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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
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 273 votes
1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
 119 votes
2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
5.9 %
 105 votes
7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
 113 votes
8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
 133 votes
9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
 144 votes
10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°12962293
sylvva
Posté le 13-10-2007 à 17:49:11  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

neojousous a écrit :

C'est fou, pour ta citation j'hésite entre Malebranche et Duhem... ou Pascal ?


 
 
Le mieux serait de consulter  Monsieur Jourdain,  
lui, il sait que c'est du Pascal.    :lol:  

mood
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Posté le 13-10-2007 à 17:49:11  profilanswer
 

n°12962378
rahsaan
Posté le 13-10-2007 à 17:58:55  profilanswer
 

Un ami me conseille un livre qui vient de paraître : La Vocation et le métier de philosophe de Louis Pinto. Ce serait en quelque sorte le livre que Bourdieu aurait pu écrire sur la philosophie en France de nos jours.
 
http://www.editionsduseuil.fr/livr [...] 2020963398


Message édité par rahsaan le 13-10-2007 à 18:01:55

---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°12966858
l'Antichri​st
Posté le 14-10-2007 à 11:13:14  profilanswer
 

sylvva a écrit :

Marre de se payer de mots  (Bachelard )
Marre donc de la bouillie, spécialité de l'école post-moderne !
 
Exemplification d'un véritable Exercice philosophique  
( basé donc sur le jugement critique : crinein, en grec = discerner )
 
Critique de la Lettre à Ménécée
 
Exposition, suivie point par point de Discussion
 
 
 
1. (122) Philosophez à tout âge, cela apporte le bonheur, la santé de l'âme.
 
- affirmation péremptoire, car pas d'argument ni de preuve
   en plus, on ne définit pas ce que c'est que de philosopher  
 
2. (123) Les dieux existent, la preuve en est que nous les connaissons, ils sont immortels  
    et  béats.
 
- affirmation péremptoire : on n'explique pas par quels moyens nous connaissons les dieux  
  et leurs attributs ni ce qui prouve que ce moyen est infaillible
 
3. (124) Dire que le bien et le mal nous viennent des dieux n'est qu'une superstition populaire.
   Car les dieux, en tant qu'immortels et béats, ne connaissent pas le bien et le mal et donc ne  
   peuvent les causer aux mortels. L'intelligence populaire n'est pas capable de se surpasser et  
   ainsi comprendre que c'est dans nos sens que résident le bien et le mal.
 
- les dieux ne connaissent pas de bien et de mal : étant donné qu'on n'a pas prouvé  
  l'existence des dieux, faire des affirmations sur leurs attributs est un non-sens
 
- l'intelligence du peuple (versus celle d'Epicure) est insuffisante : affirmation péremptoire,  
  car pas d'argument ni de preuve
 
-  le fait de sentir le bien et le mal est dû à nos sens, et non pas aux dieux : soit,
   et avec cela, qu'est-ce qu'on a gagné ?
   le fait de savoir que le bien et le mal nous viennent par les sens nous fait-il moins  
   ressentir le mal et ressentir plus le bien ? nous permettre donc le bonheur ?
   
 
  ( à suivre, pour montrer qu'Epicure ne résiste pas à un jugement critique  )


 
Décidemment jeune fille, vous battez tous les records de bêtise ! Une fois de plus (une fois de trop ? Après Michel Henry, Rousseau, Nietzsche, maintenant Epicure...), vous procédez à une mauvaise lecture ! Si j'avais le temps, j'aimerais vous expliquer dans la foulée pourquoi vous vous trompez lourdement sur tous ces auteurs !!! Je n'y renonce cependant pas sur la longueur et garde vos messages tordus en réserve ! En trente ans de carrière je n’ai pas souvent rencontré une telle attitude (peut-être aussi parce que les individus de votre espèce étaient jadis très vite éliminés de la filière pour leur permettre de voguer vers des cieux plus tolérants envers leurs difficultés insurmontables…), et je me demande même si vous ne le faites pas exprès… Avez-vous été à ce point traumatisé par les exigences de la pensée philosophique… ou par certains maîtres…, pour lui vouer une haine si farouche ? C’est peut-être votre parcours personnel, effectivement, qui explique vos simplifications, vos raccourcis mortels... ce qui expliquerait aussi votre attachement à la psychanalyse (j’ai souvent fréquenté des étudiantes qui m’avouaient assez facilement avoir opté pour cette voie afin de se donner une chance de lutter contre leurs propres névroses)... Quoi qu’il en soit, comme pour beaucoup d’étudiants qui ne savent pas lire les auteurs (et qui n'en ont clairement pas l'envie...), vos propos ne sont qu'une caricature "d'analyse" philosophique (je répète une fois de plus que vous êtes incompétente dans ce domaine faute d'une connaissance systématique des philosophies dont vous osez, avec votre arrogance coutumière, faire la critique et deslors vos "critiques" indigentes ne traduisent que les petits délires de votre esprit de contradiction : le logos a "bon dos" lorsqu'il ne sert que de moyen aux débordement du pathos...) : vous vous trouvez exactement dans la situation décrite par Platon dans la République, celle d'une âme libérée de force par l'éducation mais incapable de contempler les êtres réels, dont la luminosité est trop forte, sinon dans des images réfléchies, une âme nullement inspirée et enthousiaste par le délire d'amour mais corrompue par son milieu et par l'injustice de sa propre conduite, une âme dont le trouble ne l'élève pas au-dessus d'elle-même mais l'abaisse au contraire au niveau d’une bête savante tout juste bonne à perdre son temps en de vaines disputes sur des vues fragmentaires, spéciales, abstraites, voire purement symboliques, mais inapte à concevoir une vision d’ensemble.
 
Mais revenons à Epicure ! Ne vous en déplaise, dans la nécessaire pratique philosophique, qui est la philosophie elle-même, le résumé, dont nous avons un exemple avec la lettre à Ménécée, loin d’être confondu avec une "affirmation péremptoire" s’adresse directement à des disciples qui, encore engagés dans les affaires publiques ou leur travail quotidien, ne peuvent consacrer tout leur temps à l’étude. Et de fait, la doctrine d’Epicure est facile à résumer : toute la nature ne consiste qu’en corps et vide. Le tout, illimité, se résout en vide illimité et en corps (insécables, invisibles et mobiles, en nombre illimité) qui se déplacent dans le vide et s’agglutinent pour former des composés (les corps étendus), et des mondes (en nombre illimité) où parfois naissent d’autres assemblages (les corps vivants) parfois dotés d’âme (assemblage d’atomes extrêmement ténus et légers, de quatre natures : le feu, l’air, le souffle, et un quatrième élément sans nom qui est la partie noble et rationnelle de l’âme). Toute cette nature est possible à connaître parfaitement grâce aux sensations, qui sont irréfutables, liées aux notions générales (ou prénotions) qui en dérivent. Ainsi, on peut établir un savoir en joignant aux données de la sensation l’opinion grâce à une série de processus de confirmation de l’opinion par la donnée sensorielle qui reste première.  Cette connaissance parfaite de la nature des choses permet d’éliminer les obstacles au bonheur humain (ce qui est son but : la physique et la canonique n’ont de légitimité que finalisées par l’éthique) : ces obstacles sont la crainte des dieux et de la mort et le dérèglement du désir, qui naissent de l’ignorance. Ignorance triple :
 
1) ignorance de la véritable nature des dieux, qui sont bienheureux et éternels, et pas susceptibles de s’ingérer dans les affaires humaines.
 
2) la connaissance des choses physiques qui sont nées par nécessité physique (atomes/vide) et qui ont tous une (ou plusieurs) explications rationnelles par la(les)quelle(s) ont connaît qu’ils ne proviennent pas d’un décret des dieux.
 
3) ignorance des limites du plaisir et de la souffrance (y compris pour la mort : la physique démontre que l’homme ne peut connaître la mort puisque (a) lorsqu’il sent encore, c’est qu’il n’est pas mort et (b) lorsqu’il est mort, il ne sent plus rien.
 
Une fois acquis ces points et sagement régulés les désirs, l’homme peut atteindre l’absence de trouble (qui est le seul désir louable) et vivre ainsi bienheureux à l’égal des dieux.
 
Ainsi, tous les textes épicuriens appartiennent au même genre philosophique, en définissent le sens : même type de sujet et même type de destinataire :
 
1) il s’agit toujours de discours expliquant la doctrine épicurienne comme un ensemble de vérités achevées, déjà constitué avant son énonciation (ce qui est la définition d’un texte dogmatique).
 
2) il s’agit toujours de discours prononcés par un maître et adressés à un disciple, c’est-à-dire énoncés du point de vue du sage pratiquant déjà la doctrine, s’adressant à un disciple afin qu’il étudie la doctrine et pratique la philosophie (attention cependant à l’exemple particulier du De Natura Rerum dans lequel Lucrèce s’adresse à un disciple mais aussi, comme disciple lui-même converti, à son maître Epicure).
 
3) ces discours prétendent non seulement expliquer mais exhortent aussi le disciple à admettre la vérité et à se convertir (ce sont des textes à effets pratiques, qui doivent être appris, acquis, répétés pour conduire à la vie heureuse : la théorie elle-même, comme pratique discursive, a un effet curatif) : cf. Lettre à Hérodote § 83, Lettre à Pythoclès §§ 85 et 116, Lettre à Ménécée §§ 123 et 135 et Lucrèce De Natura Rerum IV, v. 11 sqq.
 
Quelle est donc la pratique philosophique à laquelle sont destinés ces textes ? La vie au jardin ! Le Jardin, fondé en 306, est une communauté (qui admet des esclaves et des femmes) en retrait de la collectivité (l’idéal, expliqué dans la Lettre à Ménécée, §. 130, est l’autarcie du groupe). Le fondement de la vie commune est l’amitié (alors que l’école pythagoricienne se fondait sur la méfiance). Contrairement à l’école platonicienne, aucune culture préalable n’est requise, aucune érudition, aucune subtilité dialectique (cf. Diogène Vies, X, 5 : "Fuir à voile déployée, camarade, toute culture" et Lactance "tout ce qui a forme humaine doit être éduqué au savoir" ). Il existe simplement une même unité pratique/théorique à tous les niveaux de la doctrine : chaque point de doctrine renvoie en effet à une pratique parce que chaque point est renvoyé à son effectivité pratique (c'est-à-dire éthique).
 
La pratique du Jardin est un art de vivre (cf. Sentences Vaticanes 41 et Sextus AM XI, 169). La philosophie est conçue comme activité : il ne s’agit ni un d’un corpus de doctrines, ni d’un corpus de recettes. Cette définition est assez rare. Chez Aristote, par exemple, la philosophie comme la promenade vaut pour elle-même (acte et non action, c’est-à-dire mouvement qui a sa fin en lui-même) alors qu’Epicure considère le mouvement comme tendant vers une fin : la philosophie ne vaut pas comme exercice pur mais comme chemin vers le bonheur. D’où la distinction des plaisirs en repos (absence de trouble) et des plaisirs en mouvement (vers le bonheur). La philosophie est un plaisir comme mouvement, un effort pour le recouvrement d’un équilibre qui sera lui-même plaisir comme repos équilibré.
 
La classification des désirs est ainsi agencée : les désirs sont naturels ou vains ; les désirs naturels sont naturels seulement ou nécessaires ; les désirs nécessaires le sont au bonheur, au bien-être du corps ou à la vie même. La philosophie est l’objet et l’agent de satisfaction d’un désir nécessaire au bonheur, puisque sa fin est l’ataraxie et l’aponie. La différence est donc à faire entre le disciple, dont le plaisir philosophique est en mouvement, et le maître, dont le plaisir philosophique est en repos.
 
Mais en quoi la philosophie est-elle nécessaire ? Peut-on être heureux sans philosophie ? En droit, oui (les dieux, les animaux), en fait, non. La philosophie ne se définit pas par la recherche de la vérité mais du bonheur, c'est-à-dire du recouvrement par l’âme de ce à quoi elle aspire naturellement : l’équilibre. C’est le fondement de la vocation universaliste de la philosophie épicurienne : tout être vivant aspire au bonheur, donc tout être vivant à droit à l’instrument du bonheur qu’est la philosophie.
 
Le bien naturel est le même pour tous : l’ataraxie (Cf. Diogène d’Oenanda expliquant qu’il a voulu rendre publics les remèdes mis au point par Epicure). La vocation universaliste et la fin de la philosophie son liées. Cicéron (Cf. De Finibus, I, 21-72) compare Platon qui dans la république exige l’apprentissage de la voie du savoir (musique, arithmétique, etc...) à Epicure pour qui au contraire "le seul vrai art qu’il faut poursuivre est l’ars vivendi".
 
Le discours philosophique épicurien est dépendant de la relation maître/disciple qui n’est pas une relation de savant à ignorant, mais de médecin à malade. La philosophie a en effet une vocation thérapeutique (l’éthique épicurienne est une éthique de la guérison).
 
A) Le philosophe-médecin. Il y a opposition entre deux médecines : la vraie, dont la fonction est d’expulser la maladie du corps ; et la fausse qui se contente de discours sur la maladie (philosophie dialecticienne) et de mythes généraux sur le corps. De même, il y a opposition entre la vraie philosophie qui n’a pour but que d’expulser les craintes et les excès en expliquant la nature ; et la fausse qui détourne ce besoin naturel de l’homme en le transformant en besoin d’explication pour l’explication même.
 
Cf. Les différents sens de "vide", mot-clef de la philosophie épicurienne :
 
1) le vide physique, un des deux principes absolument antagonistes de la physique (vide et corps peuvent se définir chacun par l’absence de l’autre).
 
2) en rapport au logos, le flatus vocis , bruit-mot qui ne renvoie à rien d’existant (ce sont les sons vides de la Lettre à Hérodote, §. 37 : chaque mot doit pouvoir être rapporté à une notion de chose, sémantique extentionaliste où la signification est complètement rabattue sur la référence.
 
3) le discours philosophique, qui est vide lorsqu’il est sans effet sur le malade et plein lorsqu’il remplit sa fonction de thérapie (le discours vide est, par exemple, celui qui fournit des explications pour le simple plaisir d’expliquer.
 
4) le désir vide est celui qui n’est pas naturel, désir sans objet réel donc sans terme, qui mime le désir naturel en n’en gardant que le manque, le vide, l’absence (à l’inverse le désir naturel a toujours son terme dans l’objet qu’il vise). Le désir d’immortalité est le désir vain par excellence. La paideia est un désir vain, qui ne soigne rien ni ne comble aucun manque naturel ou nécessaire.
 
La philosophie "fausse" peut donc être dite vide en quatre sens : elle porte sur le vide (elle parle de choses qui ne sont pas) ; elle est insignifiante (ses mots n’ont pas de référence réelle) ; elle est inefficace (elle n’a aucune effectivité thérapeutique) ; elle est illimitée (sans objet).
 
Ainsi, le discours philosophique comme la vertu n’ont de valeur et de sens que par leur utilité, rapportés à la seule fin en soi valable : le bien vivre (ainsi Diogène Laërce, Vies ,X, 138 dit qu’il faut choisir les vertus pour le plaisir comme la médecine pour la santé). Cela se situe aux antipodes d’une morale du désintéressement (la valeur de la vertu est tout son intérêt) ainsi que d’une morale aristotélicienne (Cf. Métaphysique, A, 1 : les plaisirs ne valent que pour eux-mêmes ; et Ethique à Nicomaque : la fin de la vie heureuse est la vie contemplative). Ainsi, la physique ressemble-t-elle à l’éthique : elle ne cherche pas des raisons, ni l’éthique des vertus, parce que cette recherche vaut pour elle-même, mais parce qu’elle est un passage nécessaire vers le bonheur.
 
B) L’homme malade : les symptômes. Le premier symptôme est l’inquiétude, comme impossibilité de satisfaire les désirs (course effrénée vers un objet qui recule, cf. Lucrèce, De Natura Rerum, III, 1052 sqq.). Le "malade" ne manque pas réellement d’un objet, mais c’est le manque lui-même qui suscite son objet. Il y a deux types de désirs vains : ceux qui illimitent un désir naturellement limité (faim, soif, désir sexuel) ; et ceux qui sont naturellement illimités (désir d’immortalité, de puissance, de richesse, toutes choses qui par essence ne sont pas dotées d’un maximum). On ne peut cependant pas parler de désir "non naturel par nature" : même les désirs vains sont dérivés de désir naturels fondamentalement bons (cf. Lucrèce, De Natura Rerum, V, 115 et Maximes Capitales, 15, ainsi que Lettre à Ménécée, §. 130 : le désir de richesse naît du désir naturel de vivre en sécurité, heureux et sans trouble). La perversion d’un désir originellement naturel se note par la transformation d’un moyen en fin.
 
L’inquiétude ne conserve donc du désir que sa négativité (le désir illimité est désir du seul désir qui repousse ainsi l’objet auquel il tend, alors que le désir naturel ne tend que vers son terme et son but, qui est aussi son achèvement). Il n’y a donc que des désirs faux comme perversions de désirs naturels, et d’autre part tout désir tend vers un objet (même le désir illimité ne peut en aucun cas se définir par l’inexistence radicale de son objet). Epicure est fidèle à un modèle aristotélicien du mouvement naturel (qui par essence tend au repos).
 
Cette définition du désir comme mouvement auto-négateur est une constante épicurienne d’origine aristotélicienne qui trouve trois modes d’expression : en physique (le mouvement naturel, par opposition au mouvement forcé, a pour fin le repos puisque le repos est l’état naturel de tous les corps, ou du moins de ceux qui se trouvent dans leur lieu propre) ; en métaphysique (tant qu’une chose contient encore du devenir, c’est qu’elle renferme une puissance qui signale qu’elle n’est pas encore pleinement elle-même) ; en éthique et en politique (nous faisons la guerre en vue de la paix : le désir tend vers sa satisfaction comme vers sa fin, le bonheur est une auto-suffisance comme autarcie).
 
Toute l’éthique d’Epicure est marquée par ce mouvement auto-négateur, qui fonde une opposition entre le plaisir catasthématique, plaisir reconduit en lui-même comme par exemple dans la sensation, désir pur (limité, finalisé) qui est un besoin, c'est-à-dire un manque éprouvé par un corps qui cherche à se maintenir dans l’équilibre, et le désir illimité, dont le schème est le désir d’immortalité, désir d’un futur comme éternellement futur et non comme présent possédé, c'est-à-dire finalement désir du désir lui-même (c’est le mauvais infini, opposé au désir positif d’immortalité du Banquet de Platon où l’être-éternel est un objet désirable).
 
Le deuxième grand type de symptôme de la maladie est la crainte. Il existe trois types de crainte : crainte des dieux, crainte de la mort, crainte de la douleur. Elles sont toutes trois vides, et pourtant elles sont toutes trois fondées sur une évidence réelle, mais à laquelle l’opinion a ajouté une erreur par ignorance.
 
a) La crainte des dieux (cf. Lucrèce, De Natura Rerum, V, 1160 sqq.). Elle a une source réelle et évidente, c’est la vision que l’esprit a des dieux, qui lui fournit une notion générale possédant trois traits : les dieux sont sensibles (comme tout vivant), éternels, et bienheureux (ils dépassent tous les êtres en bonheur (cf. Lettre à Ménécée, §. 123 et Maximes Capitales, 1). La notion renferme effectivement l’essence générale de la chose. Donc : les dieux existent-ils ? Oui : c’est canoniquement fondé dans la sensation. Quels sont-ils ? Ce que notre prénotion nous en dit.
 
Mais les hommes, qui observent aussi la régularité des phénomènes célestes (elle-même fondé dans la sensation), ajoutent des opinions fausses à ces acquis canoniques : des liens de conséquences entre les deux observations, qui impliquent ainsi faussement que les dieux gèrent les phénomènes célestes, dont par ailleurs les hommes ignorent les causes. D’où une crainte infondée qui a pour objet une intervention possible des dieux dans toutes les affaires humaines.
 
Cette crainte est sans objet et trouve sa genèse dans l'ignorance de la nature des choses.
 
C) Les causes de la maladie. L’analyse étiologique révèle deux types de causes : les causes constitutives (ignorance et temporalité) qui appartiennent aux données anthropologiques du problème ; et les causes surajoutées par le malade.
 
a) L’ignorance est la cause de tous les désirs illimités. C’est l’ignorance de ce que nous sommes comme corps vivant, c'est-à-dire un être qui se satisfait de son état d’équilibre vital (le plaisir est maximum lorsque, le désir étant satisfait, commence le plaisir en repos) ; ignorance de la nature du plaisir, qui atteint son maximum quand le désir est satisfait en atteignant l’objet ; ignorance de la nature des vivants immortels bienheureux ou de celle des astres.
 
b) La temporalité : désir et crainte sont notre rapport à l’avenir (ainsi le désir d’immortalité est raport à un temps qui ne sera jamais rien pour nous : un avenir permanent est inconcevable pour nous qui ne sentons qu’au présent ; et la crainte de la mort est de la même façon crainte d’un temps qui ne sera jamais rien pour nous). Désir vide (d’immortalité) et crainte vide (de la mort) sont tous deux rapportés à une temporalité imaginaire : pour l’âme malade, le sens est en un temps futur, alors que pour le sage seul le présent fait sens. Il y a de ce point de vue un point commun avec le stoïcisme : seul le présent est absolument nôtre. Le sage, le dieu et l’enfant, qui vivent tous trois au présent, sont pour l’épicurisme les figures emblématiques de la sagesse, qui de plus ne peuvent se tromper sur la nature du bien ou de la sagesse. L’enfance est le modèle originel de l’humanité : une humanité de laquelle on aurait retiré toute temporalité. De même, les dieux jouissent dans l’instant, un instant reproduit, un présent durable, d’un plaisir en repos, sans désir, c'est-à-dire sans l’asymétrie introduite par le rapport au futur. La situation du sage est la même : ataraxie et aponie sont vécues sans désir et sans crainte dans un nunc stans augustinien qui se reproduit sans cesse identique à lui-même. Le plaisir a donc un rapport au temps qui est dans le repos comblé, l’équilibre, le "silence des organes" : c’est le plaisir en repos sans variation.
 
