa propre science des idoles, c’est-à-dire la théorie de la vision et des illusions. C’est un réseau d’images qui rend raison de la nature de la vision intellectuelle et de la règle de sa rectitude. Pas de concept unificateur qui structurerait l’ensemble du réseau d’images et lui donnerait sa cohérence philosophique. Il faut donc suivre le mot d’ordre de Lucrèce et circuler dans ce réseau sur le mode analogique dont Lucrèce donne la figure fondatrice dans ce propos du vers 750 du quatrième Chant : « Ce que nous voyons par l’esprit ressemble à ce que nous voyons par les yeux ». Quel est le fondement de l’analogie ? En construisant cette science des idoles, il s’agit de promouvoir une philosophie qui exhibe la production du divers comme divers, contre les systèmes précédents qui ont tous, soit « lâché le fil » de la sensation, soit perdu le contact avec le réel. La connaissance est nécessairement un contact (puisqu’il n’y a que des corps). Le toucher est privilégié, au sens où il est toujours ce qui permet de confirmer ce que la vue fait voir, mais la vue est le sens de la connaissance, puisque les simulacres qui la concernent sont, parmi toutes les émanations, celles qui viennent de la superficie des corps : forme et relief. Les simulacres frappent l’œil du côté où il tourne son regard. L’image de l’objet n’est pas la surface d’un simulacre isolé, mais l’accumulation produite par la succession rapide de toutes les pellicules détachées de la surface des corps, et qui frappe l’œil du côté où se tourne le regard. La vision se fait certes dans les yeux. Mais qu’est-ce qui dans l’œil voit ? Qu’est-ce qui est sensible et réceptif aux simulacres ? (cf. Ibidem, III). La sensibilité est l’effet conjugué de l’âme et du corps, mais elle est le fait de l’âme (« anima »), répandue dans tout le corps, dont l’animus est la partie volontaire, intellectuelle et émotive. L’animus est à l’anima ce que la pupille est à l’œil. Tant qu’elle est intacte, la vision demeure. Mais ce n’est pas suffisant : l’âme sans forme est invisible parce que les atomes qui la composent sont extrêmement petits : atomes d’air, de chaleur et de vent qui ne suffisent pas à expliquer la sensibilité. Il faut donc faire l’hypothèse d’un quatrième élément sans nom (l’âme de l’âme), dont les atomes sont plus petits et plus mobiles que ceux des autres (cf. Ibidem, III). « Cachée au plus profond de notre être », c’est elle qui, par l’œil, saisit l’image construite par les simulacres et la renvoie à tout le corps. L’imagination joue un rôle dans la connaissance de l’objet, en tant qu’ « elle est le pouvoir des idoles matérielles ». La vision physique d’un corps réel, par le fait de l’élément innommé qui en reçoit l’impression, permet de saisir dans la réalité sensible, une structure matérielle analogue à cette réalité qui en donne donc la science. C’est ce que nous dit Michel Serres à propos de la généalogie des simulacres. L’infinitésimal permet de remplir un cercle par un carré devenu myriagone. Une tour ronde est une tour angulaire limite, etc... L’imagination est donc perception et pensée ; il y a une corrélation entre le modèle mathématique et la perception. Pas d’illusions de la vue, pas de déformations, les seules déformations sont celles du faux infini engendré par la croyance.
 
Lucrèce construit donc un dispositif de la connaissance de la nature par la vision mentale pensée par analogie avec la vision des yeux. Ce dispositif ne suppose pas une opposition entre activité et passivité, mais un circuit entre le désir et la vision et, entre eux, un jeu d’échanges analogiques. L’air subit donc à la fois l’action du simulacre et de l’œil. Le rayon des yeux va à la rencontre des idoles que les simulacres dirigent vers lui. D’où d’ailleurs la critique de Hegel : chez Epicure, la pensée « est précisément employée à tenir à distance la pensée, elle se comporte négativement à l’égard d’elle-même. Et c’est l’activité philosophique d’Epicure et de Lucrèce de s’établir et de se maintenir hors du concept qui trouble le sensible, d’établir et maintenir ce sensible » (cf. Leçons sur l’histoire de la philosophie). Mais Lucrèce lui répond comme par avance : « Si l’esprit lui-même n’est pas réduit à une entière passivité, c’est l’effet de cette légère déviation des atomes en un lieu et en un temps que rien ne détermine » (cf. De Natura rerum, II). Au cœur de ce mouvement incessant des simulacres, la nature de l’âme permet la saisie de la nature des choses et l’accomplissement de son salut ; la sagesse à laquelle tend l’éthique lucrétienne est orientée vers la possible union de l’âme avec la nature, confusion d’un élément ou d’une partie de la nature avec la nature même, principe et fondement du Tout. Comment comprendre cette éthique naturaliste ? En quoi la connaissance de la nature et de la nature des choses nous enseigne-t-elle la sagesse ?
 
La délivrance naît du savoir : savoir que l’illusion accompagne les croyances religieuses et la superstition, savoir que le Souverain Bien est la concentration de la vie dans l’instant ; le Souverain Bien n’est ni une fin, ni une norme, ni un devoir être. Chez Lucrèce, la nature n’est pas perdue : il fallait juste apprendre que la nature nous renseigne par elle-même pleinement et immédiatement sur ce qu’elle est : il suffisait de se fier à la sensation, et de se souvenir que le poème de Lucrèce s’ouvre sur un éloge de la voluptas (plaisir en mouvement par lequel tous les êtres viennent à l’existence, et plaisir en repos quand cesse là douleur), sur un hymne à Vénus.
 
