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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
15.4 %
 273 votes
1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
 105 votes
7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
 113 votes
8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
 133 votes
9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
 144 votes
10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°14721340
rahsaan
Posté le 28-04-2008 à 14:21:20  profilanswer
 

Reprise du message précédent :
La lumière qui passe dans le verre, s'y déforme, s'y réfléchit et touche par lui d'autres choses de la cuisine, fait le lien entre la matérialité du verre et l'immatériel de la transparence. La lumière, les ombres, font partie de l'habitat, elles sont organisées par lui. La lumière qui rentre par la fenêtre fait le lien entre l'habité et le cosmos : l'habitation (qui est une machine à habiter) et le cosmos forment un monde.  
Je ne sais pas s'il y a plusieurs manières de s'emplir du même objet. C'est aussi que le même objet est susceptible de beaucoup varier selon sa position et les qualités qu'il acquiert du fait de cette position.  
 
Sur ton second point, je dirais que les termes aimer et contempler sont assez interchangeables. La chose contemplée est aimée. On finit par aimer ce que l'on contemple. Et si l'on contemple, c'est que l'on aime.  
Chacun peut être dit le précurseur (le lumineux précurseur ;) ) de l'autre.  
Ensuite, c'est vrai que chacun est apte à contempler certaines choses et pas d'autres, en fonction de son imagination (qui est l'affirmation de la puissance d'exister du corps). Celui qui jouit d'une imagination forte sera apte à contempler un grand nombre de choses.


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
mood
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Posté le 28-04-2008 à 14:21:20  profilanswer
 

n°14721404
rahsaan
Posté le 28-04-2008 à 14:27:49  profilanswer
 

On peut alors se demander s'il y a une différence entre contempler une chose sensible, la lumière, ou l'océan, par exemple, et contempler une idée abstraite (le Bien, le Vrai, le Beau). Il faut peut-être que la contemplation du sensible nous amène progressivement à la contemplation de l'intelligible.  
Mais les deux types de contemplation sont tellement métaphores l'un de l'autre... Pour Platon, le Bien est au-delà de toute Idée et c'est une lumière qui nous fait voir les autres Idées. La lumière est symbole de l'Idée, mais l'Idée est une véritable lumière intellectuelle. Il y a un entrelacement, pour ne pas dire une confusion, de façon incessante entre l'image et l'idée, entre le symbole et la chose symbolisée.  
 
Qu'est-ce que la lumière ? Le signe d'un ordre supérieur des choses, l'image de l'Idée.  
Mais qu'est-ce que l'Idée ? Une lumière supérieure qui éclaire l'esprit sur toutes choses et donne sa visibilité à toute Idée... et qui permet finalement de comprendre le sensible lui-même.  
Imaginons que Platon nous parle d'une Idée de lumière... La lumière sensible est image de l'Idée de lumière, qui elle-même éclaire notre intellection de l'idée sensible de lumière... En sorte qu'on pourrait être aussi aveugle face à ce monde d'Idées que dans la caverne.  
 
La lumière naturelle serait-elle l'image d'une intellection d'un ordre supérieur ? Mais on n'a jamais rien su dire de cette intellection supérieure que par le biais d'images empruntées à la nature visible... comme si on ne pouvait contempler une chose que pour autant qu'on suppose qu'elle renvoie à un ordre de choses supérieures (le soleil ne vaut d'être regardé que comme image de l'Idée, la contemplation du ciel n'a de sens que comme image de l'Eternité)... Le contemplatif est alors victime d'une hallucination, d'un dédoublement, qui lui fait chercher un Soleil éternel par delà tous les soleils existants.  
 
Mais c'est une méprise complète, de croire que la contemplation éduque le regard à sortir des phénomènes pour remonter aux Idées (du beau jeune homme aux belles formes ; des belles formes à la Beauté, et de la Beauté au Bien). Au contraire, disons que la fin de la contemplation (son but et son achèvement) est de libérer l'image, la puissance de l'image, pour nous faire voir ce que notre paresse, nos habitudes, notre bêtise et notre besoin de platitudes nous empêche de voir.  
Il a fallu pourtant l'erreur de cette croyance au monde en soi, dit Nietzsche, pour éduquer l'esprit et lui donner une force inouïe. La funeste erreur de la croyance en un arrière-monde à contempler est donc aussi une chance... si maintenant, nous arrivons à contempler ce monde-ci, sans arrière-pensées de transcendance.  
 
A mon avis, il y a une telle ambiguïté dans l'expression mallarméenne de "fleur absente de tout bouquet". En un sens platonicien, c'est l'idée de Fleur, qui jamais ne trouvera sa parfaite incarnation sensible dans aucune fleur particulière, forcément imparfaite. Fleur idéale dont le poète cherche, en vain, à retrouver l'essence. Cherchons à contempler cette éternelle absente.  
Toutefois, on peut se dire que cette Fleur idéale a ceci de fade qu'elle est sans odeur, sans couleur, donc sans rien qui fasse le charme des fleurs, sans courbes imprévues et surprenantes : lisse et régulière, elle ne vaut guère mieux qu'une fleur en plastique (trop parfaite, donc ennuyeuse).  
Mais cette Fleur idéale, nous détournant des fleurs particulières, peut aussi y ramener, par le biais d'une sublimation. "Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux", dit Pascal.  
Oui, en effet, il est étrange que nous nous mettions à nous intéresser aux fleurs réelles seulement après les avoir admirées en peinture ! (alors qu'on pourrait s'attendre à ce que les fleurs peintes plaisent comme reproductions réussies de fleurs réelles... mais justement, ce n'est pas le cas, et Pascal s'en désole). Disons au contraire que la peinture n'est pas si vaine, si elle peut réussir à nous faire voir, et aimer, ce qui était à côté de nous et que nous négligions. De la contemplation picturale... à la contemplation des choses réelles. Le détour par l'image nous ramènerait alors aux choses réelles, et ce serait une bonne chose.  
Disons donc que la Fleur absente de tout bouquet, si elle est bien l'essence même de la Fleur, est la puissance florale de toute fleur, leur "haeccéité", leur "floréité" si l'on veut : ce que c'est, que d'avoir été et d'être une fleur.  La recherche de l'absente de tout bouquet aurait ainsi pour but de nous amener à contempler les fleurs présentes, les fleurs réelles, les fleurs multicolores, les bouquets de roses ou les champs de colza.  
La contemplation de l'Idée est donc une propédeutique (une préparation) à la contemplation des choses sensibles : la contemplation idéale libère l'image poétique, et libère notre regard sur les choses des clichés qui étaient comme des écailles sur les yeux.  
Peut-être qu'en disant cela, on est plus fidèle, qui sait, à l'esprit de Mallarmé.


Message édité par rahsaan le 28-04-2008 à 14:28:50

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°14721674
pascal75
Posté le 28-04-2008 à 14:55:46  profilanswer
 

Ah oui, le cosmos et l'habitat reliés par la lumière :jap: Et après on accentue notre contemplation plutôt sur le cosmos ou l'habitat, en fonction de dispositions personnelles.
Sur l'amour, je crois qu'il opère une sélection des objets à contempler en fonction de ces mêmes dispositions. J'ai même le sentiment, je me lance, qu'il y a des types humains suivant leur disposition à saisir tel ou tel "requisit" dont ils procèdent : la lumière, la puissance de telle plante à consommer (thé ou café ?), tel type d'activité, etc. Et aimer ce n'est pas une question de gout, évidemment, mais de capacité à envisager ce dont chacun procède.


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14721690
pascal75
Posté le 28-04-2008 à 14:57:01  profilanswer
 

La contemplation de l'intelligible c'est plutôt la méditation, non ?


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14721750
rahsaan
Posté le 28-04-2008 à 15:01:45  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

La contemplation de l'intelligible c'est plutôt la méditation, non ?


 
Il est certain qu'on peut contempler une belle chose sans parler. En revanche, contempler l'Idée en restant béat me semble plus difficile, et relève plutôt d'un acte de langage, qui dit ce qui est vrai. La contemplation de l'Idée n'est pas séparable d'une mise en oeuvre d'un discours de raison, quitte à dire que ce discours renvoie à une intelligibilité supérieure, à une Idée qui ordonne tout le discours logiquement.  
J'ai cependant l'impression que la méditation est plus intérieure. Méditations métaphysiques de Descartes sur le rapport entre l'âme et le corps, méditations poétiques de Lamartine sur nos sentiments face à la nature et au divin... Dans la méditation, l'âme se recentre sur elle-même.
 

pascal75 a écrit :

Sur l'amour, je crois qu'il opère une sélection des objets à contempler en fonction de ces mêmes dispositions. J'ai même le sentiment, je me lance, qu'il y a des types humains suivant leur disposition à saisir tel ou tel "requisit" dont ils procèdent : la lumière, la puissance de telle plante à consommer (thé ou café ?), tel type d'activité, etc. Et aimer ce n'est pas une question de gout, évidemment, mais de capacité à envisager ce dont chacun procède.


 
Oui, ce serait le point de départ à la fois d'une esthétique et d'une éthique : "qu'est-ce que j'aime, à quoi suis-je sensible, que puis-je faire ?"
Une "esth/éthique", comme dirait Paul Audi.  
(Interdiction de rire sur les mots avec des slashes et des tirets :o :D - la "con-ception", la "con/fusion" etc. -, c'est un concept très intéressant, qu'il utilise par exemple pour l'esthétique chez Nietzsche).


Message édité par rahsaan le 28-04-2008 à 15:05:37

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n°14722042
pascal75
Posté le 28-04-2008 à 15:26:45  profilanswer
 

Bon, sur ce, depuis le début du topic il y a 142 006 167 secondes, il y a eu 203710 vues, ce qui fait une toute les 697 secondes  [:wanobi le vrai]

Message cité 1 fois
Message édité par pascal75 le 28-04-2008 à 15:27:11

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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14722062
rahsaan
Posté le 28-04-2008 à 15:28:46  profilanswer
 

Une toutes les onze minutes en moyenne, donc. :o


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n°14722066
pascal75
Posté le 28-04-2008 à 15:29:12  profilanswer
 

(Leibniz dans les choux :o )


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14722806
foutre de
Posté le 28-04-2008 à 16:35:28  profilanswer
 

où est-ce qu'on a tous ces chiffres sur le topic ?


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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14723477
rahsaan
Posté le 28-04-2008 à 17:37:32  profilanswer
 

Je pense que c'est Pascal75 qui a eu l'idée de les établir, avec l'aide de la calculette Windows. :o :p


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Posté le 28-04-2008 à 17:37:32  profilanswer
 

n°14724263
foutre de
Posté le 28-04-2008 à 18:55:04  profilanswer
 

cet homme me surprendra toujours


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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14724602
rahsaan
Posté le 28-04-2008 à 19:36:16  profilanswer
 

Je suis en train de lire le dernier livre de Paul Veyne, Foucault, sa pensée, sa personne.
C'est très clair, et bien plus facilement accessible que le Foucault de Deleuze, extrêmement dense et où l'homme Foucault, malheureusement je trouve, disparaît derrière les problèmes conceptuels les plus ardus.
 
La dernière partie du livre montre bien la césure entre le savant et le politique chez Foucault, et tente de montrer comment un historien qui ne croyait pas aux invariants et aux vérités générales a quand même pu militer pour certaines causes qu'il estimait justes.
C'est d'ailleurs intéressant de constater de Raymond Aron a parlé exactement dans les mêmes termes de l'engagement politique de Max Weber (dans Les Etapes de la pensée sociologique).
Y a-t-il une rupture complète entre le savant (celui qui sait) et le politique (celui qui doit agir), au point que toute action, tout engagement en deviendrait arbitraire ? Pour Foucault et Weber, manifestement oui, si on en croit respectivement Veyne et Aron... encore que ni Foucault ni Weber n'en aient été empêchés d'agir ni d'avoir des idées.  


