l'Antichrist | sylvva a écrit :
Marre de se payer de mots (Bachelard )
Marre donc de la bouillie, spécialité de l'école post-moderne !
Exemplification d'un véritable Exercice philosophique ( basé donc sur le jugement critique : crinein, en grec = discerner )
Critique de la Lettre à Ménécée
Exposition, suivie point par point de Discussion
1. (122) Philosophez à tout âge, cela apporte le bonheur, la santé de l'âme.
- affirmation péremptoire, car pas d'argument ni de preuve
en plus, on ne définit pas ce que c'est que de philosopher 2. (123) Les dieux existent, la preuve en est que nous les connaissons, ils sont immortels et béats.
- affirmation péremptoire : on n'explique pas par quels moyens nous connaissons les dieux et leurs attributs ni ce qui prouve que ce moyen est infaillible
3. (124) Dire que le bien et le mal nous viennent des dieux n'est qu'une superstition populaire.
Car les dieux, en tant qu'immortels et béats, ne connaissent pas le bien et le mal et donc ne peuvent les causer aux mortels. L'intelligence populaire n'est pas capable de se surpasser et ainsi comprendre que c'est dans nos sens que résident le bien et le mal.
- les dieux ne connaissent pas de bien et de mal : étant donné qu'on n'a pas prouvé l'existence des dieux, faire des affirmations sur leurs attributs est un non-sens
- l'intelligence du peuple (versus celle d'Epicure) est insuffisante : affirmation péremptoire, car pas d'argument ni de preuve
- le fait de sentir le bien et le mal est dû à nos sens, et non pas aux dieux : soit,
et avec cela, qu'est-ce qu'on a gagné ?
le fait de savoir que le bien et le mal nous viennent par les sens nous fait-il moins ressentir le mal et ressentir plus le bien ? nous permettre donc le bonheur ?
( à suivre, pour montrer qu'Epicure ne résiste pas à un jugement critique )
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Décidemment jeune fille, vous battez tous les records de bêtise ! Une fois de plus (une fois de trop ? Après Michel Henry, Rousseau, Nietzsche, maintenant Epicure...), vous procédez à une mauvaise lecture ! Si j'avais le temps, j'aimerais vous expliquer dans la foulée pourquoi vous vous trompez lourdement sur tous ces auteurs !!! Je n'y renonce cependant pas sur la longueur et garde vos messages tordus en réserve ! En trente ans de carrière je n’ai pas souvent rencontré une telle attitude (peut-être aussi parce que les individus de votre espèce étaient jadis très vite éliminés de la filière pour leur permettre de voguer vers des cieux plus tolérants envers leurs difficultés insurmontables…), et je me demande même si vous ne le faites pas exprès… Avez-vous été à ce point traumatisé par les exigences de la pensée philosophique… ou par certains maîtres…, pour lui vouer une haine si farouche ? C’est peut-être votre parcours personnel, effectivement, qui explique vos simplifications, vos raccourcis mortels... ce qui expliquerait aussi votre attachement à la psychanalyse (j’ai souvent fréquenté des étudiantes qui m’avouaient assez facilement avoir opté pour cette voie afin de se donner une chance de lutter contre leurs propres névroses)... Quoi qu’il en soit, comme pour beaucoup d’étudiants qui ne savent pas lire les auteurs (et qui n'en ont clairement pas l'envie...), vos propos ne sont qu'une caricature "d'analyse" philosophique (je répète une fois de plus que vous êtes incompétente dans ce domaine faute d'une connaissance systématique des philosophies dont vous osez, avec votre arrogance coutumière, faire la critique et deslors vos "critiques" indigentes ne traduisent que les petits délires de votre esprit de contradiction : le logos a "bon dos" lorsqu'il ne sert que de moyen aux débordement du pathos...) : vous vous trouvez exactement dans la situation décrite par Platon dans la République, celle d'une âme libérée de force par l'éducation mais incapable de contempler les êtres réels, dont la luminosité est trop forte, sinon dans des images réfléchies, une âme nullement inspirée et enthousiaste par le délire d'amour mais corrompue par son milieu et par l'injustice de sa propre conduite, une âme dont le trouble ne l'élève pas au-dessus d'elle-même mais l'abaisse au contraire au niveau d’une bête savante tout juste bonne à perdre son temps en de vaines disputes sur des vues fragmentaires, spéciales, abstraites, voire purement symboliques, mais inapte à concevoir une vision d’ensemble.
Mais revenons à Epicure ! Ne vous en déplaise, dans la nécessaire pratique philosophique, qui est la philosophie elle-même, le résumé, dont nous avons un exemple avec la lettre à Ménécée, loin d’être confondu avec une "affirmation péremptoire" s’adresse directement à des disciples qui, encore engagés dans les affaires publiques ou leur travail quotidien, ne peuvent consacrer tout leur temps à l’étude. Et de fait, la doctrine d’Epicure est facile à résumer : toute la nature ne consiste qu’en corps et vide. Le tout, illimité, se résout en vide illimité et en corps (insécables, invisibles et mobiles, en nombre illimité) qui se déplacent dans le vide et s’agglutinent pour former des composés (les corps étendus), et des mondes (en nombre illimité) où parfois naissent d’autres assemblages (les corps vivants) parfois dotés d’âme (assemblage d’atomes extrêmement ténus et légers, de quatre natures : le feu, l’air, le souffle, et un quatrième élément sans nom qui est la partie noble et rationnelle de l’âme). Toute cette nature est possible à connaître parfaitement grâce aux sensations, qui sont irréfutables, liées aux notions générales (ou prénotions) qui en dérivent. Ainsi, on peut établir un savoir en joignant aux données de la sensation l’opinion grâce à une série de processus de confirmation de l’opinion par la donnée sensorielle qui reste première. Cette connaissance parfaite de la nature des choses permet d’éliminer les obstacles au bonheur humain (ce qui est son but : la physique et la canonique n’ont de légitimité que finalisées par l’éthique) : ces obstacles sont la crainte des dieux et de la mort et le dérèglement du désir, qui naissent de l’ignorance. Ignorance triple :
1) ignorance de la véritable nature des dieux, qui sont bienheureux et éternels, et pas susceptibles de s’ingérer dans les affaires humaines.