Tout cela est devenu aujourd’hui intuition : la vie y est présentée comme la couche fondatrice inférieure sur laquelle s’enracinent les activités spécifiquement humaines : science, technique, art, politique, etc… L’évidence de la perte est devenue évidence phénoménologique. En montrant le primat de la perception par rapport à toute visée de la conscience, la phénoménologie ne fait que consolider l’évidence commune et ceci dans la mesure où les structures de la sensibilité corporelle, chez Husserl comme chez Merleau-Ponty, constituent le pré-objectif, autrement dit la forme préliminaire de toute connaissance supérieure de type objectif.
 
Entre l’expérience fondamentale de la nature chez les Grecs et nous est intervenu le christianisme !
 
En attaquant la forêt païenne, le feu de l’Evangile a mis en fuite les dieux. Ils se sont métamorphosés en idoles. Le « Tout est plein de Dieux », le Jovis ominia plena a reculé devant le monothéisme victorieux. Le christianisme a réduit et subordonné le sacré naturel épars. Le sacré descend d’en haut. Il procède d’une ségrégation qui le détache de son appartenance naturelle et qui l’investit d’une signification religieuse et divine. C’est encore cette conception qui se verra chez les grands philosophes rationalistes du XVIIe siècle. Descartes déduisait les lois de la Nature des attributs divins. De fait, on a parlé des lois de la Nature parce que celle-ci était conçue comme une grande société dont Dieu est le législateur. En ce sens, on pourrait dire que l’avènement du christianisme a permis dans une certaine mesure le développement de la science.
 
C’est précisément le constat auquel se livre Heidegger : phusis signifie croissance, terme qui, pour les grecs, n’évoque pas, comme chez les modernes, les idées de vie, de devenir, d’évolution. Croissance, c’est l’avancée, l’épanouissement, l’ouverture. Il faut bien comprendre qu’il s’agit là, non pas d’une simple différence de conception, mais d’une distance entre une approche originelle et une approche dérivée. Dans le cas d’une rose, qu’est-ce qui constitue la spécificité de son épanouissement ? Nous serions enclins à considérer comme déterminant l’agrandissement, voire la succession d’états distincts. Mais en-deçà des évolutions mesurables, ce qui advient d’abord dans l’épanouissement de la rose, c’est sa « venue au paraître ». La croissance au sens grec disait d’abord cela : « cette percée rayonnante au cœur de la présence ». Bref, il ne s’agit pas de traduire le mot phusis mais de nous traduire devant lui. Bien loin que la phusis soit conçue sur le modèle de la nature, tel que nous l’entendons aujourd’hui, c’est au contraire la nature qui doit être comprise par la phusis, à la lumière de cette expérience fondamentale aujourd’hui perdue. Tout l’effort de Heidegger sera de penser le rapport qui unit phusis à nature et de reconstituer la genèse qui a conduit de l’une à l’autre. L’ordre de cette relation devra être lu ainsi : phusis nomme la saisie par les Grecs du déploiement initial par lequel tout étant vient au paraître. Il y a une essence impensée de la phusis. Certes la phusis est l’être, mais l’être n’est pas exclusivement « physique ». La phusis anticipe la pensée de l’être, c’est vrai, mais elle lui est subordonnée. Bien sûr, le mot phusis désigne plus intuitivement l’image de la croissance végétale ou celle du lever du soleil. Mais la pure éclosion de la phusis n’a pas besoin des modèles ontiques. En vérité, phusis signifie en dehors de la connotation spécifique de montagne, mer, animal, la pure éclosion. L’éclosion n’est pas d’abord constatée dans le règne de la nature, puis appliquée à l’ensemble du monde. Le monde n’est pas d’avance pensé comme surgissement. La phusis ne nomme aucun étant particulier mais bien l’être.
 
La phusis pensée comme éclosion suppose nécessairement le recouvrement : elle ne peut être dévoilement que si elle surgit du voilement. Cette opération par laquelle la phusis associe les contraires est celle en laquelle tout acte de génération consiste ; la nature se plaît à la dissimuler ; elle a sa pudeur comme dirait Nietzsche. La phusis aime l’occultation, non pas comme ce qui la nierait, mais comme l’élément où sa propre possibilité d’être se trouve abritée, réservée, préservée. C’est parce que la phusis surgit du voilement qu’elle incline vers lui comme ce qui seul garantit son surgissement.
 
Penser la phusis, c’est donc penser l’alêtheia « sans la nommer ». L’Alêtheia, venue à découvert à laquelle appartient une mise à couvert, constitue justement l’essence impensée de la phusis. Cela signifie qu’il n’y a pas de réversibilité entre les deux termes. L’Alêtheia en tant qu’essence de la phusis est plus haute, plus radicale que la phusis. Celle-ci est un nom fondamental pour les Grecs ; celle-là est pour nous l’essence de la vérité. Une des affirmations constante de Heidegger est que l’être est nécessairement lié à la vérité et la vérité nécessairement liée à l’être.
 