Les causes adjuvantes de la maladie sont les faux remèdes. En effet, les faux remèdes ajoutent à notre mal, alors que les maux naturels que sont l’ignorance et la temporalité pourraient être facilement comblés par la nature elle-même, qui nous offre toujours plus que ce que nous en faisons. Les faux remèdes sont la paideia et la religion : la première est le faux remède par excellence, c'est-à-dire la mauvaise réponse à une bonne question. Elle est un savoir sans limite, qui ne vise pas la fin de l’ignorance en vue du bonheur, mais le savoir comme sa propre fin (mauvais infini). La religion, principal objet des attaques de Lucrèce, est un faux remède à quoi se réduit souvent le symptôme (cf. avec Festugière la distinction entre la critique de la religion populaire et la critique de la religion savante). La religion populaire est critiquée parce qu’elle est fausse (elle nous donne une fausse explication de la nature et des phénomènes célestes, qu’elle attribue à des mythes, fables divines selon Lucrèce) ; impie (parce qu’elle méconnaît la nature réelle des dieux telle que la prolepse nous la livre : bienheureux en repos perpétuel. Elle ne reconnaît donc pas la divinité du divin, et nous conduit ainsi à accroître nos maux en prêtant faussement aux dieux nos passions et nos caractères : en leur prêtant le désir vain de s’immiscer dans les affaires humaines, la religion populaire dégrade l’essence des dieux) ; criminelle (cf. l’exemple donné par Lucrèce du sacrifice d’Iphigénie) ; et funeste (elle nous empêche d’être heureux parce qu’elle professe une doctrine contraire à la nature des choses, à celle des dieux, et à la nôtre, donc à notre bonheur, ce qui au fond est la seule chose importante que l’on puisse lui reprocher).
 
En prétendant que le désir de connaître les choses dans leur essence est sacrilège, la religion nous pousse à croire que les dieux sont jaloux de leurs secrets et nous fait craindre d’en savoir trop. Lorsqu’elle prétend ainsi expliquer les causes des phénomènes célestes, le remède est pire que le mal, parce qu’on crée ainsi une crainte plus grande encore que celle que génère l’ignorance : on se persuade que les dieux interviennent dans les affaires du monde. On craint ainsi les effets visibles et ce que l’on croit être les causes invisibles (en calmant la crainte de l’ignorance on crée la crainte des dieux).
 
De plus, la religion s’accompagne de désirs vains et vides qui nous éloignent encore de l’ataraxie : désir d’amadouer les dieux par les sacrifices et les prières, remettant ainsi notre bonheur dans les mains des dieux au lieu de nous rendre compte qu’il est dans les nôtres ; crainte des châtiments post-mortem, qui accroît encore la crainte de la mort, et alimente encore le désir vain et vide par excellence (le désir d’immortalité). La religion crée donc de toutes pièces pour notre malheur une fausse image des dieux alors que, sans trouble ni crainte eux-mêmes, ils devraient être notre modèle. Cf. Lettre à Ménécée, § 124 : ce ne sont pas des prénotions mais des présomptions que les assertions de la foule au sujet des dieux. La crainte des dieux n’a d’objet que comme crainte de l’opinion populaire qui crée une crainte et un désir vains : si on ne craint pas les dieux, on n’a pas à les craindre ; si on les craint, on a des raisons de le faire puisque cette crainte est elle-même un mal redoutable (mais c’est le modèle d’une crainte vide qui ne tient aucun compte de l’essence des dieux). Le mécanisme de la crainte des dieux est à rapprocher de celui de la crainte de le mort : toutes deux tirent leur existence de l’illusion de leur existence (si on craint que la mort puisse nous rendre la vie impossible, alors on a raison de la craindre). Cf. Lettre à Ménécée, § 125 : la mort et les dieux ne sont des maux que pour qui les tient pour tels. Ainsi l’opinion qui pose cette crainte ne trouve jamais à s’éprouver comme vaine puisque son existence même lui donne une consistance. Il s’agit de crainte performative, puisque dans le mécanisme de l’illusion tout ce qui arrive la confirme.
 
Mais la religion savante est encore pire que la religion populaire. Dans Lettre à Hérodote, § 76 et 77, Epicure distingue soigneusement les deux cibles. Il faut ici remonter à Platon. Le divin apparaît sous deux formes : le principe absolu, fondement de l’ordre rationnel, immuable et nécessaire, se confondant avec la cause de tous les autres êtres et lui-même au-delà de l’être : ineffable, transcendant à l’ordre de la nature : c’est le divin hypercosmique ; et le divin principe de l’ordre visible du cosmos, cause des réalités visibles immuables, participant de la forme réelle de l’être : c’est le divin cosmique. Tout l’effort, à partir du "sauver les phénomènes" de Platon, est de trouver une cause rationnelle aux mouvements des corps célestes que l’on suppose auto-moteurs (ce qui les rend comparables aux âmes). Ainsi, à l’intersection des exigences de l’âme religieuse et de la rationalité scientifique, naît la religion savante qui fait des astres notre parenté en âme, d’où nous venons et où nous retournons, d’où l’on tire comme conséquence la détermination d’un intellect cosmique réglant les mouvements du ciel et des astres (cf. Aristote, De Caelo, II, 289a sqq., et Platon, Phèdre, 246c).
 
La détermination du divin est alors dés-anthropologisée : échappant aux caprices, aux désirs, aux passions, les dieux commes intellects purs et volontés pures soutiennent l’ordre du monde. Leur volonté relève d’une nécessité absolue (cf. Timée, 47c : les mouvements sont divins parce qu’ils ne connaissent aucun trouble). Cette volonté nécessaire apparaît sous deux formes : chez Platon et Aristote, elle se confond avec la rationalité mathématique. Le cosmos rationnellement organisé est rationnellement connaissable, et la sagesse humaine tend à s’identifier avec cet ordre rationnel. Cette nécessité ne commande pas le monde, mais tout être dans le monde tend à se conformer à cette perfection, c'est-à-dire à se diviniser dans la mesure de ses moyens. Chez les stoïciens, cette nécessité est celle qui gouverne le monde de toute éternité. Il existe quelque chose comme une Providence ou un destin, qui dirige le monde comme les dieux homériques, mais de façon nécessaire et inflexible. Pour Epicure, ce sont deux maux qui s’ajoutent : les caprices anthropomorphes des dieux populaires sont devenus nécessité.
 
Si le destin est invincible, il n’y a plus de bonheur possible, les intercessions sont inutiles, on sombre dans le fatalisme. La conjonction de la volonté libre et de la nécessité est terrible, parce qu’elle ne laisse rien espérer : même la mort ne nous délivrera pas, puisque l’âme est éternelle comme les astres. Ainsi on peut classer les dieux :
 
- Dieux populaires : leur volonté libre est troublée, passionnée, capricieuse : ils commandent le monde selon leur bon plaisir.
- Dieux astraux : (les pires) leur volonté libre que rien ne trouble commande le monde avec une nécessité inflexible.
- Dieux épicuriens : leur volonté libre et sans trouble ne commande pas le monde, ce qui est une conséquence nécessaire de leur essence (c’est la vraie théologie, qui reprend les définitions traditionnelles et en tire les conséquences).
 
D) Les remèdes. Selon l’analogie philosophie/médecine, il faut adapter le remède au malade. Il existe donc trois types de remèdes : les traitements d’urgence, qui s’attaquent aux symptômes ; les traitements étiologiques, qui extirpent le mal ; et les traitements hygiéniques, qui cultivent le repos sans trouble.
 
1) Le traitement symptomatologique : le tetrapharmakos.Sa formulation la plus ramassée est dans les papyrii d’Herculanum (rouleau 1005, col. IV, lignes 10-14) : les dieux ne sont pas à craindre ; la mort est insensible ; le bien est facile à atteindre ; la douleur n’a rien de terrible. Sa formule développée est dans les Maximes Capitales 1 à 4, où chaque principe est suivi de sa justification théorique. La Lettre à Ménécée est entièrement construite sur le plan du tetrapharmakos, qui cette fois comprend en plus de sa justification une mise en perspective qui le lie au reste de la doctrine éthique.
 
Le premier mode d’administration est la mise en mémoire : contrairement à la paideia qui suppose un apprentissage, le tetrapharmakos se suffit, il contient en germe sa propre sagesse et se répand progressivement en s’agrégeant des éléments nouveaux. Si les papyrii ne visent que le remède d’urgence, les Maximes Capitales cherchent en plus à combattre les opinions fausses : elles combattent donc en forme condensée les passions sur leur propre terrain, parce qu’elles sont comme elles irrationnelles, disjointes, impératives. Elles contiennent le résultat d’un raisonnement qu’elles n’exposent cependant pas, se contentant d’opposer leur plénitude de sens au vide des opinions fausses. La Lettre à Ménécée se charge enfin d’exposer le raisonnement qui conduit à ces formulations, c'est-à-dire qui plonge dans les fondements canoniques de l’éthique. On pourrait donc établir une comparaison terme à terme entre les trois niveaux de formulation (Papyrii ; Maximes Capitales 1 à 4 ; Lettre à Ménécée, § 123-124).
 
Si la Lettre à Ménécée va plus loin dans la recherche des fondements du côté de la canonique (distinction opinion vraie/opinion fausse), les Maximes Capitales se placent plus spontanément sur le terrain de l’expérience vécue par le sujet, encore près de la crainte (alors qu’aucune crainte réelle n’apparaît plus dans la Lettre à Ménécée). On passe d’un ordre pratique à un ordre théorique.
 
Il faut donc assimiler le tetrapharmakos, le faire sien : comme l’âme est composée d’atomes, les images peuvent appartenir à ma propre substance, par le truchement de la mémoire. Le remède consiste à garder en mémoire la prénotion des dieux ou de la mort, laquelle est contradictoire avec la crainte qu’on en a : le remède fonctionne par élimination de contradictoire, la contradictoire restante étant l’évidente. Une fois que l’on a logiquement démontré l’évidence des assertions du tetrapharmakos, les craintes tombent d’elles-mêmes par anéantissement du contact qu’elles avaient avec nous : la mort et les dieux s’éloignent (philosophie opératoire dans la pratique). Dans la prénotion les objets craints sont ainsi mis à distance, éloignés de nous. Même chose pour l’illimité auquel on met une limite. Il ne s’agit pas de nier le mal mais, en se fondant sur la réalité de la crainte et de la douleur, de trouver l’état d’équilibre qui n’a besoin que du discours physique.
 
2) La connaissance de la nature des choses. Cf. Maximes Capitales, 11 et 12. La cause principale du mal étant le désir de comprendre joint à l’ignorance, le remède est la connaissance (traitement du mal par sa cause). Le disours physique est un remède global contre les quatre maux initiaux (Maximes Capitales, 11) qui sont présentés comme les quatre symptômes d’un même mal. Il ne s’agit pas seulement de connaître pour le plaisir de connaître mais parce que la connaissance des causes dissipe les maux et sert en même temps d’antidote aux faux remèdes.
 
3) L’adaptation des remèdes au malade. Les remèdes sont adaptés à chaque étape de la guérison : tetrapharmakos, puis Maximes Capitales, puis le raisonnement éthique de la Lettre à Ménécée, puis enfin la connaissance de la nature des choses. Cette progressivité est aussi celle de la connaissance elle-même (le propos même des lettres est de rassembler les points principaux de la doctrine pour ceux qui abordent seulement l’étude ou qui n’ont pas le temps de s’y consacrer et qui doivent "entretenir" leur guérison). On fournit ainsi au malade un typos, un schéma général où interpréter chaque point particulier au vu de l’ensemble. La thérapie éthique est fondée sur l’acquisition d’un habitus intellectuel (méditation et assimilation sont les fondements de la guérison). La doctrine est toujours résumable en schème ou en maxime lapidaire à son tour dilatable en considérations générales et fouillées.
 
Bref, je m'arrête là dans l'explication de la lettre de l'épicurisme pour revenir plus largement sur la notion de superstition dont Epicure a fait son cheval de bataille. D'autres après lui feront de même. Il s'agira par exemple de critiquer le cléricalisme. Mais problème de cette critique : elle ne porte que sur l'un des trois éléments constitutifs de la religion (on critique ici l’affrontement des religieux, la domination, le côté ridicule du culte…).
 
Les grandes religions révélées présentent Dieu comme un être personnel, doués des mêmes facultés que l’homme : volonté, entendement, imagination… Que fait Dieu ? Il produit un univers réglé et régi par des lois dont il est l’ordonnateur, à la manière d’un roi qui promulgue ses décrets (le viol d’un décret se nomme un miracle). Dieu organise la finalité de l’univers. On a ici l’image d’un Dieu-roi auquel s’ajoute le fatras des superstitions ordinaires. Dieu a dans cette optique des passions : colère, haine, rancune, jalousie, vengeance… On trouve cette position chez Diderot : "Oui, je le soutiens, la superstition est plus injurieuse à Dieu que l’athéisme." (cf. Pensées philosophiques, XII).
 
Spinoza critique ce Dieu personnel des curés, des philosophes et des théologiens. Ce Dieu est une représentation anthropomorphique. Ce n’est pas Dieu qui a fait l’homme à son image, mais c’est l’homme qui a imaginé un Dieu qui lui ressemble. Comme l’écrit Xénophane de Colophon, "si les bœufs, les chevaux et les lions avaient des mains et pouvaient, avec leurs mains, peindre et produire des œuvres, les chevaux peindraient des dieux pareils à des bœufs, bref des images analogues à celles de toutes les espèces animales." De ce point de vue, la religion est une illusion trompeuse. Pour Spinoza, Dieu c’est la nature (deus sive natura) et cela a des implications importantes : Dieu n’est pas une personne (il n’a pas de volonté et pas d’entendement) ; Dieu est une puissance, une force (et non une autorité qui s’impose) ; Dieu est immanent : la nature. Il n’y a donc pas de transcendance, donc pas d’au-delà du réel qui ferait que le réel est relatif.
 
Qu’est-ce que la religion des curés, alors ? La religion pose un dieu supérieur à l’homme, un dieu à craindre : les religieux mènent donc le monde par la crainte et par la superstition qui conduit la foule. A partir d’une vision fausse de Dieu, la religion est un instrument pour contrôler les masses.
 
C’est cet aspect que nous retrouvons dans la distinction posée par Bergson dans son ouvrage Les deux sources de la morale et de la religion entre la religion statique et la religion dynamique.
 
La religion statique permet d’assurer la conservation sociale : les tabous et interdits religieux sont avantageux à la société et à l’espèce. L’existence en l’homme d’une "fonction fabulatrice" est destinée à corriger, par ses fictions, les effets socialement dissolvants de l’intelligence. L’intelligence, en effet, conseillerait d’abord à l’homme l’égoïsme. La fonction fabulatrice servirait à parer à ce danger. En soutenant, par des interdits et des prescriptions sacrés, les coutumes, les règles de la vie sociale, la religion primitive sauverait la société hors de laquelle il n’est pas d’humanité. La fonction fabulatrice apaiserait aussi l’angoisse que suscitent nécessairement chez l’individu, conscience et intelligence, qui sont "mémoire et anticipation", c’est-à-dire souci de vivre. Assurance contre la désorganisation, la religion statique permet donc de se prémunir contre l’angoisse de mort. Si les animaux ne savent pas qu’ils doivent mourir, l’homme, lui, sait qu’il est destiné à disparaître. D’où l’image, que va nous fournir la religion, d’une continuation de la vie après la mort. C’est, en troisième lieu, une assurance contre l’imprévisibilité que nous fournit la religion. En effet, l’application de l’intelligence à la vie introduit le sentiment du risque. Si l’animal est sûr de lui-même, si rien ne s’interpose chez lui entre le but et l’acte, l’intelligence connaît une marge d’imprévu, puisqu’elle combine des moyens en vue d’une fin parfois lointaine. Avec les rites religieux, l’imprévisibilité tend à s’amenuiser et à perdre du terrain. Ainsi se dévoile la fonction générale de la religion statique : "C’est une réaction défensive de la nature contre ce qu’il pourrait y avoir de déprimant pour l’individu, et de dissolvant pour la société, dans l’exercice de l’intelligence."
 
Si la religion statique a une fonction essentiellement sociale, la religion dynamique, celle des mystiques, transporte l’âme sur un tout autre plan, celui de l’amour. Aussi la religion dynamique se propage-t-elle par attirance amoureuse. Ainsi se forme le cortège des mystiques : adeptes des mystères d’Isis et d’Osiris, disciples de Dionysos, initiés de l’orphisme, disciples de Pythagore, contemplatifs de l’Inde, etc... Mais le mysticisme complet, prise de contact totale et coïncidence absolue avec la divinité, semble être l’apport de la mystique chrétienne, continuatrice des prophètes d’Israël. Ces explorateurs d’une terre inconnue ne nous apportent-ils pas l’espérance fondée ? A la religion statique, conçue comme principe de cohésion sociale, s’oppose la religion dynamique, dont l’amour est le principe. Dieu apparaît à l’âme mystique comme une Présence et une Illumination : "Ebranlée dans ses profondeurs par le courant qui l’entraînera, l’âme cesse de tourner sur elle-même, échappant un instant à la loi qui veut que l’espèce et l’individu se conditionnent l’un l’autre, circulairement. Elle s’arrête, comme si elle écoutait une voix qui l’appelle. Puis elle se laisse porter, droit en avant. Elle ne perçoit pas directement la force qui la meut, mais elle en sent l’indéfinissable présence, ou la devine à travers une vision symbolique. Vient alors une immensité de joie, extase où elle s’absorbe, ravissement qu’elle subit : Dieu est là, et elle est en lui." C’est par cette voie que sont nées toutes les grandes religions, qui apparaissent ainsi aux hommes comme des vérités révélées. La religion dynamique naît de la mystique et conduit aux religions révélées, qui se fondent sur la révélation d’un message divin (cf. le message du Christ).
 
Dans cette perspective le lien entre le matérialisme et l'athéisme est patent chez Epicure : nous n’avons rien à craindre des Dieux. Ils sont matériels car il n’y a rien d’autre dans l’univers que des atomes et du vide. S’il y a des dieux, ils sont de nature matérielle, énoncé qui ruine définitivement toute croyance en l’existence d’êtres surnaturels. Adieu, anges, démons, esprits, revenants et divinités de toute texture ! Le premier matérialisme, celui d’Epicure, ne se déclare donc pas explicitement athée ; mais définir les dieux par leur nature matérielle revient à affirmer que ce que le langage ordinaire appelle dieux n’existe pas. Le matérialisme d’Epicure est un athéisme implicite. Les Dieux existent donc mais ne s’occupent pas de nous, les hommes. Les dieux sont insouciants des hommes. Les dieux sont dans la béatitude. D’où une conception de l’impiété : l’impie n’est pas celui qui nie les dieux de la foule, mais celui qui applique aux dieux les opinions de la foule. S’il y a dans le monde quelque dieu qui le régit, le gouverne, conserve le cours des astres, les changements de saisons, veillant sur les vies et les besoins des hommes, assurément celui-là est embarrassé d’affaires préoccupantes et laborieuses ! Or, nous plaçons la vie bienheureuse dans la tranquillité de l’esprit et l’absence de toutes charges. Les Dieux sont des modèles pour nous.
 
Ainsi, contrairement à ce qui est souvent affirmé péremptoirement, notre société ne ressemble pas du tout à une société matérialiste héritée du matérialisme d’Epicure. Elle cultive une adoration sans bornes pour les biens de consommation. Les logos et les marques comblent le vide laissé par la mort de Dieu. Cela n’a rien à voir avec le matérialisme, qui est une doctrine qui affirme la liberté et nous délivre des attachements douteux. Dans ce geste de détachement gît la grande leçon d’Epicure, le père de tous les matérialismes. Le goût de notre époque pour le clinquant et l’éphémère prouve que le matérialisme n’a pas triomphé. Mais alors qu’est-ce que le matérialisme, si étranger à notre société ? N’offre-t-il pas une issue pour s’extirper des maux dont souffre l’humanité ? Ne faut-il pas redécouvrir Epicure ?
 
Athéisme et matérialisme sont en fait frères jumeaux, naissant d’un même refus, d’une même insurrection de l’esprit - vivre debout, dans la fierté d’être un homme. L’athéisme n’a rien de spontané. L’être humain est d’abord croyant, ou du moins crédule, l’imagination, faculté qui le détache des autres animaux, lui montrant des forces occultes et des dieux partout. Le plus grand des philosophes anglais, le matérialiste Thomas Hobbes (1588-1679), renverse, dans son Léviathan, le caractère inné de la raison : "La raison ne naît pas avec nous... on l’atteint par industrie." Or, dans l’histoire de l’espèce humaine, l’imagination, fabricatrice de dieux, précède la raison, dont le matérialisme et l’athéisme sont des résultats. A l’image de la liberté, l’athéisme est donc le fruit d’un travail, il représente un arrachement. Sommes-nous, hommes et femmes de l’Occident prospère, athées ? La désertion relative des cultes et la liberté des moeurs ne prouvent rien. La situation sociologique de notre époque, pointée par Nietzsche comme celle de la "mort de Dieu", n’est donc pas un athéisme ; c’est une indifférence, qui a fait glisser la crédulité vers d’autres objets (ceux de la consommation), et qui n’exclut pas un retour des formes anciennes de la religion. Certains hommes politiques continuent de présenter la religion comme une consolation devant les duretés de l’existence. La croyance en un au-delà ne sert-elle pas, dans ce cas de figure, à plier sans broncher devant les ravages de l’ultracapitalisme ?
 
L’athéisme vrai ne doit pas être confondu avec l’indifférence à Dieu, si fréquente dans les sociétés développées, qui s’accommodent de la paresse intellectuelle. Ce n’est pas seulement un point de vue philosophique. L’athéisme entraîne une conséquence politique aujourd’hui menacée : le bonheur comme but de la société. Mais le bonheur est conditionné par le développement de la réflexion philosophique. Pourquoi philosopher ? Pourquoi vivre et penser en matérialiste ? Pour être heureux. Non pour sauver son âme dans un au-delà illusoire, ni pour apporter ses lumières à la cité, à la façon d’un philosophe platonicien retournant dans la caverne. On n’atteint le bonheur qu’après avoir chassé les illusions : illusions sur les dieux, sur la nature, sur la mort. Contrairement à ce que croient les autruches qui veulent détourner les yeux de la mortelle condition humaine, l’incompatibilité est radicale entre le bonheur et l’illusion. Le bonheur ne s’offre qu’aux yeux ouverts. D'où la philosophie et son sens, expliqué plus haut...