2) la connaissance des choses physiques qui sont nées par nécessité physique (atomes/vide) et qui ont tous une (ou plusieurs) explications rationnelles par la(les)quelle(s) ont connaît qu’ils ne proviennent pas d’un décret des dieux.
3) ignorance des limites du plaisir et de la souffrance (y compris pour la mort : la physique démontre que l’homme ne peut connaître la mort puisque (a) lorsqu’il sent encore, c’est qu’il n’est pas mort et (b) lorsqu’il est mort, il ne sent plus rien.
Une fois acquis ces points et sagement régulés les désirs, l’homme peut atteindre l’absence de trouble (qui est le seul désir louable) et vivre ainsi bienheureux à l’égal des dieux.
Ainsi, tous les textes épicuriens appartiennent au même genre philosophique, en définissent le sens : même type de sujet et même type de destinataire :
1) il s’agit toujours de discours expliquant la doctrine épicurienne comme un ensemble de vérités achevées, déjà constitué avant son énonciation (ce qui est la définition d’un texte dogmatique).
2) il s’agit toujours de discours prononcés par un maître et adressés à un disciple, c’est-à-dire énoncés du point de vue du sage pratiquant déjà la doctrine, s’adressant à un disciple afin qu’il étudie la doctrine et pratique la philosophie (attention cependant à l’exemple particulier du De Natura Rerum dans lequel Lucrèce s’adresse à un disciple mais aussi, comme disciple lui-même converti, à son maître Epicure).
3) ces discours prétendent non seulement expliquer mais exhortent aussi le disciple à admettre la vérité et à se convertir (ce sont des textes à effets pratiques, qui doivent être appris, acquis, répétés pour conduire à la vie heureuse : la théorie elle-même, comme pratique discursive, a un effet curatif) : cf. Lettre à Hérodote § 83, Lettre à Pythoclès §§ 85 et 116, Lettre à Ménécée §§ 123 et 135 et Lucrèce De Natura Rerum IV, v. 11 sqq.
Quelle est donc la pratique philosophique à laquelle sont destinés ces textes ? La vie au jardin ! Le Jardin, fondé en 306, est une communauté (qui admet des esclaves et des femmes) en retrait de la collectivité (l’idéal, expliqué dans la Lettre à Ménécée, §. 130, est l’autarcie du groupe). Le fondement de la vie commune est l’amitié (alors que l’école pythagoricienne se fondait sur la méfiance). Contrairement à l’école platonicienne, aucune culture préalable n’est requise, aucune érudition, aucune subtilité dialectique (cf. Diogène Vies, X, 5 : "Fuir à voile déployée, camarade, toute culture" et Lactance "tout ce qui a forme humaine doit être éduqué au savoir" ). Il existe simplement une même unité pratique/théorique à tous les niveaux de la doctrine : chaque point de doctrine renvoie en effet à une pratique parce que chaque point est renvoyé à son effectivité pratique (c'est-à-dire éthique).
La pratique du Jardin est un art de vivre (cf. Sentences Vaticanes 41 et Sextus AM XI, 169). La philosophie est conçue comme activité : il ne s’agit ni un d’un corpus de doctrines, ni d’un corpus de recettes. Cette définition est assez rare. Chez Aristote, par exemple, la philosophie comme la promenade vaut pour elle-même (acte et non action, c’est-à-dire mouvement qui a sa fin en lui-même) alors qu’Epicure considère le mouvement comme tendant vers une fin : la philosophie ne vaut pas comme exercice pur mais comme chemin vers le bonheur. D’où la distinction des plaisirs en repos (absence de trouble) et des plaisirs en mouvement (vers le bonheur). La philosophie est un plaisir comme mouvement, un effort pour le recouvrement d’un équilibre qui sera lui-même plaisir comme repos équilibré.
La classification des désirs est ainsi agencée : les désirs sont naturels ou vains ; les désirs naturels sont naturels seulement ou nécessaires ; les désirs nécessaires le sont au bonheur, au bien-être du corps ou à la vie même. La philosophie est l’objet et l’agent de satisfaction d’un désir nécessaire au bonheur, puisque sa fin est l’ataraxie et l’aponie. La différence est donc à faire entre le disciple, dont le plaisir philosophique est en mouvement, et le maître, dont le plaisir philosophique est en repos.
Mais en quoi la philosophie est-elle nécessaire ? Peut-on être heureux sans philosophie ? En droit, oui (les dieux, les animaux), en fait, non. La philosophie ne se définit pas par la recherche de la vérité mais du bonheur, c'est-à-dire du recouvrement par l’âme de ce à quoi elle aspire naturellement : l’équilibre. C’est le fondement de la vocation universaliste de la philosophie épicurienne : tout être vivant aspire au bonheur, donc tout être vivant à droit à l’instrument du bonheur qu’est la philosophie.