Or, la fin de la métaphysique pour Heidegger repose justement sur l’occultation que certaines réponses ont fait subir à la question de l’être. Platon et Aristote créent la métaphysique en confondant dans leur réponse l’être et l’étant. C’est pourquoi, ils se croient obligés d’expliquer l’être de l’étant par un autre étant : Dieu. Le métaphysicien va devenir du même coup une sorte de théologien défroqué. Cet oubli de l’être se prolonge dans la conception médiévale de la vérité comme adequatio rei et intellectus, dans la découverte cartésienne de la subjectivité, et finalement dans toute théorie de la représentation : (« esse est percipi »). Par-là on conçoit la fin de la métaphysique : en identifiant l’être à la totalité des étants et de ce dont elle prétend être le savoir, la métaphysique doit céder la place à la science et à la technique. Heidegger montre que la technique n’est pas ce qu’elle offre de plus apparent comme les moteurs, les engins, les machines : « L’essence de la technique n’est pas quelque chose de technique. » Le projet à l’œuvre dans la technique est encore un projet métaphysique : il concerne tous les secteurs de la réalité. On peut même dire de la technique qu’elle est la forme ultime de la métaphysique. La technique a le trait de l’être, elle marque l’étant dans sa totalité. Elle ramène à l’unité une multiplicité de phénomènes épars que l’on tend à considérer comme les symptômes du « malaise de la civilisation ». Tout le monde reconnaît ces signes : le principal est l’uniformisation planétaire des modes de vie et de pensée ; Planétaire indique l’ère de la planification, de l’organisation, de la volonté de prévision. Planétaire nomme aussi le règne de la platitude qui se répand pour tout aplanir. Planétaire désigne aussi un engrenage. A ces symptômes on pourrait ajouter la mobilisation constante de l’activité culturelle et artistique, le déracinement, la neutralisation de l’espace et du temps, la perte du sentiment de la proximité, etc… Tous ces faits comme bien d’autres sont manifestation d’une essence qui les commande ; La science elle-même qui poursuit la mathématisation de la nature n’est pas un projet autonome. Elle décide d’avance du réel : elle n’admet que l’objectivable et le calculable. Elle est au service du projet plus général de l’Arraisonnement ; elle répond à une nécessité de son essence.
 
Si la technique est la menace par excellence, c’est parce qu’elle met en péril le rapport de l’homme à la nature pour autant que l’Arraisonnement ou la con-sommation (terme utilisé par M. Haar) tend à s’imposer comme le mode unique du dévoilement. L’homme a pour vocation de veiller sur l’essence de la vérité (alêtheia) ; l’arraisonnement, le dispositif, la fixation de la pensée en pensée calculante, feront sortir l’homme de son essence. Un homme entièrement adapté au monde technique, coupé de la nature, ne serait plus un homme, car l’être ne serait plus pour lui digne de question. L’homme du planétaire n’est plus en face d’un objet, mais l’étant se présente à lui dans l’arraisonnement comme « fonds ». Fonds ne désigne pas seulement la réserve telle qu’apparaît à l’homme d’aujourd’hui la nature, réservoir énergétique. Sujet et objet disparaissent dans le « fonds ». Le fonds comprend à la fois l’homme et l’étant : l’étant parce qu’il se montre de lui-même comme calculable et commuable ; l’homme, parce que lui-même est pris comme fonds, comme animal travailleur - consommateur commis à une fonction qui le définit.
 
Le danger est celui d’une double perte : l’oubli de l’être et l’oubli de cet oubli ; le retrait de l’être devient insensible. L’absence de détresse est le signe de ce redoublement de l’oubli. L’absence de détresse est la détresse suprême et la plus occultée. Mais voir le danger comme danger c’est déjà entrer dans le salut... Sauver dit Heidegger, c’est laisser revenir quelque chose à son essence. Le salut n’est pas dans l’action, l’action ne peut pas changer l’être. L’homme agit au sens le plus élevé quand il reconduit les choses à leur être. Si nous réussissons à penser la technique au-delà de ses apparences que sont les engins alors nous pourrons regarder à nouveau la différence entre l’être et l’étant, la présence et le présent, l’appartenance de l’homme à l’être. Ce qui sauve, c’est le fait que l’homme est co-proprié à la nature à travers la technique. « A travers la technique l’homme se relie et se raccorde à toute l’histoire occidentale de l’être » et ce depuis les présocratiques.
 
Le salut au fonds de l’abîme se nomme Ereignis. Ereignis veut dire saisie du regard, appel à soi du regard, copropriation. Ereignis signifie aussi l’être regardé. Nous ne pouvons « faire voir » ce qui se montre « de soi-même » que si cela même se tourne vers nous, nous concerne, nous regarde. L’antériorité de l’être regardé sur toute vue est celle de l’éclaircie sur l’évidence et la vision. « Dans le parler des Grecs, dit Heidegger, nulle trace d’un acte de la vision, du videre latin ; il s’agit simplement de ce qui luit et brille. Mais briller n’est possible que si déjà l’ouvert est là ». Le premier regard est le premier rayon par lequel l’Ereignis nous éclaircie et nous voit. L’essence n’est pas d’abord ce que nous saisissons, mais ce qui nous saisit. Il ne faut pas penser l’essence seulement comme ce qui se donne dans le regard, mais elle-même d’abord comme regard. Nous les hommes nous sommes les regardés.

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Message édité par l'Antichrist le 28-12-2006 à 17:26:49
n°10243431
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 14:13:38  profilanswer
 

>L'AC : oui, très bien, je vois que nous sommes d'accord... Je m'excuse de ne pas avoir pris le temps de refaire 2500 ans d'histoire de l'idée de Nature...  
Clément Rosset dit juste qu'il faut s'entendre sur le terme de Nature. En un sens, avec Nietzsche, il s'agit bien de "renaturaliser" l'homme. Mais pas pour retrouver une transcendance, seulement pour accepter que l'homme vive dans un monde qui n'a pas de sens, ou disons dont le sens lui échappe complétement. C'est bien la même chose chez Lucrèce... Une nature qu'aucune Providence n'a créée...  
Bref nous sommes d'accord sur tout, mais j'essayais juste de condenser cela en quelques lignes. :D

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Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 14:14:25
n°10243572
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 14:31:38  profilanswer
 

Après cet excellent exposé sur Lucrèce, vous passez au christianisme... Très bien, mais il semble justement que la philosophie épicurienne soit par avance opposée à ces visions de la nature... y compris celle de Heidegger et ses disciples, qui ne cessent de rêver à des retrouvailles avec l'Etre originel dans son premier matin. C'est précisément le but du livre de Clément Rosset de dénoncer ces fantasmes naturalistes...

n°10243698
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 28-12-2006 à 14:47:20  profilanswer
 

J'avais presque oublié pourquoi j'excècre Heidegger... Il était beaucoup mieux dans "Etre et Temps"...  
 