Message édité par rahsaan le 28-04-2008 à 19:58:48

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°14725703
foutre de
Posté le 28-04-2008 à 21:25:31  profilanswer
 

je l'avais déjà indiqué comme site foison, j'y trouve ceci :Emile Bréhier en ligne, tome 1 et 2. Je conseille la lecture du rapide chapitre consacré à husserl dans le deuxième tome qui est le tome le plus poussiéreux de cette "histoire de la philosophie" dont le XIXeme xiècle a bien vieilli.
Cette présentation de husserl comme antikantien et antipsychologiste, mais comme représentant du réalisme allemand en surprendra plus d'un je pense.
bonne lecture aux curieux


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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14725831
loulou le ​marlou
Posté le 28-04-2008 à 21:34:21  profilanswer
 

Drapal de lurkage honteux [:cupra]

n°14726019
rahsaan
Posté le 28-04-2008 à 21:43:16  profilanswer
 

>Foutre de : La bibliothèque des sciences sociales, ça vaudrait vraiment le coup que je m'y plonge sérieusement... :/
 
>Loulou le marlou : enfin un lurkeur courageux qui se révèle ! :D J'aimerais bien savoir combien il y en a d'autres, encore tapis dans un coin. :p


Message édité par rahsaan le 28-04-2008 à 21:46:05

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°14726127
pascal75
Posté le 28-04-2008 à 21:49:10  profilanswer
 

foutre de a écrit :

je l'avais déjà indiqué comme site foison, j'y trouve ceci :Emile Bréhier en ligne, tome 1 et 2. Je conseille la lecture du rapide chapitre consacré à husserl dans le deuxième tome qui est le tome le plus poussiéreux de cette "histoire de la philosophie" dont le XIXeme xiècle a bien vieilli.
Cette présentation de husserl comme antikantien et antipsychologiste, mais comme représentant du réalisme allemand en surprendra plus d'un je pense.
bonne lecture aux curieux


Je plussoie comme on dit ici, d'ailleurs je me souviens avoir envoyé, il y a quelques années, un mail élogieux à Jean-Marie Tremblay, de Chicoutimi  [:wanobi le vrai]


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14726485
loulou le ​marlou
Posté le 28-04-2008 à 22:15:13  profilanswer
 

Bon bon bon...
 
C'est très difficile d'intervenir parmi autant d'esprits si puissants. La Passion selon Saint-Matthieu l'accompagne dans cet exercice un peu effrayant. Il est beaucoup ici question, pour autant que j'en ai quelque souvenance, de livres voire de lecture de ces livres. Or, pour moi, la philosophie, en tant qu'elle est un processus en constante progression ne peut être figée dans un livre. C'est très étrange. Je me trouve dans, immodestement, la peau de Celidibache qui refusait tout enregistrement de ses concerts au motif que le disque ne pourrait jamais restituer aussi finement que la salle de concert le son. Vision évidemment élitiste, mais n'est-ce pas que la philosophie est élitiste en soi ? C'est une fuite permanente de soi vers un ailleurs où l'on pense que la paix et la sagesse envahiront l'âme. L'Abécédaire de Deleuze me semble la quintessence de ce que doit être la philosophie, une "science" parlée, un discours (des esprits diraient logos, mais je en suis pas cultivé...) En plus, ce qui ne gâche rien, Claire Parnet est particulièrement bandante sur la vidéo, avec sa voix cassée par la cigarette. Cette manière qu'il a par exemple de parler du tennis, c'est ça, la philosophie. Et pas les pensées contradictoires, pompeuses et ennuyeuses sur la guerre, la jalousie, la joie ou l'amour. La philosophie est une science humaine et doit constamment interroger les domaines qui touchent le vulgaire. Les baraques à frites d'un chnord, le tuning, pourquoi la modification des caractéristiques d'une voiture font-elles l'objet sur la toile, jamais dans la vie réelle, remarquez-le, de tous les sarcasmes possibles et imaginables. Quelles raisons nauséeuses poussent les beaux esprits vers la disqualification de ce qui leur semble beauf et qui m'apparaît comme une passion. Ont-ils honte d'eux-mêmes pour ainsi pointer du doigt ? Un reportage de Strip Tease présent sur DailyMotion et qui fait la joie de nombreux forumeurs ici http://www.dailymotion.com/relevan [...] shortfilms m'a laissé un goût amer. Que font les philosophes sinon du tuning de mots ? Deleuze dit qu'il crée des concepts et les gens qui tunent professionnellement construisent des... concept-car.
 
J'entends bien les limites de mon idée qui serait, poussée à l'extrême, la disparition du livre pour ne laisser que la parole se dérouler pour que le commun puisse accéder lui aussi au processus d'élaboration du concept. En France, on n'est rien si l'on n'a pas publié un livre. Vision étriquée qui explique sans doute l'explosion des blogs entre 2004 et 2007, la tendance allant plutôt vers le déclin, tout le monde n'a pas quelque chose à dire. Comment alors concilier la pensée en mouvement avec le livre comme instant t figé dans l'espace, le temps et la pensée ? Livre qui se veut généralement définitif, bien entendu. pour moi, les seuls livres qui ont une "légîtimité" sont ceux qui racontent une histoire, qui racontent des sentiments, qui ont à voir avec l'art. Des livres justifiant leur lecture, bien entendu :D Parce que sinon j'exclurais du champ de la connaissance tous les manuels qui permettent à tout un chacun d'apprendre un métier ou une recette de cuisine. Quoi de plus beau que Gide que je découvre en ce moment, qui me transporte, me tire des larmes tant la beauté des phrases coulent en moi comme un elixir. Je n'ai jamais réussi à être ému par un "livre de philosophie." Des amis m'engagent à lire Nietzsche pour sa puissance. Certes. Est-il un écrivain ? C'est cela qui m'intéresse dans la lecture d'un livre, quel qu'il soit. Y a-t-il une recherche de beauté et d'amour ? Dans "Les Jacky du Tuning", qu'est-ce que je retiens, qu'est-ce qui m'émeut dans la vie de cet homme, c'est la complicité amoureuse qui l'unit avec sa femme, rien d'autre. Pourquoi en serait-il autrement avec le "livre de philosophie" ?
 
Putain, tout ce pavé pour justifier mon incurie complète en matière de connaissances philosophiques, faut le faire :D

n°14726555
pascal75
Posté le 28-04-2008 à 22:20:45  profilanswer
 

Welcome. Non mais un livre (ou un post écrit, à un moindre niveau) c'est rien d'autre qu'un medium qui permet un délai entre l'action et la réaction. La discussion c'est trop rapide, ça va trop vite ;)


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14728745
foutre de
Posté le 29-04-2008 à 07:16:32  profilanswer
 


à fond d'accord avec toi. Et aussi avec pascal75. Le livre apprend à se taire et à contempler, à laisser du temps à la parole artiste de l'autre pour qu'elle donne. Le livre apprend la politesse, la solitude et la respiration. avec des mots de Rahsaan : le livre nous exerce à la contemplation.
Enfin le discours d'un livre peut-être amendé, revérifié, savouré en revenant plusieurs fois à la même bouchée. pas la conversation....

 

Gide ! oui, oui oui !
et c'est en effet un bon passage vers Nietzsche ; mais il faut se faire une bonne culture littéraire avant de venir frapper à la porte de celui là, donc continue dans la beauté, et prépare-toi à lui en lisant du théâtre : tu sais cette littérature qui ne se lit pas mais qui s'anime dans des corps en direct.

 

enfin pour le tuning, ce n'est jamais l'activité qui est en cause, mais les attitudes des personnes qui s'en emparent : les beaufs. De même le foot, qui est un sport dont on peut apercevoir bien des élégances, se produit dans un cercle de populace mal dégrossie et souvent incapable d'accomplir 20 m en sprint avec un ballon dans les jambes sans transpirer la bière et cracher leurs poumons. au moins avec le tuning, les gars ont souvent les mains dans l'huile et sont pas des nouilles de la mécanique.

 

en tout cas merci pour ta matière. Et tu trouveras ici des gens qui te parleront volontiers de littérature, moi le premier, et occasionnellement de spoiler avant et de gicleur

 

bonne journée

 


EDIT : et quand tu en auras fini avec Bach, je te conseille le requiem de Schnittke.. have fun !


Message édité par foutre de le 29-04-2008 à 07:44:55

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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14730747
loulou le ​marlou
Posté le 29-04-2008 à 13:11:58  profilanswer
 

Je parlais bien des personnes que tu appelles "beaufs". Quelle est ta légîtimité pour dire d'eux que ce sont des beaufs ? Qu'est-ce qui dans ta vie, ou la mienne, te permet de t'extirper et de te sentir supérieur à ces gens ? Les beaufs ne sont-ils pas plutôt les BHL, Sarkozy, Ferry, toute cette mélasse qui brasse volontiers le protocole compassionnel avec la vulgarité absolue, le reniement de tout processus cognitif, la mise en brêche de toute pensée pour privilégier l'apparence ? A moi aussi, il m'arrive d'avoir une boule dans la gorge en pensant à cette vie un peu de merde que les gens d'un chnord vivent, hors tuning et footchebwãl, et ce n'est pas le film de Boon qui me fera changer d'avis, au contraire, ça vient appuyer ce que je savais déjà de la région. Cela ne m'empêche pas d'avoir de l'estime pour eux, parce que simplement, ils vivent. C'est devenu tellement difficile. Alors que ces autres que j'ai cités, ils ne vivent pas, ils s'empiffrent, ils baffrent, ils ripaillent à loisir avec une sorte de désinvolture révoltante.
 
Pour en revenir à la philosophie proprement dite, on nous apprend dès les premiers cours que c'est la recherche de la sagesse. Et je dis que c'est du pur foutage de gueule. Peut-être est-ce ce qu'elle devrait être dans un absolu inatteignable. La réalité nous montre des batailles d'école trop humaines pour être honnêtes. La prééminence de l'un sur l'autre. La philosophie est soumise à autant de passion, de souffrance, sinon plus, que toute autre activité humaine. N'y a-t-il pas là alors tromperie sur la marchandise ?

n°14730890
pascal75
Posté le 29-04-2008 à 13:24:02  profilanswer
 

loulou le marlou a écrit :

Je parlais bien des personnes que tu appelles "beaufs". Quelle est ta légîtimité pour dire d'eux que ce sont des beaufs ? Qu'est-ce qui dans ta vie, ou la mienne, te permet de t'extirper et de te sentir supérieur à ces gens ? Les beaufs ne sont-ils pas plutôt les BHL, Sarkozy, Ferry, toute cette mélasse qui brasse volontiers le protocole compassionnel avec la vulgarité absolue, le reniement de tout processus cognitif, la mise en brêche de toute pensée pour privilégier l'apparence ? A moi aussi, il m'arrive d'avoir une boule dans la gorge en pensant à cette vie un peu de merde que les gens d'un chnord vivent, hors tuning et footchebwãl, et ce n'est pas le film de Boon qui me fera changer d'avis, au contraire, ça vient appuyer ce que je savais déjà de la région. Cela ne m'empêche pas d'avoir de l'estime pour eux, parce que simplement, ils vivent. C'est devenu tellement difficile. Alors que ces autres que j'ai cités, ils ne vivent pas, ils s'empiffrent, ils baffrent, ils ripaillent à loisir avec une sorte de désinvolture révoltante.
 
Pour en revenir à la philosophie proprement dite, on nous apprend dès les premiers cours que c'est la recherche de la sagesse. Et je dis que c'est du pur foutage de gueule. Peut-être est-ce ce qu'elle devrait être dans un absolu inatteignable. La réalité nous montre des batailles d'école trop humaines pour être honnêtes. La prééminence de l'un sur l'autre. La philosophie est soumise à autant de passion, de souffrance, sinon plus, que toute autre activité humaine. N'y a-t-il pas là alors tromperie sur la marchandise ?


Tu n'as sans doute pas fait attention, mais ce topic se nomme "topic des livres de philo". Recentre, comme au foutchebol ;)


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14739061
rahsaan
Posté le 30-04-2008 à 01:09:17  profilanswer
 

Un copain doit faire un mémoire sur le thème : "La méthode des sciences cognitives permet-elle de connaître l'esprit humain ?"
Il s'agit de savoir dans quelle mesure ces sciences nous apprennent tout sur l'esprit, ou s'il y a une réalité supérieure de l'esprit qui résiste à la connaissance scientifique.  
En gros, le débat Ricoeur / Changeux dans La nature et la règle.
 