Message édité par l'Antichrist le 16-10-2007 à 08:28:21
n°12967008
rahsaan
Posté le 14-10-2007 à 11:48:50  profilanswer
 

Merci pour cet excellent cours sur Epicure. :)


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°12967135
rahsaan
Posté le 14-10-2007 à 12:18:45  profilanswer
 

Pour continuer dans la même thématique, voici un petit sujet sur le bonheur, traité dans les grandes lignes, selon le schéma de la dissertation. ;)
 
 
Ne peut-on que désirer être heureux ?
 
 
INTRODUCTION : Que peut-on désirer, raisonnablement, dans la vie, sinon d'être heureux ? Tout le monde recherche le bonheur, par les moyens les plus variés, mais tout le monde s'accorde à dire que le bonheur est la plus belle chose que l'on puisse désirer. Bien sûr, "tant qu'on a la santé", tout va bien. Mais une vie en bonne santé, mais sans plaisir, qui en voudrait ? Ainsi, même la santé est une condition du bonheur.  
Pourtant, nous ne sommes jamais assurés du bonheur. Il arrive que ce soit seulement après coup que nous réalisions que nous étions heureux (lorsque nous vivons une période difficile), ou encore que nous ne sachions pas comment retenir ce bonheur qui nous arrive, et qui nous coule entre les doigts, et annonce déjà sa fin. En sorte que nul ne sait s'il est heureux, avant la fin de sa vie. cf. Sophocle : pour savoir si un homme a été heureux dans sa vie, il faut attendre qu'il soit mort. Mais il ne peut plus alors nous le dire.  
On ne peut que désirer être heureux, car personne ne veut son malheur. Mais n'y a-t-il pas une tyrannie du bonheur, qui risque de nous rendre malheureux en nous forçant à chercher un état que nous n'atteignons peut-être jamais ? Personne ne peut être contraint à devenir heureux, mais on ne voit pas non plus ce que l'on pourrait désirer d'autre dans la vie.  
Ne peut-on que désirer être heureux ?
 
 
1) On ne peut pas désirer autre chose qu'être heureux. Il est absurde de désirer son malheur.
a) Le bonheur est l'état de plénitude de la vie, la fin de la vie humaine, car toute chose est en vue d'un bien --> eudémonisme d'Aristote. La vie heureuse est la vie raisonnable, contemplative.
b) Tout le monde veut être heureux, quelle que soit la chose qu'il désire. Derrière tout désir particulier, il y a le désir universel du bonheur lui-même. Donc, fondamentalement, le désir est en vue du bonheur. Quand bien  même, dans les faits, on ne parviendrait pas à être heureux. Ou quand bien même on semblerait ne chercher que son malheur. Pascal --> tout le monde recherche le bonheur, y compris celui qui va se pendre. Celui qui se suicide estime encore que mourir est la meilleure chose pour lui.  

Conclusion :
le bonheur est la seule chose que l'on désire, universellement et inconditionnellement. Le désir recherche le bonheur. En ce sens, le désir vise une plénitude.  
 
 
2) Mais parvient-on jamais à être heureux ? Qui peut se dire véritablement heureux ? Le bonheur est peut-être un désir qui ne s'accomplit jamais.
a) Shakespeare, Le marchand de Venise : "peut-être n'y a-t-il de bonheur que médiocre ?" Critique de la médiocrité du bonheur. cf. Flaubert. Le bonheur est un idéal bourgeois. Il est plat, commun, dépourvu de grandeur. N'avons-nous pas mieux à désirer dans la vie que cet état de grosse satisfaction un peu bête ?...  
b) Si le désir vise le bonheur, le désir devrait cesser lorsqu'il atteint le bonheur. Mais cela ne se produit jamais. Le désir humain est insatiable. cf. Schopenhauer, Le Monde... §27 : le désir humain balance sans cesse de la souffrance à l'ennui. Souffrance quand le désir cherche son objet, dont le manque le fait souffrir ; ennui quand il obtient ce qu'il veut, et que, rassasié, il n'a plus rien à désirer.  
Le désir, en tant qu'il désire ce qu'il n'a pas, est marqué par le manque. Comment pourrait-il atteindre le bonheur, qui est plénitude ? En réalité, il n'obtient que des satisfactions provisoires, qui le comblent un moment, avant que le besoin ne le domine à nouveau. N'avoir rien à désirer est en ce sens non le bonheur, mais une souffrance accrue.  
c) Critique du bonheur. Qui peut jamais définir ce qu'est le bonheur ? Il est relatif aux critères de chacun. L'un estimera qu'être heureux, c'est être riche. Ou en bonne santé. Ou d'être célèbre... Le bonheur est donc bien un idéal de l'imagination. cf. Kant. Le désir humain a peut-être une visée plus haute, qui dépasse la satisfaction de tendances (dites "pathologiques" par Kant). Le désir d'agir moralement, selon ce que la raison exige de moi, me constitue comme universel, mais ne m'assure pas du bonheur. Si je dois agir pour aider quelqu'un, je dois le faire quoi qu'il m'en coûte, et indépendamment de la satisfaction que ce geste me procure.  
 
Conclusion : Le bonheur est peut-être un objet des plus illusoires, un objet de désir par excellence, c'est à dire un objet aussi fortement désiré qu'indéfinissable. La recherche du bonheur risque surtout de nous abêtit, de nous faire souffrir, de nous détourner d'agir pour autrui. Le bonheur n'est pas un objet, et lorsque le désir le recherche, il nous conduit plutôt au malheur.
 
3) Désirer être heureux, ce n'est pas désirer obtenir un état comme on désire un objet. Le bonheur n'est pas un objet, mais la plénitude du désir.
a) Nous avons supposé jusqu'ici que le désir visait le bonheur, comme si le bonheur était un objet, comme une voiture, la richesse, une femme... Dans ce cas, le désir manque à son objet (qu'il veut pourtant sans cesse) et, ne l'obtenant jamais, il nous rend immanquablement malheureux. Mais le bonheur ne se réduit pas à la satisfaction d'avoir obtenu ce qu'on voulait. Le bonheur n'est pas, à proprement parler, un besoin. On peut dire, en effet, que l'homme a besoin d'être heureux dans la vie. Mais il est plus juste de dire que le bonheur est justement la cessation du besoin. cf. l'ascèse chez Epicure, qui vise justement à s'en tenir aux plaisirs naturels et nécessaires, donc à nous délivrer de la dépendance aux plaisirs. Le bonheur est la liberté du désir, qui sait ne pas s'attacher aux choses.
b) On dit souvent que tout le plaisir est dans l'attente de l'objet désiré. cf. les cadeaux de Noël : on est un peu déçu au moment de les ouvrir, alors qu'auparavant, on pouvait librement fantasmer sur cet objet caché dans l'emballage. Mais la possession de l'objet volatilise le fantasme. Il est donc faux de distinguer le désir d'être heureux du bonheur lui-même. cf. Rousseau, Rêveries... V et cette ascèse de Jean-Jacques pour trouver la plénitude de la vie dans la nature, en rusant avec le besoin pour le fuir et goûter enfin le rythme de l'eau et de sa vie...
c) On peut donc reprendre deux paradoxes sur le bonheur, dégagés par Alain (cf. Propos sur le bonheur). 1) D'une part, pour désirer être heureux, il faut déjà l'être. Il n'y a qu'un être entièrement malheureux qui ne chercherait même plus le bonheur. Mais est-ce seulement possible ? Et ne serait-ce pas encore une façon rusée de chercher le bonheur ?... 2) Ce n'est pas en cherchant le bonheur qu'on le trouvera. Car le bonheur n'est pas un objet. Donc il y a deux façons de rater son bonheur : c'est de le chercher (car alors c'est qu'il nous manque et c'est une pensée triste) et c'est de ne pas le chercher (car le bonheur n'est, en somme, rien d'autre que la recherche du bonheur).  
 
Conclusion : Le désir n'est pas, en son fond, désir d'un objet, mais puissance d'exister. Le désir ne manque de rien. Parvenir à être heureux, c'est justement parvenir à soustraire le désir au besoin.  
 
 
CONCLUSION : D'une part, en droit, on ne peut que désirer être heureux. Mais rien ne nous assure que, en fait, nous puissions vraiment l'être. Il est nécessaire de chercher le bonheur pour le trouver, car, à la limite, le bonheur est la recherche elle-même. Mais cela ne suffit pas, car le bonheur semble un don qui nous est accordé, une grâce qui nous parvient au moment où nous ne nous y attendons pas. Il est éphémère, étonnant, magique. Dans le bonheur, le désir s'efforce donc de désirer tout en acceptant de renoncer à lui-même. "Il est très difficile de trouver le bonheur en soi-même, et impossible de le découvrir ailleurs" (Chamfort).


Message édité par rahsaan le 14-10-2007 à 13:29:05

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n°12967491
l'Antichri​st
Posté le 14-10-2007 à 13:44:19  profilanswer
 

Sur la lancée, et je ne sais pourquoi (vraiment je me le demande encore...), j'aimerai vous soumettre cette réflexion sur la question de l'identité. La forme sera, comme il se doit, celle de la dissertation, niveau terminale.
 
Introduction :
 
De quelqu’un en colère, on peut dire qu’il est « hors de lui ». Cette expression si courante suppose pourtant quelque chose de fort problématique : la possibilité de sortir de soi, de s’échapper, de s’absenter de soi-même. Mais comment pourrais-je être en même temps moi-même et quelqu’un d’autre ? Par définition, aucune chose ni aucun être, vivant ou inerte, ne peut être ontologiquement autre chose que lui-même. Si nous utilisons cette expression : « je n’étais plus moi-même… » (j’avais trop bu, j’étais furieux…), c’est qu’on cherche en fait à signifier le manque de maîtrise de soi : nos émotions, nos passions, nos désirs auraient le formidable pouvoir de nous déposséder de nous-mêmes. De plus, l’homme est un être social qui subit l’influence des autres, ce qui peut le mener au conformisme. Être soi-même, c’est être le sujet de ses pensées et actions et non en train d’imiter autrui. Ainsi, si mon identité est posée de l’extérieur par un ensemble de déterminations sociales, peut-on réussir à être authentiquement soi ? Ma véritable identité n’est-elle pas toujours socialement aliénée ?
 
Mais peut-on admettre une telle opinion ? N’y a-t-il pas contradiction à penser que notre sensibilité ou nos conditions sociales d’existence nous rendraient extérieurs à nous-mêmes ? Dans tous les cas, c’est notre personne qui agit ou subit, qui vit. Nous sommes d’ailleurs d’autant plus nous-mêmes que nous sommes présents à nous-mêmes par la conscience. Seul un sujet pensant, conscient d’être, présent à lui-même, élabore l’idée du « soi-même » par laquelle il cherche à se définir, à faire apparaître ce qu’il est. Or la conscience de nos actes ne nous échappe aucunement y compris dans la colère, l’amour ou la haine. A partir de là est-il vraiment pensable que nous puissions ne pas être nous-mêmes ? Si tant est que nous admettions cette possibilité, n’est-elle pas moralement dangereuse et illégitime puisqu’elle tolère l’idée qu’au nom de cette absence à soi-même, nous puissions faire tout et n’importe quoi ?
 
Mais, au-delà du problème de la connaissance de soi, ce qui fait notre identité, n’est-ce pas justement notre incapacité à nous définir ? Ne sommes-nous pas au fond liberté absolue, c’est-à-dire une existence irréductible à toute essence ? Parce que nous n’avons pas d’intériorité nous nous en donnons une à travers nos projets dans le monde, au risque de nous perdre (la mauvaise foi chez Sartre). Ontologiquement parlant, ne suis-je pas toujours autre que moi-même, projection d’un « moi » toujours en devenir (Sartre) ? Notre identité n’est-elle pas une construction toujours inachevée ?
 
1) Analyse de l’expression « ne pas être soi-même » : conscience de soi et maîtrise de soi :
 
L’homme est le seul animal qui dispose d’une conscience réflexive, c’est à dire qui est capable de se penser lui-même et de se vivre dans la singularité : dire « je suis moi-même », c’est dire « je ne suis pas un autre et j’assume la responsabilité de mon originalité ». Il semble donc y avoir dans la formulation même de la question une contradiction ou du moins un paradoxe : je ne peux à l’évidence être en même temps moi-même et une autre personne, différente de moi-même ! Je ne peux être autre que moi-même, c’est une question de bon sens ! On peut donc penser que normalement, nous sommes nous-mêmes : nous sommes la même chose que le « soi-même », que ce dont nous avons conscience d’être ; nous sommes un être identique à soi-même, nous sommes une seule et même personne.
 
L’identité personnelle est en effet une donnée permanente, substantielle : « Je suis moi ». Ainsi, en tant que créature raisonnable, je me différencie des choses, je suis une personne possédant une valeur absolue, une dignité et ayant droit au respect. Rien ni personne ne peut m’ôter une telle dignité, me traiter comme un simple moyen au service de ses besoins, de ses désirs : je n’ai pas de prix. Le droit au respect est un bien inaliénable, intemporel, universel (cf. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs). Ma raison, inscrite en moi dès la naissance, me confère en outre le pouvoir de distinguer le vrai du faux, le bien du mal. Elle me définit en tant que sujet logique (fondement de la connaissance) et sujet moral (fondement des valeurs). De plus, quelle que soit la diversité, la multiplicité des états que je traverse, des changements qui surviennent dans mon existence, je reste le même car aucun de ces états ou changements n’échappe à ma conscience. Comme sujet, je possède en moi une certaine unité et permanence qui se maintient à travers les modifications de mon existence. Je suis une substance pensante affirmait Descartes, c’est-à-dire que quelles que soient les modalités particulières de mes jugements, opinions, sentiments..., j’en ai immédiatement conscience, c’est moi qui les pense. Ma pensée se définissant intégralement par la conscience, rien ne peut échapper à sa vigilance, à son attention. Le moi est donc le support permanent, le sujet de tous mes états, de toutes mes représentations, de tous mes sentiments, etc…. (cf. Descartes, Discours de la méthode).
 
Pourtant « être hors de soi » dans la colère, « être fou d’amour », « être transporté par un sentiment, une émotion », sont autant d’expressions qui semblent témoigner de la possibilité de sortir de soi. L’un des principaux facteurs de cet état réside dans la sensibilité. Comme si le fait d’être sensible nous soumettait à autre chose que nous-mêmes. Comme si par la sensibilité « je » devenait « un autre » comme dit Rimbaud. C’est qu’il y a de la passivité dans la passion. Les passions sont la cause la plus manifeste de la perte d’identité. Lorsque l’émotion nous submerge, l’on peut ne pas se reconnaître et affirmer après coup, lorsque nous avons retrouvé nos esprits ou plutôt la maîtrise de nous-mêmes, que nous n’étions plus nous-mêmes. Nous avons alors l’impression d’avoir été dépossédé de nous-mêmes, de n’avoir pas eu, pendant un instant, le contrôle de nous-mêmes, mais d’avoir été agi. Nous ne sommes en effet pas nous-mêmes lorsque nous perdons le contrôle de nos pensées, paroles, actes, lorsque nous perdons notre liberté et sommes gouvernés par l’altérité, que cela soit volontaire ou non. Cette idée qu’il y a quelque chose d’incontrôlable et d’indéfinissable dans les phénomènes affectifs est renforcé par la psychanalyse. Poser l’idée d’un inconscient psychique qui, par conséquent, nous fasse faire et aimer des choses inconsciemment semble accréditer la thèse que là ou ça parle, je suis absent (pour parodier la phrase de Lacan), donc je ne peux être pleinement moi-même.
 
On peut donc dire que « ne pas être soi-même », c’est être soumis à des forces extérieures à notre volonté qui font qu’on ne se contrôle pas vraiment. L’expression signifie alors « ne pas réussir à être authentiquement soi ». Le soi est caché, ou bien, je n’ai pas le droit de l’exprimer, etc... Nous débouchons sur une problématique sociale : est-ce que la vie en société ne m’empêcherait pas d’être moi-même ? On trouve cette problématique à propos, par exemple, des phénomènes sectaires, où des personnes jugées d’ailleurs « fragiles » se laissent persuader et embrigadées dans des croyances fortes et qui altèrent leur sens critique. Et en effet, celui qui refuse de juger par lui-même des idées qu’on lui impose, qui se laisse guider comme un enfant dans la vie par d’autres personnes, comment pourrait-il dire qu’il s’appartient, autrement dit, qu’il est lui-même ? Il ne peut être lui-même, s’il se modèle sur les autres et s’il ne désire qu’une seule chose, leur ressembler. L’exemple des sectes est évidemment l’un des plus forts, mais on peut légitimement se demander si toute forme de société n’exerce pas sur ses membres un déterminisme tel qu’il soit au fond difficile de prétendre être soi-même.
 
Car le « Je » du « je suis moi-même » n’est pas une donnée abstraite : il renvoie à une histoire et cette histoire est souvent construite avec les autres et par les autres. Ce qui fait l’identité de chacun, c’est donc qu’il est « entre nous ». La position de soi est une position par rapport à l’autre. Mais quel autre ? Mon identité est posée du dehors dans mon être naturel même. Je suis moi en tant que réalité naturelle, corporelle, observable qui dispose d’une consistance au même titre qu’une chose. Mon identité est donc ma permanence dans le monde. Mais cela me définit d’abord comme objet, et non comme une personne. Mon identité est posée de l’extérieur par un ensemble de déterminations sociales. Mon nom, mon inscription dans des institutions, mes rôles imposés par des codes sociaux comme le mariage, la vie professionnelle. Or, cette identité est aliénée : je suis dépossédé de moi pour exercer des fonctions que je ne choisis pas. Le moi exécute ce qu’une collectivité attend de lui. Mon identité est déterminée au sein de jeux symboliques complexes qui incluent aussi mon intériorité. Par exemple répondre « présent » à l’appel de son nom, c’est avouer son appartenance à une communauté symbolique. Le nom distingue (je ne porte pas le même nom que mes collègues) et il fait adhérer : le nom assigne l’appartenance à une ethnie, une culture, une histoire, un clan, un corps de métier, une zone géographique. Cela signifierait que mon identité est celle que je reçois symboliquement des autres. Mais la pire des violences n’est-elle pas celle qui me dépossède symboliquement de ce que je suis ? Mon identité n’est-elle pas définitivement aliénée si je n’ai pas le pouvoir de choisir la représentation symbolique de ma personne ?
 
En ce sens, la croyance au « libre-arbitre » est sans doute ce qui nous dépossède le plus radicalement de nous-mêmes : lorsque nous nous posons en nous opposant, lorsque nous cherchons à nous affirmer comme tel en prenant le contre-pied des valeurs posées par la raison et la réflexion, fussent-elles sociales ou familiales, nous ne sommes pas vraiment nous-mêmes. Car agir contradictoirement n’est pas encore agir positivement, selon sa propre raison et ses convictions motivées et délibérées (Descartes). Et ce d’autant plus que les autres nous déterminent encore ici en jouant le rôle de repoussoir : le libre-arbitre serait alors le refuge du pire des conformismes sociales, celui qui nous fait croire en notre liberté alors qu’il nous attache aux phénomènes de mode, aux habitudes de consommation et à toutes les idéologies collectives.
 
Si perdre la faculté de réfléchir par soi-même, c’est ne pas être vraiment soi-même, alors on comprend que bien sûr le fou soit la figure emblématique de celui qui ne s’appartient pas. Pour cela, il faut définir le fou comme on le faisait encore au XVIIIe siècle, comme celui qui ne dispose pas de la raison. Et de fait, être incapable de raisonner, le rend absent à lui-même, incapable de décider quelque chose pour lui, seulement capable de le soumettre soit à des pulsions inconscientes soit à une autorité supérieure.
 
Et d’ailleurs, qu’il s’agisse de nos passions, de la société ou de la folie, la possibilité de ne plus être soi-même implique toujours que nous perdions en quelque sorte la raison, au point de ne plus être capable de réfléchir sur le sens de nos actes, de nos pensées et de leurs conséquences.
 
Mais si la raison est capable de s’absenter quelques temps, pourquoi reviendrait-elle ? Pour qu’elles raisons ? Autant dire que nous sommes tous fous par moments (nous tombons amoureux…). Mais si la folie est normale, est-ce encore de la folie ? Nous devons alors nous demander s’il est vraiment cohérent qu’on puisse être autre chose que nous-mêmes à partir du moment où l’on est rationnel.
 
2) Etre soi-même : une donnée immédiate de l’existence consciente et de la logique :
 
L’analyse précédente laisse entendre que la raison est la faculté par laquelle nous sommes nous-mêmes, mais que pourtant cette faculté pourrait disparaître de temps à autre dans une sorte de « folie ». Cette thèse au fond apparaît dangereuse car alors il semble normal de « perdre la raison » au point de se laisser emporter par la passion ou par la pression des autres. Que peut-on alors attendre d’un individu ? A-t-on encore le droit de l’exiger responsable de ses actes ? Ne serait-il pas préférable de penser que la raison, loin de s’éclipser, n’a pas résisté à la force du déraisonnable, et que la volonté a cédé devant la facilité de suivre ses désirs ou de se conformer aux exigences des autres. Autrement dit que par nature, et parce que nous sommes d’abord des êtres de raison et de conscience, nous sommes toujours nous-mêmes.
 
L’idée que tout être s’appartient définitivement et complètement à partir du moment où il est conscient et capable de raison, est notamment développée par Descartes.
 