(J'en profite pour faire la pub de cet excellent livre de Pierre Bourdieu : " l'ontologie politique de Martin Heiddeger" )


Message édité par daniel_levrai le 28-12-2006 à 14:51:45
n°10244104
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 15:36:04  profilanswer
 

"Heidegger est-il nazi ?" ou "Le point Godwin en philosophie" :D

n°10244370
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 16:04:18  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Le sacré descend d’en haut. Il procède d’une ségrégation qui le détache de son appartenance naturelle et qui 1’investit d’une signification religieuse et divine. C’est encore cette conception qui se verra chez les grands philosophes rationalistes du XVIIe siècle. Descartes déduisait les lois de la Nature des attributs divins. De fait, on a parlé des lois de la Nature parce que celle-ci était conçue comme une grande société dont Dieu est le législateur. En ce sens, on pourrait dire que l’avènement du christianisme a permis dans une certaine mesure le développement de la science.
 
C’est précisément le point de vu de Heidegger : phusis signifie croissance, terme qui, pour les grecs, n’évoque pas, comme chez les modernes, les idées de vie, de devenir, d’évolution. Croissance, c’est l’avancée, l’épanouissement, l’ouverture. Il faut bien comprendre qu’il s’agit là, non pas d’une simple différence de conception, mais d’une distance entre une approche originelle et une approche dérivée.


 
Soit il manque un paragraphe de transition, soit il y a une faute de frappe, puisque le point de vue rationaliste et chrétien, interprêtant la nature comme ensemble de lois, n'est précisément pas celui de Heidegger, qui veut au contraire reprendre une interprêtation grecque de la phusis comme dévoilement (pour le dire vite).  :heink:

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Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 16:45:40

---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10244737
l'Antichri​st
Posté le 28-12-2006 à 16:52:43  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

>L'AC : oui, très bien, je vois que nous sommes d'accord... Je m'excuse de ne pas avoir pris le temps de refaire 2500 ans d'histoire de l'idée de Nature... Clément Rosset dit juste qu'il faut s'entendre sur le terme de Nature. En un sens, avec Nietzsche, il s'agit bien de "renaturaliser" l'homme. Mais pas pour retrouver une transcendance, seulement pour accepter que l'homme vive dans un monde qui n'a pas de sens, ou disons dont le sens lui échappe complétement. C'est bien la même chose chez Lucrèce... Une nature qu'aucune Providence n'a créée...  
Bref nous sommes d'accord sur tout, mais j'essayais juste de condenser cela en quelques lignes. :D


 

rahsaan a écrit :

Après cet excellent exposé sur Lucrèce, vous passez au christianisme... Très bien, mais il semble justement que la philosophie épicurienne soit par avance opposée à ces visions de la nature... y compris celle de Heidegger et ses disciples, qui ne cessent de rêver à des retrouvailles avec l'Etre originel dans son premier matin. C'est précisément le but du livre de Clément Rosset de dénoncer ces fantasmes naturalistes...


 
Non, nous ne sommes pas vraiment d’accord ! C’est étonnant cette façon - nouvelle - que vous avez de tourner les propos de vos interlocuteurs dans le sens qui vous arrange... Certes, votre référence à Rosset montre que Lucrèce n’a jamais renoncé à la nature simplement parce que celle-ci n’a jamais été perdue. Son éthique n’est pas celle d’un devoir-être ! Or, c’est le triste privilège du christianisme d’avoir inoculé l’inquiétude dans l’esprit en séparant le sacré de la nature et se sont alors les modernes qui posent l’expérience fondamentale de l’originaire comme quelque chose, non pas vécu, mais seulement pressentie, comme l’écho d’une nostalgie, comme désir de la phusis pour Heidegger. Tout cela est bien réel, puisque nous en souffrons : nous sommes irrésistiblement poussés sur les chemins d’une Critique de la raison moderne – chemins qui ne mènent nulle part ? – ou labyrinthe d’une vérité radicale ? C’est une question qui peut nous dévorer… Devrons-nous assumer le monde comme erreur ou devrons-nous assumer le monde comme vérité à cause de l’erreur ? Quelque chose nous arrive d’avance sous le mode du pressentiment, de l’affectivité, se donnant ainsi à notre attention pour que nous l’y gardions. Il ne s’agit pas encore ici de savoir mais plutôt de ce qui recouvre tout ce qui peut se savoir et ainsi se cache. Avec Heidegger, il se pourrait d’ailleurs que l’art, qui traduit en œuvre la vérité, ait mieux retenu l’essence originaire de la vérité que la philosophie et la science.