Après qu'on en a discuté ensemble, je lui ai envoyé le texte suivant (remanié ici). Comme ce sont des conseils d'organisation, je n'ai pas tellement évoqué de contenus scientifiques précis que, du reste, je connais très mal. Il s'agit surtout de lutter contre une certaine posture anti-scientifique, qui est au fond nuisible d'abord à la philosophie (et pas au scientifique qui, de toute façon, continuera à progresser que cela plaise ou non au philosophe).
 
L'enjeu est, à mon sens, de montrer la nécessité d'une philosophie de l'esprit qui ne se confonde pas avec une épistémologie des sciences de l'esprit. Et ce n'est d'ailleurs pas pour rétablir un primat du sujet transcendantal, ou une quelconque supériorité de la connaissance philosophique de l'esprit sur la connaissance que nous avons du fonctionnement du cerveau.
L'enjeu n'est pas là.  
Mais que serait une véritable philosophie de l'esprit, maintenant que Quine et d'autres nous ont montré que l'épistémologie se détachait de la philosophie, et que chaque épistémologie se rattache à la science à laquelle elle correspond, en étant traité par les scientifiques eux-mêmes ?
C'est aussi ce qu'a voulu montrer Jean Piaget : les scientifiques n'ont plus besoin des philosophes pour faire avancer leur méthode de recherche. Parallélement, depuis le camp de la philosophie, Deleuze a montré que le philosophe n'a pas à réfléchir sur le travail des autres disciplines, qui le font très bien sans lui.
A chacun son travail, en somme : acceptons l'autonomie des sciences par rapport à la philosophie... et par conséquent l'autonomie de la philosophie par rapport aux sciences. Condition indispensable à un progrès des sciences, qui n'ont plus à rendre des comptes devant une instance transcendantale ou autre... et à un progrès d'une philosophie de l'esprit, qui peut se permettre d'intervenir (mais comment ?) sur la question de l'esprit.
 
L'idée d'une philosophie de l'esprit n'est-elle donc pas une chose morte, une idée révolue ?
Peut-être pas, si l'on accepte de ne plus la confondre avec une épistémologie, une réflexion de type transcendantal ou phénoménologique, sur la possibilité des sciences en général ou leur attitude face au monde.  
 
Quand le philosophe essaye de jouer à se retrancher sur ses positions bien connues et confortables (cartésianisme, kantisme, phéno etc.), il peut être sûr d'être toujours perdant face au scientifique, qui va lui montrer rapidement que ses savoirs, ses méthodes, sont périmées, remisées au placard par le développement des sciences : aujourd'hui, les recherches sur le cerveau permettent de dire exactement ce qui se passe lorsqu'on décide. Donc la décision sera bientôt élucidée ; elle n'aura plus de mystère, on saura la lire dans le cerveau, sans qu'il soit besoin d'en appeler à un libre-arbitre ou une mystérieuse faculté de juger. Les différentes notions métaphysiques, qu'on croyait sacrées, intouchables, "tombent" les unes après les autres dans le domaine scientifique. Bientôt, si ce n'est pas déjà le cas, il ne sera plus possible de parler dans l'absolu de la croyance, de l'identité, du jugement, du sentiment, par un pur raisonnement, indépendamment de ce que l'étude du cerveau nous en aura appris. Ce sera préférer des spéculations et des mots à des faits positifs, établis.
 
Le philosophe peut donc bien faire le fier : il ressemblera plutôt à un pauvre solitaire, retranché dans sa forteresse assiégée, sûr que les scientifiques vont le dépouiller de tout ce qu'il croyait lui appartenir en propre (psychologie, réfléxion méthodique, vision totale de l'esprit etc.) Aujourd'hui, c'est un fait, les différents domaines de la philosophie se détachent d'elle et deviennent des sciences autonomes.  
Bientôt, il ne restera donc plus au philosophe que des miettes, quelques miettes de sagesse intemporelle, donc ennuyeuse et inutile et on l'écoutera, ce philosophie, comme on écoute un vieil oncle raconter ses souvenirs et prodiguer ses beaux conseils : avec respect et émotion, mais en ayant oublié tout ce qu'il a pu prêcher dès qu'on est parti de chez lui.
Le philosophe est-il donc condamné par les sciences de l'esprit à cette attitude passéiste, nostalgique -à ce regret du temps où c'est lui détenait le savoir ultime sur l'homme et le monde ?...
 
INTRO
 
Le développement contemporain des sciences cognitives bouleverse ce que nous savons de l'esprit humain. Or, l’avancée en sciences de l’esprit fait peur. Peur d’une manipulation de l’homme, dont on connaitrait tous les sentiments et désirs ; peur d’une perte d’identité ; peur d’une robotisation de l’homme (le médecin réduit à un technicien qui répare les troubles psychiques comme on répare une machine), peur en somme d’une objectivation complète de l’esprit humain, qui perdrait son âme, son mystère, sa petite flamme de vie qui le distingue de la matière brute ou de la machine…
 
> Le philosophie ne peut pas ignorer ces résultats scientifiques. A l'époque de Descartes, on ne savait rien du cerveau. Aujourd'hui, on progresse chaque jour dans la compréhension du fonctionnement neuronal. Donc l'esprit ne peut plus avoir du tout le même sens pour nous que pour Descartes ou Kant. Inutile donc d'essayer de nous retrancher dans nos bons vieux modèles transcendantaux, phénoménologiques... A ce jeu, le philosophe sera toujours perdant, face aux avancées des sciences, qui remettent en question ce que nous savons de la décision, du jugement, du plaisir, de la volonté... Les objets classiques de la philo des sciences sont traités par les scientifiques eux-mêmes. Si le philosophe de l’esprit essaie de se réfugier dans une atittude conservatrice, timorée, pour conserver l’autonomie du Sujet, il sera toujours perdant, car il restera en fait dans un modèle vieilli et la lecture des publications en sciences cogntiives le dépouilleront vite de ses dernières certitudes. N'oublions pas que les philosophies : 1) ne naissent pas de l'azur éternel et prennent donc place dans une époque 2) que les philosophes ont toujours été à l'écoute des avancées des sciences de leur temps (Platon et la géométrie, Kant et les sciences modernes, Bergson et les théories de l'évolution etc.) . Il serait ruineux pour le philosophe comme pour le scientifique d'ignorer ce que l'autre dit. L'un ou l'autre vireraient rapidement au dogmatisme, qui est le confort des certitudes.
 
> Puisque la science bouleverse radicalement ce que nous savons de l’esprit, cela ne peut qu’encourager à revenir à une question très vieille et très simple, philosophique : Qu’est-ce que l’esprit ?
Le philosophe ne peut pas, ne doit pas, fuir cette inquiétude qui le taraude : et si la philosophie n'avait plus rien à nous apprendre sur l'esprit, sur la pensée ?... ll doit se confronter à cette possibilité pour lui scandaleuse : que la vieille philosophie soit bel et bien périmée.
 
 
1) UNE NOUVELLE IMAGE DE L’ESPRIT HUMAIN. Les avancées en sciences cognitives : des résultats qui remettent en question les modèles classiques de l’esprit. Décrire alors quelques-uns de ces résultats.
 
2) L’ESPRIT ET LA MÉTHODE. Oui mais la méthode des sciences cognitives est en réalité héritée de modèle qu’on connaît depuis longtemps en philosophie. Bien sûr, les résultats sont bouleversants, mais la méthode mise en œuvre est-elle si différente ? On se demande alors si la méthode elle-même ne découle pas de certaines procédures inhérentes à l’esprit humain, procédures décrites par les philosophies cartésiennes, empiristes, kantiennes etc. Ex : étude d’un objet par l’intermédiaire d’un dispositif technique ; analyse/synthèse etc.
Dès lors, il semble que la méthode, sur le fond, n'ait pas tellement changé, et que l'on reste, en grande partie, en terrain connu sur ce point-là. Le philosophe ne doit donc pas craindre de faire un saut dans l'inconnu, car on ne connait bien que ce qu'on a arraché à l'inconnu... et de plus, on n'y plonge pas complétement à l'aveugle. Le vieux Kant pourrait encore avoir des choses à nous dire, avec ses Idées, qui sont les problèmes qui se posent inévitablement à la raison quand elle atteint ses limites et entre en conflit avec elle-même ou l'expérience. La science suscite en philosophie des Idées.
Et aujourd'hui, la terra incognita, c'est celle du cerveau et de ses milliards de connexions neuronales. Si le philosophe peut être dérouté par la nouveauté de ses résultats, c'est qu'au fond, il connaît assez bien en quoi ces résultats s'opposent aux conceptions traditionnelles. Il est donc armé pour voir la nouveauté là où elle se trouve... grâce à son héritage conceptuel.
Comment ne pas croire que, loin de mettre en danger la philosophie de l'esprit, l'exploration du cerveau ne permette pas de redonner vigueur aux grands problèmes qui touchent à l'esprit ? Pourquoi un développement de la science serait-il ruineux pour la pensée ?... Surtout quand il s'agit de connaître ce que c'est, cérébralement, de penser.
 
3) L’OBJECTIVATION DE L’ESPRIT. Le projet des sciences cognitives semble donc d’objectiver l’esprit, de le connaître parfaitement, à l’aide d’une méthode qui se renouvelle en même temps que ces sciences avancent. Relation dynamique méthode / résultats : les résultats agissent en retour sur la méthode à adopter. On ne peut plus se contenter d’être cartésien, mais on doit renouveler les modèles fournis par les philosophies. Cependant, la science ne fait-elle pas que développer spectaculairement des questionnements ébauchés par les philosophes ? De sorte que le philosophe ne devrait pas avoir peur de se confronter aux doutes que suscitent les sciences cognitives : puisque le philosophe aime tant le doute, l’inquiétude, l’angoisse, le voilà servir ! Les sciences de l’esprit appellent plus que jamais une véritable philosophie des sciences, qui sache produire une sagesse nouvelle, en abordant les questions inévitablement posées par ces sciences : questions éthiques, techniques, métaphysiques engendrées par ces découvertes. Le travail d’objectivation des sciences ne peut que se redoubler d’un nouveau travail de subjectivation par la philosophie, qui affirme la nécessité pour le sujet de se repenser et de renouveler la conception qu’il a de lui-même … ce à quoi les sciences ont réussi à le forcer (et il faut les en remercier) !
 
Et il ne s'agit pas de demander par là qu'on nomme davantage de philosophes dans les comités d'éthiques, parce que le philosophe aurait pour tâche de faire la morale au scientifique, ce savant fou qui risque d'aller trop loin dans son laboratoire, si on ne lui met pas tout de suite la bride au cou. L'attitude édifiante est ruineuse pour la philosophie (la philosophie n'a pas à être édifiante, dit Hegel).
 
> CONCLUSION : Au lieu d’avoir une attitude timorée (peurs diverses qui se muent en imprécations moralisatrices contre les dangers de la « Technoscience »), remercions donc plutôt les sciences de l’esprit d’obliger la philosophie à en revenir à ce qu’elle aime tant : les questionnements radicaux, les remises en questions profondes (au fond, l'esprit aujourd'hui a-t-il encore quoi que ce soit de commun avec la psychè d'Aristote, la res cogitans cartésienne ou l'ego transcendantal ?…) Nous aurons juste redécouvert au passage qu’on ne « radicalise » pas son questionnement par le seul effort de son bel esprit, ou par des astuces rhétoriques, mais lorsqu’on est confronté à de très fortes objections, qui viennent de l’extérieur (ici des sciences de l'esprit) et qui nous choquent, nous heurtent viscéralement… comme c’est le cas lorsque la science semble nier toute autonomie du mental par rapport au cérébral.
Admettre les nouveautés scientifiques, ce n'est pas nécessairement se soumettre au délire chaotique de la technique toute-puissante qui asservit le monde à sa volonté de domination inconditionnelle...
 