Chez Descartes le sujet s’appartient toujours, c’est-à-dire qu’il est toujours responsable de ses actes, parce qu’il est conscient de lui-même. La conscience directe (cette pure présence à soi par laquelle on se sait sujet de l’acte) est la condition de possibilité d’une réflexion critique sur l’intention qui préside à l’acte et qui lui donne sa valeur. « Etre soi-même » ici, c’est pouvoir juger la valeur (morale) de l’acte que l’on s’apprête à accomplir parce que le sujet qui pense (le « Je ») précède toujours ses différents états de conscience. Ou, si l’on veut, s’appartenir, « être soi-même », ce n’est pas tant ressentir ses désirs, que savoir si notre action est bonne ou mauvaise. Dans tout acte conscient un jugement de valeur sur l’acte vient accompagner sa description. C’est pourquoi, Rousseau pourra écrire dans « la profession de foi du vicaire savoyard » (cf. L’Emile, livre IV) : « Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vérité, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience ». Contrairement à ce qui se passe lors d’actions machinales, de tics, de réflexes, la conscience précède l’acte en le provoquant (agir, c’est choisir) et elle lui survit en en gardant la mémoire (la mauvaise conscience est le souvenir d’avoir été l’auteur d’un acte condamnable). Si ma responsabilité est engagée, c’est donc parce que l’action semble toujours impliquer un choix raisonné (lui-même déterminé par des valeurs). Pour Descartes, le moment de la délibération est un moment crucial, car c’est lui qui pèse la valeur des motifs, des raisons d’agir d’ordre intellectuel, mais aussi des mobiles, des forces qui poussent à l’action et cela suppose bien sûr que les mobiles apparaissent à la conscience en toute clarté, ce qui exclut l’inconscient et le sentiment comme présence à soi. Pour Descartes, tout peut en droit être mis au foyer de la conscience, examiné dans l’horizon de l’intentionnalité, vu en quelque sorte. On comprend alors que la décision engage le sujet par une sorte d’acquiescement, de consentement : ce n’est pas que l’action puisse découler nécessairement de la délibération, c’est que le sujet par sa volonté donne à la décision la certitude qu’elle n’a pas. Mais la décision implique aussi, et c’est ce qui nous intéresse ici, la possibilité de se détourner en toute connaissance de cause de la représentation rationnelle du bien : c’est le pouvoir du libre-arbitre, qui appartient à la volonté, de choisir le pire en présence du meilleur, mieux même en subissant son attrait. Notre aptitude à discerner le bien du mal, l’avantageux du désavantageux, le facile du difficile, n’annule pas le pouvoir de notre volonté de s’auto-déterminer contre le bon sens le plus élémentaire et de donner ainsi à contempler le spectacle d’une sorte de « folie », de déraison.
 
Ainsi, on ne succombe pas à la passion, on y consent. On ne cède pas devant les choix des autres, on s’y soumet volontairement. En fait, dans la décision qui préside à l’action, le choix est déjà fait parce qu’il relève d’un désir. Autrement dit, dans la réalité de l’existence le choix est immédiat, premier : il relève du désir, c’est à dire du mouvement de la conscience vers un objet qu’elle détermine comme ce qui lui conviendra. La fin à réaliser n’est donc jamais d’abord « conçue », c’est à dire construite, car cela revient justement à faire passer au second plan le désir qui pourtant pose la fin immédiatement. Le désir est l’existence, cette « sortie hors de » qui s’éprouve soi-même : la vie. La volonté est la même chose que le désir, elle est la force d’un désir. Ainsi, dans la « folie » passionnelle, la raison est loin d’être inactive !
 
Certes, nous l’avons dit, dans l’attitude naturelle, il est classique de distinguer d’un côté la conduite passionnelle et de l’autre, la conduite raisonnable. Quand nous sommes un tant soit peu rationnels dans nos décisions, nous pesons le pour et le contre, nous délibérons et choisissons de manière réfléchie, nous considérons les conséquences de nos actes. Une conduite raisonnable est une conduite inspirée par la raison, une conduite sensée et mesurée et non pas une conduite qui résulte d’une impulsion aveugle portée à l’excès. Une vie libre est conduite par une pensée juste, le sujet restant maître de ses pensées. Mais que se passe-t-il dans la passion ? Cette maîtrise peut-elle exister ? Comme nous l’avons dit, c’est la maîtrise de la pensée et donc de soi qui est perdue sous l’empire de la passion. Au lieu de vivre sous la conduite de la Pensée, le passionné est comme fasciné, manipulé par une seule pensée, au détriment de toutes les autres. Il n’y a pas de passion-de-quelque-chose, sans une idée fixe, sans répétition d’un même thème. Loin de raisonner en quoi que ce soit, le passionné se borne à s’auto-justifier. L’argumentation dans la passion dissimule toujours ses vrais motifs. Nous sommes déjà très irrationnels dans nos réactions émotionnelles, mais dans les passions, nous faisons un pas de plus dans le délire, en mettant notre raison au service de nos fantasmes. Il y a donc bien quelque chose de délibéré dans la passion, non pas parce que la raison y préside, mais parce qu’une logique implacable s’est mise en mouvement, la logique de la passion. Suivre la passion, c’est suivre son destin dans la logique même inscrite dans la thématique de la passion, ce n’est évidemment pas suivre la logique de la raison. Il y a un destin du joueur, un destin de l’amour passion, un destin de la passion du pouvoir. La passion semble suivre son cours de manière implacable et nous entraîner à sa suite. Nous aimons cet abandon passionnel qui nous fait « perdre la tête ». C’est que dans la passion nous continuons de croire que la pensée nous appartient toujours, qu’elle demeure ce que nous possédons de plus intime et qu’elle ne saurait nous échapper. La passion n’est jamais dépourvue de pensée, dans la passion le mental est même extrêmement bavard. Dans la passion, nous sommes prêts à discourir, à argumenter à perte de vue pour nous persuader et persuader les autres autant qu’il faudra de la validité de notre conduite. Nous voudrions nous persuader du caractère rationnel de nos décisions, mais la cause est par avance entendue ; toutes nos pensées sont issues du désir et elles travaillent à sa justification. Nous faisons tous les efforts possibles pour tisser une illusion agréable et demeurer dans la vision exaltée de la passion. Le passionné est très éloquent, il semble raisonner, mais en réalité, il ne raisonne pas, il n’examine rien, les jeux sont faits d’avance dans le parti pris du désir.
 
Il y a alors de la mauvaise foi (Sartre) à penser que c’est la raison qui nous échappe là où nous manquons de courage pour faire ce que l’on estime le meilleur ou bien pour affirmer ses différences. On ne peut mettre hors de la conscience tous les phénomènes affectifs, à moins de se considérer comme des enfants. Mais on peut vouloir aller au plus facile parce que précisément c’est le plus facile.
 
Notre problème fait alors rebond. Nous avons vu que la notion de « soi » renvoie à la notion de conscience (de soi). Pas de soi-même sans un être qui peut se considérer comme un soi-même, qui s’apparaît à lui-même, qui a conscience de soi. Mais la conscience de soi est-elle immédiatement connaissance de soi ? Du point de vue de la connaissance de soi, l’expression « ne pas être soi-même » signifie : ne pas être ce qu’on croit être. Est-ce que ce qui nous apparaît de nous, ce à quoi nous avons accès, n’est qu’une apparence de ce que nous sommes vraiment, de notre personnalité ? Le soi-même n’est alors qu’une illusion, ce n’est pas notre être. Nous sommes encore ici du côté de Freud.
 
Ne pas être soi-même, chez Freud, c’est quand l’inconscient remonte à la surface : je ne me comprends plus, je fais des choses dont le sens m’échappe, dans lesquelles je ne me reconnais pas. Mais en fait, c’est ma véritable personnalité, non ? Je ne suis pas ce que je crois être, c’est tout ! J’ignore donc ce que je suis vraiment : c’est un problème de méconnaissance de soi plutôt que de « ne pas être ». Ce que je suis vraiment m’échappe, je m’échappe sans cesse à moi-même. Ce qu’on connaît de nous (notre soi au sens de ce qui apparaît) n’est pas vraiment ce que nous sommes (notre soi au sens d’essence) : c’est seulement une apparence, une image de nous-mêmes. Je suis autre que le moi-même qui m’apparaît immédiatement. Autrement dit, nos actes sont toujours des actes conscients mais accomplis sous la domination de forces inconscientes qui s’expriment sous la forme d’un libre-arbitre fondamental. L’inconscient freudien ne désigne pas un autre que le « Je »  mais une partie de nous mêmes, familière et dont nous savons qu’elle menace constamment notre unité intérieure en échappant à notre volonté raisonnable. Le « Ça », c’est-à-dire l’ensemble des pulsions d’origine corporelle qui jouent le rôle de désirs inconscients, s’oppose effectivement au « Moi » conscient ; mais ces désirs n’en restent pas moins nôtres, parce qu’ils traduisent notre propre histoire, même si nous sommes incapables de les maîtriser. Ce n’est qu’en les rendant conscient que l’on peut prévoir leur irruption brutale dans l’action et retrouver l’unité de la conscience. La cure psychanalytique a justement pour finalité de mettre fin à cet état dans lequel nous ne savons pas pourquoi nous avons agi comme nous l’avons fait.
 
La perspective cartésienne indique que la conscience exige de sentir que l’on s’appartient à tous moments, quelque soit le choix que l’on ait fait. Néanmoins, elle admet la possibilité que la volonté fasse un mauvais choix conscient et préfère par exemple le déraisonnable au raisonnable, l’irrationnel au rationnel, la facilité au courage, etc… Autrement dit notre volonté peut consentir à ce qu’on ne soit pas totalement nous-mêmes. Comment peut-on être soi-même en faisant des choix qui au fond ne nous ressemblent pas et qui ne répondent pas aux exigences de notre conscience ? Peut-on, tout en étant soi-même, décider de ne plus être soi-même, et de ne pas chercher à se réaliser ?
 
3) Etre soi-même : une perspective et non un état : l’expression a un sens ontologique. Puis-je être autre que moi-même ? Puis-je ne pas être moi-même au sens strict de l’expression ?
 
Pour résoudre le paradoxe, il faut dissocier conscience et identité. On a admis jusqu’à présent que la conscience suffisait pour se sentir soi. Mais ce sentiment intérieur ne suffit pas à la réalisation de soi comme personnalité. La conscience nous met en présence de nous-mêmes, mais elle ne nous donne pas une identité, un ensemble de traits caractéristiques qui pourraient nous différencier des autres. Au contraire, la conscience pourrait bien être ce sentiment d’échapper à toute qualification définitive.
 
Pour Sartre, héritier de la phénoménologie de Husserl, la conscience est acte : « toute conscience est conscience de quelque chose ». Telle est l’intentionnalité : elle désigne la nécessité pour la conscience d’exister comme conscience d’autre chose que soi. Toute conscience est visée intentionnelle d’un objet. Elle est donc un acte, une projection, un « éclatement » dans le monde. La conscience est toute entière dépassement vers l’objet et transcendance : en tant que pure ouverture au monde, la conscience ne possède aucune consistance propre, rien ne vient s’interposer en elle, la séparer d’elle-même. En quelque sorte la conscience absorbe le monde en étant absorbée par lui. Elle est impersonnelle : elle n’est pas mienne, ne jouit pas de la consistance lui permettant de s’éprouver comme « moi ». Par exemple, lorsque je cours après le bus, il n’y a aucun moi dans cette conscience, mais seulement « le bus-devant-être-rejoint ». Pure extériorité à soi, la conscience irréfléchie est sans intimité, sans habitant : elle a l’impersonnalité du monde vers lequel elle ouvre.
 
Ainsi, on peut dire que désir et conscience sont une seule et même chose ; le désir est la conscience toute entière en tant qu’elle se dépasse perpétuellement vers des objets intentionnels avec lesquels elle ne se confond jamais, qui sont toujours au-delà d’elle-même : il représente l’inquiétude existentielle d’une conscience qui n’est jamais en repos, toujours au dehors d’elle-même. Et tel est bien le désir en tant que désir : il est cette incomplétude qui voudrait bien être comblée, mais qui jamais n’y parviendra.
 
Bref, par la conscience, l’homme est existence et non essence, projet, effort pratique, travail moral et politique de formation de soi à travers les choses, dynamisme productif de soi dans le monde et du monde via soi-même et non expression statique d’une nature pré-déterminée. En tant qu’existence, l’homme possède une liberté absolue : il est ce qu’il se fait et décider de ne rien faire, de s’en remettre à l’autorité d’un autre, « de ne pas être soi-même » est encore un acte de liberté. Conformément à la structure de la conscience, on peut dire avec Sartre que je ne suis jamais le même, que je suis toujours en mouvement, toujours en devenir. Je change sans cesse. Je suis donc « multiple ». Etre soi-même au sens d’identique à soi-même, ce serait être figé, ce serait être une chose. Un homme n’est pas une chose (une chose est ce qu’elle est : étendue dans l’espace, résistante, ayant un poids, etc...) ; un homme n’ « est pas », n’ « est rien », il existe, il est en perpétuel devenir, il est projet existentiel… « Je ne suis pas moi-même » signifie donc (en un sens positif) que « j’ai à être moi-même ». C’est  précisément ce qui me distingue de la chose. Et en même temps, c’est tout le problème de la liberté et de ce qui fait de nous des hommes.
 
Car si l’identité que nous nous donnons n’est pas un sentiment immédiat, si elle l’objet d’une construction progressive à partir de nos choix successifs dans la vie, on peut alors concevoir que, même en étant par définition toujours nous-mêmes, nous nous aliénons en quelque sorte en nous extériorisant : « je suis ce que je ne suis pas et je ne suis pas ce que je suis » : dans L’Etre et le néant (le chapitre sur la mauvaise foi ; la dualité humaine ; l’en soi et le pour soi), Sartre parvient à donner un sens à la phrase : « je ne suis pas ce que je suis », qui est une reformulation littérale de l’expression « je ne suis pas moi-même ». Ainsi, il dit que je ne suis pas ce que je suis, au sens où « ce que je suis » désigne « ce que j’ai été ». Je peux par conséquent être aussi ce que je ne suis pas, si par « ce que je ne suis pas », j’entends « ce que je serai ». Par conséquent, je peux ne pas être moi-même, au sens où je ne suis pas ce que j’ai été (réductible à…, prisonnier de mon passé) et où je suis ce que je serai (me ferai être par un projet). Ne pas être ce que nous sommes, signifie encore une fois, que nous sommes libres, que nous pouvons à tout moment choisir ce que nous voulons être, y compris dans la mauvaise foi la plus totale, dans l’illusion la plus radicale. Par rapport à Freud, nous n’avons plus besoin de recourir à une distinction entre deux parties de notre être ; l’expression « ne pas être soi-même » n’a plus un sens négatif, car il ne faut pas oublier que chez Freud, nous étions obligé de nier toute liberté (ne pas être soi-même c’est ne pas s’appartenir, c’est être « aliéné », ne pas se comprendre…).


Message édité par l'Antichrist le 14-10-2007 à 15:17:30
n°12967614
l'Antichri​st
Posté le 14-10-2007 à 14:37:02  profilanswer
 

Pour faire bonne mesure, il me vient l'idée de vous proposer cette étude sur la question : Peut-on se passer de maître ? Là encore cette idée me paraît brusquement évidente, allez savoir pourquoi ? Dissertation, encore, niveau terminale.
 
Introduction :
 
Parce que nous ne savons pas tout, nous avons besoin de maîtres, c’est-à-dire de pédagogues qui nous apprennent ce que nous devons savoir pour vivre. Pour posséder les savoirs au niveau technique mais aussi au niveau pratique, les maîtres sont absolument nécessaires. Sans eux, nos savoirs et nos pratiques ne pourraient pas se transmettre. A ce niveau de maîtres qui détiennent un savoir, il est nécessaire d’ajouter le niveau des maîtres au sens de gouvernants. Dans cette optique, nous ne pouvons nous passer de chefs puisque ce serait risquer de transformer la cité, lieu de notre réalisation civique, en désordre invivable. Nous ne pouvons donc pas nous passer de maître puisque les conséquences de cette dispense seraient funestes pour nous tous.
 
Cependant, nous ne savons pas sur quoi se fonde le statut des maîtres. Ceux-ci ne sont pas par nature des possesseurs de savoir ou de pouvoir. Bien au contraire, les maîtres ne sont que des institutions et leur domination n’est pas une loi d’airain. Ils ne sont que des humains qui ont le pouvoir mais cela ne fait pas d’eux des maîtres au sens fort c’est-à-dire des êtres dont la fonction maîtrisante serait inscrite en leur essence. On ne peut en ce sens que se passer de maître puisque cette notion ne renvoie à aucune réalité. Nous avons besoin d’hommes qui gouvernent pour vivre en société mais nous sommes forcés de nous passer de maîtres entendus au sens d’instances qui maîtrisent par nature.
 
Peut-on se passer de maître ? Nous nous demanderons d’abord si nous avons la possibilité de nous dispenser de figures maîtrisantes ? Ou bien si celles-ci n’existent pas par nature, devons-nous nous en passer ? C’est pourquoi il faudra ensuite se poser la question suivante : devons-nous assumer l’inexistence du maître au sens fort ? Que faire s’il est nécessaire de s’en passer ? Il conviendra enfin de redéfinir le maître et d’examiner cela en fonction de notre rapport à nous-même : ne faut-il pas penser et agir en fonction d’un maître humain c’est-à-dire d’abord le maître de soi-même ? S’il n’existe pas de maître en soi, devons-nous nous passer d’être maître pour soi ?
 
I.
 
L’existence de maîtres dans le monde ne semble pas pouvoir souffrir de contestation. Tout au long de notre vie, nous rencontrons des maîtres : maîtres d’armes, de musique, etc... Nous avons besoin de maîtres, c’est-à-dire d’hommes qui nous apprennent ce que nous ne savons pas faire de façon innée. Nous nous souvenons avec attendrissement de nos maîtres d’école qui nous ont appris les rudiments de l’éducation. Nous ne pouvons pas nous passer de maîtres parce que nous sommes ignorants avant d’être savants. Notre état d’ignorance nécessite pour être dépassé l’intervention de maîtres qui nous apprennent ce que nous sommes incapables de faire de façon innée. Apprendre, c’est toujours avoir besoin d’un maître. La structure de l’éducation est liée à la structure de notre conscience. Parce que nous sommes des hommes, c’est-à-dire des êtres qui ne savent pas tout mais qui sont des milieux entre l’ignorance radicale et le savoir absolu, l’intervention de maîtres est nécessaire. Ceux-ci transmettent leur savoir aux élèves, c’est-à-dire à ceux qui ne savent pas encore mais qui ont la possibilité de savoir. De ce point de vue, on ne peut pas se passer d’un maître, ni même de plusieurs suivant le nombre de domaines que l’on souhaite apprendre et le nombre de techniques que l’on souhaite posséder. Nous ne pouvons pas nous passer absolument d’un maître mais peut-on ne pas s’en passer ? Est-il possible de s’éloigner de ses maîtres ? Si cette possibilité est fermée, alors nous devenons des esclaves, c’est-à-dire le contraire des maîtres. A ce moment là, il est nécessaire de mettre en question la valeur du maître. N’est-il pas nécessaire de se passer de maître ? Celui-ci délivre un savoir, mais qui peut prouver que ce savoir correspond à la vérité ? S’en remettre au maître, c’est ouvrir le soupçon qui consiste à ne pas identifier intégralement ce que le maître enseigne et la vérité. Le problème lié à la position d’un maître est celui de l’argument d’autorité : ce que dit le maître m’est imposé de façon autoritaire. Ne faut-il pas mettre en question les savoirs qui ne sont que vraisemblables, et pas forcément vrais ? Il s’agit de prendre conscience du fait que le maître ne sait pas tout et n’est donc pas un guide omniscient. Deux maîtres dans la même discipline peuvent développer des explications radicalement différentes à propos du même sujet. Ne faut-il pas mettre en péril la notion de maître au sens de guide omniscient ? Les maîtres sont sans doute nécessaires pour nous enseigner les rudiments du savoir et les outils conceptuels permettant de penser ou d’agir, mais le véritable savoir ne consiste-t-il pas à faire en sorte de mettre en question ce qui veut s’imposer ? N’est-ce pas en ce sens que Descartes met en question l’enseignement reçu, non par une sorte de mauvais esprit mais pour véritablement savoir ? Le problème inhérent aux maîtres semble résider en ceci qu’ils proposent un savoir (les mathématiques, la musique et toutes les disciplines imaginables) mais il est nécessaire que ce savoir soit examiné par l’élève. Les arguments des maîtres sont vraisemblables, c’est-à-dire probablement vrais et pourtant susceptibles de fausseté. La décision dans Le discours de la méthode de ne plus croire aux vraisemblances des maîtres engage l’esprit de tout élève. Le projet cartésien de fonder la science naît des arguments contradictoires de l’ensemble des maîtres : « (...) considérant combien il peut y avoir de diverse opinions, touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu’il y en puisse avoir jamais plus d’une seule qui soit vraie, je réputais presque pour faux tout ce qui n’était que vraisemblable » (Cf. Discours de la méthode, première partie, § 12). Le fait de se passer de maître relève donc d’une décision volontaire.
 