Le bien naturel est le même pour tous : l’ataraxie (Cf. Diogène d’Oenanda expliquant qu’il a voulu rendre publics les remèdes mis au point par Epicure). La vocation universaliste et la fin de la philosophie son liées. Cicéron (Cf. De Finibus, I, 21-72) compare Platon qui dans la république exige l’apprentissage de la voie du savoir (musique, arithmétique, etc...) à Epicure pour qui au contraire "le seul vrai art qu’il faut poursuivre est l’ars vivendi".
Le discours philosophique épicurien est dépendant de la relation maître/disciple qui n’est pas une relation de savant à ignorant, mais de médecin à malade. La philosophie a en effet une vocation thérapeutique (l’éthique épicurienne est une éthique de la guérison).
A) Le philosophe-médecin. Il y a opposition entre deux médecines : la vraie, dont la fonction est d’expulser la maladie du corps ; et la fausse qui se contente de discours sur la maladie (philosophie dialecticienne) et de mythes généraux sur le corps. De même, il y a opposition entre la vraie philosophie qui n’a pour but que d’expulser les craintes et les excès en expliquant la nature ; et la fausse qui détourne ce besoin naturel de l’homme en le transformant en besoin d’explication pour l’explication même.
Cf. Les différents sens de "vide", mot-clef de la philosophie épicurienne :
1) le vide physique, un des deux principes absolument antagonistes de la physique (vide et corps peuvent se définir chacun par l’absence de l’autre).
2) en rapport au logos, le flatus vocis , bruit-mot qui ne renvoie à rien d’existant (ce sont les sons vides de la Lettre à Hérodote, §. 37 : chaque mot doit pouvoir être rapporté à une notion de chose, sémantique extentionaliste où la signification est complètement rabattue sur la référence.
3) le discours philosophique, qui est vide lorsqu’il est sans effet sur le malade et plein lorsqu’il remplit sa fonction de thérapie (le discours vide est, par exemple, celui qui fournit des explications pour le simple plaisir d’expliquer.
4) le désir vide est celui qui n’est pas naturel, désir sans objet réel donc sans terme, qui mime le désir naturel en n’en gardant que le manque, le vide, l’absence (à l’inverse le désir naturel a toujours son terme dans l’objet qu’il vise). Le désir d’immortalité est le désir vain par excellence. La paideia est un désir vain, qui ne soigne rien ni ne comble aucun manque naturel ou nécessaire.
La philosophie "fausse" peut donc être dite vide en quatre sens : elle porte sur le vide (elle parle de choses qui ne sont pas) ; elle est insignifiante (ses mots n’ont pas de référence réelle) ; elle est inefficace (elle n’a aucune effectivité thérapeutique) ; elle est illimitée (sans objet).
Ainsi, le discours philosophique comme la vertu n’ont de valeur et de sens que par leur utilité, rapportés à la seule fin en soi valable : le bien vivre (ainsi Diogène Laërce, Vies ,X, 138 dit qu’il faut choisir les vertus pour le plaisir comme la médecine pour la santé). Cela se situe aux antipodes d’une morale du désintéressement (la valeur de la vertu est tout son intérêt) ainsi que d’une morale aristotélicienne (Cf. Métaphysique, A, 1 : les plaisirs ne valent que pour eux-mêmes ; et Ethique à Nicomaque : la fin de la vie heureuse est la vie contemplative). Ainsi, la physique ressemble-t-elle à l’éthique : elle ne cherche pas des raisons, ni l’éthique des vertus, parce que cette recherche vaut pour elle-même, mais parce qu’elle est un passage nécessaire vers le bonheur.
B) L’homme malade : les symptômes. Le premier symptôme est l’inquiétude, comme impossibilité de satisfaire les désirs (course effrénée vers un objet qui recule, cf. Lucrèce, De Natura Rerum, III, 1052 sqq.). Le "malade" ne manque pas réellement d’un objet, mais c’est le manque lui-même qui suscite son objet. Il y a deux types de désirs vains : ceux qui illimitent un désir naturellement limité (faim, soif, désir sexuel) ; et ceux qui sont naturellement illimités (désir d’immortalité, de puissance, de richesse, toutes choses qui par essence ne sont pas dotées d’un maximum). On ne peut cependant pas parler de désir "non naturel par nature" : même les désirs vains sont dérivés de désir naturels fondamentalement bons (cf. Lucrèce, De Natura Rerum, V, 115 et Maximes Capitales, 15, ainsi que Lettre à Ménécée, §. 130 : le désir de richesse naît du désir naturel de vivre en sécurité, heureux et sans trouble). La perversion d’un désir originellement naturel se note par la transformation d’un moyen en fin.
L’inquiétude ne conserve donc du désir que sa négativité (le désir illimité est désir du seul désir qui repousse ainsi l’objet auquel il tend, alors que le désir naturel ne tend que vers son terme et son but, qui est aussi son achèvement). Il n’y a donc que des désirs faux comme perversions de désirs naturels, et d’autre part tout désir tend vers un objet (même le désir illimité ne peut en aucun cas se définir par l’inexistence radicale de son objet). Epicure est fidèle à un modèle aristotélicien du mouvement naturel (qui par essence tend au repos).
Cette définition du désir comme mouvement auto-négateur est une constante épicurienne d’origine aristotélicienne qui trouve trois modes d’expression : en physique (le mouvement naturel, par opposition au mouvement forcé, a pour fin le repos puisque le repos est l’état naturel de tous les corps, ou du moins de ceux qui se trouvent dans leur lieu propre) ; en métaphysique (tant qu’une chose contient encore du devenir, c’est qu’elle renferme une puissance qui signale qu’elle n’est pas encore pleinement elle-même) ; en éthique et en politique (nous faisons la guerre en vue de la paix : le désir tend vers sa satisfaction comme vers sa fin, le bonheur est une auto-suffisance comme autarcie).