La philosophie a toujours été la recherche du savoir en vue de la sagesse. Dès lors, une philosophie de l'esprit n'est pas LA philosophie générale, universelle, qui se particularise en s'intéressant à un objet particulier, l'esprit -comme si cet objet était extérieur à cette philosophie, et qu'il faille le rejoindre comme s'il était tout fait. L'objet qu'une philosophie se donne n'est pas déjà tout fait, prêt à être étudié par le philosophe qui doit en dire la vérité. Il faudrait voir d'ailleurs à quel point les sciences ne sont pas aujourd'hui constructivistes : elles construisent leurs objets (ce qui ne veut pas dire qu'elles inventent les choses dont elles parlent... mais le cerveau étudié par les machines telles que les caméras à positon évoquées par JP Changeux est le seul cerveau dont on puisse dire vraiment quelque chose... puisqu'on ne connaît rien du cerveau sans ces machines et ces sciences, sinon un gros chou-fleur gris... si bien qu'à la limite, c'est quand même les sciences et leurs dispositifs techniques qui "produisent" l'objet à connaître -et c'est bien ce que voulait dire Heidegger).
Il faut assumer ce fait : les connaissances ne peuvent plus progresser que grâce aux sciences ; la philosophie ne peut pas nous apporter de savoir positif sur le monde. Que la philosophie cesse donc de se prendre pour une connaissance ou une théorie de la méthode scientifique.
Il faut donc dire que les sciences cognitives font surgir encore une fois la nécessité de penser l’esprit, mais pas contre elles : avec elles. La sagesse philosophique découle de la position de problèmes précis, spécifiques. Ce qui pose problème aujourd'hui, c'est moins d'admettre que notre conception de l'esprit a changé. C'est de savoir quelle sagesse nous allons pouvoir (et sans doute devoir) inventer à partir de ces avancées.


Message édité par rahsaan le 30-04-2008 à 02:23:35

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n°14739367
rahsaan
Posté le 30-04-2008 à 01:48:12  profilanswer
 

A vrai dire, il est évident que le problème va vite devenir politique. (Et là, le philosophe respire, parce que l'articulation du savoir et du politique, depuis Platon jusqu'à Foucault, c'est son affaire !)
Pourquoi politique ?
Hé bien parce qu'il est évident que les dangers d'utilisation de ces découvertes à des fins de manipulation de l'homme n'est pas nulle. Si l'homme est l'espèce qui n'a cessé d'évoluer et de se modifier avec et par ses développements techniques*, ce n'est pas une raison pour croire que toute avancée technique soit bonne, ni que la technique doive avoir le dernier mot, dès lors qu'elle est nouvelle et "révolutionnaire". Tout développement n'est pas un progrès. Si la technique est inséparable de la nature humaine (pas d'homme sans ses techniques, qui modifient la nature et rende son monde habitable), ce n'est pas pour autant que toute technique doive faire partie de la nature humaine. Ici, plus que jamais, l'antique notion aristotélicienne de prudence est requise : capacité à discerner la bonne décision à prendre, dans une situation singulière où une règle générale ne peut être appliquée.
Que faire de nos techniques (scientifiques en particulier) ?
 
Donc aujourd'hui, si la démocratie a un sens, les gens doivent savoir un minimum quel est le pouvoir et les limites de ces techniques de connaissance du cerveau humain, ce qu'il en est vraiment des "manipulations génétiques" [et c'est la même chose pour les risques nucléaires, ou encore les plantes transgéniques]. Ne serait-ce que pour évacuer les fantasmes collectifs sur la Technoscience et le complot des experts. Mieux vaudrait avouer carrément que s'il n'y pas de complot d'une élite mondiale, c'est parce que, une fois encore, l'humanité marche à l'aveugle.  
Ce qui, au moins, laisse la place à des décisions et aux conséquences qui en découlent, mais que, du moins, on aura librement choisies.
Soit on démocratise ces savoirs, soit on remplace la démocratie par le règne des experts et les pieux conseils des comités d'éthique.  
"Mais oui mais les gens n'y connaissent rien, à l'énergie nucléaire, aux OGM et à la génétique ! Ce n'est pas à eux de savoir si c'est bien ou non !" C'est là le discours de l'expert, celui qui sait, qui cherche à se muer en technocrate, celui qui décide. C'est le saut du rôle scientifique au rôle politique. A qui veut-on confier le pouvoir, non pas de conseiller et d'éclairer, mais de décider ?...  
 
(Aujourd'hui, se produit une réaction anti-démocratique, qui imprègne peu à peu les esprits, réaction qui a décidé que de toute façon, face aux défis de la mondialisation et autres merveilles du 21ème siècle, le citoyen moyen était de toute façon trop inculte et trop borné, et qu'il faudrait quand même arrêter avec tout cet irrationnel qui nous a fait tant de mal, et confier enfin la marche du monde aux gens qui savent et qui, eux, sont rationnels et désintéressés. Les gens sont trop cons, en un mot, pour comprendre les délicats problèmes que ne peuvent traiter que les experts et leurs institutions.  
Les institutions, elles, sont rationnelles et réelles, donc inutile de se demander quelle est leur légitimité, et ce qu'elles valent, démocratiquement parlant.)
 
Et nous voilà donc en pleine philosophie de l'esprit, qui, comme on le voit, n'est plus du tout une épistémologie ou une réflexion sur l'ego transcendantal, mais une articulation des savoirs, de la politique et de la morale.  
Ce que la philosophie peut se permettre, puisqu'elle a le privilège de n'être ni une science, ni une politique, ni une morale.  
La philosophie de l'esprit ne va pas s'occuper de nucléaire ou d'OGM, c'est hors du champ de son questionnement. Mais les seules problèmes posés par les sciences cognitives et leur impact sur les techniques médicales, militaires, publicitaires etc. , sont déjà un champ assez vaste à défricher.  
 
*(Est-ce bien la même espèce humaine qui taillait le silex et chassait le mammouth, et celle qui profite quotidiennement des satellites et vit dans une atmosphère climatisée ? On m'excusera de caricaturer, mais la question vaut d'être posée -sans qu'on objecte tout de suite que dans ce cas, les villageois africains perdus dans leur brousse appartiendraient à une autre espèce que l'homme occidental du 21ème siècle. La question mérite juste d'être posée. Pour bien mesurer ce que la technique apporte, et n'apporte pas, à l'homme. Du reste, un Français moyen n'a pas de supériorité morale ou ontologique, parce qu'il a un GPS ou l'abonnement à un bouquet satellite, sur un nomade mongol. C'est juste qu'il n'a pas les mêmes problèmes parce qu'il a évolué dans une autre direction.)
 
Les questions que j'évoque ici, dans le désordre, sont traitées à fond dans le livre de Michel Puech Homo sapiens technologicus, une véritable "somme technologique" en la matière. http://technosapiens.free.fr/


Message édité par rahsaan le 30-04-2008 à 02:35:42

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n°14744643
le vicaire
Posté le 30-04-2008 à 17:59:55  profilanswer
 

Je vois bien où tu veux en venir mais je constate que plus les gens savent (société de l'information, de la technique, du savoir...) et plus ils sont inquiets. Je veux dire que toute l'évolution technique et des mathématiques n'a servi qu'à fabriquer une société infantilisante ("société du sucre" ) et anxiogène. Donc la philosophie a encore tout à fait sa place et l'aura de plus en plus car les grandes crises sociales et politiques arrivent au galop. On se met à réfléchir quand on a peur, après avoir rigolé un bon coup de tous ces philosophes qui ne servent à rien. ;)


Message édité par le vicaire le 30-04-2008 à 18:00:37
n°14745395
rahsaan
Posté le 30-04-2008 à 19:44:25  profilanswer
 

Je ne pense pas que ce soit l'évolution technique et mathématique qui nous infantilise et nous fait peur, mais notre ignorance et la bêtise qui en découle. Si les gens ont peur, c'est qu'ils ne savent pas, ou même pire, qu'ils ne savent qu'à moitié et donc sont au courant des dangers, sans en mesurer l'étendue (ce qui laisse libre cours à l'imagination pour imaginer tout et n'importe quoi).


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n°14745782
le vicaire
Posté le 30-04-2008 à 20:32:32  profilanswer
 

vi mais on a jamais su autant et c'est bien là le paradoxe. Bien vu : le savoir à moitié est bien pire que l'ignorance.

n°14746320
rahsaan
Posté le 30-04-2008 à 21:26:07  profilanswer
 

C'est parce qu'on a jamais autant su, et surtout parce qu'on n'a jamais autant de choses à savoir (et donc parce qu'il n'a jamais aussi dangereux d'ignorer) que l'on a bien besoin d'un savoir.  
D'un savoir articulé à une sagesse. En un mot d'une philosophie, et une philosophie qui ne soit pas une récitation ni un sermon, mais une philosophie qui nous procure une sagesse par la connaissance du monde contemporain.
Dit comme ça, c'est banal, mais ce qui est moins banal, c'est que nous ne savons pas du tout quelle sagesse il faudrait inventer, qui ne soit pas une simple reprise de vieux thèmes de morale éculée.
 
(Que puis-je connaître... de mon génome ?
Que dois-je faire... dans mon environnement climatisé ?
Que puis-je espérer...du foie de cochon qu'on m'a greffé ?
Qu'est-ce que l'homme... "mécanique aux parties remplaçables"* ?)  
 
*Marinetti, Manifeste du futurisme

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 30-04-2008 à 21:31:38

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n°14747976
rahsaan
Posté le 30-04-2008 à 23:15:38  profilanswer
 

J'en reviens à la contemplation.  
On a travaillé sur ce thème avec mon pote aujourd'hui. Suite à discussions, corrections, recherches érudites, voilà comment on peut organiser une réflexion sur ce thème.
 
LA CONTEMPLATION [:le velocypede de zed]
 
 
I°/ La contemplation s'oppose à l'action
 
1) La contemplation comme connaissance.
La contemplation est l'activité de l'âme par laquelle celle-ci, s'élevant au-delà du monde des choses sensibles, accède à la connaissance des réalités célestes et s'emplit de leur vue. Touchant à l'ineffable, la contemplation culmine en une fusion mystique avec les entités qu'elle rejoint. Etat d'âme sublime, situé à la limite du pensable et du représentable, la contemplation est certainement à la limite de ce qui peut se dire. La contemplation est un "contact ineffable et inintelligible, antérieur à la pensée" (Plotin, Ennéades, V, 3, 10). Chez Plotin, en effet, l'Intelligence découle de l'Un, qui est inexprimable (car dire l'Un, c'est qu'il qu'il est autre chose que l'Un) : la contemplation est pour ainsi dire impensable.
Il est dès lors difficile de seulement parler de la contemplation, puisque celle-ci est par essence muette, pure réception de ce qu'elle aperçoit, expérience à peine traduisible en mots.  
Ineffable, la contemplation peut ainsi paraître tellement subtile qu'elle en devient évanescente. Il importe déjà de cerner cette notion de contemplation, qui paraît si fuyante. Elle prétend nous faire échapper à la sensibilité immédiate, pour nous présenter, immédiatement, sans intermédiaire, les essences les plus hautes. A quoi accède-t-on dans la contemplation ? Quel est son objet ?
 
2) La contemplation comme vision.
La contemplation ne peut se confondre avec la simple distraction, ou l'attitude oisive de celui qui baye aux corneilles (qui "rêvasse, perd son temps en regardant en l'air niaisement" (Robert) ), du doux rêveur. La contemplation est une activité de l'âme -et pas un relâchement ou une faiblesse passagère de l'esprit.
La contemplation est plus que la simple observation, qui se tient à distance de son objet et l'étudie avec scrupule, tandis que la contemplation prétend s'emplir de ce qu'elle regarde. Elle est bien un regard attentif, mais porté vers des réalités célestes, alors que l'observation ne peut pas dépasser le cadre de l'expérience sensible, naturelle (observation des plantes, des animaux, d'un paysage ou des astres).  
La contemplation contient en elle le mot "templum" qui désigne le lieu sacré. Originellement, la contemplation désigne l'espace tracé dans l'air par un devin en vue de l'observation des augures (signes bon ou mauvais envoyés par la nature). La contemplation a rapport au sacré, à ce qui est tout autre, situé à part du monde sensible. La contemplation nous fait voir l'inouï (Rimbaud). La contemplation culmine bien en une illumination, au sens où elle rejoint la pure lumière, comme lorsque, à la fin du livre VI de la République, l'âme rejoint l'Idée du Bien, lumière qui éclaire toutes les autres idées. Selon le Pseudo-Denys (Hiérarchie céleste, IV, 2), contempler, c'est recevoir la lumière.
Pour soutenir cette vision, la contemplation doit donc se vivre comme une pratique, une discipline, qui nous plie à contempler le principe d'où découlent les choses.  
 