Mais cette décision est-elle arbitraire ou bien relève-t-elle d’une nécessité plus profonde en ce sens que l’entendement se doit de quitter l’emprise ou la sujétion des précepteurs pour ne pas être esclave des pensées défendues par les maîtres ? La logique de l’enseignement, c’est-à-dire la logique inhérente à l’activité éducative consiste alors à se passer de maître. N’est-ce pas à l’aune de cela que nous pouvons entendre le texte d’Aristote où celui-ci montre que la possession ne relève que de la puissance ou de la potentialité ? Comment peut-on posséder en acte la science ? En enseignant. L’explication du maître doit captiver le disciple qui subit l’explication. Pourquoi est-il captivé ? Parce qu’il vit l’actualisation de la science. Il était puissance de connaître et il connaît. Le spectacle du savoir dans la bouche du maître est captivant. Le professeur donne alors à entendre que c’est au tour de l’élève d’enseigner : il incite à se passer de maître pour devenir lui-même le maître. Tant que le professeur n’enseigne pas, il n’est que professeur en puissance et tant que l’élève ne s’est pas fait expliquer, il est en puissance de savoir, « seulement l’un actualise sa puissance après avoir subi une altération causée, par l’étude, et avoir passé, à plusieurs reprises, d’un état contraire à son opposé tandis que l’autre actualise sa puissance en passant de la simple possession de la sensation ou de la grammaire, sans l’exercice à l’exercice même » (Cf. De l’âme, II, 5). L’élève est en puissance un savant et quand il a suivi l’enseignement d’un maître, il possède la science à un premier niveau. Ce serait la première entéléchie du savoir. La seconde qui viendrait actualiser celle-ci réside dans l’enseignement. Quand je me passe de mon maître pour enseigner moi-même, je passe de la science possédée à la science exercée. Cet exercice me fait accéder à un stade où je suis le maître, c’est-à-dire que j’exerce la science. On ne peut pas se passer de maître pour accéder à l’entéléchie première : il faut des maîtres pour enseigner aux élèves. Mais il faut se passer de maîtres au niveau de l’entéléchie seconde pour exercer soi-même et devenir soi-même le maître, c’est-à-dire non pas seulement celui qui possède la science mais celui qui l’exerce. Le fait de se passer de maître est nécessaire pour exercer soi-même la science. Ce qui vaut dans le domaine de l’enseignement vaut-il de façon égale dans le domaine de maître qui ne délivre pas de savoir, par exemple dans le cadre des maîtres politiques ou dans le cas des gouvernants ? Les chefs, c’est-à-dire les maîtres politiques qui prennent des décisions pour l’ensemble de la cité, représentent-ils des instances dont on peut se passer ?
 
Le problème se déplace dans le cadre de la notion de maître entendu au sens du gouvernant. Celui qui gouverne, le maître, est-il une instance dont on peut se passer ? S’il faut se passer de maître pour être le maître dans le cadre du savoir, ce schéma peut être dupliqué dans le cadre de la vie en société où nous rencontrons également des maîtres, c’est-à-dire des chefs. Faut-il se passer de gouvernants, proclamer « ni Dieu, ni maître » et appeler de ses vœux une société d’autodidactes ? C’est pour lutter contre des formes dégénérées de vie politique, et notamment l’anarchie, qu’Aristote marque la nécessité des chefs dans une cité. Ainsi écrit-il : « Car commander et être commandé font partie non seulement des choses indispensables, mais aussi des choses avantageuses. Et c’est dès leur naissance qu’une distinction a été opérée chez certains, les uns devant être commandés, les autres commander » (Cf. Les politiques, livre I, chapitre 5). Des maîtres par nature existent donc, de même que des esclaves par nature. Dans le cadre de la vie politique, il est difficile de concevoir comment se passer de maîtres. Si l’homme est par nature un animal politique, il lui est impossible de vivre en dehors de la cité. Celle-ci fonctionne comme un organisme et aucun organisme ne peut se développer sans un principe directeur. Le problème des théories anarchistes réside dans leur refus d’un maître et dans leur vision fondamentalement égalitariste des hommes. Or Aristote, par son analyse de la prudence, démontre l’aspect divin de l’homme politique capable de régir de façon convenable la vie de la cité. Le phronimos marque la figure du sage pratique qui sait précisément agir comme il le faut, au moment où il le faut et de la façon qu’il faut. La présence d’hommes prudents marque l’existence de maîtres par nature qui savent agir convenablement. Se passer de maîtres, c’est-à-dire d’hommes justes qui règlent la vie en société, est néfaste. Cela revient à sombrer dans l’absence d’ordre, c’est-à-dire dans le chaos. Dans le cadre social, il n’est pas possible de se passer absolument de maîtres. La société fonctionne comme un organisme. Ce schème naturaliste permet de concevoir qu’elle est la réunion de plusieurs composantes, comme un organisme est la réunion d’une âme et d’un corps. Il est naturel et avantageux que l’âme commande et que le corps subisse la domination. Cette naturalité sert de modèle pour démontrer que la cité est naturelle à l’homme en tant que son essence est d’être politique. Il est donc compréhensible dans cette optique que certains hommes, considérés comme des maîtres, commandent par nature. On ne peut pas s’en passer comme un corps ne peut pas sans dommage se passer d’une âme.
 
Nous avons vu qu’il est nécessaire de se passer dans un deuxième temps de la forme pédagogique des maîtres pour devenir soi-même un maître. Cependant, on ne peut se passer de maître dans le cadre de la vie sociale. L’homme a besoin d’un maître comme un organisme a besoin d’un principe directeur. Le danger d’assimiler les deux domaines apparaît dans la considération de chefs par nature. Il faut que le disciple se passe de son maître pour exercer la science, c’est-à-dire se libérer. Or, la conception d’un chef par nature ne porte-t-elle pas le danger de faire sombrer la société dans le fanatisme ? Peut-on accepter que des hommes soient considérés comme des esclaves par nature ? Car après tout, les chefs ne sont eux aussi que des êtres humains.
 
II.
 
L’homme dans le cadre social peut-il faire autrement que d’obéir à un maître ? Mais obéit-il à un chef que la nature (ou qu’un être divin) aurait désigné ou bien à un être humain comme lui ? L’homme vit au milieu des autres hommes et fait l’expérience de ce fait d’une opposition fondamentale entre ses penchants et les penchants des autres. La tension s’instaure en ce point : nous voulons des lois valables pour tous, mais notre égoïsme pousse à nous excepter de ces règles dès que cela est possible. La vie en société est compliquée par ces tensions entre les hommes égoïstes dans leurs penchants naturels et les hommes en tant qu’êtres raisonnables. Comment faire pour lutter contre cette dualité qui vit en chacun de nous ? Ne faut-il pas conclure qu’il faut à tout homme « un maître pour briser sa volonté particulière, et le forcer à obéir à une volonté universellement valable » ce qui implique que «  par là, chacun peut être libre. Mais où prendra-t-il ce maître ? Nulle part ailleurs que dans l’espèce humaine. Or ce sera lui aussi un animal qui a besoin d’un maître » (Cf. Kant, Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, Sixième proposition). Dans la sphère de la vie en société, l’homme a besoin d’un maître au sens d’un chef. A la différence des bêtes, l’homme ne peut suivre seulement la nature pour atteindre son excellence. Il lui faut la société, c’est-à-dire sa vie dans le tissu social, dans un réseau d’hommes. Il s’agit que les volontés particulières égoïstes soient brisées au profit de la vie et de l’ordre de l’ensemble de la cité. Pour discipliner ses penchants, l’homme a besoin d’un maître qui maintient la justice publique. Mais le problème soulevé par Kant est ardu : le maître n’est qu’un homme et a donc lui aussi besoin d’un maître. Comment faire si le maître lui-même ne peut se passer d’un maître ? N’est-ce pas que l’existence d’un chef par nature relève de l’incohérence théorique ou de la fantasmagorie ? Si aucun homme ne peut se passer d’un maître, même pas celui qui se prétend le maître, n’est-ce pas que celui-ci est une sorte d’imposteur ? Personne n’a la trempe d’un chef (il n’y a pas de chef en soi, de maître par nature) mais il existe des maîtres conventionnels. L’homme véritablement juste ne s’exclut pas de la force de la loi : or cet homme n’existe pas, même pas en la personne de celui qui invoque la providence de son règne. Il est à noter la critique radicale que nous pouvons produire du fanatisme et du « culte du chef ». Un chef par nature est une contradiction dans les termes. En ce sens, il est nécessaire de se passer d’un dictateur ou d’un gouvernant qui se prétend de droit divin ou supra-humain dans la mesure où son raisonnement est inconséquent. Celui-ci sert surtout de prétexte pour favoriser ses penchants égoïstes et donc pour ne pas appliquer les principes qu’il impose aux autres. La notion de maître semble en ce sens voler en éclats : l’homme ne peut se passer d’un maître mais ce maître n’est qu’un homme. Peut-on ou doit-on faire le deuil de l’essence du chef, du maître charismatique et providentiel ?
 
Ce problème de la validité de la notion de maître se pose avec une égale acuité dans le domaine de la pédagogie : l’homme est un animal qui a besoin d’être éduqué. La nécessité d’un maître entendu au sens d’un pédagogue s’impose. Cependant, personne ne naît maître. Comment alors se prétendre capable d’assurer la charge d’éduquer les autres ? La nécessité du maître prouve par là son impossibilité. En quel sens ? Comme l’homme a besoin d’un chef pour briser sa volonté particulière et assurer la vie en société, l’homme a besoin d’être éduqué. L’homme est un animal qui doit être éduqué en ce sens qu’il est potentialité de savoir. A la différence de l’animal simplement régi par l’instinct, l’homme doit être éduqué, c’est-à-dire que l’éducation fonctionne comme le relais artificiel de la naturalité. Pour que l’homme devienne véritablement un homme, sa raison doit être éveillée. Son instinct ne suffit pas. L’éducation est nécessaire, entraînant avec elle la nécessité d’un maître. Mais ce maître n’est à son tour qu’un homme qui peut se tromper. Le professeur ou le pédagogue sont-ils aptes à tenir leur fonction sachant qu’ils ne sont que des hommes ? Cela pose problème à deux niveaux. Le premier niveau est celui des pédagogues qui distillent des savoirs. Comment savoir si leur savoir est fondé ? Nous pouvons penser à la situation de ces physiciens du milieu du vingtième siècle qui ont appris durant leurs études l’insécabilité des atomes et qui, quelques années plus tard, furent contraints rationnellement d’enseigner la fissibilité de l’atome. Le second niveau est celui proprement humain de la morale et des maîtres de vertu. D’un point de vue cosmopolitique, c’est-à-dire kantien, d’un progrès croissant des savoirs et des pratiques de l’humanité, le problème de la morale est épineux. Pour être un homme vertueux, le maître doit lui-même être vertueux. Or le soupçon pèse toujours sur ces maîtres de vertu : les hommes peuvent être corrompus par des guides mauvais. Ainsi Kant écrit-il dans Anthropologie d’un point de vue pragmatique (Cf. Deuxième partie, II, E, 3) : « Mais alors on aurait besoin d’hommes de bien, éduqués eux-mêmes à cette fin et dont aucun ne serait corrompu (que ce soit par naissance ou par éducation) : le problème de l’éducation morale pour notre espèce demeure donc sans solution en raison du principe et pas seulement pour une question de degré ; car un mauvais penchant inné en l’espèce peut être blâmé par la raison humaine universelle, en tous cas freiné, mais jamais extirpé. » Cette longue citation permet de saisir un enjeu de la relation du maître à l’élève. Il en va de la morale comme pour tous les domaines, mais ici de façon plus éclatante : comment savoir s’il ne serait pas mieux de se passer du maître entendu au sens d’un pédagogue ?
 
Dans les domaines de la vie, l’homme a besoin d’un maître. Il ne peut pas s’en passer. Mais un maître par nature n’existe pas. Le chef n’a pas de valeur naturelle. Sa puissance est une institution mais ne relève en aucun cas de la nature des choses. Ce n’est qu’un homme, de même que le pédagogue qui délivre un savoir. Ces figures de la maîtrise font appel à l’humanité : ce sont toujours des hommes qui commandent ou qui enseignent. Dans ce constat de l’humain présent dans les sphères de maîtrise, nous rencontrons l’humilité de la condition humaine. Nos actions ou nos savoirs viennent toujours d’un homme et jamais d’un être qui posséderait la sagesse. Cela engage positivement à rejeter les gourous, les chefs fanatiques (ce qui constitue un pléonasme au vu de nos analyses) et les faiseurs de superstitions. Le revers de la médaille réside dans la prise de conscience de l’inexistence de savants intégraux sur qui nous pourrions inconditionnellement compter pour nous donner la vérité. Nous ne pouvons pas nous passer de maîtres et pourtant nous n’en rencontrons jamais. Ce paradoxe est le plus malaisé à accepter et ne peut recevoir aucune solution parfaite selon l’appréciation de Kant. Là où la nécessité du maître se fait sentir, elle pose (en même temps qu’elle apparaît) son impossibilité radicale. Nous ne pouvons pas nous passer de maîtres dans toutes les acceptions du terme, et pourtant nous sommes forcés de nous en passer.
 
Nous nous trouvons donc devant une impasse : le maître apparaît comme l’instance dont on ne peut se passer mais qui n’existe pas en tant que guide omniscient. Il est difficile d’accepter le fait que nous ne rencontrions que de l’humain. Ainsi pourrions-nous comprendre la révolte de ceux qui veulent brûler les maîtres qui sont toujours des usurpateurs puisqu’ils ne sont que des hommes. Mais on comprendrait aussi à l’inverse ceux qui adulent les maîtres comme guide permettant de continuer sur les rails de la tradition, fussent-ils contingents. Peut-on accepter d’agir sans maître, c’est-à-dire de s’en passer ? Peut-on passer outre la nécessité d’être gouverné et d’être éduqué ? Pouvons-nous accepter de nous passer de maîtres ou bien sommes-nous esclaves de cette illusion plaisante ?
 
III.
 
L’homme en tant qu’il est conscience de soi peut-il se passer de maître ? Ce dernier n’existe pas par nature mais il est nécessaire de constater l’existence de maître dans le monde. Des pédagogues et des chefs existent dans le monde. Ils n’existent pas par nature mais ils existent tout de même. Comment expliquer cette existence qui n’est pas reliée directement à une essence ? N’est-ce pas d’un point de vue dynamique que l'on peut juger de la notion de maître afin de savoir si l’on peut s’en passer ? Parce que nous ne pouvons avoir un maître au sens d’un guide omniscient, le problème évolue : l’homme peut-il se passer d’un maître humain ? Ne faut-il pas assumer l’idée d’un maître qui se constitue contre les hommes et donc dans un conflit entre consciences ? Le drame de la conscience n’est-il pas d’être intériorisation et désir de reconnaissance ? La conscience est un processus d’intériorisation : quand elle pense, elle fait que ce qui était à l’extérieur (l’objet) passe à l’intérieur, elle fait passer l’autre dans le même. Quand la conscience pense une galaxie à trois millions d’années-lumière, cette galaxie est en moi. Elle est moi, pourrait-on dire. Quand elle pense l’objet, elle ne le pense pas en tant qu’objet mais en tant que conscience qui saisit l’objet. Elle est donc fondamentalement maîtrise des objets et maître de l’objectif. L’autre de l’objet passe dans le même du sujet. Mais la difficulté survient de ce que la conscience rencontre une autre conscience qui est précisément dans son cas : d’où une lutte entre deux consciences qui désirent la reconnaissance. Dans cette lutte, l’une prend conscience avant l’autre qu’elle peut être intériorisée par l’autre et donc passer dans l’autre c’est-à-dire être mise à mort. En ce sens, l’une des consciences se constitue en maître qui n’a pas eu le temps d’avoir peur pour sa vie et l’autre en esclave qui a tremblé pour sa vie. L’homme ne peut donc se passer de maître dans la mesure où il est jeté au monde, dans un monde du conflit où il doit (et ce « doit » marque la nécessité de l’action) exister comme maître ou comme esclave. Qu’il endosse la maîtrise ou qu’il la subisse, il ne peut se passer de maître. Cela constitue la structure de la conscience. On ne peut donc pas se passer de maître puisque la conscience jetée au monde doit se situer dans la maîtrise  (où elle ne se passe pas de maître) ou dans la servitude (où elle ne se passe pas non plus de maître).
 
De cette nécessité du maître surgit la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave. Celui qui est devenu le maître souffre de ne pas être reconnu par un maître. Le désir d’être reconnu par un autre lui-même n’est pas rempli. En ce sens, la figure du maître n’est pas suffisante pour le maître. Le maître est forcé de se passer d’un maître. Par contre, l’esclave qui vit sous le joug d’un maître ne peut se passer de celui-ci. L’esclave connaît alors le travail, c’est-à-dire la tentative de maîtrise du monde matériel. Par son labeur, l’esclave peut se reconnaître comme le véritable maître, c’est-à-dire celui qui se reconnaît comme le maître du monde dans la mesure même où il a appris à le transformer, à l’informer. Il a déposé sa conscience dans son travail et cela lui permet justement de se reconnaître. Par cette maîtrise des objets, il devient le maître. Dans cette optique, l’homme ne peut pas se passer d’un maître puisqu’il est jeté au monde, dans un défi d’être maître. L’esclave devient maître par le travail. L’homme ne peut donc accepter d’être esclave de soi et cherche à produire l’effort d’assurer la maîtrise. Le problème devient alors le suivant : comment l’homme peut-il se passer d’être maître de soi ? Comment devenir maître de soi ? La question suppose donc la nécessité de s’assumer comme maître. D’un point de vue dynamique, nous pourrions dire que c’est à l’homme de se constituer comme maître. En tant que nous sommes des hommes, nous sommes nécessairement en conflit avec d’autres consciences. De cette relation sortent des maîtres et des esclaves. La structure de cette relation fait qu’on ne peut pas se passer de la figure du maître. Celle-ci régule les relations que les hommes vivent entre eux. Il n’existe pas un homme dont la nature est d’être maître, mais la lutte entre consciences fait naître nécessairement un maître, c’est-à-dire un être qui au moment de la rencontre n’a pas eu le temps d’avoir peur et un esclave qui a « vacillé » dans son cœur. Ainsi Hegel peut-il expliquer l’importance de la figure du maître. On ne peut pas se passer de cette figure puisqu’elle exprime l’intimité de la conscience (Cf. Phénoménologie de l’esprit, chapitre IV, section intitulée « La peur » ). Les uns pourraient très bien être à la place des autres et c’est ce qui se passe dans la dialectique puisque le maître non reconnu n’est qu’un néant maintenu dans l’être alors que l’esclave devient le maître de lui-même. On ne peut se passer de la figure conceptuelle du maître pour comprendre sa propre place dans le monde et les relations intersubjectives en règle générale. Ce n’est pas tant pour vivre mais pour comprendre que nous ne pouvons pas nous passer de la notion de « maître ». Il s’agit donc à présent de s’interroger sur les modalités de réalisation de notre être comme maître. Comment se comprendre, s’accepter et s’assumer comme maître ? Comment être maître de soi et comment vivre en assumant cette maîtrise ? Comment ne pas être seulement un maître fantasmé, un maître qui pourrait tomber dans la servitude ? Est-ce seulement possible et faisable ?
 
Ne faut-il pas alors chercher un domaine où il est possible de devenir maître de soi sans pour autant tomber dans le fanatisme ou dans le culte du chef ? En tant qu’elle est une discipline qui ne délivre pas de savoir, la philosophie n’est-elle pas le moyen idoine pour devenir maître de soi ? Le maître de philosophie n’apparaît pas en effet comme un porteur d’idéologie, c’est-à-dire d’une vision du monde qui se prétend universelle parce qu’elle s’ignore partielle. Le philosophe apparaît comme maître du non-savoir, comme maître d’ignorance. Qu’apprend la philosophie ? Elle délivre un savoir qui n’en est pas un véritablement : elle vise à démontrer qu’on ne sait pas, qu’on ne sait rien. C’est pourquoi Socrate est la figure du philosophe : il sait qu’il ne sait rien. C’est pourquoi également il est maître de lui-même. Il n’est donc pas possible de vivre une vie bonne sans être maître de soi et la philosophie permet d’atteindre cet objectif. La philosophie établit une lutte dans notre conscience entre la volonté d’être maître de soi et la position de sujétion par rapport à ses préjugés. Elle existe comme domaine de prise de conscience de notre non-savoir et permet de ne pas être esclave des préjugés qui veulent s’imposer de l’extérieur. En ce sens, elle est un domaine de résistance. Le maître de philosophie n’est pas un savant ou un docte mais un être qui assume son ignorance afin de pouvoir se maîtriser tel qu’il est et non tel qu’il s’imagine ou s’apparaît à lui-même. Le problème n’est donc plus « Peut-on se passer d’un maître ? » mais « Peut-on se passer d’être le maître de soi-même ? ». Cette interrogation déplace le problème de la maîtrise. Dans le cadre de l’enseignement, il faut devenir son propre maître c’est-à-dire savoir qu’on ne sait pas. Développer sa raison consiste non pas à s’asservir mais à se libérer par cette instance. Le problème de la nécessité d’un maître dans la vie est remplacé par le problème de la nécessité d’être à soi-même son propre maître afin de faire de sa vie une vie bonne. L’entreprise philosophique consiste à se libérer des pensées qui ne sont pas véritablement les nôtres ( les préjugés ) afin de ne plus être asservi par elles. La révolution de l’esprit telle que Socrate la thématise consiste à n’être asservi qu’à la raison. Mais cet asservissement est une libération puisque la raison est proprement ce que nous sommes. L’homme est un être rationnel c’est-à-dire qu’il doit user de sa raison mais cela n’est réalisable que dans le cadre d’une « ré-flexion » c’est-à-dire d’un retour sur soi, sur ses savoirs et sur ses pratiques. Placer la raison au principe de son existence revient à se libérer et non à s’aliéner.
 
Conclusion :
 
On ne peut donc pas se passer d’un maître ni même de plusieurs maîtres. Le problème consiste donc à tenter de devenir un maître. Mais un maître véritable c’est-à-dire un maître dont on peut être sûr qu’il ne tombera pas dans la servitude. C’est dans cette visée que la philosophie s’impose comme une discipline qui permet d’être à soi-même son propre maître. Nous ne pouvons pas nous passer de la notion de maître, c’est-à-dire faire comme si elle n’existait pas ou comme si elle n’avait aucune importance. Nous ne pouvons pas nous en dispenser. Cependant, nous devons prendre conscience de sa nécessité pour nous de nous assumer comme maître. Pour mener une bonne vie, une vie d’homme, nous devons assumer notre possibilité d’être maître.
 
La philosophie paraît le moyen approprié pour cela dans la mesure où elle ne délivre aucun savoir inconditionnel mais est plutôt une attitude de pensée et une méthode de résolution des difficultés. Devenir le maître de soi permet de se libérer et même de libérer socratiquement les autres. On ne peut se passer d’être son propre maître pour vivre ce que la sagesse grecque appelle une vie bonne mais on peut se passer d’asservir les autres, quand bien même on serait un pédagogue ou un gouvernant.


Message édité par l'Antichrist le 14-10-2007 à 14:41:16
n°12967704
l'Antichri​st
Posté le 14-10-2007 à 14:58:28  profilanswer
 

Enfin, une étude sur le rapport entre la culture et la philosophie.
 
