Stephen King arrive à écrire un roman en 3 mois montre en main sans l'aide de nègres?
J'ai jeté un pavé dans la mare et maintenant je surfe sur la vague.
Vous pensez tout de même pas que les auteurs vont crier sur les toits que se ne sont pas eux qui écrivent leurs oeuvres.
L'anecdote est aussi charmante qu'édifiante. Voilà quelques années, l'attachée de presse d'une maison d'édition, mariée à un responsable de la télévision, accepte de prêter son nom pour la rédaction d'un livre destiné à devenir un best-seller. Une sorte de roman d'apprentissage évoquant le destin d'une jeune fille modeste qui gravira peu à peu les échelons de la gloire. Sur les fonts baptismaux, pas moins de trois nègres se passent le relais. Deux femmes et un homme. Ce qui donne parfois un ton surprenant à l'aventure écrite à trois mains car le nègre n'a pas tout à fait le même regard sur les femmes que ses deux consurs. Une fois l'ouvrage terminé et raccordé, «l'auteur» est invitée chez Bernard Pivot qui s'étonne de la voir lire ses notes lorsqu'il lui pose des questions sur son récit. Cependant, au fil des semaines et du succès, la jeune femme en arrivera à oublier qu'elle n'a pas écrit une ligne, de plus en plus convaincue d'en être la créatrice unique et absolue. Et lorsqu'un critique osera lever le sourcil en parlant de cette histoire, elle ne manquera pas d'évoquer les méchantes langues et la sale rumeur.
«C'est parfaitement normal, explique Dan Franck - qui rédigea près de cinquante livres comme nègre (mais pas celui de l'attachée de presse en question). On jette toujours ses brouillons.» Cette attitude est donc parfaitement classique et Patrick Rambaud, ex-nègre également, confirme cette métamorphose. «Il m'est d'ailleurs arrivé de me retrouver, sur le plateau d'Apostrophes, défendant mon dernier roman face à quelqu'un dont j'avais écrit le livre. C'était jubilatoire.» Etonnant de voir à quel point ces professionnels voient la chose avec humour et détachement. Aujourd'hui, écrivains reconnus, ils ne touchent plus guère aux ouvrages des autres, se consacrent à leur uvre, mais conservent un excellent souvenir du métier qui les faisait vivre très correctement. En revanche, demander à un nègre en exercice de citer des noms devient beaucoup plus ardu. «Question de survie, explique l'un d'entre eux. On ne tue pas la poule aux ufs d'or, mais on ne déteste pas laisser courir les rumeurs. Qu'elles soient fondées ou non, d'ailleurs.» Une façon de laisser planer le doute.
Ecrire des romans ? «Ce que je peux affirmer, reprend Dan Franck, c'est que j'ai toujours refusé d'écrire des romans, j'aurais trouvé cela malhonnête. J'écrivais des biographies, des ouvrages d'hommes politiques, des textes médicaux même, là il n'y avait pas de duperie. Je n'ai aucun mépris pour ce travail qui m'a nourri pendant plus de dix ans.» Même son de cloche chez Patrick Rambaud: «Pas de romans, jamais, mais des histoires de comédiens, de médecins, de l'assistance technique en quelque sorte. Voilà ce que je faisais: le matin, je réécrivais les articles du magazine Actuel, l'après-midi je travaillais comme ''ghostwriter" (écrivain fantôme) et la nuit j'écrivais pour moi. Je garde d'excellents souvenirs de cette époque. Ainsi je me souviens de ce livre avec la comédienne Paulette Dubost, qui me préparait de bons petits plats quand je venais la voir. Après déjeuner, je sortais de chez elle le ventre plein et des anecdotes à rédiger pour ses Mémoires.»