2) La contemplation comme exercice.  
La contemplation consiste une ascèse (c'est à dire étymologiquement un exercice), une pratique en vue d'une purification de soi, afin que le soi rejoigne son centre intelligible, d'où elle risque de s'éloigner sans cette pratique de la contemplation.  
Si elle est une activité de l'âme, elle s'oppose par contre à l'action. En quoi elle peut passer pour un passe-temps oisif, ou une façon de se détourner de l'action pratique, des tâches quotidiennes, du sérieux du monde. Mais c'est là une condamnation moderne de la contemplation, alors que les grands contemplatifs retourneraient l'accusation contre les partisans de l'action, en disant que c'est eux, ceux qui prétendent agir dans le monde, qui se détournent de la réalité, parce qu'ils se dispersent dans la multiplicité du sensible et perdent l'assise de leur être. La contemplation s'oppose donc à cet idéal moderne d'action opératoire, technique, efficace, de maîtrise et de possession de la Nature.
 
Ainsi, chez Plotin, la procession des âmes, depuis le principe de l'Un jusqu'aux âmes particulières, se dégrade peu à peu dans le sensible, jusque dans l'âme des plantes, âme sauvage, en proie à la perdition, car elle est au plus loin de l'Un dont elle procède.
 
Se vouant au chaos des sensations, de la matière, l'homme d'action, qui refuse la contemplation, finit par perdre la maîtrise de soi.  
"Chaque être , à son niveau, se retourne vers ce dont il procède. C'est ça la contemplation. La contemplation c'est la conversion. C'est la conversion d'une âme ou d'une chose vers ce dont elle procède. En se retournant vers ce dont elle procède, l'âme contemple. En contemplant elle se remplit. Mais elle ne se remplit pas de l'autre, ce dont elle procède,- ou de l'image de l'autre ce dont elle procède-, sans se remplir de soi. Elle devient joie d'elle-même en se retournant vers ce dont elle procède. Le self-enjoyment, la joie de soi, est le corrélat de la contemplation des principes." (Deleuze, 17/03/1987)
==> La contemplation constitue donc un accomplissement de soi.
 
 
II°/ La contemplation est l'activité la plus haute de l'âme
 
Nous avons vu en quoi la contemplation s'opposait à l'action. Cependant, nous avons dit qu'elle était une pratique, un exercice, au moins spirituel. Il faut maintenant cerner plus précisément en quoi elle peut être activité -alors même qu'il semble que l'idéal contemplatif soit de ne pas agir, mais de rester attentif aux signes du divin, d'observer, sans rien changer à la nature et au monde.  
En quoi consiste, au juste, l'activité contemplative ?
 
1) La contemplation comme activité la plus haute
Depuis Aristote, on distingue la praxis de la poiesis, la praxis étant l'action pratique, morale, par opposition, la poiesis, qui produit un objet extérieur à l'agent (l'artisan qui fabrique un vase). Dans la praxis, l'action n'est pas extérieur qui agit. La contemplation se rattache bien à la praxis, mais pour un Grec, contrairement à ce qu'en dit la pensée moderne, la pratique n'est pas le contraire de la théorie. La praxis ne s'oppose pas à la theoria, la vision directe. Et theoria ne veut rien dire d'autre en Grec que... contemplation.  
En tant que praxis la plus haute, la theoria est l'idéal de vie du sage. La theoria, la praxis, est bien l'activité la plus haute, celle qui satisfait la partie éternelle de l'âme, le noùs. Encore Aristote admet-il que l'état contemplatif est exceptionnel, et ne s'atteint que rarement. Il ne peut donc s'agir d'un mode de vie permanent, mais du sommet de la spéculation, lorsque l'âme, pensant le premier moteur qui meut toutes choses sans être mû, pense ce que c'est que de penser, ce qui est, déjà selon Platon, le sommet de la pensée, dans la contemplation.
La contemplation est ainsi attitude d'attention, d'éveil, le suprême recueillement sur soi de l'intellect contemplatif. Mais si la contemplation nous emmène au-delà de la pensée, comment seulement exprimer ce qu'elle nous fait connaître ?
 
2) La contemplation et la connaissance
Pour Angélus Silesius (Le pélerin chérubinique), dans la contemplation, "je suis ce que je connais". Il y a ainsi dans la contemplation fusion de l'être et du connaître, contre la scission tragique, d'entendement, héritée de Kant, entre nos facultés de connaître, et les choses en soi. La contemplation s'emplit directement de l'objet à connaître. Au-delà du discursif, elle est connaissance intuitive.  
 
Pour Descartes (Méditations, III), la contemplation est "captation du fini par l'infini" (cf. Descartes et la connaissance de Dieu, de Laurence Devillairs) . On se souvient que chez Descartes, l'infini est la trace de la création divine laissée en moi, qui ne suis qu'un être fini : je ne pourrais avoir l'idée de l'infini si Dieu ne l'avait mise dans mon esprit. C'est donc l'être suprême qui a mis en moi les facultés de connaître, et cet infini que je rejoins par la contemplation. La contemplation est ainsi indispensable à la réconciliation de l'être et du connaître.
Mais on voit par là quelle difficulté cela pose : c'est que la connaissance par contemplation semble muette, incapable de se recueillir dans le discours, dans la pensée. Une fois l'éveil de la contemplation accompli, comment le retraduire dans le langage ? Comment échapper à l'ineffable ?
 
3) La contemplation et l'action.  
Cette captation par la contemplation "met en jeu trois modalités" : l'intuition (intueri), l'admiration (admirari), l'adoration (adorare). (cf. idem)
"Nous ne cessons pas de connaître (intueri) dans l'"adoration" et dans l'"admiration" des attributs de Dieu, mais c'est, au contraire, une connaissance toujours plus distincte de l'infini qui accompagne notre éblouissement et notre adoration [...] Dieu est ainsi l'objet d'une considération attentive en même temps que la cause d'un "embrasement" (caligantis) de l'entendement. Si elle n'exige pas d'abolir la connaissance pour faire place à l'amour, cette intuition de la "Majesté Divine" semble néanmoins requérir d'abandonner le registre de la méditation pour celui de la contemplation. Descartes reproduirait ainsi la distinction que Saint-François de Sales établit entre la méditation qui est "désir" de Dieu et la contemplation qui est proprement amour et "attention simple de l'esprit aux choses divines". "  
La méditation est donc désir d'assouvir notre envie d'agrandir notre ego, tandis que la contemplation est l'admiration des attributs de Dieu, "qui nous fait jouir de l'incomparable beauté de cette immense lumière" (Descartes).
 
On peut ainsi distinguer trois activités de l'ego : la cogitatio, la meditatio et la contemplatio et voir comment Descartes a repris cette tripartition héritée de la mystique médiévale des 12-13e siècles (avec Saint-Bernard de Clairvaux, entre autres). Et à ce sujet, il est surprenant de voir comment Descartes a su concilier cet idéal de vie contemplative, hérité de l'antiquité, avec l'idéal moderne d'action et de maîtrise de la nature. L'ego, cherchant à accroître ses forces et à les éprouver, peut trouver dans la médecine de quoi améliorer et allonger la vie humaine. Rendons-nous alors "comme maître et possesseur de la nature" (Discours de la méthode).
La méditation, telle que la pratique Descartes, fait le lien entre la cogitatio et la contemplatio, en nous montrant que la contemplation de la lumière divine n'exclut l'action technique, opératoire sur la nature.  
Connaissance du divin, connaissance de la nature, agir technique, s'articulent ainsi harmonieusement.
 
==> Il n'y a donc pas à choisir, radicalement, dans une seule vie, entre l'action dans le monde et la contemplation.
 
 
III°/ La contemplation est la fin de l'action
 
Resserrons encore davantage le lien entre action et contemplation.  
Nous avons vu que l'action pratique, et même la production technique n'excluaient pas nécessairement la contemplation. Nous allons maintenant voir pourquoi, en réalité, la contemplation est la fin de l'action.
 
1) Tout le monde contemple
 
"Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l'enfant; le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l' eau, admire en fait une œuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité" (Hegel, Introduction de l'Esthétique)
L'enfant contemple le produit de son activité : la fin de son action est la contemplation de sa propre activité.  
De manière générale, l'homme qui a accompli une tâche contemple, satisfait, le produit de son travail : le jardin bien tondu, la machine qui tourne bien, la pièce propre et bien rangée... La contemplation est la fin de l'action, au double sens de fin : elle en est le but et l'achèvement (le parachèvement). La contemplation parachève l'action. Je contemple le travail accompli, je me retourne sur lui et je regarde le chemin parcouru, l'effort et sa réalisation.  
Plus j'aurai mis de mes forces, de mon intelligence, de mon être, en un mot de ma subjectivité (activité de l'ego qui veut s'accroître et se réaliser), plus je jouirai de l'objectivité de cette réalisation, plus ma contemplation sera objective.
Tout homme qui a travaillé, qui a accompli une tâche, contemple le produit de son travail. La contemplation n'est donc pas réservée à une élite de sages ou de moines contemplatifs. Tout le monde contemple.  
Il faudrait même se demander : qui n'a jamais contemplé ?...
 
2) La contemplation objective
 
Dans la contemplation, le sujet se dessaisit de sa subjectivité et accède à une objectivité, un grand jeu qui le dépasse. La contemplation est alors un phénomène objective et plus seulement l'activité d'un sujet. C'est la contemplation qui constitue le contemplé et le contemplant. La contemplation est un jeu cosmique.  
Déjà le système spinoziste est une contemplation panthéiste, qui s'achève dans une connaissance du 3 genre, qui nous fait connaître certaines essences singulières de Dieu, certaines puissances singulières de vie, par les "yeux de l'esprit", par intuition directe. La contemplation conduit ainsi à la béatitude. Mais peut-être le système spinoziste est-il très élitiste, car le bien suprême n'est pas promis à tous.  
Au contraire, Hegel montre, dans l'Esthétique, comment les Hollandais, qui ont construit à la sueur de leur front leur cité, qui ont conquis leur liberté en gagnant des terres sur la mer et en réalisant une nation libre, comment les Hollandais rejouent cette liberté dans leur peinture. La peinture des intérieurs hollandais, des scènes de la vie de tous les jours, des occupations quotidiennes. Dans la peinture hollandaise, les Hollandais contemplaient ce qu'ils avaient réalisé. En ce sens, la contemplation, pour reprendre une expression célèbre de Hegel, est "le dimanche de la vie".  
 
3) La contemplation aujourd'hui
 
A quoi bon la contemplation dans un monde affairé, pressé, plongé dans une urgence perpétuelle ?...
Nous avons déjà partiellement obtenu une réponse en montrant que tout le monde contemple. La contemplation est démocratique.
C'est le tour de force de Hegel, a dit Peter Sloterdijk, de réhabiliter la contemplation comme idéal, au sens du monde moderne, affairé, avide de labeur et de domination de la nature. Hegel entend retrouver la sérénité grecque olympienne au sein des tourments du monde moderne. Sloterdijk dit de Hegel que c'est à la fois un mégalopathe et un mégalomane. Le mégalomane souffre d'un délire qui lui fait prendre pour grandiose son mesquin petit moi.  
Le mégalopathe souffre d'être exposé à une grandeur écrasante pour lui. Le projet colossal de Hegel, dit Sloterdijk, tenait un peu des deux. Mais il y avait quelque chose de profondément audacieux, dit-il, dans cette volonté de retrouver la sérénité contemplative d'un Grec face au cosmos.
Le tour de force hégélien est là : réconcilier l'action et la contemplation, ne plus les séparer, montrer que l'un achève l'autre.  
L'homme moderne libre, dont le bourgeois protestant hollandais est le modèle, retrouve la contemplation par l'action, au contraire du sage antique qui les opposait.  
L'homme moderne contemple le monde qu'il habite après l'avoir bâti.  
La contemplation est un moyen d'habiter le monde. La contemplation est une habitation. Habiter un lieu, c'est le contempler, et contempler le reste du monde à partir de lui. La lumière qui pénètre dans mon habitat me relie au monde extérieur, au cosmos. La lumière emplit l'habitat et m'emplit de la lumière du jour.  
 