Nous sommes toujours les fils de notre temps. Pour un français du vingt et unième siècle, cela signifie faire partie d’une société forcément étrange que notre immersion ne nous fait que peu interroger. Plongés dans notre quotidien, nous le croyons bien connu. Or il n’en est rien. Dès que nous nous interrogeons sur ce qui nous entoure, le quotidien acquiert une inquiétante étrangeté. Il existe en effet de nombreux obstacles relatifs au fait de saisir d’autres cultures que la sienne. Mais il existe au moins autant de difficultés à saisir l’essence de sa propre culture. Immergés que nous sommes dans une culture qui nous précède toujours déjà, que nous n’avons pas choisi et qui nous englobe, il semble bien difficile d’avoir un regard critique (de Krisis, la distinction) sur notre propre culture. C’est bien ce qui fait la difficulté mais aussi l’intérêt de la philosophie, à savoir cette faculté de se remettre véritablement en question, mettre "pour de vrai" en question ses savoirs et ses pratiques, ne serait-ce que pour savoir jusqu’à quel point ils sont fondés en raison et justes. Pour se connaître en tant que citoyen, il convient de se saisir comme l’héritier d’une histoire, l’histoire de son peuple pris lui-même dans des relations avec d’autres peuples. En ce sens, pour savoir qui nous sommes, il est nécessaire d’étudier l’histoire de son peuple, des autres peuples, bref de l’humanité tout entière. Il s’agit donc bien en ce sens de nous cultiver, c’est-à-dire d’apprendre des éléments qui ne sont pas seulement des informations mais qui sont des savoirs, puisqu’ils nous incluent. En sachant, nous nous découvrons "sachant" et nous devenons nous-mêmes, c’est-à-dire des êtres pleinement rationnels, et donc proprement humains.
 
Ainsi, lorsqu’on parle de "culture", on renvoie à un acquis. Mais la culture qui respecte la vie, c’est, fondamentalement, le dépassement du donné, quel qu’il soit. C’est le processus par lequel l’homme cherche à se libérer de ses particularités : se cultiver, c’est se libérer des limites, y compris et d’abord celles de la culture elle-même (entendue au sens de la civilisation) que définit notre existence particulière. La culture signifie en ce sens, non seulement l’appropriation des données d’une certaine culture, mais le dépassement de cette appropriation dans la réflexion philosophique qui permet une voie d’accès à l’universel (contre tout phénomène d’acculturation), c’est-à-dire à des valeurs supérieures fondamentalement attachées à l’humain et permettant de définir un idéal susceptible d’orienter les pratiques et les fins par-delà les différences propres à telle culture singulière. Autrement dit, dans ce dépassement culturel même, il s’agit de ne pas tomber dans l’ethnocentrisme, c’est-à-dire dans la tendance poussant un groupe social à évaluer les autres par rapport à lui-même. L’ethnologie justement en fait la critique en objectant que l’on ne peut juger de la valeur d’une culture à partir d’une autre, car le jugement que l’on formule ainsi n’est pas objectif et neutre, mais subjectif et partisan.
 
Toute philosophie doit ainsi nécessairement, si elle veut éviter le dogmatisme, être une philosophie de la philosophie, une réflexion sur la réflexion (elle doit s'intéresser à sa propre démarche philosophante) et ainsi prendre la forme d'une science des principes (philosophie première), devenir la fondation de la pensée. Philosopher, c’est élaborer le savoir du savoir, construire idéalement les actes réels de la conscience en tant que savoir réel, donc dans son rapport au monde. Il ne s’agit pas de produire de nouveaux savoirs, mais de laisser le savoir humain s’apparaître lui-même pour se dominer dans sa forme. Car l’objet de la pensée est lui-même un acte de pensée autonome et ayant sa vie propre : celui du savoir réel en lequel la conscience se rapporte sur un mode spécifique à un objet hors d’elle. C’est pourquoi, le philosophe reconstruit idéalement afin de produire l’intelligibilité. Ce contre quoi lutte la philosophie, c’est la "contradiction performative" : parler de "quelque chose" en termes d’affirmation, de négation ou même de doute, sans jamais s’interroger sur le statut de l’acte même d’énonciation. Kant appelait cela "les conditions de possibilité de la connaissance" en-deçà de ce que l’on croit connaître empiriquement. Ainsi quand je dis "Je" qui parle ? Un sujet splendidement isolé dans une subjectivité souveraine (le fameux "je pense donc je suis" de Descartes) ou plutôt un "nous" inconsciemment traversé, imprégné, structuré par les multiples flux d’une socio-culture historique, véhiculée par l’opinion publique, elle-même "informée" par les médias ?
 
La notion d’information fait en effet nettement appel au domaine du journalisme. Il revient bien aux journalistes de transmettre des informations à un public vaste (le peuple) via des médias que sont les journaux, la radio, la télévision. On peut même dire que la télévision constitue pour de très nombreux français le seul moyen d’accès à l’information. Or il existe une opposition entre la démarche du philosophe et de l’historien d’une part et la démarche du journaliste d’autre part.
 
Il s’agit de réfléchir, c’est-à-dire de produire de la pensée, ce qui réclame du temps et des distinctions subtiles puisque dès que l’on commence à penser, on ne peut se contenter de formules à l’emporte-pièce. On est donc contraint de formuler des distinctions pour penser précisément les choses et ne pas sombrer dans des simplifications funestes, qui ouvrent sur des positions fausses, voire absurdes. Le journaliste - à l’exception du véritable journalisme d’investigation - n’a pas pour ambition de penser. Cela ne signifie pas pour autant que les journalistes soient des êtres incultes, ignorants ou emplis d’une ignorance radicale. Ici comme ailleurs, il faut se garder de vues trop simplistes. Mais il n’empêche que l’ambition du journaliste consiste à fournir des informations dans l’urgence, l’urgence de l’action. Or le rapport entre l’urgence et la réflexion est antinomique.
 
Une autre différence essentielle entre l’esprit critique et l’esprit journalistique réside dans la différence d’approche de la réalité. L’esprit critique veut comprendre le monde et se comprendre dans le monde. Or ce n’est pas l’objectif des médias dans leur ensemble dont l’ambition louable consiste à transmettre des informations mais dont l’aspect problématique réside dans l’impossibilité matérielle et temporelle de contextualiser, de mettre en perspective, d’avoir la hauteur de vue qui permet un examen précis et fouillé. Cela ne signifie donc pas qu’il existe une théorie du complot qui se présente sous la forme simplificatrice du réel pour éviter de le penser dans sa diversité et dans sa complexité : "La vérité est cachée par des gens qui ne veulent pas la donner au peuple pour pouvoir le dominer." Vision simpliste qui traverse les passages les plus mauvais des Guignols de l’infos, de séries télévisées comme Aux frontières du réel et, bien sûr, de beaucoup de films médiocres à grand spectacle, ou bien encore les discours les plus obscurantistes de Jean-Marie Le Pen. Cette approche du réel évite de penser, c’est-à-dire dispense de tout travail pour comprendre un phénomène du réel qui ne dépend pas d’une volonté (explication via un deus ex machina) mais de l’agencement de plusieurs facteurs qui concourent, sans volonté inspiratrice, à la réalisation du réel tel qu’il est, et non tel qu’on voudrait qu’il soit (Bachelard). La simplification du réel auquel procède l’esprit journalistique commence par une réduction nuisible de la langue et de la richesse du vocabulaire. Il existe là une insécurité linguistique dont on parle peu mais dont les effets sont visibles : moins on a de mots à sa disposition, et moins les schèmes logiques sont précis, et donc moins les raisonnements sont subtils et donc moins on peut apprécier la complexité d’une situation.
 
Cette simplification du réel par l’esprit journalistique entraîne par contamination la simplification de l’approche du réel par ceux qui reçoivent les informations. Ainsi se développent des lieux communs, des idées reçues, des idées préconçues, c’est-à-dire des idées qui se trouvent en nous sans pour autant qu’elles soient proprement les nôtres dans la mesure même où elles n’ont pas reçu de notre part un examen critique. Faire retour sur ces idées qui sont en nous sans être les nôtres (les lieux communs) constitue le nerf de l’esprit critique, le même que nous développons grâce aux disciplines que sont l’histoire et la philosophie. En effet, toute approche du réel qui vise la vérité et non seulement le confort facile du relais des lieux communs nécessite un effort qui passe par le geste philosophique et par la connaissance historique. C'est la fonction primordiale d'un cinéma responsable, celui que j'aime et que je défends devant mes étudiants !
 
L’approche sans esprit critique de la réalité du monde qui nous entoure et nous englobe entraîne des simplifications, des raccourcis, des réductions ou bien encore des pensées au rabais. Cela peut entraîner des positions simples, voire simplistes, qui prennent la forme de formules ou de slogans, c’est-à-dire autant de positions ramassées en peu de mots apparemment simples à comprendre (d’autant plus si l’on ignore le sens des mots), ce qui empêche la réflexion, qui nécessite du temps. Ainsi Pierre Bourdieu écrit-il :
 
« L’échange de lieux communs est une communication sans autre contenu que le fait même de la communication. Les « lieux communs » qui jouent un rôle énorme dans la conversation quotidienne ont cette vertu que tout le monde peut les recevoir et les recevoir instantanément : par leur banalité, ils sont communs à l’émetteur et au récepteur. A l’opposé, la pensée est, par définition, subversive : elle doit commencer par démonter les « idées reçues » et elle doit ensuite démontrer. Quand Descartes parle de démonstration, il parle de longues chaînes de raisons. Ca prend du temps, il faut découler une série de propositions enchaînées par des « donc », « en conséquence », « cela dit », « étant entendu que »… Or, ce déploiement de la pensée pensante est intrinsèquement lié au temps. »
 
Ces formules ou ces slogans prennent, dans le domaine de l’histoire, des proportions funestes pour la "pensée pensante", et l’utilisation du pléonasme ne résulte pas du hasard. Confusion des mots : pas de distinction entre un génocide et un massacre, entre une tyrannie et un Etat totalitaire. Confusion des mots qui entraîne une confusion de la pensée : à assimiler des réalités qui sont différentes on prend le risque de simplifier le réel, rétif à toute approche réductionniste. Le réel est en effet une structure mouvante dont des éléments sont difficiles à extraire et dont les relations structurelles doivent être véritablement pensées. Cela empêche par principe des simplifications aberrantes, relayées par le sens commun, et non démenties par bon nombre d’individus qui possèdent une carte de presse : les Etats-Unis d’Amérique sont une dictature, George W. Bush est un idiot, Israël est un Etat totalitaire… Ces lieux communs contemporains sont d’autant plus pernicieux que nous n’avons pas spontanément le recul critique (pas spontanément puisqu’il faut l’acquérir) pour apprécier leur aspect caricatural, voire absurde. Ils sont tout aussi absurdes que les lieux communs d’autrefois : les communistes mangent des enfants, Gérald Ford est peu instruit… Et l’histoire comme science humaine qui étudie l’évolution des hommes et des mentalités est à cet égard d’une aide précieuse. Encore faut-il être capable, au niveau individuel (au niveau collectif, le problème est entier et dépasse largement le cadre de mon propos) de tirer des leçons de l’histoire, ce qui nécessite de la connaître et donc de l’étudier…
 
Or, pour étudier cette discipline, il convient d’accomplir une conversion de son regard (véritable époché), de ne pas en rester aux analyses superficielles et journalistiques mais de développer une hauteur de vue. Il est alors inévitable de faire des recherches, de multiplier les angles de vues et donc de ne pas en rester à une vision unilatérale d’une situation géographico-historique toujours forcément complexe et difficilement compréhensible. Nous retrouvons encore la notion d’effort, de goût pour la recherche qui apporte, en récompense de la douleur, le délice d’un cadeau : la lucidité. Et cela n’est possible que par la culture de la curiosité.
 
Cette lucidité permet de tirer trois enseignements. D’abord, toutes les sources d’informations ne se valent pas : on apprend plus d’éléments dans un livre de 300 pages d’un historien sérieux que dans des reportages télévisés de quelques minutes de la plupart des journalistes qui font sérieusement leur travail mais qui sont pris dans des structures qui ne sont pas intellectuelles. Ensuite, deuxième enseignement : pour exercer son esprit critique, il convient de mettre à mort les schèmes mentaux – qui sont spontanément notre lot – manichéens. Un journaliste a demandé à Pierre Bourdieu si la sociologie (mais cela vaut bien sûr pour la philosophie et l’histoire) montre la vérité là où les médias profèrent des mensonges. Quelle façon caricaturale de présenter les choses ! Il existe des journalistes honnêtes et des sociologues superficiels, et inversement ! Enfin, troisième enseignement : la recherche de l’audience à tout prix incline à être obsédé par le scoop, par la dernière information en date, ce qui constitue un nivellement des informations par le bas : combien de journaux télévisés s’ouvrent sur des résultats sportifs (pour attirer les mâles, surtout les jeunes), sur des faits divers (pour attirer la ménagère de moins de cinquante ans, les amateurs d’images fortes et tout homme qui laisse sa partie bestiale ou ses bas instincts prendre le dessus, sans mettre, bien évidemment, tous ces exemples dans le même panier conceptuel), sur des catastrophes naturelles (pour attirer les amateurs de spectacle). Encore Pierre Bourdieu :
 
« Poussées par la concurrence pour les parts de marché, les télévisions recourent de plus en plus aux vieilles ficelles des journaux à sensation, donnant la première place, quand ce n’est pas toute la place, aux faits divers et aux nouvelles sportives : il est de plus en plus fréquent que, quoi qui ait pu se passer dans le monde, l’ouverture du journal télévisé soit donnée aux résultats du championnat de France de football ou à tel ou tel autre événement sportif, programmé pour faire irruption dans le journal de vingt heures, ou à l’aspect le plus anecdotique et le plus ritualisé de la vie politique (visite des chefs d’Etat étrangers, ou visite du chef de l’Etat à l’étranger, etc...) sans parler des catastrophes naturelles, des accidents, des incendies, bref tout ce qui peut susciter un intérêt de simple curiosité, et qui ne demande aucune compétence spécifique préalable, politique notamment. Les faits divers, je l’ai dit, ont pour effet de faire le vide politique, de dépolitiser et de réduire la vie du monde à l’anecdote et au ragot (qui peut être national ou planétaire, avec la vie des stars et des familles royales), en fixant et en retenant l’attention sur des événements sans conséquences politiques […] Et la même recherche du sensationnel, donc de la réussite commerciale, peut aussi conduire à sélectionner des faits divers qui, abandonnés aux constructions sauvages de la démagogie (spontanée ou calculée), peuvent susciter un immense intérêt en flattant les pulsions et les passions les plus élémentaires (avec les affaires comme les rapts d’enfants et les scandales propres à susciter l’indignation populaire), voire des formes de mobilisation purement sentimentales et caritatives ou, tout aussi passionnelles mais agressives et proche du lynchage symbolique, avec les assassinats d’enfants ou les incidents associés à des groupes stigmatisés. »
 
Il ne s’agit pas ici de stigmatiser des individus particuliers qui sont toujours pris dans des structures plus vastes, et qui sont d’autant mieux manipulateurs qu’ils sont manipulés. Mais il n’empêche qu’une analyse même succincte du journal de la rédaction de TF1 de treize heures, présenté par l’inénarrable Jean-Pierre Pernaut, va dans le sens d’un populisme bon marché.
 
Le philosophe et l’historien, en tant qu’ils se posent comme des membres de la culture, ont pour objectif de trouver la vérité, vérité ontologique pour le premier et authenticité des événements pour le second. Cela ne peut se faire qu’avec l’acquisition de l’esprit critique, qui nécessite le temps de la réflexion. En prenant conscience de cela, il convient de faire l’effort de développer son esprit critique afin de ne pas rester dans l’obscurité de la pensée ou dans l’obscurantisme spirituel. Il convient donc de ne pas relayer des informations journalistiques sans les avoir vérifiées, pesées, soupesées, confrontées avec d’autres sources d’information. Cela est le seul moyen de se forger une opinion éclairée. Cela relève encore d’une distinction philosophique utile pour notre vie d’homme. Nous avons spontanément des opinions (la doxa dont parlaient les Athéniens et contre laquelle luttait Socrate, le champion du paradoxe, de ce qui va à l’encontre de l’opinion). Il convient de lutter contre celle-ci afin de se forger sa propre opinion, mot qui prend ici un tout autre sens et une dignité certaine. Depuis le dix-huitième siècle en effet l’opinion (entendue comme position éclairée, comme avis personnel forgé et construit, et non seulement reçu) peut acquérir ses lettres de noblesse. Dans la liberté d’opinion, je ne suis véritablement libre que si je suis l’auteur de mon opinion. C’est-à-dire : si le sens positif d’opinion (idée que j’ai construite, forgée par le travail d’esprit critique) dépasse le sens négatif d’opinion (comme idée toute faite, idée reçue, lieu commun).
 
Ainsi, d’une part, toutes les opinions ne se valent pas et d’autre part l’esprit critique révèle une démarche proprement humaine. Il est donc nécessaire pour être un citoyen éclairé de faire retour sur les données brutes informatives qui entrent dans notre esprit et que notre esprit doit à son tour reprendre et refondre dans une pensée personnelle. Sans cette reprise active de l’esprit par lui-même, sans cette prise de distance, on prend le risque de colporter des erreurs, des imprécisions et donc in fine des opinions prises en un sens négatif, idées toutes faites, préjugés... Affirmer que cela ne relève pas de la première importance revient à accepter de ne pas être un citoyen éclairé. Se désintéresser de la question revient à se mentir à soi-même, à couvrir de fleurs des chaînes qui nous emprisonnent afin de ne pas les voir. Cette démarche toujours possible, puisque nous sommes libres, relève de ce que Sartre appelle la mauvaise foi, cette façon subtile que nous avons souvent de nous mentir à nous-mêmes.
 
Pour éviter cela on doit combiner la démarche réflexive propre à la philosophie et les travaux des historiens. Ceux-ci permettent par leurs recherches de comprendre le monde qui nous entoure parce que ce dernier résulte nécessairement de structures antérieures.


Message édité par l'Antichrist le 15-10-2007 à 06:05:15
n°12970456
sylvva
Posté le 14-10-2007 à 21:27:14  profilanswer
 

et voilà le retour d'enfer de Monsieur l'Antichrist !
le voilà qui se fait un plaisir de courir à la rescousse de la gente masculine !
 
mais au-delà de la vaste rhétorique qu'il déploie, Monsieur l'Antichrist, qui se prévaut de sa qualité d'enseignant, se disqualifie d'entrée de jeu :  
sa pédagogie consiste à accabler d'injures, de reproches et de condescendance celui  
à qui il prétend enseigner
 
et, plus grave encore, à l'enfermer définitivement dans la condition d'ignorance,
 
ce nouveau Monsieur Jourdain de l'Ecole, rempli d'orgueil et autrement plus dangereux,
ignore que l'idée même d'enseigner suppose l'optimisme pédagogique
 
et quand il prend comme cible préférée, semble-t-il, les jeunes filles, dont, en passant soit dit,
il ne démontre point l'incapacité, ne faisant que des affirmations péremptoires et usurpant
le titre de psychologue, le voilà qui se conduit en Barbon frustré !    :lol:  
 
voilà donc quelqu'un, au comportement brute, ce qui, dans l'acception étymologique première du mot, veut dire : "ne pas avoir été façonné par l'esprit", qui prétend enseigner la Philo,
qui prêche l'esprit critique et la prise de distance par rapport aux préjugés !!  
 
mais il y a pire, et cela ne fait plus rire, Antichrist ne se contente pas d'être ridicule :  
il se montre nostalgique du temps où  
l'espèce des individus bêtes était très vite éliminée d'un savoir décrété supérieur !
 
qu'il fasse de doctes dissertes, qui peuvent être valides, ne le dédouane point  
d'un grave manquement à l'éthique humaniste, vue comme priorité accordée à la dignité humaine,
et ne peut tromper, dans l'admiration, que l'oeil du naïf ébloui par l'érudition
 
triste illustration du bon mot qui dit : science sans conscience n'est que ruine de l'âme
 
qui n'entend pas respecter l'Homme ne peut pas prétendre à enseigner aux hommes  
 
regardez-vous dans le miroir, Antichrist
 
Nota bene :
 
je ne m'étais pas proposé d'exposer ni analyser la pensée d'Epicure dans sa totalité,
j'ai juste voulu montrer que, dans la réception d'un texte philosophique,
il est impropre de se placer, comme point de départ, dans l'affectivité,
qui nous fait adhérer spontanément à telle ou telle chose pour la raison qu'elle nous plaît,
 
il convient d'adopter une démarche critique : examiner un discours du point de vue logique
et selon les arguments ou les preuves qu'il avance
 
cela parce que la philosophie est l'expression de ce besoin que manifeste l'être humain  
de sortir de l'affect, donnée première, qu'il ressent comme l'enfermant en lui-même,
afin d'accéder à quelque chose qui dépasse l'égotisme, un ordre de généralité  
qu'on a appelé "universel", qu'il pressent comme existant et reliant tous les hommes

Message cité 4 fois
Message édité par sylvva le 14-10-2007 à 21:46:37
n°12973554
l'Antichri​st
Posté le 15-10-2007 à 05:01:30  profilanswer
 

Le problème est très simple, jeune idiote : vous n'avez aucune légitimité pour venir sur ce forum nous sortir vos bêtises, et si vous passez outre, c'est à vos risques et périls (et croyez bien que je n'en ai pas fini avec vous : tous vos messages sont une insulte à la pensée philosophique) ! Vous êtes, je vais le répéter une énième fois, INCOMPETENTE, vous pouvez quand même comprendre ce que signifie cette expression, INCOMPETENTE !!! Vous évoluez dans un relativisme sans discernement (à l'opposé du véritable sens critique !) qui consacre la perte du sens. En fait, vous ne connaissez pas les auteurs et alors même que l'on tente de vous expliquer les enjeux de leur pensée (pour Epicure, par exemple : la Lettre à Ménécée est un résumé théorique destiné aux disciples et non une collection "d'affirmations péremptoires", ce qui implique de se laisser convaincre par le sens de sa philosophie puisque la philosophie est essentiellement une pratique... avant même que d'objecter à foutre de vous teniez vos réponses dans son analyse du texte d'Epicure, c'est fou non ?), vous cabotinez, tel Ménon, en refusant de vous laissez docilement guider (et ainsi pouvoir tirer profit de votre embarras) pour mieux aller où bon vous semble, c'est-à-dire vers ce qui manifestement vous est familier, les disputes autour de la philosophie. Alors, soit vous quittez ces lieux, n'ayant rigoureusement rien à y faire, rien à dire et rien a apporter, sinon la mort dans la répétition de votre névrose, soit vous commencez vraiment à faire de la philosophie (en lisant les auteurs - et non en balançant des petites citations à la tête de vos interlocuteurs pour faire celle qui connaît - en méditant leur pensée, en les confrontant aux exégèses) et dans ce cas vous aurez gagné votre place ici... Actuellement vos propos sont purement scandaleux car irrespectueux de la lettre et de l'esprit des philosophies concernées : c'est une chose que de proposer une interprétation (avec laquelle on peut ne pas être d'accord), c'en est une autre que de commettre de graves erreurs de lecture (par paresse et conviction idéologique) avec la prétention assumée de révéler leur vérité cachée aux pauvres philosophes enfermés dans leur idéologie ! Vous avez certes le droit (légal sinon moral) de venir ici, mais sachez que je ne reconnais à vos divagations aucune raison d'être, aucune justification (sinon, peut-être, celle de vous soulager d'une souffrance...). Je vous exhorte à quitter ce comportement d'élève de terminale S attardé et surtout arrogant (qui êtes-vous vraiment ? Une lycéenne ou une étudiante, mon doute ne fait que grandir car bien de mes amies, docteurs en Lettres, en psychologie et même en physique, n'affichent pas un tel mépris).