n°10244794
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 17:00:04  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Non, nous ne sommes pas vraiment d’accord ! C’est étonnant cette façon - nouvelle - que vous avez de tourner les propos de vos interlocuteurs dans le sens qui vous arrange... Certes, votre référence à Rosset montre que Lucrèce n’a jamais renoncé à la nature simplement parce que celle-ci n’a jamais été perdue. Son éthique n’est pas celle d’un devoir-être ! Or, c’est le triste privilège du christianisme d’avoir inoculé l’inquiétude dans l’esprit en séparant le sacré de la nature et se sont alors les modernes qui posent l’expérience fondamentale de l’originaire comme quelque chose, non pas vécu, mais seulement pressentie, comme l’écho d’une nostalgie, comme désir de la phusis pour Heidegger. Tout cela est bien réel, puisque nous en souffrons : nous sommes irrésistiblement poussés sur les chemins d’une Critique de la raison moderne – chemins qui ne mènent nulle part ? – ou labyrinthe d’une vérité radicale ? C’est une question qui peut nous dévorer… Devrons-nous assumer le monde comme erreur ou devrons-nous assumer le monde comme vérité à cause de l’erreur ? Quelque chose nous arrive d’avance sous le mode du pressentiment, de l’affectivité, se donnant ainsi à notre attention pour que nous l’y gardions. Il ne s’agit pas encore ici de savoir mais plutôt de ce qui recouvre tout ce qui peut se savoir et ainsi se cache. Avec Heidegger, il se pourrait d’ailleurs que l’art, qui traduit en œuvre la vérité, ait mieux retenu l’essence originaire de la vérité que la philosophie et la science.


 
Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop-là ?  :lol:
Et je ne vois nulle nostalgie de la phusis chez bien des Modernes... Chez Heidegger oui, mais chez Descartes, Spinoza, Leibnitz, Kant ?... La redécouverte des Grecs commence véritablement avec la philologie allemande du 19e (Winckelmann, Jaeger etc. ) ainsi que Hölderlin, Hegel.  
A l'idée que les Grecs sont des modèles à suivre (conception des Classiques, qui imitent leur éloquence, leur style, leurs figures, leur rhétorique) succède l'idée que les Grecs constituent un idéal perdu, un temps originaire, un age d'or disparu.  
Heidegger renverse les choses en disant, dans Hegel et les Grecs, que les Grecs ne sont pas derrière nous, mais devant nous, à l'horizon de notre modernité.  
Cependant, qu' a t-on gagné à ce changement ? Demeure toujours l'idée du manque, de la perte à combler... La philosophie de Lucrèce était au contraire une tentative de vivre dans un monde éphémère, hasardeux, changeant, sans souci d'un manque à être ou d'une perte.
 
Je m'excuse de ne pas produire à chaque message un exposé circonstancié de tous les livres, auteurs et courants de pensée évoqués, mais un forum est un lieu de discussion, pas le lieu de tenir des cours magistraux.  :o

Message cité 2 fois
Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 17:08:39

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n°10244911
l'Antichri​st
Posté le 28-12-2006 à 17:14:20  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Soit il manque un paragraphe de transition, soit il y a une faute de frappe, puisque le point de vue rationaliste et chrétien, interprêtant la nature comme ensemble de lois, n'est précisément pas celui de Heidegger, qui veut au contraire reprendre une interprêtation grecque de la phusis comme dévoilement (pour le dire vite).  :heink:


 
Ok, cette fois je comprends la raison du "Après cet excellent exposé sur Lucrèce, vous passez au christianisme... Très bien, mais il semble justement que la philosophie épicurienne soit par avance opposée à ces visions de la nature..." Oui, l'expression "point de vue" voulait signifier (maladroitement sans doute) que pour Heidegger le christianisme a chassé l'homme de sa propre maison en occultant la question de l'être pour lui substituer celle de l'identification des étants. L'histoire chrétienne est la même que l'histoire de la métaphysique, à la fois oublieuse et totalisante, débouchant ainsi sur la science et la technique.

n°10244959
Profil sup​primé
Posté le 28-12-2006 à 17:18:58  answer
 

Bon sang j'ai lu "labyrinthe d'une beauté fractale" au lieu de "vérité radicale" [:ciler] Et je pigeais rien de rien [:ciler]
Alors que là du coup je pige (seulement) rien [:ciler]

n°10244970
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 17:19:42  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Ok, cette fois je comprends la raison du "Après cet excellent exposé sur Lucrèce, vous passez au christianisme... Très bien, mais il semble justement que la philosophie épicurienne soit par avance opposée à ces visions de la nature..." Oui, l'expression "point de vue" voulait signifier (maladroitement sans doute) que pour Heidegger le christianisme a chassé l'homme de sa propre maison en occultant la question de l'être pour lui substituer celle de l'identification des étants. L'histoire chrétienne est la même que l'histoire de la métaphysique, à la fois oublieuse et totalisante, débouchant ainsi sur la science et la technique.


 
Ok, d'accord. :)
Pour ma part, je suis passionné par la philo de Heidegger (il ne faut pas croire :o ), seulement je me méfie un peu de certaines de ses analyses, qui virent plus ou moins à une mythologie de l'âge d'or, ou bien à des récriminations de vieux sage contre la folie du monde moderne.  
De même, quand Nietzsche invoque, pour convaincre, une sorte de fatalité biologique prédestinant certains hommes à être des faibles toute leur vie, je fronce le sourcil.  
Bref, au début, quand on découvre un auteur, on s'exalte, on trouve tout génial chez lui... Et ensuite, en le fréquentant, on peut se payer le luxe du scepticisme... N'est-ce pas aussi ce qu'ils auraient voulu, nos grands maîtres : susciter la pensée chez leurs lecteurs, pas l'adhésion de disciples ? ;)


Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 17:23:22

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n°10244992
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 17:21:53  profilanswer
 