Nous avons besoin de retrouver la contemplation comme puissance de maîtrise de soi, force cosmique, sauvage, qui emplit l'homme et lui redonne son assise, sa stabilité intérieure. Et nous en avons besoin plus que jamais face à un monde qui se transforme rapidement. On ne peut plus croire que la contemplation nous permettra d'accéder à une réalité supérieure, mais plutôt à un niveau supérieur de maîtrise de soi. Tel est bien le sens des idéaux ascétiques, dont parle Nietzsche dans la Généalogie de la morale, pour les critiquer comme nihilistes... croit-on généralement. En réalité, les idéaux ascétiques, tant valorisés par des philosophes, sont bien des ascèses spirituelles, des exercices spirituels d'affranchissement des illusions, en un mot des contemplations.  
==> La dialectique hégélienne, ou le dionysiaque (nihilisme extatique) chez Nietzsche, constituent de gigantesques contemplations, par lesquelles l'individu moderne peut s'emplir d'une puissance cosmique qui lui redonne vigueur et sérénité.  
 
 
 
 
APPENDICE : extrait du cours du 17 mars 1987 de Deleuze, à Vincennes.
 
"Voilà exactement ce que nous dit Plotin : toute chose se réjouit, toute chose se réjouit d'elle-même, et elle se réjouit d'elle-même parce qu'elle contemple l'autre. Vous voyez, non pas parce qu'elle se réjouit d'elle-même. Toute chose se réjouit parce qu'elle contemple l'autre. Toute chose est une contemplation, et c'est ça qui fait sa joie. C'est à dire que la joie c'est la contemplation remplie. Elle se réjouit d'elle-même à mesure que sa contemplation se remplit. Et bien entendu ce n'est pas elle qu'elle contemple. En contemplant l'autre chose, elle se remplit d'elle-même . La chose se remplit d'elle-même en contemplant l'autre chose. Et il dit : et non seulement les animaux, non seulement les âmes , vous et moi, nous sommes des contemplations remplies d'elles-mêmes. Nous sommes des petites joies. Mais on ne le sait plus ! Sentez que ce sont les mots du salut de la philosophie. C'est la profession de foi du philosophe, et ça ne veut pas dire : je suis content. Quelles bêtises on a pu dire sur l'optimisme de Leibniz ; ça ne veut pas dire tout va bien ! Quand quelqu'un vous dit, comme Plotin : soyez des joies, ça ne veut pas dire allez les gars, tout va bien, soyez des joies, contemplez et remplissez vous de ce que vous contemplez. A ce moment là vous serez des joies. Et il dit : et non seulement vous et moi, vos âmes sont des contemplations, mais les animaux sont des contemplations, et les plantes sont des contemplations, et les rochers eux-mêmes sont des contemplations. Il y a un self-enjoyment du rocher. Du fait même qu'il contemple il remplit de ce qu'il contemple. Il se remplit de ce qu'il contemple et il est par là même self-enjoyment. Et il termine splendide, c'est un texte d'une telle beauté, il termine splendide : et on me dira que je plaisante en disant tout ça, mais peut-être que les plaisanteries elles-même sont des contemplations."

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 01-05-2008 à 13:30:45

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°14750623
le vicaire
Posté le 01-05-2008 à 09:31:39  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

C'est parce qu'on a jamais autant su, et surtout parce qu'on n'a jamais autant de choses à savoir (et donc parce qu'il n'a jamais aussi dangereux d'ignorer) que l'on a bien besoin d'un savoir.  
D'un savoir articulé à une sagesse. En un mot d'une philosophie, et une philosophie qui ne soit pas une récitation ni un sermon, mais une philosophie qui nous procure une sagesse par la connaissance du monde contemporain.
Dit comme ça, c'est banal, mais ce qui est moins banal, c'est que nous ne savons pas du tout quelle sagesse il faudrait inventer, qui ne soit pas une simple reprise de vieux thèmes de morale éculée.
 
(Que puis-je connaître... de mon génome ?
Que dois-je faire... dans mon environnement climatisé ?
Que puis-je espérer...du foie de cochon qu'on m'a greffé ?
Qu'est-ce que l'homme... "mécanique aux parties remplaçables"* ?)  
 
*Marinetti, Manifeste du futurisme


"inventer une sagesse" ? cela me paraît impossible car il me semble qu'il n'y rien à inventer et que tout est déjà là mais qu'on ne le voit pas. La sagesse n'est elle pas autonome et comme masquée par le savoir, la technique... ? Je pense, au contraire, qu'on devrait célébrer un peu plus notre ignorance, nous sommes d'abord des hommes qui ne savons pas. Mon foie de cochon ne me dira pas grand chose sur ce que je peux espérer. Comme c'est la politique qui fabrique la morale - réminiscence de l'idéologie de la IIIème République par ex ou culte de la jouissance (pour ou contre) de Mai 68 etc. - et que les solutions sont essentiellement perçues comme politiques, c'est à mon avis par là qu'il faut chercher. Qu'est ce que la politique ? Ici, le philosophe a toute sa place. Et puis si je connais quelques philosophes, des sages, même en cherchant bien, j'en connais pas.

n°14751409
rahsaan
Posté le 01-05-2008 à 12:02:28  profilanswer
 

J'ai modifié la page Wikipedia consacrée à la contemplation :  
http://fr.wikipedia.org/wiki/Contemplation
 
EDIT
 
Raah, déjà 5 ans que je suis sur HFR ! [:rahsaan]  
01 mai 2003 - 2008 !


Message édité par rahsaan le 04-05-2008 à 22:15:54

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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°14760228
pascal75
Posté le 02-05-2008 à 15:15:04  profilanswer
 

Rahsaan > ton post sur la contemplation est très bon, il a le mérite de nous montrer que sur ce point on n'a pas besoin de l'orient, qu'on a ce qu'il faut chez nous :D (des citations de Saint-Bernard de Clairvaux et du Pseudo-Denys, la classe  :sol: ).
Je suis quand même un peu circonspect sur ta conclusion, et le rôle d'Hegel, réconciliateur dans notre modernité de l'action et de la contemplation. Il y a une différence essentielle entre ce que tu fais dire à Hegel de la contemplation et ce qu'on en dit classiquement, de Plotin à Deleuze (d'ailleurs Hegel, dans le passage que tu cites, ne parle pas de contemplation mais d'admiration) c'est que le self-enjoyment n'est pas un bête contentement de soi. On aurait tendance à le penser à travers tes exemples. Je ne m'imagine pas, quoi qu'en dise Hegel, que les peintres hollandais du 17eme contemplaient leurs intérieurs ou des scènes de la vie quotidienne à travers leurs peintures, bien contents qu'ils auraient été d'avoir construit leurs jolis intérieurs. Si la peinture hollandaise est contemplative, c'est de ses propres "requisits", de ce dont elle procède et pas de ce dont procède son motif. C'est quand même très différent d'être bien content de soi parce qu'on a construit une maison, et de s'emplir de joie parce qu'on capte par l'action d'une peinture ce dont on procède. C'est ce que dit Deleuze, en mieux, dans ta citation finale.


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14765722
foutre de
Posté le 03-05-2008 à 12:42:58  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

Rahsaan > ton post sur la contemplation est très bon, il a le mérite de nous montrer que sur ce point on n'a pas besoin de l'orient, qu'on a ce qu'il faut chez nous :D


non, nous avons besoin de l'orient, pour compter avec le zéro que ne possédait pas la mathématique latine, parce qu'elle ne procédait pas d'une civilisation qui faisait fructifier la pensée d'un néant. et c'est un acte de contemplation orientale qui nous donne cela
De plus le rôle des sectes orientales et de l'échange d'idées et de spiritualité entre le mysticisme hébreux de l'époque d'apparition du christ et le bouddhisme laissent penser à pas mal de gens qu'il y aurait eu échanges et partage de sensibilités pour que le christianisme ait pu émerger
enfin, après l'anticléricalisme des 19eme et 20eme siècle, c'est par un détour anthropologique (et/ou souvent syncrétique) par l'orient que nous revenons à la sensibilité mystique des grandes théologies médiévales.

 

Donc sur ce point comme sur bien d'autre, nous avons besoin de l'orient, comme déjà les grecs en avaient besoin depuis socrate dont la pensée est apportée par le dialogue avec l'étranger (voir le livre de Mattéï) jusqu'à Alexandre qui plonge jusqu'à l'Indus. Et j'ose même que nous n'avons pas besoin que de l'orient.

 

ton propos sent le complexe à plein nez. et quand on porte le complexe à l'échelle des civilisations, je trouve ça super malsain


Message édité par foutre de le 03-05-2008 à 13:18:02

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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14766319
pascal75
Posté le 03-05-2008 à 14:29:08  profilanswer
 

Arf. Je me suis sans doute mal exprimé, je recommence. Habituellement, quand on parle de contemplation, on évoque l'Orient, le post de rahsaan nous montre que cette question est aussi au coeur de la philo occidentale.  
Pas de complexe là-dedans, beaucoup d'amour pour la Chine et le Japon, par contre.


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14766722
foutre de
Posté le 03-05-2008 à 15:51:36  profilanswer
 

miaouw, ron ron ron...


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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14766744
foutre de
Posté le 03-05-2008 à 15:56:22  profilanswer
 

cela étant, c'est vrai qu'il est pas mal le post du Sieur Rahsaan


Message édité par foutre de le 03-05-2008 à 17:56:32

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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14766774
pascal75
Posté le 03-05-2008 à 16:04:45  profilanswer
 

foutre de a écrit :

miaouw, ron ron ron...


[:hotshot] je peux griffer aussi.


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14767252
foutre de
Posté le 03-05-2008 à 17:55:00  profilanswer
 

me griffe pas quand je ronronne


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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14771777
l'Antichri​st
Posté le 04-05-2008 à 07:54:34  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

J'en reviens à la contemplation.  
On a travaillé sur ce thème avec mon pote aujourd'hui. Suite à discussions, corrections, recherches érudites, voilà comment on peut organiser une réflexion sur ce thème.
 
LA CONTEMPLATION [:le velocypede de zed]
 
 
I°/ La contemplation s'oppose à l'action
 
1) La contemplation comme connaissance.
La contemplation est l'activité de l'âme par laquelle celle-ci, s'élevant au-delà du monde des choses sensibles, accède à la connaissance des réalités célestes et s'emplit de leur vue. Touchant à l'ineffable, la contemplation culmine en une fusion mystique avec les entités qu'elle rejoint. Etat d'âme sublime, situé à la limite du pensable et du représentable, la contemplation est certainement à la limite de ce qui peut se dire. La contemplation est un "contact ineffable et inintelligible, antérieur à la pensée" (Plotin, Ennéades, V, 3, 10). Chez Plotin, en effet, l'Intelligence découle de l'Un, qui est inexprimable (car dire l'Un, c'est qu'il qu'il est autre chose que l'Un) : la contemplation est pour ainsi dire impensable.
Il est dès lors difficile de seulement parler de la contemplation, puisque celle-ci est par essence muette, pure réception de ce qu'elle aperçoit, expérience à peine traduisible en mots.  
Ineffable, la contemplation peut ainsi paraître tellement subtile qu'elle en devient évanescente. Il importe déjà de cerner cette notion de contemplation, qui paraît si fuyante. Elle prétend nous faire échapper à la sensibilité immédiate, pour nous présenter, immédiatement, sans intermédiaire, les essences les plus hautes. A quoi accède-t-on dans la contemplation ? Quel est son objet ?
 