Des noms! Il y a quelque chose de bon enfant dans cette aventure, mais ce sentiment devient mitigé dès qu'il s'agit d'entrer dans le vif du sujet: des noms! des noms! «Puisqu'on parle de rumeurs, il faut savoir qu'on a souvent décrété que j'étais le nègre de Marek Halter ou de Georges-Marc Benamou. Ce qui était faux», s'amuse Dan Franck. La rumeur ne prête qu'aux riches et les nègres aussi sont poursuivis par des bruits de couloir littéraires affirmant que l'un écrit pour Paul-Loup Sulitzer, l'autre appartient à l'atelier d'écriture de Gérard de Villiers et le troisième rédige les romans de Marek Halter ou de Régine Deforges. Marc Lambron a même été cité dans les salons comme nègre. Ce trublion de Frédéric Beigbeder adore par exemple lancer de fausses rumeurs qui lui reviennent quelque temps plus tard le plus sérieusement du monde.
Les rumeurs brisent aussi vite la carrière d'un écrivain que celle d'un nègre qui se mettrait brusquement à révéler le dessous des cartes. Une indiscrétion qu'Hervé Prudon a commise un jour dans un livre, brisant les tabous et se voyant d'ailleurs accusé de cracher dans la soupe. Certains nègres ont cependant porté leurs affaires sur la place publique. L'avocat et éditeur Jean-Claude Zylberstein se souvient parfaitement d'avoir défendu la première grande affaire de nègres pour Etienne de Monpezat. Ce dernier avait écrit L'homme qui marchait dans sa tête signé Patrick Segal et était allé jusqu'au procès pour obtenir les droits d'auteur qui lui revenaient. Même défense officielle de la part d'Anne Bragance. Elle avait écrit pour Michel de Grèce un roman devenu un best-seller. Ayant signé un contrat de misère, elle obtint gain de cause au cours d'un procès qui fait date dans l'histoire de l'édition.
Question de survie Certains nègres, épuisés par leur négrier, n'ont pour solution de survie que de devenir à leur tour écrivains à succès. Loup Durand, lassé d'écrire pour Sulitzer et d'affirmer officiellement le contraire pour faire taire les rumeurs, brisa un jour le moule. Il se mit à publier sous son nom des livres à succès qui ressemblaient comme deux gouttes d'eau à du Sulitzer. Forcément! Restent les rumeurs qui se déchaînent brusquement et changent selon les saisons. Ce chanteur-écrivain a-t-il un nègre? Est-il simplement réécrit comme le fut Lucien Bodard par Marie Cardinal ou aidé comme Yann Queffélec à ses débuts par sa marraine, Françoise Verny? C'est la rumeur de l'année dernière qui ne fait jamais de bien à un écrivain obligé de se justifier.
Depuis qu'il a obtenu le prix Goncourt avec Rouge Brésil en 2001, Jean-Christophe Rufin est, quant à lui, présenté comme un espion. Une rumeur qui l'enchante: «Si un jour j'ai envie d'écrire des romans d'espionnage, cela ne peut que m'aider.» En revanche, bien malin celui qui dénichera, parmi les biographies d'hommes politiques, une seule qui ne soit pas préparée, réécrite ou entièrement rédigée par un nègre. «Ces hommes ont trop d'obligations officielles pour prendre le temps d'écrire leur livre, voyons!» réplique avec compréhension un directeur littéraire qui refuse, bien sûr, de donner son nom mais connaît parfaitement le sujet. Comment? Nos ministres ne seraient pas des historiens hors pair? Quelle surprise! «Allons, reprend l'éditeur, même Alexandre Dumas avait son nègre.»
Et, si les grands de ce monde ont besoin qu'on leur tienne la main, les «gens d'en bas» aussi ont leur nègre. Marie-Christine Daunis s'est ainsi spécialisée dans l'écriture de biographies très personnelles. «Une grand-mère qui veut raconter sa vie pour l'offrir à ses enfants. Un homme qui a besoin d'exprimer ses angoisses, une femme seule qui veut mettre de l'ordre dans ses souvenirs, ce sont mes clients. Je respecte autant que je le peux la personnalité de chacun et tente, à partir de leurs cassettes d'interview de proposer un livre unique qui leur ressemble.» Ici, il s'agit presque de thérapie littéraire.
La plus belle rumeur littéraire qui ait été développée ces dernières années vient d'un poète: Tristan Cabral. Il décida de lancer la rumeur de sa propre mort et obtint ainsi un bel hommage de poète maudit dans le journal Le Monde. Depuis, l'écrivain se porte sans doute mieux.