Toute l’éthique d’Epicure est marquée par ce mouvement auto-négateur, qui fonde une opposition entre le plaisir catasthématique, plaisir reconduit en lui-même comme par exemple dans la sensation, désir pur (limité, finalisé) qui est un besoin, c'est-à-dire un manque éprouvé par un corps qui cherche à se maintenir dans l’équilibre, et le désir illimité, dont le schème est le désir d’immortalité, désir d’un futur comme éternellement futur et non comme présent possédé, c'est-à-dire finalement désir du désir lui-même (c’est le mauvais infini, opposé au désir positif d’immortalité du Banquet de Platon où l’être-éternel est un objet désirable).
Le deuxième grand type de symptôme de la maladie est la crainte. Il existe trois types de crainte : crainte des dieux, crainte de la mort, crainte de la douleur. Elles sont toutes trois vides, et pourtant elles sont toutes trois fondées sur une évidence réelle, mais à laquelle l’opinion a ajouté une erreur par ignorance.
a) La crainte des dieux (cf. Lucrèce, De Natura Rerum, V, 1160 sqq.). Elle a une source réelle et évidente, c’est la vision que l’esprit a des dieux, qui lui fournit une notion générale possédant trois traits : les dieux sont sensibles (comme tout vivant), éternels, et bienheureux (ils dépassent tous les êtres en bonheur (cf. Lettre à Ménécée, §. 123 et Maximes Capitales, 1). La notion renferme effectivement l’essence générale de la chose. Donc : les dieux existent-ils ? Oui : c’est canoniquement fondé dans la sensation. Quels sont-ils ? Ce que notre prénotion nous en dit.
Mais les hommes, qui observent aussi la régularité des phénomènes célestes (elle-même fondé dans la sensation), ajoutent des opinions fausses à ces acquis canoniques : des liens de conséquences entre les deux observations, qui impliquent ainsi faussement que les dieux gèrent les phénomènes célestes, dont par ailleurs les hommes ignorent les causes. D’où une crainte infondée qui a pour objet une intervention possible des dieux dans toutes les affaires humaines.
Cette crainte est sans objet et trouve sa genèse dans l'ignorance de la nature des choses.
C) Les causes de la maladie. L’analyse étiologique révèle deux types de causes : les causes constitutives (ignorance et temporalité) qui appartiennent aux données anthropologiques du problème ; et les causes surajoutées par le malade.
a) L’ignorance est la cause de tous les désirs illimités. C’est l’ignorance de ce que nous sommes comme corps vivant, c'est-à-dire un être qui se satisfait de son état d’équilibre vital (le plaisir est maximum lorsque, le désir étant satisfait, commence le plaisir en repos) ; ignorance de la nature du plaisir, qui atteint son maximum quand le désir est satisfait en atteignant l’objet ; ignorance de la nature des vivants immortels bienheureux ou de celle des astres.
b) La temporalité : désir et crainte sont notre rapport à l’avenir (ainsi le désir d’immortalité est raport à un temps qui ne sera jamais rien pour nous : un avenir permanent est inconcevable pour nous qui ne sentons qu’au présent ; et la crainte de la mort est de la même façon crainte d’un temps qui ne sera jamais rien pour nous). Désir vide (d’immortalité) et crainte vide (de la mort) sont tous deux rapportés à une temporalité imaginaire : pour l’âme malade, le sens est en un temps futur, alors que pour le sage seul le présent fait sens. Il y a de ce point de vue un point commun avec le stoïcisme : seul le présent est absolument nôtre. Le sage, le dieu et l’enfant, qui vivent tous trois au présent, sont pour l’épicurisme les figures emblématiques de la sagesse, qui de plus ne peuvent se tromper sur la nature du bien ou de la sagesse. L’enfance est le modèle originel de l’humanité : une humanité de laquelle on aurait retiré toute temporalité. De même, les dieux jouissent dans l’instant, un instant reproduit, un présent durable, d’un plaisir en repos, sans désir, c'est-à-dire sans l’asymétrie introduite par le rapport au futur. La situation du sage est la même : ataraxie et aponie sont vécues sans désir et sans crainte dans un nunc stans augustinien qui se reproduit sans cesse identique à lui-même. Le plaisir a donc un rapport au temps qui est dans le repos comblé, l’équilibre, le "silence des organes" : c’est le plaisir en repos sans variation.
Les causes adjuvantes de la maladie sont les faux remèdes. En effet, les faux remèdes ajoutent à notre mal, alors que les maux naturels que sont l’ignorance et la temporalité pourraient être facilement comblés par la nature elle-même, qui nous offre toujours plus que ce que nous en faisons. Les faux remèdes sont la paideia et la religion : la première est le faux remède par excellence, c'est-à-dire la mauvaise réponse à une bonne question. Elle est un savoir sans limite, qui ne vise pas la fin de l’ignorance en vue du bonheur, mais le savoir comme sa propre fin (mauvais infini). La religion, principal objet des attaques de Lucrèce, est un faux remède à quoi se réduit souvent le symptôme (cf. avec Festugière la distinction entre la critique de la religion populaire et la critique de la religion savante). La religion populaire est critiquée parce qu’elle est fausse (elle nous donne une fausse explication de la nature et des phénomènes célestes, qu’elle attribue à des mythes, fables divines selon Lucrèce) ; impie (parce qu’elle méconnaît la nature réelle des dieux telle que la prolepse nous la livre : bienheureux en repos perpétuel. Elle ne reconnaît donc pas la divinité du divin, et nous conduit ainsi à accroître nos maux en prêtant faussement aux dieux nos passions et nos caractères : en leur prêtant le désir vain de s’immiscer dans les affaires humaines, la religion populaire dégrade l’essence des dieux) ; criminelle (cf. l’exemple donné par Lucrèce du sacrifice d’Iphigénie) ; et funeste (elle nous empêche d’être heureux parce qu’elle professe une doctrine contraire à la nature des choses, à celle des dieux, et à la nôtre, donc à notre bonheur, ce qui au fond est la seule chose importante que l’on puisse lui reprocher).