Message cité 1 fois
Message édité par l'Antichrist le 15-10-2007 à 07:10:18
mood
Publicité
Posté le 15-10-2007 à 05:01:30  profilanswer
 

n°12973571
itcouldbes​weet
Aller simple
Posté le 15-10-2007 à 05:09:44  profilanswer
 

l'Antichrist a écrit :

Le problème est très simple, jeune idiote : vous n'avez aucune légitimité pour venir sur ce forum nous sortir vos bêtises, et si vous passez outre, c'est à vos risques et périls (et croyez bien que je n'en ai pas fini avec vous : tous vos messages sont une insulte à la pensée philosophique) ! Vous êtes, je vais le répéter une énième fois, INCOMPETENTE, vous pouvez quand même comprendre ce que signifie cette expression, INCOMPETENTE !!! Vous ne connaissez pas les auteurs et alors même que l'on tente de vous expliquer les enjeux de leur pensée (pour Epicure, par exemple : la Lettre à Ménécée est un résumé théorique destiné aux disciples et non une collection "d'affirmations péremptoires", ce qui implique de se laisser convaincre par le sens de sa philosophie puisque la philosophie est essentiellement une pratique... avant même que d'objecter à foutre de vous teniez vos réponses dans son analyse du texte d'Epicure, c'est fou non ?), vous cabotinez, tel Ménon, en refusant de vous laissez docilement guider (et ainsi pouvoir tirer profit de votre embarras) pour mieux aller où bon vous semble, c'est-à-dire vers ce qui manifestement vous est familier, les disputes autour de la philosophie. Alors, soit vous quittez ces lieux, n'ayant rigoureusement rien à y faire, rien à dire et rien a apporter, sinon la mort dans la répétition de votre névrose, soit vous commencez vraiment à faire de la philosophie (en lisant les auteurs - et non en balançant des petites citations à la tête de vos interlocuteurs pour faire celle qui connaît - en méditant leur pensée, en les confrontant aux exégèses) et dans ce cas vous aurez gagné votre place ici... Actuellement vos propos sont purement scandaleux car irrespectueux de la lettre et de l'esprit des philosophies concernées : c'est une chose que de proposer une interprétation (avec laquelle on peut ne pas être d'accord), s'en est une autre que de commettre de graves erreurs de lecture (par paresse et conviction idéologique) avec la prétention assumée de révéler leur vérité cachée aux pauvres philosophes enfermés dans leur idéologie ! Je vous exhorte à quitter ce comportement d'élève de terminale S attardé (qui êtes-vous vraiment ? Une lycéenne ou une étudiante, mon doute ne fait que grandir car bien de mes amies, docteurs en Lettres, en psychologie et même en physique, n'affichent pas un tel mépris).  


 
Oserais-je vous demander votre score au test du connard prétentieux?  :??:


---------------
I like that outfit, the zipper's pinchin'. But if you want it any tighter we could cinch it.
n°12973641
l'Antichri​st
Posté le 15-10-2007 à 06:45:32  profilanswer
 

sylvva a écrit :


 
(...)
 
je ne m'étais pas proposé d'exposer ni analyser la pensée d'Epicure dans sa totalité,
j'ai juste voulu montrer que, dans la réception d'un texte philosophique,
il est impropre de se placer, comme point de départ, dans l'affectivité,
qui nous fait adhérer spontanément à telle ou telle chose pour la raison qu'elle nous plaît,
 
il convient d'adopter une démarche critique : examiner un discours du point de vue logique
et selon les arguments ou les preuves qu'il avance
 
cela parce que la philosophie est l'expression de ce besoin que manifeste l'être humain  
de sortir de l'affect, donnée première, qu'il ressent comme l'enfermant en lui-même,
afin d'accéder à quelque chose qui dépasse l'égotisme, un ordre de généralité  
qu'on a appelé "universel", qu'il pressent comme existant et reliant tous les hommes


 
Voilà ! Comment voulez-vous comprendre la pensée d'Epicure si vous l'abordez avec un présupposé qui va justement à l'encontre de sa "canonique" !
 
Selon Diogène Laërce (X, 30), Epicure divise la philosophie en trois parties (comme la plupart des philosophies antiques) : canonique, physique, éthique. Cette division est peut-être une contamination tardive de la répartition stoïcienne. Mais il est certain qu'il ne s’agit pas d’une logique (comme chez les stoïciens), ni d’une dialectique (comme chez Aristote), parce qu’on ne vise ni à pratiquer des exercices formels ni à développer une analyse. Epicure ne nourrit pas de réflexion sur la nature ou les règles du langage. La canonique dépend de la physique et non de l’étude du logos : il faut subordonner l’étude des mots à la compréhension de ce qu’il y a "derrière". Il faut lire à ce propos la Lettre à Hérodote, §§. 7-8 : il s'agit d'un résumé de l’essentiel de la canonique nécessaire aux recherches physiques. On y trouve deux principes fondamentaux :
 
- au début d’une investigation, on doit posséder des concepts correspondants aux mots utilisés (cette pré-aquisition des concepts met en jeu la prolepsis : lorsque l’on parle, il s’agit de détenir une connaissance de la forme des choses.
 
- l’observation empirique fournit le fondement de toutes les inférences à propos des sensations.
 
Or la première règle correspond à la prénotion et la seconde au caractère régulateur de la sensation, ce qui est très exactement l’inverse de l’ordre proposé par Diogène Laërce (X, 31-34 : Diogène Laërce en effet propose trois critères du vrai pour l’étude : sensation, prénotion, affection). Diogène Laërce explique la genèse de ces critères. Or la sensation engendre les autres critères - elle est source de tous les concepts. Au contraire, la Lettre à Hérodote ne présente pas épistémologiquement ses critères mais méthodologiquement (ordre "pour nous" : lorsque l’on formule un problème, on a des prénotions derrière les mots avant de chercher à se rapporter à l'affection de la sensation).
 
Se pose ainsi le problème du critère :
 
1) Introduction historique : le problème lui-même est déterminé par l’influence du scepticisme. Pour Aristote, il y a un problème de fait, qui est celui de la nature de la connaissance. En effet, il ne peut y avoir de connaissance que du stable et de l’immuable (de ce qui donc n’est pas soumis au devenir). Les apparences sont bien trompeuses et c’est pourquoi la science n’est pas une connaissance empirique mais prend au contraire pour modèle formel la mathématique (encore que le statut de cette dernière chez Aristote rende cette modélisation problématique...).
 
Cependant, avec l’influence croissante des sceptiques, le problème de fait devient (en particulier à partir de l’époque hellénistique) un problème de droit, qui consiste à répondre à la question de savoir si la connaissance est possible. Si toute existence est corporelle toute connaissance sera connaissance de ces existences donc elle-même connaissance sensible. Certes, la notion même d’une connaissance sensible se heurte toujours aux mêmes difficultés (le caractère contradictoire des apparences). Cependant la connaissance a un nouveau modèle : la médecine. L’induction, dont le diagnostic est le modèle, permet à Epicure d’être un des premiers à faire front au pyrrhonisme.
 
2) Qu’est-ce qu’un critère ? Comment discriminer en toute certitude une vérité ? Le concept de canon est relativement nouveau (c’est vraisemblablement Epicure lui-même qui l’introduit dans le domaine de la théorie de la connaissance). "Critère" renvoie aux facultés de connaissance (raison et sens). A partir d’Epicure, ce mot désignera le moyen infaillible d’établir une distinction vrai/faux qui rende possible la connaissance, et qui est auto-suffisant. C’est le garant ultime qui sert à tracer une infinité d’opinions droites et en garantit la rectitude.
 
3) La question du critère chez Epicure. D’après Diogène Laërce, il y a trois critères. Selon les textes, le terme désigne une faculté (Cf. Lettre à Hérodote, §§. 38, 51, 82) ou un discriminant (Cf. Maximes Capitales, 24 et Lettre à Hérodote, § 52). Lucrèce traduit par judicium, alors que canon est traduit par regula. Cf. De Natura Rerum, IV, vv. 480-481 : le critère est ce qui a le pouvoir par soi de vaincre le faux par le vrai. Les critères sont donc les vérités primitives pour lesquelles l’absence de preuve n’est pas un défaut mais une qualité. On trouve dans Sextus Empiricus la conciliation des deux types de critères : critère de vérité (qu’est-ce qui est ?) et critère de choix (qu’est-ce qui est à rechercher ou à éviter ?). Les pyrrhoniens reconnaissent le second mais jamais le premier, qui s’entend en trois sens :
 
- toute mesure d’appréhension naturelle (vue, goût, ouïe, etc…)
- toute mesure d’appréhension technique du sensible (compas, règle, etc…)
- toute mesure d’appréhension technique du non-sensible (critère logique), répondant à trois questions (par quoi, selon quoi, au moyen de quoi).
 
Selon Sextus Empiricus, Epicure considère que le critère est la sensation, pour l’opposer à la doxa (mais Epicure réfère ce caractère discriminant à l’organe même de la sensation alors que Sextus Empiricus le place dans l’impact). Quant aux affections, elles n’apparaissent pas stricto sensu comme critères, mais sont cependant mentionnées à côté des sensations dans la Lettre à Hérodote, §. 38 et 39, où elles sont citées comme base légitime de l’inférence (en fait, les philosophies hellénistiques en ont généralement fait un critère de choix plutôt que de vérité, et Epicure lui-même leur assigne ce rôle dans la Lettre à Ménécée, §. 129 : ces hésitations sont elles aussi des conséquences du scepticisme qui refuse le critère de la vérité mais reconnaît le critère du choix). Bref, il y a chez Epicure une distinction nette entre sensation et affection. Enfin les prénotions sont des critères d’investigation et non de vérité stricto sensu (les sensations sont les critères de vérité mais les prénotions sont nécessaires pour chercher quoi que ce soit). Les prénotions ne sont considérées comme critères que dans la mesure où elles découlent des sensations qui sont elles-mêmes vraies.


Message édité par l'Antichrist le 15-10-2007 à 07:12:53
n°12973648
l'Antichri​st
Posté le 15-10-2007 à 07:02:24  profilanswer
 

sylvva a écrit :


 
(...)
 
cela parce que la philosophie est l'expression de ce besoin que manifeste l'être humain  
de sortir de l'affect, donnée première, qu'il ressent comme l'enfermant en lui-même,
afin d'accéder à quelque chose qui dépasse l'égotisme, un ordre de généralité  
qu'on a appelé "universel", qu'il pressent comme existant et reliant tous les hommes


 
Là encore, votre position est idéologique et constitue un refus pur et simple d'envisager qu'il puisse y avoir une vérité des représentations sensibles, comme cherche à le montrer Epicure !
 
Il est vrai que cette thèse était considérée comme paradoxale par les contemporains d’Epicure. La thèse est implicitement énoncée et explicitée par Maximes Capitales, 23. Deux choses semblent étranges : si l’on entend par sensation le simple processus par lequel on est affecté, il s’agit alors d’un fait, qui comme tel n’est ni vrai ni faux ; si l’on donne une extension plus large (perception sensible) alors il y a du sens à affirmer la vérité de la sensation (il ne s’agit plus du fait brut), mais il faut alors qu’elles soient toutes vraies, ce qui semble contredire l’idée d’erreur des sens. Cette thèse doit se comprendre dans son contexte polémique.
 
1) La polémique contre les sceptiques :
 
Descartes reprend l’argumentation épicurienne dans les Méditations Métaphysiques, I : Si un sens a menti une fois dans sa vie, aucun ne devra jamais être cru (faisons un peu de logique puisque c'est votre "priorité" : majeure) ; or au moins une fois les sens ont menti (mineure) ; donc on ne devra jamais croire les sens (conclusion). Epicure admet la conditionnelle (la majeure, que les sceptiques admettent également) mais montre que la mineure est fausse. L’argumentation sceptique consiste à montrer qu’il y a conflit entre les sensations et qu’elles sont indécidables (on ne peut pas trancher parce qu’elles ont toutes la même puissance). L’argumentation épicurienne est le reflet inversé de son adversaire : il faut montrer au contraire que, parce qu’elles sont également vraies, il ne peut y avoir de conflit entre les sensations parce qu’elles ne se meuvent pas dans les mêmes domaines. Il faut donc montrer que les prétendues erreurs des sens n’en sont pas et qu’il ne peut y avoir conflit qu’au niveau des opinions (à noter que cela n’établit pas encore la vérité positive des sensations).
 
Aristote avait déjà expliqué que la sensation ne pouvait être ni vraie ni fausse parce qu’elle ne disait rien. Or, au contraire, la sensation dit quelque chose, mais il faut distinguer deux mouvements : le mouvement provoqué en nous par l’image extérieure, et le mouvement lié à l’apparition de cette image, mais qui s’en écarte parce qu’il lui est ajouté. Cette distinction est utilisée par Lucrèce (Cf. De Natura Rerum, IV, 462) pour construire une explication physique des illusions d’optique. L’erreur ne se trouve pas dans les sens mais dans le jugement de l’opinion qui s’y lie. Le jugement se trouve dans la partie intellectuelle (mens) de l’esprit (animus), dont dépens la ratio. Les sens disent bien quelque chose (ils fournissent l’information), mais le jugement les compare, les rapproche, leur ajoute ou leur retire quelque chose. le jugement implique un concept alors que la sensation est toujours un fait présent.
 
Le deuxième argument contre les sceptiques vient de ce que le premier est susceptible de tomber sous les accusations de cercle vicieux (trope sceptique) : la physique repose sur la canonique, laquelle repose sur le critère de la vérité des sensations. Il faut donc défendre la sensation de façon purement gnoséologique, sans aucun présupposé physique. L’argument est : on ne peut jamais affirmer que les sens nous ont trompé au moins une fois (cf. Lucrèce, De Natura Rerum, IV, 469-521). Cette thèse s’établit par réfutation de la thèse adverse (rhétorique judiciare : l’accusateur sceptique vient d’affirmer que l’on ne peut produire comme témoins que les sens, invalidables par la raison, les autres sens, ou le même sens se contredisant. Il s’agit de faire porter sur l’adversaire la charge de la preuve). Lucrèce cherche à montrer au contraire que les sensations ne sont pas susceptibles d’être invalidées. Démonstration :
 
- deux arguments "ad hominem" contre la thèse sceptique (P est faux, soit non-P)
- on en déduit la thèse adverse (P ou Q, or non-P, donc Q)
- argumentation par les conséquences (si on ne concède pas Q alors R)
 
La thèse sceptique s’auto-réfute (elle se réfute à partir de ses propres prémisses, on ne doit pas avoir besoin de faire admettre à l’adversaire d’autres prémisses que les siennes). La thèse sceptique consiste à dire qu’il n’existe pas de critère, donc pas de preuve possible, donc elle n’est elle-même pas prouvable (argument parallèle à celui utilisé contre la crainte de la mort : c’est craindre d’être conscient de l’état qui consiste à ne plus être conscient).
 
Un deuxième argument consiste à accorder beaucoup plus à l’adversire que ce qu’il demande : on concède que "je sais que je ne peux rien savoir", mais on demande alors d’où vient cette notion du savoir, et comment l’adversaire peut-il savoir quelque chose à propos du savoir puisqu’il dit que le savoir est impossible ? Autrement dit, d’où viennent les idées dont on nie la réalisation ? Trois couples de notions sont ici impliquées : science (savoir-ignorance) ; critère (vrai-faux) ; conséquences subjectives de la science (certain-douteux). Toute recherche sur un concept quel qu’il soit présuppose que l’on ait déjà le concept, donc qu’on l’a acquis, donc qu’on l’a rencontré : c’est contradictoire. Contre argument : seule la recherche à propos du savoir suppose ces exigences.
 
Axiome : toutes nos idées ont une source indépendante de nous (un fondement objectif, qui n’est pas nécessairement empiriste : il ne s’agit pas de poser d’emblée la vérité des sensations, mais de poser l’existence même d’un fondement quel qu’il soit, ce qui suffit à réfuter le sceptique). Or, c’est un principe unanimement respecté que d’admettre qu’il ne peut y avoir recherche qu’à propos d’une connaissance que l’on a déjà (c’est le principe non-empiriste sur lequel repose toute la théorie antique de la connaissance). Le sceptique est réfuté dans la mesure où il doit admettre cela ou bien admettre que l’on ne peut parler de rien et ne rien affirmer sur rien.
 
On a donc déjà nécessairement rencontré du vrai, il existe une expérience fondamentale du savoir et de la vérité qui est la pierre de touche de la connaissance : il s’agit pour les épicuriens de l’évidence.
 
On peut à partir de là démontrer l’infaillibilité des sens (la notion de vrai a son origine dans les sens, qui ne sont pas critères mais origines). Mais cette thèse en entraîne une seconde : les sens sont toujours vrais (cette réponse sert donc de transition entre la réfutation sceptique et l'affirmation de l’infaillibilité des sens. La charge de la preuve revient donc à l’adversaire - c’est-à-dire au scpetique, qui doit montrer la fausseté de la sensation, ce qui est impossible puisque toute preuve repose sur un critère du vrai dont on vient de montrer qu’il était dérivé des sens. cependant cette impossibilité de la démonstration n’est pas une force mais une faiblesse, parce que la preuve, si elle était possible, serait plus forte).
 
La stratégie consiste donc à dire qu’aucun témoin n’est qualifié pour réfuter les sens, parce qu’un mode de connaissance n’est réfutable qu’à partir d’un autre mode plus vrai, plus "digne de foi", or rien n’est plus digne de foi que les sens, qui ne disent pas "plus vrai que" (sinon il y aurait régression à l’infini), mais absolument vrai. Il existe un critère, l’évidence, index veri et falsi. La raison en effet dépend des sens et ne peut les réfuter. Une obscurité demeure dans la mesure où aucun texte épicurien ne décrit la genèse de la raison à partir de la sensation, mais comme la raison utilise les concepts qui sont eux-mêmes dérivés des sensations, l’aversaire lui-même reconnaît cette thèse (Carnéade et la Nouvelle Académie reconnaissent que la raison se construit à partir de la mémoire des sensations). La raison n’a donc pas par elle-même le pouvoir de distinguer le vrai du faux : elle met en relation des données dont le fondement est sensible.
 
La sensation est purement passive, donnée par autre chose qu’elle-même : elle ne peut que transmettre sans ajouter ni retrancher quoi que ce soit à sa cause. Elle témoigne donc bien d’une chose, et elle en témoigne fidèlement : elle est vraie. Comme contact, elle est affirmation d’existence (en particulier pour le toucher, qui est la seule sensation directe, et qui est connaissance des corps eux-mêmes là où les autres sensations ne connaissent que leurs qualités).
 
Sensation et affection sont deux modes de la présence, l’une étant principe de l’éthique (le plaisir comme bien), l’autre de la canonique (le senti comme vrai). Cela ne signifie pas que tous les plaisirs doivent être recherchés ni toutes les sensations crues (il  faut aussi faire intervenir un calcul, le raisonnement). Certaines sensations sont trompeuses, certains plaisirs sont mauvais (l’absolutisation de cette thèse donne dans l’ordre de l’éthique le stoïcisme, dans l’ordre de la connaissance le scepticisme). Or, en fait, aucune sensation n’est fausse par elle-même, aucun plaisir n’est mauvais en lui-même (même raisonnement que pour la sensation : on ne peut rejeter le plaisir qu’au nom du bien, or le bien dérive du plaisir).
 
La sensation étant a-logos (sans mémoire, passive, neutre), et le plaisir aussi, il s’agit de pures présences en lesquelles je dois avoir une confiance absolue (prima fides, première génétiquement et épistémiquement, naturelle, c’est-à-dire valable pour tous les êtres vivants). En réalité, à la limite, toutes les sensations sont non seulement vraies mais aussi bonnes (négativement, comme renseignement sur les dangers à fuir ; positivement, comme plaisir pur en repos de se sentir vivre). Le sentir est le bien : les affections sont donc rangées dans les critères de la vérité.