2) La contemplation comme vision.
La contemplation ne peut se confondre avec la simple distraction, ou l'attitude oisive de celui qui baye aux corneilles (qui "rêvasse, perd son temps en regardant en l'air niaisement" (Robert) ), du doux rêveur. La contemplation est une activité de l'âme -et pas un relâchement ou une faiblesse passagère de l'esprit.
La contemplation est plus que la simple observation, qui se tient à distance de son objet et l'étudie avec scrupule, tandis que la contemplation prétend s'emplir de ce qu'elle regarde. Elle est bien un regard attentif, mais porté vers des réalités célestes, alors que l'observation ne peut pas dépasser le cadre de l'expérience sensible, naturelle (observation des plantes, des animaux, d'un paysage ou des astres).  
La contemplation contient en elle le mot "templum" qui désigne le lieu sacré. Originellement, la contemplation désigne l'espace tracé dans l'air par un devin en vue de l'observation des augures (signes bon ou mauvais envoyés par la nature). La contemplation a rapport au sacré, à ce qui est tout autre, situé à part du monde sensible. La contemplation nous fait voir l'inouï (Rimbaud). La contemplation culmine bien en une illumination, au sens où elle rejoint la pure lumière, comme lorsque, à la fin du livre VI de la République, l'âme rejoint l'Idée du Bien, lumière qui éclaire toutes les autres idées. Selon le Pseudo-Denys (Hiérarchie céleste, IV, 2), contempler, c'est recevoir la lumière.
Pour soutenir cette vision, la contemplation doit donc se vivre comme une pratique, une discipline, qui nous plie à contempler le principe d'où découlent les choses.  
 
2) La contemplation comme exercice.  
La contemplation consiste une ascèse (c'est à dire étymologiquement un exercice), une pratique en vue d'une purification de soi, afin que le soi rejoigne son centre intelligible, d'où elle risque de s'éloigner sans cette pratique de la contemplation.  
Si elle est une activité de l'âme, elle s'oppose par contre à l'action. En quoi elle peut passer pour un passe-temps oisif, ou une façon de se détourner de l'action pratique, des tâches quotidiennes, du sérieux du monde. Mais c'est là une condamnation moderne de la contemplation, alors que les grands contemplatifs retourneraient l'accusation contre les partisans de l'action, en disant que c'est eux, ceux qui prétendent agir dans le monde, qui se détournent de la réalité, parce qu'ils se dispersent dans la multiplicité du sensible et perdent l'assise de leur être. La contemplation s'oppose donc à cet idéal moderne d'action opératoire, technique, efficace, de maîtrise et de possession de la Nature.
 
Ainsi, chez Plotin, la procession des âmes, depuis le principe de l'Un jusqu'aux âmes particulières, se dégrade peu à peu dans le sensible, jusque dans l'âme des plantes, âme sauvage, en proie à la perdition, car elle est au plus loin de l'Un dont elle procède.
 
Se vouant au chaos des sensations, de la matière, l'homme d'action, qui refuse la contemplation, finit par perdre la maîtrise de soi.  
"Chaque être , à son niveau, se retourne vers ce dont il procède. C'est ça la contemplation. La contemplation c'est la conversion. C'est la conversion d'une âme ou d'une chose vers ce dont elle procède. En se retournant vers ce dont elle procède, l'âme contemple. En contemplant elle se remplit. Mais elle ne se remplit pas de l'autre, ce dont elle procède,- ou de l'image de l'autre ce dont elle procède-, sans se remplir de soi. Elle devient joie d'elle-même en se retournant vers ce dont elle procède. Le self-enjoyment, la joie de soi, est le corrélat de la contemplation des principes." (Deleuze, 17/03/1987)
==> La contemplation constitue donc un accomplissement de soi.
 
(...)
 
APPENDICE : extrait du cours du 17 mars 1987 de Deleuze, à Vincennes.
 
"Voilà exactement ce que nous dit Plotin : toute chose se réjouit, toute chose se réjouit d'elle-même, et elle se réjouit d'elle-même parce qu'elle contemple l'autre. Vous voyez, non pas parce qu'elle se réjouit d'elle-même. Toute chose se réjouit parce qu'elle contemple l'autre. Toute chose est une contemplation, et c'est ça qui fait sa joie. C'est à dire que la joie c'est la contemplation remplie. Elle se réjouit d'elle-même à mesure que sa contemplation se remplit. Et bien entendu ce n'est pas elle qu'elle contemple. En contemplant l'autre chose, elle se remplit d'elle-même . La chose se remplit d'elle-même en contemplant l'autre chose. Et il dit : et non seulement les animaux, non seulement les âmes , vous et moi, nous sommes des contemplations remplies d'elles-mêmes. Nous sommes des petites joies. Mais on ne le sait plus ! Sentez que ce sont les mots du salut de la philosophie. C'est la profession de foi du philosophe, et ça ne veut pas dire : je suis content. Quelles bêtises on a pu dire sur l'optimisme de Leibniz ; ça ne veut pas dire tout va bien ! Quand quelqu'un vous dit, comme Plotin : soyez des joies, ça ne veut pas dire allez les gars, tout va bien, soyez des joies, contemplez et remplissez vous de ce que vous contemplez. A ce moment là vous serez des joies. Et il dit : et non seulement vous et moi, vos âmes sont des contemplations, mais les animaux sont des contemplations, et les plantes sont des contemplations, et les rochers eux-mêmes sont des contemplations. Il y a un self-enjoyment du rocher. Du fait même qu'il contemple il remplit de ce qu'il contemple. Il se remplit de ce qu'il contemple et il est par là même self-enjoyment. Et il termine splendide, c'est un texte d'une telle beauté, il termine splendide : et on me dira que je plaisante en disant tout ça, mais peut-être que les plaisanteries elles-même sont des contemplations."


 
Bon, désolé de venir rompre le consensus ambiant, mais je n’ai pu aller jusqu’au bout de votre texte, j’ai arrêté ma lecture à la fin de la première partie, vraiment embarrassé par le traitement que vous faites subir à la pensée de Plotin : votre interprétation projette sur elle un principe de lecture erroné, foncièrement dualiste qui la trahit dans le mouvement même ou elle tente (effort louable) d’en extraire méthodiquement les grands traits : « la contemplation – comme « connaissance », comme « vision », comme « exercice » - s’oppose à l’action ». Or, rien n’est plus éloigné de la pensée de Plotin que cette manie de créer des oppositions qui n’existent nulle part dans la réalité qu’elle décrit. Bien avant les philosophies de Spinoza, Fichte, Nietzsche, Bergson ou Deleuze, la philosophie de Plotin s’impose comme une philosophie de la subjectivité procédant du cosmos (ce qui signifie que « procession » et « génération » sont intimement liées, aspect de la cosmologie de Plotin que vous oubliez bizarrement dans votre commentaire, sans doute parce qu’il s’oppose à votre rejet du sensible, comme vous oubliez le rôle fondamental de la philosophie, c’est-à-dire des raisonnements… vous nous aviez déjà récemment fait le coup avec la « connaissance du second genre » chez Spinoza…), une philosophie de la saisie individuelle du Moi qui est ouverture à la compréhension du Monde. Elle se veut l’union entre mystique et métaphysique, entre transcendance et immanence, comment je suis et comment je dois être. Cette philosophie de l’intériorité permet de développer une mystique de l’immanence dans les cadres d’une métaphysique de la transcendance. Tout cela demande bien sûr une explication, qui permettra de revoir de fond en comble votre approche de la contemplation ! Je me contenterai ce matin de rappeler les principes fondamentaux de la philosophie de Plotin.
 
Chez Plotin, en effet, la philosophie doit assurer le salut individuel en rattachant l’homme à l’univers : contrairement au gnosticisme, avec lequel vous confondez manifestement sa position, et qui part effectivement du sentiment d’une rupture de l’âme avec l’univers, donc avec le corps et la sensibilité (ce sera le problème posé par Platon dans le Parménide, problème auquel celui-ci tentera de répondre dans le Timée sans vraiment y parvenir), l’éthique de Plotin ou sa praxis philosophique si vous préférez consiste à annuler toute hétérogénéité dans le « milieu psychologique » de l’âme. Le problème de la « contemplation » chez Plotin peut être formulé de la façon suivante : « ce qui est un et identique peut être partout » (cf. Ennéades, VI, 4) ou encore « dieu est en chacun de nous » (cf. Ennéades, VI, 5). Ce problème porte sur deux thèmes platoniciens : la participation des sensibles à l'intelligible (cf. Parménide, 131a -135b) et la relation entre l'âme et le corps (cf. le Phèdre et le Phédon). Or dans les deux cas, ce qui ne va pas de soi et qui suscite l'objection, c'est de penser positivement le rapport entre deux instances dont on a auparavant accentué la différence. Comment penser une relation là où s'est d'abord instaurée une rupture ? Et second problème : comment lier le thème de la participation du sensible à l'intelligible, problème essentiellement ontologique, et celui de la venue de l'âme dans un corps qui, au fond, appelle une philosophie de la vie ? Pour Plotin, il s'agit de fonder la nécessité de l’union de l’âme et du corps en montrant que le devenir dans un corps ne saurait atteindre l'unité de l'âme et donc sa divinité. Vivre témoigne toujours, même dans le cas d'une plante, d'un rapport privilégié avec le divin. Ainsi, ce qui rend possible la sagesse ici-bas (puisque vous en parlez dans votre message consacré à la « philosophie de l’esprit »), c'est la continuité entre notre vie d'homme ici-bas et l'âme unique qui partage la vie de « là-bas ». Etre sage, c'est savoir se reconnaître comme moi, comme singularité, au sein de cette communauté unifiée qu'est essentiellement le monde des âmes, et non pas comme individualité séparée, isolée, coupée du divin. Cela signifie que la spiritualité s'étend jusqu'à la corporéité, par le biais du concept fondamental de la pensée de Plotin qu'est l'âme, instance de médiation entre l'immuable, l'éternel, l'intelligible, et le devenir, le temporel, le sensible. Bref, on ne trouve aucun moment de rupture dans la cosmologie plotinienne. Le génie de cette philosophie tient justement dans l’effort sans cesse renouvelé pour annuler les ruptures que la discursivité humaine ne peut s'empêcher de poser, discursivité que vous reconduisez vous-mêmes au moment même où vous la condamnez... Vous étiez pourtant sur la bonne voie avec la citation du texte de Deleuze, mais c’était manifestement plus fort que vous, il fallait que vous retombiez dans le dualisme !
 
Le texte des Ennéades répond au premier chef à l'injonction plotinienne de la purification, en invitant sans cesse le lecteur à l'intériorisation du discursif, non à sa condamnation comme vous le suggérez dans le premier paragraphe de votre première partie. A la haine du monde sensible des trois types d’âmes gnostiques : les pneumatiques, les psychiques et les hyliques, Plotin oppose l’édification de l’âme par la doctrine philosophique, ce qui signifie que l’on peut retrouver à l’intérieur d’un rapport à l’autre une parenté qui est universelle. L’âme peut se tourner vers tout ce qui est : éprouver la similitude. Il est possible de faire l’expérience dans l’autre de l’Un. Cela suppose que l’âme ait acquis l’idée dans l’autre de l’Un, qu’elle ait acquis l’idée philosophique que toute chose est une. Plotin s’oppose donc à la fois aux éléates : le destin de l’âme se confond avec la contemplation, c’est-à-dire que l’accomplissement de l’âme passe par la connaissance, et aux gnostique : la destinée de l’âme ne se résout pas forcément par la rationalité. Il faut se rappeler que l’environnement intellectuel de l’époque a subi un profond changement d’échelle : on est passé de la polis au cosmos. D’où l’interrogation de Plotin : comment faire en sorte que l’explication philosophique du monde puisse aider l’âme individuelle ? Et c’est pourquoi la philosophie de Plotin est un mysticisme intellectualiste ou un intellectualisme mystique. Le sort de l’âme doit être compatible avec l’explication du monde. Plotin substitue au dualisme des gnostiques un continuisme. C’est la solution continuiste de l’émanation philosophiquement comprise qui permet de dépasser le discontinuisme des hypostases. Comme l’écrit Puech dans son magnifique ouvrage En quête de la gnose : « la révolte gnostique contre le monde est une révolte contre le monde de la science grecque. » D’où la question de Plotin : comment se fait cette conversion de la dimension du salut ? Comment la conversion a-t-elle une portée philosophique ?
 