En prétendant que le désir de connaître les choses dans leur essence est sacrilège, la religion nous pousse à croire que les dieux sont jaloux de leurs secrets et nous fait craindre d’en savoir trop. Lorsqu’elle prétend ainsi expliquer les causes des phénomènes célestes, le remède est pire que le mal, parce qu’on crée ainsi une crainte plus grande encore que celle que génère l’ignorance : on se persuade que les dieux interviennent dans les affaires du monde. On craint ainsi les effets visibles et ce que l’on croit être les causes invisibles (en calmant la crainte de l’ignorance on crée la crainte des dieux).
De plus, la religion s’accompagne de désirs vains et vides qui nous éloignent encore de l’ataraxie : désir d’amadouer les dieux par les sacrifices et les prières, remettant ainsi notre bonheur dans les mains des dieux au lieu de nous rendre compte qu’il est dans les nôtres ; crainte des châtiments post-mortem, qui accroît encore la crainte de la mort, et alimente encore le désir vain et vide par excellence (le désir d’immortalité). La religion crée donc de toutes pièces pour notre malheur une fausse image des dieux alors que, sans trouble ni crainte eux-mêmes, ils devraient être notre modèle. Cf. Lettre à Ménécée, § 124 : ce ne sont pas des prénotions mais des présomptions que les assertions de la foule au sujet des dieux. La crainte des dieux n’a d’objet que comme crainte de l’opinion populaire qui crée une crainte et un désir vains : si on ne craint pas les dieux, on n’a pas à les craindre ; si on les craint, on a des raisons de le faire puisque cette crainte est elle-même un mal redoutable (mais c’est le modèle d’une crainte vide qui ne tient aucun compte de l’essence des dieux). Le mécanisme de la crainte des dieux est à rapprocher de celui de la crainte de le mort : toutes deux tirent leur existence de l’illusion de leur existence (si on craint que la mort puisse nous rendre la vie impossible, alors on a raison de la craindre). Cf. Lettre à Ménécée, § 125 : la mort et les dieux ne sont des maux que pour qui les tient pour tels. Ainsi l’opinion qui pose cette crainte ne trouve jamais à s’éprouver comme vaine puisque son existence même lui donne une consistance. Il s’agit de crainte performative, puisque dans le mécanisme de l’illusion tout ce qui arrive la confirme.
Mais la religion savante est encore pire que la religion populaire. Dans Lettre à Hérodote, § 76 et 77, Epicure distingue soigneusement les deux cibles. Il faut ici remonter à Platon. Le divin apparaît sous deux formes : le principe absolu, fondement de l’ordre rationnel, immuable et nécessaire, se confondant avec la cause de tous les autres êtres et lui-même au-delà de l’être : ineffable, transcendant à l’ordre de la nature : c’est le divin hypercosmique ; et le divin principe de l’ordre visible du cosmos, cause des réalités visibles immuables, participant de la forme réelle de l’être : c’est le divin cosmique. Tout l’effort, à partir du "sauver les phénomènes" de Platon, est de trouver une cause rationnelle aux mouvements des corps célestes que l’on suppose auto-moteurs (ce qui les rend comparables aux âmes). Ainsi, à l’intersection des exigences de l’âme religieuse et de la rationalité scientifique, naît la religion savante qui fait des astres notre parenté en âme, d’où nous venons et où nous retournons, d’où l’on tire comme conséquence la détermination d’un intellect cosmique réglant les mouvements du ciel et des astres (cf. Aristote, De Caelo, II, 289a sqq., et Platon, Phèdre, 246c).
La détermination du divin est alors dés-anthropologisée : échappant aux caprices, aux désirs, aux passions, les dieux commes intellects purs et volontés pures soutiennent l’ordre du monde. Leur volonté relève d’une nécessité absolue (cf. Timée, 47c : les mouvements sont divins parce qu’ils ne connaissent aucun trouble). Cette volonté nécessaire apparaît sous deux formes : chez Platon et Aristote, elle se confond avec la rationalité mathématique. Le cosmos rationnellement organisé est rationnellement connaissable, et la sagesse humaine tend à s’identifier avec cet ordre rationnel. Cette nécessité ne commande pas le monde, mais tout être dans le monde tend à se conformer à cette perfection, c'est-à-dire à se diviniser dans la mesure de ses moyens. Chez les stoïciens, cette nécessité est celle qui gouverne le monde de toute éternité. Il existe quelque chose comme une Providence ou un destin, qui dirige le monde comme les dieux homériques, mais de façon nécessaire et inflexible. Pour Epicure, ce sont deux maux qui s’ajoutent : les caprices anthropomorphes des dieux populaires sont devenus nécessité.