 
"Labyrinthe d'une beauté fractale", ça pourrait être le début d'un poème.  :D Très heideggerien le poème !  :D

n°10245140
l'Antichri​st
Posté le 28-12-2006 à 17:36:50  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop-là ?  :lol:
Et je ne vois nulle nostalgie de la phusis chez bien des Modernes... Chez Heidegger oui, mais chez Descartes, Spinoza, Leibnitz, Kant ?... La redécouverte des Grecs commence véritablement avec la philologie allemande du 19e (Winckelmann, Jaeger etc. ) ainsi que Hölderlin, Hegel.  
A l'idée que les Grecs sont des modèles à suivre (conception des Classiques, qui imitent leur éloquence, leur style, leurs figures, leur rhétorique) succède l'idée que les Grecs constituent un idéal perdu, un temps originaire, un age d'or disparu.  
Heidegger renverse les choses en disant, dans Hegel et les Grecs, que les Grecs ne sont pas derrière nous, mais devant nous, à l'horizon de notre modernité.  
Cependant, qu' a t-on gagné à ce changement ? Demeure toujours l'idée du manque, de la perte à combler... La philosophie de Lucrèce était au contraire une tentative de vivre dans un monde éphémère, hasardeux, changeant, sans souci d'un manque à être ou d'une perte.
 
Je m'excuse de ne pas produire à chaque message un exposé circonstancié de tous les livres, auteurs et courants de pensée évoqués, mais un forum est un lieu de discussion, pas le lieu de tenir des cours magistraux.  :o


 
Bon, je vois que vous ne comprenez pas. Vous simplifiez tout, c'est dramatique... Il faudrait là encore que je reprenne votre post quasiment mot à mot et je n'ai malheureusement plus le temps... On verra cela demain... peut-être. Il faudra aussi que je réponde à Néojousous...

n°10245231
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 17:47:23  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Bon, je vois que vous ne comprenez pas. Vous simplifiez tout, c'est dramatique... Il faudrait là encore que je reprenne votre post quasiment mot à mot et je n'ai malheureusement plus le temps... On verra cela demain... peut-être. Il faudra aussi que je réponde à Néojousous...


 
Peut-être que je ne comprends rien à rien (ni à Lucrèce, ni à Heidegger, Hegel, Kant, Michel Henry, Husserl, et cent autres) mais je crois avoir quand même compris qqch : que la philosophie, c'est un certain esprit, une certaine humeur, qui prescrit de ne pas prendre des grands airs de discours magistral, de ne pas écraser les autres, de ne pas crier à la catastrophe irrémédiable à chaque ligne, de ne pas prendre de ton supérieur mais de voir ce qui est intéressant dans ce que dit autrui, en lui montrant que ce qu'il dit est peut-être une bonne piste... Bref une certaine attitude d'ouverture et d'amabilité, qui n'est certes pas la vôtre...  
Rien que pour cela, et même si je n'ai pas encore réussi à synthétiser la totalité du développement conceptuel de tous les grands penseurs étiquetés philosophes (sans parler des autres), j'estime ne pas être complétement à côté de la plaque. ;)


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n°10245350
neojousous
Posté le 28-12-2006 à 18:09:03  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Ok, cette fois je comprends la raison du "Après cet excellent exposé sur Lucrèce, vous passez au christianisme... Très bien, mais il semble justement que la philosophie épicurienne soit par avance opposée à ces visions de la nature..." Oui, l'expression "point de vue" voulait signifier (maladroitement sans doute) que pour Heidegger le christianisme a chassé l'homme de sa propre maison en occultant la question de l'être pour lui substituer celle de l'identification des étants. L'histoire chrétienne est la même que l'histoire de la métaphysique, à la fois oublieuse et totalisante, débouchant ainsi sur la science et la technique.


 
Moi qui ne suit aucunement passionné par Heidegger, j'aimerai juste savoir si je comprend de quoi vous parlez :
Les problèmes existenciels (qui se posent durant l'existence) ont occulté le problème existencial (celui de l'existence). Les sciences résulteraient alors d'une histoire qui s'est concentrée sur les problèmes des étants, oubliant la question fondamentale de l'être. Les sciences se seraient crispées sur la rationalité pratique (qui s'applique dans le monde).
C'est à peu près ça, ou pas du tout ? (je m'adresse à Rahsaan, j'imagine que l'Antichrist va halluciner en voyant mon manque de connaissance, mais j'en ai parfaitement conscience, je demande juste quelques indications sommaires pour comprendre de quoi vous parlez ;) ).
 
Merci l'Antichrist si vous trouvez un petit moment pour répondre à mes trois questions sur l'école de Copenhague, Holton, et compagnie.

n°10245494
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 18:36:52  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Moi qui ne suit aucunement passionné par Heidegger, j'aimerai juste savoir si je comprend de quoi vous parlez :
Les problèmes existenciels (qui se posent durant l'existence) ont occulté le problème existencial (celui de l'existence). Les sciences résulteraient alors d'une histoire qui s'est concentrée sur les problèmes des étants, oubliant la question fondamentale de l'être. Les sciences se seraient crispées sur la rationalité pratique (qui s'applique dans le monde).
C'est à peu près ça, ou pas du tout ? (je m'adresse à Rahsaan, j'imagine que l'Antichrist va halluciner en voyant mon manque de connaissance, mais j'en ai parfaitement conscience, je demande juste quelques indications sommaires pour comprendre de quoi vous parlez ;) ).


 
Mais ma parole vous n'avez absolument rien compris, c'est désespérant les jeunes n'apprennent plus rien de nos jours, ils feraient mieux de travailler au lieu de batifoler tout le temps. Rahlalala, je vais être encore une fois obligé de tout reprendre depuis le début car vos carences intellectuelles n'ont d'égales que votre incurie conceptuelle. Il va donc falloir vous montrer le paradigme de l'évolution conceptuelle de Parménide à Quine, sinon on en sortira jamais !  :fou:  
 
... bon j'arrête. :D
 
La question n'est pas d'abord celle de la rationalité pratique.  
 