Certes, la réponse de Plotin s’inscrit dans un climat de malaise par rapport au corps. Il y a bien chez lui un sentiment d’impureté pour l’âme : Ennéades, I, 8, 14 ; IV, 1, 2 ; IV, 8, 1 ; IV, 8, 3. L’âme éprouve un sentiment d’écartèlement à cause de l’existence d’un « là-bas ». Contrairement à l’interprétation religieuse des gnostiques et contrairement à l’expérience platonicienne mythique du voyage de l’âme, Plotin donne une vision rationnelle de l’univers et ne spatialise pas le parcours de l’âme. La responsabilité de l’âme s'accorde avec la station de l’âme.
 
La hiérarchie des hypostases présente l’ensemble de la réalité : on a affaire à une discontinuité car chaque degré d’être est une décroissance ontologique en même temps qu’une croissance multiple : Un, Intellect, Ame. Mais cette discontinuité est compensée par la logique de la procession. Celle-ci est la combinaison de deux ressorts de sens inverse : Une extériorisation différenciante : « quelque chose » sort de l’Un, et cette extériorisation doit être fondée par un retour vers d’où on procède. Ainsi, l’Un ne se voit qu’en faisant émaner un « truc informe » qui est tension vers l’Un. L’extériorisation se pose comme élément de l’Un. Il faut un mouvement extatique différenciant et un mouvement de conversion déterminant. Dépendance double : comme puissance déterminée, comme existence indéterminée. La discontinuité possède une rationalité sous-jacente. Les trois degrés d’être sont en fait deux ruptures. Chaque rupture est composée par le fait que le sujet s’auto-détermine car il convertit son regard (il se libère). La hiérarchie des hypostases est une discontinuité rationnelle qui passe par une expulsion déterminée et un retour (conversion). L’âme peut redupliquer plusieurs attitudes, c’est-à-dire avoir une attitude correspondante à chacun des degrés. L’âme peut décider de se déterminer selon trois attitudes tout en pouvant cheminer à l’intérieur : auto-différenciation de son niveau de vie. L’âme peut vivre : dans la contemplation de l’Un (c’est le contact originaire avec l’Un), dans la discursivité, c’est-à-dire réfractée dans le discours logique (la pensée se différencie de l’objet pensé d’où la multiplicité des pensables), enfin dans la pluralité spatiale du sensible où elle est la proie des passions. Le salut de l’âme se fait d’abord par le savoir. Il se fait aussi par le choix du savoir véritable. La forme la plus élevée de savoir est la contemplation qui est au-dessus du discursif. Mais la philosophie doit être nécessaire pour aller au-delà du discursif. La philosophie est un savoir qui amène au-delà du savoir, du soi, de la conscience de soi. Dans la contemplation, je ne sais plus qui je suis. La contemplation est la pure vision de l’Un. Il y a aussi le recueillement qui est l’anti-dilatation de l’âme. Celle-ci se concentre sur sa nature individuelle, qui est au fondement de sa nature. L’âme se rétracte vers sa nature essentielle d’âme. C'est un au-delà de la conscience de soi. Cela montre qu’il y a compatibilité entre l’appel au savoir philosophique et la valeur religieuse (dépassement du discursif). Sortir l’âme de la nature philosophique, c’est rendre l’âme à elle-même en éprouvant la finalité de la philosophie. D’où la question : comment le rationalisme peut-il avoir une valeur religieuse ? Comment ce qui a un sens pour l’homme en général peut-il avoir un sens pour mon âme en particulier ? L’appel à l’intériorité passe par l’intériorisation des principes du réel. L’homme doit reproduire en lui leur reconnexion. Plotin est donc assez proche du stoïcisme, car il y a chez lui une rationalité du Monde, un logos qui émane, qui régit le réel. L’attitude exigée est de retrouver la soumission à la rationalité. Chez les Stoïciens, le principe de la sagesse est d’assimiler la rationalité du Monde. Mais : le logos des Stoïciens est matériel (alors que l’Un plotinien est immatériel), et chez les Stoïciens, la structure du réel est horizontale (alors qu’elle est verticale chez Plotin).
 
Ainsi, l’impact de la réponse de Plotin dans le champ de la philosophie est immense ! Tout d’abord, pour Plotin les niveaux de la réalité sont ceux du Vrai Moi. Le salut est en nous (ici et maintenant, dans l’individu que je suis). Mais le salut exige une conversion du regard : au souci du Vrai Moi, d’inspiration socratique, s’ajoute une réforme du Moi, qui est proprement la purification plotinienne. Plotin prône une quête du Moi qui est conquête. J’ai le Vrai Moi en moi caché en dessous de certaines couches. J’ai en moi tous les principes selon lesquels je peux vivre. Il faut donc actualiser le Vrai Moi en le rendant législateur. D’où une quête de l’Absolu Simple qui est une recherche des principes originaires de mon être (cf. Ennéades, V, 3, 17). Nous devons sculpter notre propre statue (être soi, c’est tout un travail : I, 6, 9). Pour cela je dois accéder à la rationalité du monde et situer l’humanité par rapport à la rationalité du monde, situer l’humanité de façon à la faire être. Je rends l’humanité à elle-même en la situant dans la rationalité bien comprise. Travailler à sculpter sa statue, c’est retrouver son identité, c’est donc se sauver. A la différence de Socrate, l’humanité n’est pas par accord spontané des raisons mais est quand il y a conquête du Moi par lui-même. Chez Socrate, l’humanité se fait être dans la rencontre des individus. Chez Plotin, il faut extirper ce par quoi on rencontre les autres. Il s’agit donc de trouver l’humanité et de la faire être en acte dans le monde.
 
D’où surtout le rôle fondamental de la mimesis telle qu’elle s’applique à la fois à la raison de la réalité et aux niveaux de l’âme. Les niveaux du Moi correspondent aux niveaux de la réalité. Toute mimesis est une reduplication différenciante (comme chez Platon). Mais la mimesis traduit la dépendance et cela tient au fait qu’on obtient la différence par émanation auto-déterminante (l’auto-détermination provenant du regard tourné vers le principe). Au niveau de la réalité, il n’y a pas une création mais une procession. Il n’y a donc pas de modèle démiurgique (opposition à Platon) ni de mauvais démiurges (opposition aux gnostiques). La génération du monde n’est pas comprise sur un modèle artisanal. L’Un ne crée pas le monde car il est Un. Il y a l’Un, et rien d’autre qu’une procession qui est la résultante de deux dynamiques : extériorisation de l’indéterminité et auto-détermination par conversion. Au niveau de l’âme individuelle, on retrouve la fonction organisatrice de l’Ame. Celle-ci se démultiplie en s’orientant vers le corps et le sensible. Il faut voir l’Ame comme principe d’animation du vivant. Mais elle a également une fonction de contemplation par laquelle elle se tourne et se rend à sa nature véritable. Or le retrait dans l’intériorité n’est pas le retrait hors de l’extériorité. Il ne faut jamais abandonner la fonction organisatrice de l’Ame chez Plotin. Elle est la dernière hypostase et tient les réalités sensibles. Le corps est dans l’âme, c’est par elle que le corps est. Dans le rapport au corps, à autrui, je ne me livre que pour autant que je vais vers l’originel. Dans l’ascèse, je dois sculpter ma statue, mais cela ne signifie pas l’anéantissement des différences. Ce n’est pas l’expulsion de tous les prolongements du Moi. Il s’agit de comprendre que l’âme est animatrice car elle émane de l’Un. L’âme tient son être de ce vers quoi elle se tourne. Il ne faut pas éradiquer l’extériorité car elle est constitutive mais il faut la convertir (la conversion convertit en être cette extériorité). On peut aller vers l’autre tant qu’il y a reprise de soi. L’ontologie est servie par le mysticisme. C’est la conversion vers l’Un, la dépendance assumée qui est le nerf prédominant de l’ontologie. Tous les êtres ne sont ce qu’ils sont qu’en tant qu’une contemplation est effectuée : à tous les degrés il y a contemplation (cf. III, 8). La « fuite de l’âme » n’est donc pas du tout une invitation de l’âme à sortir du monde. Il ne faut pas extraire le monde mais l’éprouver pour le rendre à son origine. Dans la fuite de l’âme, l’âme doit être extatique, tournée vers l’extérieur à condition de rattacher à l’Un toute extériorité. Il y a donc une double opération à accomplir : comprendre que le multiple est dans l’Un et saisir l’unité dans le multiple. Fraisse développe le thème de la fuite de l’âme dans son ouvrage L’Intériorité sans retrait. Le multiple en soi est respectable car je respecte ce qui a permis qu’il soit. Il n’est respectable qu’à la condition de ne pas être principiel. Pour l’Ame, l’attention à soi, la conversion à soi, passe par le multiple car dans le multiple je dois saisir l’unité indentifiante de ce qui est multiple, mais aussi mon unité au multiple que j’ai déjà unifiée. L’âme s’éprouve donc aussi dans le multiple. Pour lire la réalité, il faut combiner l’Un et le multiple : il faut présenter l’ordre descendant de la hiérarchie des hypostases avec l’ordre ascendant de la conversion. On engendre l’inférieur parce qu’on regarde le supérieur. Il faut donc combiner les deux dimensions de dilatation descendante et de conversion unifiante. Dans la procession, on a une expansion et une concentration. L’âme doit reproduire ce qui anime la hiérarchie des êtres. Les niveaux noétiques de l’âme sont la reproduction des niveaux cosmologiques. L’âme vit en reproduisant les mouvements du réel.
 
Il faudra développer le rapport entre procession et génération...


Message édité par l'Antichrist le 05-05-2008 à 07:05:59
n°14772369
foutre de
Posté le 04-05-2008 à 12:04:33  profilanswer
 

ce que vous dites me rappelle de choses lues dans "Spinoza et le problème de l'expression" où Deleuze est en débat récurrent avec l'émanation plotinienne

 

merci en tout cas

 

cependant vous faîtes reproche de dualisme à rahsaan, mais le dualisme reste la bouée de sauvetage de l'étudiant devant sa copie ; c'est le système même de l'enseignement et de l'évaluation qui fonde cette imprégnation dualiste : il faut montrer qu'on s'y retrouve dans les distinctions ; l'oppositionite artificieuse est la clef de tous les rangements d'où procède le plan de dissert.
caractère probablement inévitable du sujet imposé

Message cité 1 fois
Message édité par foutre de le 04-05-2008 à 12:10:45

---------------
« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
n°14772590
pascal75
Posté le 04-05-2008 à 12:52:35  profilanswer
 

Merci l'antichrist :jap:
J'ai une question à laquelle vous avez déjà répondu en partie et sur laquelle j'aimerais que vous reveniez si vous le voulez bien : la contemplation est-elle pour Plotin de la philosophie ? pour vous ? Autrement dit, le discours philosophique ne sert-il qu'à aller vers un au-delà du discours, qui est chez Plotin un au-dessus du discours ?

Message cité 1 fois
Message édité par pascal75 le 04-05-2008 à 12:57:51

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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°14772759
foutre de
Posté le 04-05-2008 à 13:28:01  profilanswer
 

j'ai senti un peu la même chose : la spécificité du discours philosophique c'est que c'est un discours qui amène au débordement du discours...
étrangement je trouve que ça sent déconstructionniste avant l'heure (et tendanciellement lévinassien... un poil).
ce qui m'étonne, Pascal75, c'est ta restriction de minoration : "le discours philosophique ne sert-il qu'à aller vers un au-delà..."
parce que c'est déjà pas mal un logos qui fonctionne comme porte pour sortir du logos, un disjoncteur interne. ça lui donne la puissance nietzschéenne de ce qui porte en soi sa propre contradiction, ce qui le nie de façon intime, depuis lui-même, comme ce qu'il peut être aussi, à  son propre égard...
ce qui me semble intéressant c'est que le "discours philosophique" ne soit pas "la philosophie", que la philosophie puisse être aussi silence, action, contemplation... peut-être pouvons-nous même considérer que la philosophie serait la porte de sortie incluse, propre à chaque activité


Message édité par foutre de le 04-05-2008 à 13:29:27

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« Une force presque nulle est une force presque infinie dès lors qu'elle est rigoureusement étrangère au système qu'elle met en mouvement »
mood
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Posté le   profilanswer
 

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