Si le destin est invincible, il n’y a plus de bonheur possible, les intercessions sont inutiles, on sombre dans le fatalisme. La conjonction de la volonté libre et de la nécessité est terrible, parce qu’elle ne laisse rien espérer : même la mort ne nous délivrera pas, puisque l’âme est éternelle comme les astres. Ainsi on peut classer les dieux :
- Dieux populaires : leur volonté libre est troublée, passionnée, capricieuse : ils commandent le monde selon leur bon plaisir.
- Dieux astraux : (les pires) leur volonté libre que rien ne trouble commande le monde avec une nécessité inflexible.
- Dieux épicuriens : leur volonté libre et sans trouble ne commande pas le monde, ce qui est une conséquence nécessaire de leur essence (c’est la vraie théologie, qui reprend les définitions traditionnelles et en tire les conséquences).
D) Les remèdes. Selon l’analogie philosophie/médecine, il faut adapter le remède au malade. Il existe donc trois types de remèdes : les traitements d’urgence, qui s’attaquent aux symptômes ; les traitements étiologiques, qui extirpent le mal ; et les traitements hygiéniques, qui cultivent le repos sans trouble.
1) Le traitement symptomatologique : le tetrapharmakos.Sa formulation la plus ramassée est dans les papyrii d’Herculanum (rouleau 1005, col. IV, lignes 10-14) : les dieux ne sont pas à craindre ; la mort est insensible ; le bien est facile à atteindre ; la douleur n’a rien de terrible. Sa formule développée est dans les Maximes Capitales 1 à 4, où chaque principe est suivi de sa justification théorique. La Lettre à Ménécée est entièrement construite sur le plan du tetrapharmakos, qui cette fois comprend en plus de sa justification une mise en perspective qui le lie au reste de la doctrine éthique.
Le premier mode d’administration est la mise en mémoire : contrairement à la paideia qui suppose un apprentissage, le tetrapharmakos se suffit, il contient en germe sa propre sagesse et se répand progressivement en s’agrégeant des éléments nouveaux. Si les papyrii ne visent que le remède d’urgence, les Maximes Capitales cherchent en plus à combattre les opinions fausses : elles combattent donc en forme condensée les passions sur leur propre terrain, parce qu’elles sont comme elles irrationnelles, disjointes, impératives. Elles contiennent le résultat d’un raisonnement qu’elles n’exposent cependant pas, se contentant d’opposer leur plénitude de sens au vide des opinions fausses. La Lettre à Ménécée se charge enfin d’exposer le raisonnement qui conduit à ces formulations, c'est-à-dire qui plonge dans les fondements canoniques de l’éthique. On pourrait donc établir une comparaison terme à terme entre les trois niveaux de formulation (Papyrii ; Maximes Capitales 1 à 4 ; Lettre à Ménécée, § 123-124).
Si la Lettre à Ménécée va plus loin dans la recherche des fondements du côté de la canonique (distinction opinion vraie/opinion fausse), les Maximes Capitales se placent plus spontanément sur le terrain de l’expérience vécue par le sujet, encore près de la crainte (alors qu’aucune crainte réelle n’apparaît plus dans la Lettre à Ménécée). On passe d’un ordre pratique à un ordre théorique.
Il faut donc assimiler le tetrapharmakos, le faire sien : comme l’âme est composée d’atomes, les images peuvent appartenir à ma propre substance, par le truchement de la mémoire. Le remède consiste à garder en mémoire la prénotion des dieux ou de la mort, laquelle est contradictoire avec la crainte qu’on en a : le remède fonctionne par élimination de contradictoire, la contradictoire restante étant l’évidente. Une fois que l’on a logiquement démontré l’évidence des assertions du tetrapharmakos, les craintes tombent d’elles-mêmes par anéantissement du contact qu’elles avaient avec nous : la mort et les dieux s’éloignent (philosophie opératoire dans la pratique). Dans la prénotion les objets craints sont ainsi mis à distance, éloignés de nous. Même chose pour l’illimité auquel on met une limite. Il ne s’agit pas de nier le mal mais, en se fondant sur la réalité de la crainte et de la douleur, de trouver l’état d’équilibre qui n’a besoin que du discours physique.
2) La connaissance de la nature des choses. Cf. Maximes Capitales, 11 et 12. La cause principale du mal étant le désir de comprendre joint à l’ignorance, le remède est la connaissance (traitement du mal par sa cause). Le disours physique est un remède global contre les quatre maux initiaux (Maximes Capitales, 11) qui sont présentés comme les quatre symptômes d’un même mal. Il ne s’agit pas seulement de connaître pour le plaisir de connaître mais parce que la connaissance des causes dissipe les maux et sert en même temps d’antidote aux faux remèdes.
3) L’adaptation des remèdes au malade. Les remèdes sont adaptés à chaque étape de la guérison : tetrapharmakos, puis Maximes Capitales, puis le raisonnement éthique de la Lettre à Ménécée, puis enfin la connaissance de la nature des choses. Cette progressivité est aussi celle de la connaissance elle-même (le propos même des lettres est de rassembler les points principaux de la doctrine pour ceux qui abordent seulement l’étude ou qui n’ont pas le temps de s’y consacrer et qui doivent "entretenir" leur guérison). On fournit ainsi au malade un typos, un schéma général où interpréter chaque point particulier au vu de l’ensemble. La thérapie éthique est fondée sur l’acquisition d’un habitus intellectuel (méditation et assimilation sont les fondements de la guérison). La doctrine est toujours résumable en schème ou en maxime lapidaire à son tour dilatable en considérations générales et fouillées.