Heidegger montre que la modernité, à partir de Descartes, se définit comme le règne inconditionnel de la Subjectivité, comme puissance de maîtrise sur la totalité de l'étant. La domination planétaire qui utilise tout étant comme une ressource à disposition (aussi bien la nature que les hommes). L'Etre est donc interprêté dans le sens d'une nature à connaître et dominer, la science étant un moyen de se rendre maître de la nature.  
Or, le sujet connaissant ne peut se déployer qu'à la faveur d'un oubli de l'être dans son sens originel : l'être comme vérité qui se dévoile à qui se tient en sa proximité. La subjectivité réduit le tout de l'étant à un fonds d'étants, un ensemble d'étants maîtrisé par la technique.  
 
La science elle-même participe de cette volonté inconditionnelle de domination, puisque, de plus en plus, les phénomènes qu'elle met au jour ne sont observables que grâce à des appareillages techniques de plus en plus poussés. Ce qui est ainsi perdu est l'appréhension de la vérité comme ce qui se dévoile et se donne. La subjectivité moderne conquiert, connait, domine, veut, mais n'est plus du tout attentive au fait qu'il y ait de l'être qui se donne à elle. L'activité du sujet en vient à occulter complétement ce fait plus originaire que toute recherche est fondamentalement attention à ce qui se donne.  
Ce qu'interroge Heidegger, c'est cette dichotomie fondamentale pour la modernité du sujet-connaissant et de l'objet-connu. Et il montre qu'une telle relation ne peut se mettre en place que sur fond d'un oubli du sens originaire de la vérité comme a-letheia : le suffixe privatif -a disant bien que la vérité est ce qui n'est pas occulté. Aletheia a donc un sens négatif : ce qui n'est pas recouvert. Chercher la vérité, c'est dé-voiler, lever le voile, se rendre attentif à ce qui se donne. Heidegger reconduit donc la vérité du côté de l'être-dévoilant et de l'être-dévoilé.  
 
... Je m'aperçois que mes souvenirs de Heidegger commencent à dater. :/ Disons au moins, pour répondre un peu à tes questions, qu'il ne s'agit pas d'établir une opposition théorie - pratique (à la métaphysique la théorie, aux sciences la pratique), mais d'interroger le mode d'être théorique et pratique de l'homme, être déterminé par son rapport à l'Etre en tant que tel. Et la modernité se fonde sur le règne de la Subjectivité, et ce n'est que dans ce mode d'être que se peuvent se déployer ses théories et ses pratiques.
Le nihilisme advient quand cette volonté de puissance conquiert les moyens techniques d'une domination totale sur l'étant, au point de ne plus connaître et mettre en oeuvre que sa propre puissance de vouloir. Le nihilisme creuse donc l'oubli de l'être et vit dans cet oubli. C'était le problème de Heidegger, c'est le nôtre car nous vivons au coeur de ce nihilisme. ;)

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 18:43:10

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10245583
neojousous
Posté le 28-12-2006 à 18:49:06  profilanswer
 

Ouai, et c'est en ce sens que le "retrait" est important chez Heidegger ? La science force le réel à s'exprimer, cachant le réel tel qu'il nous apparait premièrement. D'où le lien avec la phénoménologie ? Elle permettrait un retour aux choses mêmes pour appréhender l'être-le-là ? lol ça me fait tripper de parler comme ça.
 
EDIT : je pensais pas à une opposition théorique/pratique, mais à une opposition réflexion existencielle/réflexion existenciale.

Message cité 2 fois
Message édité par neojousous le 28-12-2006 à 18:51:09
n°10245707
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 19:05:46  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Ouai, et c'est en ce sens que le "retrait" est important chez Heidegger ? La science force le réel à s'exprimer, cachant le réel tel qu'il nous apparait premièrement. D'où le lien avec la phénoménologie ? Elle permettrait un retour aux choses mêmes pour appréhender l'être-le-là ? lol ça me fait tripper de parler comme ça.


 :lol:  
 
Disons que la science tient pour acquise le fait que de l'étant soit à disposition pour qu'on puisse le connaître. Mais Heidegger veut interroger justement ce fait que l'étant se donne. Et poser la question de l'étant, c'est déjà en un sens interroger l'être de cet étant. Comment l'étant se donne t-il ? Heidegger dit qu'un seul étant, le Dasein, est capable de supporter cette question (supporter à tous les sens du mot : porter et assumer).
Dès après Etre et Temps, Heidegger cesse d'ailleurs de centrer ses analyses sur le Dasein, comme c'était le cas dans son premier grand livre.  
En gros, le parcours serait bien une analytique transcendantale, en un sens kantien, mais aussi en un sens qui déborde très largement l'analyse kantienne des conditions de possibilité de la connaissance :  