Message édité par l'Antichrist le 17-10-2007 à 05:54:19
n°12973676
l'Antichri​st
Posté le 15-10-2007 à 07:35:23  profilanswer
 

sylvva a écrit :


 
(...)
 
je ne m'étais pas proposé d'exposer ni analyser la pensée d'Epicure dans sa totalité,
j'ai juste voulu montrer que, dans la réception d'un texte philosophique,
il est impropre de se placer, comme point de départ, dans l'affectivité,
qui nous fait adhérer spontanément à telle ou telle chose pour la raison qu'elle nous plaît,
 
il convient d'adopter une démarche critique : examiner un discours du point de vue logique
et selon les arguments ou les preuves qu'il avance
 
cela parce que la philosophie est l'expression de ce besoin que manifeste l'être humain  
de sortir de l'affect, donnée première, qu'il ressent comme l'enfermant en lui-même,
afin d'accéder à quelque chose qui dépasse l'égotisme, un ordre de généralité  
qu'on a appelé "universel", qu'il pressent comme existant et reliant tous les hommes


 
Comment sortir de "l'affect" ? Est-ce seulement possible ? Epicure propose sa solution qu'il applique à la connaissance de la nature des Dieux. Nous avons une prénotion des Dieux !
 
I) qu’est-ce que la prénotion ?
 
1) Définition (Cf. Diogène Laërce, X, 33 ; Lettre à Hérodote, §§ 37-38 ; Cicéron, De Nat. Deorum, I, 16) : c’est une préconnaissance qui anticipe toute recherche. On possède nécessairement "par avance" des concepts correspondants aux mots que l’on utilise, l’usage courant des mots actualisant de façon plus claire qu’aucune définition ces concepts latents. Traduction classique : concept au sens de notion naturellement évoquée par le nom de la chose.
 
2) Exemples : le corps (Cf. Lucrèce, De Natura Rerum, II, 739-745) a une existence substantielle, existe par soi indépendamment de ses propriétés. La prénotion en inclut la possibilité du toucher, autrement dit l’évidence propre à la prénotion de corps ne comprend qu’une appréhension tactile (ce qui fait de la physique des corps premiers comme incolores une aberration). L’homme, le cheval, le bœuf... : prénotions qui ne sont plus tirées d’une unique sensation mais de sensations hétérogènes rapportées les unes aux autres.
 
3) Un contre-exemple : le temps (Cf. Lettre à Hérodote, § 72) : on ne peut avoir de prénotion que de ce qui est dans le temps (la prénotion anticipe ; or le temps est la condition de toute anticipation). Il n’y a prénotion que de ce qui a été pour le reconnaître dans le futur.
 
4) Universalité de la prénotion : il existe en droit une prénotion de tout ce qui existe. L’usage de la prénotion est donc universel en extension. mais dans le cas de notions comme le droit ou les dieux, les prénotions doivent en être universelles en compréhension également, ce qui ne peut se faire que par un travail de raisonnement (parce que l’universalité n’existe que virtuellement chez tous les hommes). Philodème, Rhétorique, I, 254 : les philosophes ont sur le juste et le bon les idées de la foule mais réfléchies au lieu d’être simplement passives. Dans la formation des systèmes juridiques, c’est l’usage collectif de la prénotion de droit qui permet de valider ces systèmes.
 
II) Fonctions de la prénotion :
 
1) Fonction générale de la prénotion : l’identification. C’est la réponse à la question : qu’est-ce que, sans médiation, sans définition, dans la pure évidence. Elle remplit la même fonction que la réminiscence du Ménon. Si on ne savait pas d’avance ce que sont les choses, on ne pourrait plus les chercher : la prénotion joue le rôle de la forme mais dérivée empiriquement, formée inductivement. La prénotion résout donc le problème de la connaissance dans les deux domaines de la perception et de la recherche.
 
2) Fonction spéciale dans l’ordre de la pensée : reconnaissance perceptive. La sensation est subsumée sous la prénotion (opération du jugement, qui peut être vrai ou faux). La prénotion anticipe la perception des traits constitutifs de la chose (même fonction que chez Platon, sans quoi l’on ne pourrait même pas percevoir puisque la sensation brute non informée ne serait qu’un chaos). Le concept est l’anticipation de la perception.
 
3) Fonction spéciale dans l’ordre de la recherche sur l’invisible : la prénotion sert à montrer que l’on peut chercher quelque chose à propos de quelque chose que l’on peut seulement nommer (le fait de pouvoir le nommer correctement est une pré-possession du concept de la chose). Toute investigation nécessite trois opérations qui nécessitent toutes trois l’intervention de la prénotion : disputare, "S est-il P ou non ?" ; querere, "S est-il ? Qu’est-il ?" ; intelligere, "J’affirme que S est P". Par opposition à la sensation, qui ne livre qu’une qualité (P), la possession du mot donne une pré-compréhension qui permet d’instituer une recherche. Cf. Seconds Analytiques : la science exige une connaissance préalable (c’est-à-dire des propositions non démontrées et des définitions initiales) sans quoi l’on doit remonter à l’infini pour trouver le principe de la science. Chez Epicure, cette préconnaissance est suffisamment assurée par le langage (les prénotions tiennent lieu d’axiomes et de définitions sans en être). Les "définitions" du langage usuel sont moins claires que leurs objets, mais elles les mettent en relation, et c’est ce qui leur permet de fonder suffisamment la recherche.
 
4) Rôle régulateur de la prénotion : comme la forme platonicienne, la prolepse joue dans une certaine mesure le rôle de modèle, mais ce modèle ne préexiste pas à l’existence empirique, il s’en dégage par abstraction et généralisation (il peut ainsi servir de modèle dans les cas à venir). De ce fait, pas de démiurge, ni de dieu créateur, ni de nomothète. Cf. Maximes Capitales, 37 : aller-retour entre la valeur d’identification de la prolepse et sa fonction de modèle : elle permet d’identifier le droit, c’est-à-dire de l’abstraire des opinions fausses qui lui sont surajoutées. Ainsi en va t-il de la connaissance de la vraie nature des dieux !!! La notion de droit dérive des institutions mais elle permet en même temps au législateur d’instituer une loi qui lui soit conforme.
 
III) Formation des prénotions et des concepts :
 
1) Principe général : origine empirique. Combinaison d’une origine extérieure et d’un processus automatique (la prénotion se forme en nous mécaniquement, ce qui est la garantie de sa vérité : "Je" n’interviens pas). Mais Cicéron (Cf. De Nat. Deorum, § 44) : nous avons une connaissance des dieux "insitas vel potius innatas", ce qui remet en cause la théorie de la prénotion et la théorie de l’âme. Soit on distingue, comme De Witt, les concepts innés (les dieux, le droit) des concepts empiriquement acquis ; soit on considère que vel potius innatas se contente de préciser insitas sans s’y opposer, désignant alors l’apparition "naturelle" en nous (sans le secours de l’esprit) de ces notions. Là encore le discours médical naissant  est primordial, cf. Gallien : l’expérience fournit le théorème de la science médicale qui est mémoire de ce qui a été vu souvent de la même façon ; les cas s’organisent d’eux-mêmes dans des  configurations de symptômes et selon une généralité de plus en plus élevée : sans même la participation du raisonnement, le médecin ne reconnaît plus simplement des cas mais une maladie.
 
2) La quadripartition des concepts. Tous les concepts n’ont pas la même genèse, on peut distinguer quatre modes de formation : la rencontre directe, la ressemblance, composition et participation du raisonnement. Cependant, il s’agit de procédé mécaniques qui font peu appel au raisonnement, et d’autre part les concepts ne sont pas exactement la même chose que les prénotions, qui ne relèvent que de la première classe citée. Mais qu’en est-il des espèces naturelles (ex : homme, cheval) qui relèvent du multisensoriel ? Ils appartiennent à la première classe, qui désigne toute formation de concept. En fait, il n’y a que trois classes : les concepts qui correspondent au sensible, ceux qui correspondent aux trois autres classes (procédés de transposition), ceux qui correspondent à une contribution du raisonnement (physique, canonique).
 
3) Mots, schèmes et concepts. Le problème de l’origine du langage est résolu par Epicure en un mixte de naturalité (premier moment) et de conventionnalité (deuxième moment). Il y a interface directe entre les mots et les choses (les affects comme empreintes directes des choses sur l’âme) : pas de place pour un exprimable de type stoïcien (rien n’explique la genèse du schème). La prénotion est formée physiquement comme inscription réelle dans l’âme de traits communs, abstraction faite des traits distinctifs (c’est le stade naturel de l’acquisition du langage). L’accumulation d’images communes définit la communauté des êtres qui parlent entre eux par la communauté des inscriptions reçues en eux. La prénotion en serait le troisième terme et l'affection le correspondant imagé.


Message édité par l'Antichrist le 17-10-2007 à 05:56:40
n°12974909
Baptiste R
Posté le 15-10-2007 à 11:42:55  profilanswer
 

itcouldbesweet a écrit :

Oserais-je vous demander votre score au test du connard prétentieux?  :??:


Bouh le vilain lieu commun. Allons, un effort : ce n'est pas si difficile de sortir une phrase qui ne serait pas pré-machée par dix mille bouches hfriennes.


Message édité par Baptiste R le 15-10-2007 à 11:44:23
n°12975814
fougnac
Posté le 15-10-2007 à 13:51:44  profilanswer
 

sylvva ou les ravages du pédagogisme
 
http://forum.joomla.org/Smileys/joomla/popcorn.gif
 

n°12976279
rahsaan
Posté le 15-10-2007 à 14:42:29  profilanswer
 

Deux lurkeurs sortent : itcouldbesweet et fougnac. :D
 
Allez, à votre tour, les autres ! :D


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°12976752
alcyon36
Posté le 15-10-2007 à 15:34:08  profilanswer
 

itcouldbesweet a écrit :


 
Oserais-je vous demander votre score au test du connard prétentieux?  :??:


ca fait tjrs ca la premiere fois... :lol:  
enfin, pas sur ke dans ce post AC se soit montré pretentieux...


Message édité par alcyon36 le 15-10-2007 à 15:39:02

---------------
"la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger
n°12977135
Mangue_ous​te
Posté le 15-10-2007 à 16:17:26  profilanswer
 

Je passais par là et je remarque avec le sourire que sylvaa, grâce à son intelligence féminine, a réussi à faire mouche et faire sortir de ses gonds AC. Incontestablement, les femmes ont des atouts autres que les hommes (la divine Nature a ses raisons que l'humain ignore). L'AC a pourtant essayé de se défendre mais son style de terminale est assez vain. De plus, son pseudo AntiChrist me fait penser à ces jeunes qui se positionne contre quelque chose.  
 
Enfin, l'humain a besoin de la religion et dire :"nous devons être libre, etc..." provient d'une pronfonde méconnaissance de l'humain.
 
Quand le peuple se mêle de raisonner, tout est perdu. Voltaire.
 
L'intelligence n'est pas l'érudition. L'érudition n'est pas l'intelligence. Lao-Tseu.
 

sylvva a écrit :

regardez-vous dans le miroir, Antichrist


C'est en effet le plus difficile.
 
 J'avais lu plus haut que l'AC disait avoir beaucoup de succès, ce qui ne prouve rien, enfin si prouve au contraire que : prétention et séduction ne sont pas les filles de la vérité. D'où l'importance de se connaître soi-même.
 
Au royaume des terminales, les athées sont rois. :D  
 
PS : désolé pour le ton de mon message et je devrais surement me regarder moi-même dans le miroir mais je voulais défendre sylvva que j'ai trouvé pertinente.
 
 :hello:


Message édité par Mangue_ouste le 15-10-2007 à 16:19:00
n°12977239
alcyon36
Posté le 15-10-2007 à 16:28:34  profilanswer
 

"blabla" S. Zizeck


Message édité par alcyon36 le 15-10-2007 à 17:22:42

---------------
"la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger
n°12988009
rahsaan
Posté le 16-10-2007 à 17:17:33  profilanswer
 

J'ai fini de lire le livre de Louis Pinto, La Vocation et le métier de philosophe.
 
Très très bien. :)
 
J'en parlerai, à l'occasion.


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°12993508
guguy
Posté le 17-10-2007 à 03:57:10  profilanswer
 

Bonjour,
 
Je suis débutant en philo (à part les cours que j'ai eu en terminale S)
et je recherche une liste de livres adaptés à mon niveau.
J'ai cru comprendre qu'il y en avait une avant sur le post initial  
mais ce n'est plus le cas :/
 
Jusqu'ici je n'ai lu que Le monde de sophie au collège,
et Ainsi parlait zarathoustra au lycée mais certainement sans
le comprendre suffisamment...
 
J'ai conscience de mon faible niveau c'est pourquoi je vous demande
de m'aider à trouver les references qui m'ouvriraient la voie.
 
Je vous remercie d'avance :)

n°12995211
rahsaan
Posté le 17-10-2007 à 12:21:50  profilanswer
 

Tu peux lire des extraits d'oeuvres présentés en éditions pour les scolaires. Par exemple, l'appendice du livre I de l'Ethique de Spinoza. Ou bien la 2e préface de la Critique de la raison pure, de Kant.  
 
En oeuvres complètes, tu peux aller voir l'Hippias de Platon (sur le Beau) ou le Banquet (sur l'Amour). Tu peux lire les Méditations métaphysiques de Descartes (au moins les livres I à III).
Tu peux aussi prendre un manuel de Terminales, pour découvrir des auteurs. J'aime bien Les chemins de la pensée de J. Russ.  
Tiens-nous au courant de tes lectures. Viens nous parler de celles que tu as déjà faites. ;)


---------------
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n°12995517
neojousous
Posté le 17-10-2007 à 13:09:22  profilanswer
 

Je me demande si pour mon mémoire je ne vais pas étudier les concepts de système, totalité, ensemble, relations dans leurs rapports à la philosophie. Vous en pensez quoi ? L'Antichrist tu avais posté un sujet là-dessus, ou tu évoquais les "régimes totalitaires de la pensée" (et oui je te lis) : tu penses qu'il y a matière à un mémoire là-dessus ? De plus j'avais envie de confronter les diverses traditions philosophiques sur ces points. Par exemple pour ce qui est de la tradition analytique, m'occuper  de la méréologie, dans une tradition plus historique étudier l'histoire de la philo (genre Leibniz, le cohérentisme hegelien, l'Idée kantienne de régulation systématique de la connaissance, etc...). Vous en pensez quoi ?

n°12998690
Profil sup​primé
Posté le 17-10-2007 à 18:12:54  answer
 

Bonjour ici aussi,
 
Je repose une question, plus formellement mais ne vous sentez pas obligé de devoir y répondre ... de suite.
 
Somme nous à la recherche de "l'utilisation d'un espace de discours" ou de "prise de la parole" ?
 
La question c'est somme nous a la recherche de l'un ou de l'autre pas de répondre si c'est l'un ou l'autre.

n°12999077
Baptiste R
Posté le 17-10-2007 à 19:08:38  profilanswer
 


J'aime bien la question (la réponse est "oui" ).

n°12999136
guguy
Posté le 17-10-2007 à 19:17:29  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

Tu peux lire des extraits d'oeuvres présentés en éditions pour les scolaires. Par exemple, l'appendice du livre I de l'Ethique de Spinoza. Ou bien la 2e préface de la Critique de la raison pure, de Kant.  
 
En oeuvres complètes, tu peux aller voir l'Hippias de Platon (sur le Beau) ou le Banquet (sur l'Amour). Tu peux lire les Méditations métaphysiques de Descartes (au moins les livres I à III).
Tu peux aussi prendre un manuel de Terminales, pour découvrir des auteurs. J'aime bien Les chemins de la pensée de J. Russ.  
Tiens-nous au courant de tes lectures. Viens nous parler de celles que tu as déjà faites. ;)


 
Je note toutes tes references et te remercie beaucoup!
Et je vais aussi comme tu le conseil jetter un oeil aux manuels de terminal :)
 
Sinon, après avoir ingurgité celà, est-il judicieux d'essayer de lire du Cioran ?
Sur ce topic j'ai lu beaucoup de bien de De l'inconvénient d'être né, qu'en pensez vous?
 
merci encore :)

n°12999265
pascal75
Posté le 17-10-2007 à 19:36:49  profilanswer
 

guguy a écrit :


Sur ce topic j'ai lu beaucoup de bien de De l'inconvénient d'être né


Source ? lien ?  [:simone]


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°12999289
alcyon36
Posté le 17-10-2007 à 19:40:44  profilanswer
 

guguy a écrit :


 
Je note toutes tes references et te remercie beaucoup!
Et je vais aussi comme tu le conseil jetter un oeil aux manuels de terminal :)
 
Sinon, après avoir ingurgité celà, est-il judicieux d'essayer de lire du Cioran ?
Sur ce topic j'ai lu beaucoup de bien de De l'inconvénient d'être né, qu'en pensez vous?
 
merci encore :)


Pr Cioran, je peux pas te repondre...;)
sinon je te confirme que 'les chemins de la pensée" de J. Russ est res bien fait.
Pour augmenter un peu ta biblio je te conseille le Menon, l'apologie de Socrate, le Criton de Platon, la genealogie de la morale de Nietzsche, ethique a Nicomak d'Aristote...avec un minimum d'efforts,tout ca me semble  tres abordable;)
tiens, je pense aussi à Kant, biensur pas les critiques, mais ses opuscules sur l'histoire sont plutot sympa...


Message édité par alcyon36 le 17-10-2007 à 19:42:54

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"la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger
n°12999431
Baptiste R
Posté le 17-10-2007 à 19:58:32  profilanswer
 

Citation :

Nicomak


NicoMac, du label Fucked up ?

n°12999776
alcyon36
Posté le 17-10-2007 à 20:36:18  profilanswer
 

Baptiste R a écrit :

Citation :

Nicomak


NicoMac, du label Fucked up ?


 :lol:


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"la pensée de l'être est le souci porté à l'usage de la langue" Heidegger
n°13004058
rahsaan
Posté le 18-10-2007 à 09:35:51  profilanswer
 

J'ai fini hier de lire Tristes tropiques, de Levi-Strauss. C'est vraiment un très grand livre, un des plus émouvants qui soient.


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°13004633
Mine anti-​personnel
Posté le 18-10-2007 à 10:38:25  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

J'ai fini hier de lire Tristes tropiques, de Levi-Strauss. C'est vraiment un très grand livre, un des plus émouvants qui soient.


Et tu as apprécié la descente en règle de la dissertation philosophique (p. 52) ?

n°13005147
rahsaan
Posté le 18-10-2007 à 11:25:59  profilanswer
 

Mine anti-personnel a écrit :


Et tu as apprécié la descente en règle de la dissertation philosophique (p. 52) ?


 
 
Il dit la même chose que Louis Pinto, que je viens de finir aussi : que la dissert' s'apparente à une technique oratoire permettant de régler n'importe quel problème en trois parties.  
Pinto parle d'un processus qui n'est pas cognitif, mais d'un "exercice spirituel d'affranchissement des illusions".
 
Je pense que c'est juste.


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°13011835
sylvva
Posté le 18-10-2007 à 21:47:35  profilanswer
 

rahsaan a écrit :


 
 
un processus qui n'est pas cognitif, mais d'un "exercice spirituel d'affranchissement des illusions".
 


 
- ah bon, s'affranchir des illusions ne fait pas partie d'un processus cognitif !
 
- et la socio, qu'est-ce qui garantit qu'elle n'est pas dans l'illusion ?


Message édité par sylvva le 18-10-2007 à 21:51:11
n°13011971
sylvva
Posté le 18-10-2007 à 21:59:06  profilanswer
 


quant à Maître Barbon, on comprend pourquoi Molière a inventé Scapin !

n°13014510
rahsaan
Posté le 19-10-2007 à 08:35:56  profilanswer
 

Mine anti-personnel a écrit :


Et tu as apprécié la descente en règle de la dissertation philosophique (p. 52) ?


 
Mais, par ailleurs, ce n'est pas le passage crucial de ce livre.  
Enfin, quoique... C'est dans un chapitre où Levi-Strauss résume sa formation. Après l'agreg de philo, il est pendant deux ans prof au lycée. Et il se lasse de la routine des cours. Il ne se voit pas recommencer toute sa vie le même programme. En particulier, la technique de la dissertation le barbe.  
Donc il se tourne vers l'ethnologie, et part au Brésil, organiser des expéditions en Amazonie. C'est ce que raconte le livre. En fait, c'est l'histoire d'un prof brillant qui, pour échapper à la routine, part à l'autre bout du monde, trouver des peuplades inconnues, dans des conditions de vie éprouvantes, après des semaines et des semaines de voyage monotone...  
 
D'ailleurs, à la fin du livre, Levi-Strauss fait le point sur la condition d'ethnologue et ses contradictions : rebelle chez lui, il est conformiste chez les autres. Il fuit la société où il est né, à laquelle il appartient, et par contre, il a le plus grand respect pour les coutumes ancestrales des Bororo et des Nambikwara...  
 
En somme, à courir le monde, Levi-Strauss se retrouve sur les traces de Montaigne et de Rousseau. Mais il n'y a plus de bons sauvages, juste des hommes.


Message édité par rahsaan le 19-10-2007 à 08:43:14

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n°13020440
le vicaire
Posté le 19-10-2007 à 19:23:06  profilanswer
 

tiens je viens de terminer le dernier chapitre d'Anthropologie structurale II. Je trouve qu'il y a de la tristesse chez lui, presque de la mélancolie jusque dans ses analyses les plus logiques.

n°13020454
Mine anti-​personnel
Posté le 19-10-2007 à 19:25:36  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

la dissert' s'apparente à une technique oratoire permettant de régler n'importe quel problème en trois parties.


Ce qui prouve que si les philosophes ont mis à mort les sophistes, c'est pour leur voler leurs armes. C'est toute l'oeuvre de Platon: le sophiste est trop habile, trop dangereux pour être laissé en liberté. Il se confond avec le philosophe, comme chiens et loups à la tombée de la nuit.
Il faut lire ce passage de Levy-Strauss aussitôt après le Sophiste de Platon. Tout s'éclaire.

n°13020475
Mine anti-​personnel
Posté le 19-10-2007 à 19:27:31  profilanswer
 

le vicaire a écrit :

Je trouve qu'il y a de la tristesse chez lui, presque de la mélancolie.


C'est la tristesse des tropiques, c'est bien connu.

n°13025849
rahsaan
Posté le 20-10-2007 à 12:30:13  profilanswer
 

Des tristes tropiques, peut-on tirer un gai savoir ?...


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