Bref, je m'arrête là dans l'explication de la lettre de l'épicurisme pour revenir plus largement sur la notion de superstition dont Epicure a fait son cheval de bataille. D'autres après lui feront de même. Il s'agira par exemple de critiquer le cléricalisme. Mais problème de cette critique : elle ne porte que sur l'un des trois éléments constitutifs de la religion (on critique ici l’affrontement des religieux, la domination, le côté ridicule du culte…).
Les grandes religions révélées présentent Dieu comme un être personnel, doués des mêmes facultés que l’homme : volonté, entendement, imagination… Que fait Dieu ? Il produit un univers réglé et régi par des lois dont il est l’ordonnateur, à la manière d’un roi qui promulgue ses décrets (le viol d’un décret se nomme un miracle). Dieu organise la finalité de l’univers. On a ici l’image d’un Dieu-roi auquel s’ajoute le fatras des superstitions ordinaires. Dieu a dans cette optique des passions : colère, haine, rancune, jalousie, vengeance… On trouve cette position chez Diderot : "Oui, je le soutiens, la superstition est plus injurieuse à Dieu que l’athéisme." (cf. Pensées philosophiques, XII).
Spinoza critique ce Dieu personnel des curés, des philosophes et des théologiens. Ce Dieu est une représentation anthropomorphique. Ce n’est pas Dieu qui a fait l’homme à son image, mais c’est l’homme qui a imaginé un Dieu qui lui ressemble. Comme l’écrit Xénophane de Colophon, "si les bœufs, les chevaux et les lions avaient des mains et pouvaient, avec leurs mains, peindre et produire des œuvres, les chevaux peindraient des dieux pareils à des bœufs, bref des images analogues à celles de toutes les espèces animales." De ce point de vue, la religion est une illusion trompeuse. Pour Spinoza, Dieu c’est la nature (deus sive natura) et cela a des implications importantes : Dieu n’est pas une personne (il n’a pas de volonté et pas d’entendement) ; Dieu est une puissance, une force (et non une autorité qui s’impose) ; Dieu est immanent : la nature. Il n’y a donc pas de transcendance, donc pas d’au-delà du réel qui ferait que le réel est relatif.
Qu’est-ce que la religion des curés, alors ? La religion pose un dieu supérieur à l’homme, un dieu à craindre : les religieux mènent donc le monde par la crainte et par la superstition qui conduit la foule. A partir d’une vision fausse de Dieu, la religion est un instrument pour contrôler les masses.
C’est cet aspect que nous retrouvons dans la distinction posée par Bergson dans son ouvrage Les deux sources de la morale et de la religion entre la religion statique et la religion dynamique.
La religion statique permet d’assurer la conservation sociale : les tabous et interdits religieux sont avantageux à la société et à l’espèce. L’existence en l’homme d’une "fonction fabulatrice" est destinée à corriger, par ses fictions, les effets socialement dissolvants de l’intelligence. L’intelligence, en effet, conseillerait d’abord à l’homme l’égoïsme. La fonction fabulatrice servirait à parer à ce danger. En soutenant, par des interdits et des prescriptions sacrés, les coutumes, les règles de la vie sociale, la religion primitive sauverait la société hors de laquelle il n’est pas d’humanité. La fonction fabulatrice apaiserait aussi l’angoisse que suscitent nécessairement chez l’individu, conscience et intelligence, qui sont "mémoire et anticipation", c’est-à-dire souci de vivre. Assurance contre la désorganisation, la religion statique permet donc de se prémunir contre l’angoisse de mort. Si les animaux ne savent pas qu’ils doivent mourir, l’homme, lui, sait qu’il est destiné à disparaître. D’où l’image, que va nous fournir la religion, d’une continuation de la vie après la mort. C’est, en troisième lieu, une assurance contre l’imprévisibilité que nous fournit la religion. En effet, l’application de l’intelligence à la vie introduit le sentiment du risque. Si l’animal est sûr de lui-même, si rien ne s’interpose chez lui entre le but et l’acte, l’intelligence connaît une marge d’imprévu, puisqu’elle combine des moyens en vue d’une fin parfois lointaine. Avec les rites religieux, l’imprévisibilité tend à s’amenuiser et à perdre du terrain. Ainsi se dévoile la fonction générale de la religion statique : "C’est une réaction défensive de la nature contre ce qu’il pourrait y avoir de déprimant pour l’individu, et de dissolvant pour la société, dans l’exercice de l’intelligence."
Si la religion statique a une fonction essentiellement sociale, la religion dynamique, celle des mystiques, transporte l’âme sur un tout autre plan, celui de l’amour. Aussi la religion dynamique se propage-t-elle par attirance amoureuse. Ainsi se forme le cortège des mystiques : adeptes des mystères d’Isis et d’Osiris, disciples de Dionysos, initiés de l’orphisme, disciples de Pythagore, contemplatifs de l’Inde, etc... Mais le mysticisme complet, prise de contact totale et coïncidence absolue avec la divinité, semble être l’apport de la mystique chrétienne, continuatrice des prophètes d’Israël. Ces explorateurs d’une terre inconnue ne nous apportent-ils pas l’espérance fondée ? A la religion statique, conçue comme principe de cohésion sociale, s’oppose la religion dynamique, dont l’amour est le principe. Dieu apparaît à l’âme mystique comme une Présence et une Illumination : "Ebranlée dans ses profondeurs par le courant qui l’entraînera, l’âme cesse de tourner sur elle-même, échappant un instant à la loi qui veut que l’espèce et l’individu se conditionnent l’un l’autre, circulairement. Elle s’arrête, comme si elle écoutait une voix qui l’appelle. Puis elle se laisse porter, droit en avant. Elle ne perçoit pas directement la force qui la meut, mais elle en sent l’indéfinissable présence, ou la devine à travers une vision symbolique. Vient alors une immensité de joie, extase où elle s’absorbe, ravissement qu’elle subit : Dieu est là, et elle est en lui." C’est par cette voie que sont nées toutes les grandes religions, qui apparaissent ainsi aux hommes comme des vérités révélées. La religion dynamique naît de la mystique et conduit aux religions révélées, qui se fondent sur la révélation d’un message divin (cf. le message du Christ).