  • Dans Sein und Zeit,il est dit que le rapport de l'homme à l'étant est fondé sur un être-au-monde que nous avons chaque fois à être, à assumer : le Dasein. Alors Heidegger se livre à une analyse existentiale du Dasein (qu'est-ce qui ouvre le Dasein à l'étant ? --> ce sera par exemple l'être-avec-soi, avec-un autre Dasein, avec-l'étant...)
  • Le Dasein lui-même ne reçoit cette possibilité de s'ouvrir à de l'étant que par un certain mode de donation du temps. La description devient alors non plus seulement analytico-existentiale (1ere partie de Sein und Zeit) mais, plus profondément, analytico-temporale (2ème partie). La fin de SuZ est une aporie : le temps semble bien être l'horizon du temps, son mode de donation propre. "Le temps est l'horizon de l'être". Mais comment remonter de la temporalité propre au Dasein (zeitlichkeit, zeit = temps) à la temporalité de l'Etre lui-même (Temporalität) ?
  • L'analyse se poursuit donc, après SuZ, pour interroger la condition de possibilité de l'etre du Dasein, à savoir le Temps, dans ses différents aspects. L'analytique transcendantale a donc déjà largement transgressé les limites assignées par Kant, puisque le Temps n'est plus seulement "la forme du sens interne" mais bien "l'horizon de l'être" -au-delà donc du sujet de connaissance. (voir les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie)
  • Après avoir analysé les différentes formes de Temporalité, Heidegger cherche à reconduire plus fondamentalement encore le Temps vers sa condition de possibilité ultime, à savoir l'Etre. Et l'Etre ne pourra recevoir une interprêtation que par une étude des différentes interprêtations qu'il a reçues au cours de l'histoire de la philosophie. De l'analytique temporale à l'analytique historiale...  


Tu vois, ce n'est pas simple ! :D Mais ô combien passionnant !  :D


Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 19:10:10
n°10245718
hephaestos
Sanctis Recorda, Sanctis deus.
Posté le 28-12-2006 à 19:07:46  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Mais ma parole vous n'avez absolument rien compris...


 
J'avoue qu'à ce stade, j'ai vérifié l'auteur du message, pour être sûr... :D

n°10245745
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 19:13:45  profilanswer
 

hephaestos a écrit :

J'avoue qu'à ce stade, j'ai vérifié l'auteur du message, pour être sûr... :D


 
 [:maestro]  
 

neojousous a écrit :

EDIT : je pensais pas à une opposition théorique/pratique, mais à une opposition réflexion existencielle/réflexion existenciale.


 
Oui on peut le dire comme ça : à ceci près que la phénoménologie telle que la pratique Heidegger n'est pas d'abord réflexion mais plutôt interprétation, c'est à dire description visant à conquérir la mise en évidence de phénomènes qui sont, de prime abord et le plus souvent, occultés (ainsi des phénomènes d'angoisse, d'ennui...)
Ensuite, comme j'ai essayé de le dire dans le msg précédent, même l'analyse existentiale n'est pas le dernier mot de Heidegger. Certes, il faut parvenir à établir la différence entre l'être et l'étant, mais l'existential est lui-même reconduit à ses conditions de possibilité. ;)


Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 19:26:02

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n°10245897
neojousous
Posté le 28-12-2006 à 19:38:20  profilanswer
 

Merci Rahsaan, oué je vois que c'est pas simple...
Est-ce qu'il y a de bons livres d'introductions à Heidegger ? J'ai déjà zieuté un peu celui-là : http://www.amazon.fr/Introduction- [...] F8&s=books
Il m'a permis de comprendre quelques trucs vite fait.

n°10245990
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 19:57:02  profilanswer
 

Tu sais, je crains qu'il n'y ait meilleure intro à un auteur que de se jeter à l'eau.  
Tu peux lire sa conférence Qu'est-ce que la métaphysique ? où est posé le problème du Néant. Je ne dirais pas que c'est un texte facile, mais que c'est une bonne porte d'entrée dans son oeuvre. ;)

n°10246034
neojousous
Posté le 28-12-2006 à 20:06:16  profilanswer
 

Oké merci. C'est marrant sur ce point je pense exactement le contraire : il ne faut absolument pas aborder un auteur de manière frontale sans s'y être préparé.

n°10246035
Profil sup​primé
Posté le 28-12-2006 à 20:06:27  answer
 

Le problème avec les portes (d'entrée ou de sortie) c'est qu'on risque toujours de se les prendre dans la gueule :/

 


(oui moi aussi je suis philosophe, à mes heures perdues :o)

Message cité 1 fois
Message édité par Profil supprimé le 28-12-2006 à 20:12:53
n°10246072
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 20:11:43  profilanswer
 

neojousous a écrit :

Oké merci. C'est marrant sur ce point je pense exactement le contraire : il ne faut absolument pas aborder un auteur de manière frontale sans s'y être préparé.


 
Une page d'auteur, étudiée avec patience, vaut mieux qu'un livre de commentateur. ;)

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 20:11:57

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n°10246098
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 20:15:20  profilanswer
 


 
Pense à publier le recueil de tes meilleurs aphorismes.  [:r2 d2]

n°10246114
Profil sup​primé
Posté le 28-12-2006 à 20:17:54  answer
 

Je craindrais de faire de l'ombre à nos Nouveaux Philosophes, BHL tout ça :sweat: et puis avec le lobby qu'il se traîne... [:prems]

Message cité 1 fois
Message édité par Profil supprimé le 28-12-2006 à 20:18:29
n°10246138
rahsaan
Posté le 28-12-2006 à 20:21:25  profilanswer
 

Lance la Nouvelle Nouvelle Philosophie : défense et illustration de la cailloutologie comparée et de la boyologie expérimentale.


Message édité par rahsaan le 28-12-2006 à 20:21:35

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n°10246197
neojousous
Posté le 28-12-2006 à 20:30:58  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Une page d'auteur, étudiée avec patience, vaut mieux qu'un livre de commentateur. ;)


 
Cela vaut mieux si on souhaite comprendre la pensée de l'auteur. Pas pour un premier contact. Si tu y vas à l'aveugle sans être préparé, tu peux tomber sur des textes incompréhensibles et être dégouté. Je me rappelle quand j'ai fais la grossière erreur d'acheter la phénoménologie de l'esprit d'Hegel il y quelques années alors que je connaissais rien de cet auteur. J'ai halluciné en lisant les premières pages.


Message édité par neojousous le 28-12-2006 à 20:31:38
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