Dans cette perspective le lien entre le matérialisme et l'athéisme est patent chez Epicure : nous n’avons rien à craindre des Dieux. Ils sont matériels car il n’y a rien d’autre dans l’univers que des atomes et du vide. S’il y a des dieux, ils sont de nature matérielle, énoncé qui ruine définitivement toute croyance en l’existence d’êtres surnaturels. Adieu, anges, démons, esprits, revenants et divinités de toute texture ! Le premier matérialisme, celui d’Epicure, ne se déclare donc pas explicitement athée ; mais définir les dieux par leur nature matérielle revient à affirmer que ce que le langage ordinaire appelle dieux n’existe pas. Le matérialisme d’Epicure est un athéisme implicite. Les Dieux existent donc mais ne s’occupent pas de nous, les hommes. Les dieux sont insouciants des hommes. Les dieux sont dans la béatitude. D’où une conception de l’impiété : l’impie n’est pas celui qui nie les dieux de la foule, mais celui qui applique aux dieux les opinions de la foule. S’il y a dans le monde quelque dieu qui le régit, le gouverne, conserve le cours des astres, les changements de saisons, veillant sur les vies et les besoins des hommes, assurément celui-là est embarrassé d’affaires préoccupantes et laborieuses ! Or, nous plaçons la vie bienheureuse dans la tranquillité de l’esprit et l’absence de toutes charges. Les Dieux sont des modèles pour nous.
Ainsi, contrairement à ce qui est souvent affirmé péremptoirement, notre société ne ressemble pas du tout à une société matérialiste héritée du matérialisme d’Epicure. Elle cultive une adoration sans bornes pour les biens de consommation. Les logos et les marques comblent le vide laissé par la mort de Dieu. Cela n’a rien à voir avec le matérialisme, qui est une doctrine qui affirme la liberté et nous délivre des attachements douteux. Dans ce geste de détachement gît la grande leçon d’Epicure, le père de tous les matérialismes. Le goût de notre époque pour le clinquant et l’éphémère prouve que le matérialisme n’a pas triomphé. Mais alors qu’est-ce que le matérialisme, si étranger à notre société ? N’offre-t-il pas une issue pour s’extirper des maux dont souffre l’humanité ? Ne faut-il pas redécouvrir Epicure ?
Athéisme et matérialisme sont en fait frères jumeaux, naissant d’un même refus, d’une même insurrection de l’esprit - vivre debout, dans la fierté d’être un homme. L’athéisme n’a rien de spontané. L’être humain est d’abord croyant, ou du moins crédule, l’imagination, faculté qui le détache des autres animaux, lui montrant des forces occultes et des dieux partout. Le plus grand des philosophes anglais, le matérialiste Thomas Hobbes (1588-1679), renverse, dans son Léviathan, le caractère inné de la raison : "La raison ne naît pas avec nous... on l’atteint par industrie." Or, dans l’histoire de l’espèce humaine, l’imagination, fabricatrice de dieux, précède la raison, dont le matérialisme et l’athéisme sont des résultats. A l’image de la liberté, l’athéisme est donc le fruit d’un travail, il représente un arrachement. Sommes-nous, hommes et femmes de l’Occident prospère, athées ? La désertion relative des cultes et la liberté des moeurs ne prouvent rien. La situation sociologique de notre époque, pointée par Nietzsche comme celle de la "mort de Dieu", n’est donc pas un athéisme ; c’est une indifférence, qui a fait glisser la crédulité vers d’autres objets (ceux de la consommation), et qui n’exclut pas un retour des formes anciennes de la religion. Certains hommes politiques continuent de présenter la religion comme une consolation devant les duretés de l’existence. La croyance en un au-delà ne sert-elle pas, dans ce cas de figure, à plier sans broncher devant les ravages de l’ultracapitalisme ?
L’athéisme vrai ne doit pas être confondu avec l’indifférence à Dieu, si fréquente dans les sociétés développées, qui s’accommodent de la paresse intellectuelle. Ce n’est pas seulement un point de vue philosophique. L’athéisme entraîne une conséquence politique aujourd’hui menacée : le bonheur comme but de la société. Mais le bonheur est conditionné par le développement de la réflexion philosophique. Pourquoi philosopher ? Pourquoi vivre et penser en matérialiste ? Pour être heureux. Non pour sauver son âme dans un au-delà illusoire, ni pour apporter ses lumières à la cité, à la façon d’un philosophe platonicien retournant dans la caverne. On n’atteint le bonheur qu’après avoir chassé les illusions : illusions sur les dieux, sur la nature, sur la mort. Contrairement à ce que croient les autruches qui veulent détourner les yeux de la mortelle condition humaine, l’incompatibilité est radicale entre le bonheur et l’illusion. Le bonheur ne s’offre qu’aux yeux ouverts. D'où la philosophie et son sens, expliqué plus haut... Message édité par l'Antichrist le 16-10-2007 à 08:28:21
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