Voici la deuxième partie remaniée du prologue. Je pense avoir donné un peu plus de consistance à certains passages. Notamment, comme l'a suggéré Sheratan, j'ai précisé les informations des deux dialogues majeurs de cette partie : la rencontre entre l'inspecteur balack et Cécilia (qui j'espère n'est plus une pét.sse incompétente ) et l'interview de Schuwald (d'ailleurs j'ai maintenant l'impression de donner trop d'infos, mais c'est peut-être aussi parce que je sais ce qu'il va se passer ensuite ).
Donc voilà, comme toujours : en avant et bonne lecture !
PS : j'ai eu quelques soucis de fichiers et ai perdu pas mal de corrections. J'ai dû repartir à zéro. J'espère ne rien avoir oublié.
Edit : quelques corrections...
2. Le vampire de Munich
Il est aux alentours de 23 heures dans un laboratoire situé à Bubenec, lun des riches quartiers de Prague. Les rues sont très calmes à cette heure. Un clocher surplombe la villa abritant le laboratoire. Sans cette lumière rougeâtre émanant des réverbères avoisinant la maisonnée, personne ne décèlerait dans cette carte postale aux accents slaves le moindre sentiment dinquiétude. Pourtant, dans ce laboratoire, une personne curieusement habillée en smoking échantillonne des substances chimiques dont la consistance, difficile à cerner, aurait renversé lestomac dun non érudit. « Je vais arriver au gala avec une excellente nouvelle à annoncer à la comtesse. Oui, elle sera très heureuse » se dit-il. Sans une certaine satisfaction, il saisis sa cape noire et sort. Devant la villa, un carrosse lattend. Quatre chevaux blancs hennissent simultanément comme pour annoncer le départ. Le cocher donne deux coups de fouets violents auxquels succède le bruit des sabots, lourd et perçant. « Huit jours » pense le scientifique. « Huit ».
Cécilia a les oreilles bouchées. Elle a beau essayer de déglutir, rien ny fait. Elle ferme les yeux et tente docculter la réalité quelques minutes. Les images fusent dans sa tête : lattitude curieuse de sa concierge ce matin, qui na jamais été aussi mielleuse, les bribes de conversation avec Karl, son chef de service qui lui signale son manque de productivité, le coup de téléphone de sa mère, la veille, pour lui annoncer que son père est tombé malade. Tous ces soucis sévanouissent quelques secondes tandis quune hôtesse vêtue de rouge lui demande si elle souhaite des cache-yeux. « Non merci » répond Cécilia avec la voix légèrement éraillée.
- Pourriez-vous me servir une boisson fraîche ?
- Que désirez-vous ?
- Un jus de tomates serait parfait.
Lhôtesse sort de son caddie une petite bouteille, sert la jeune femme en lui assénant son plus large sourire et poursuit sa longue route vers la queue de lavion.
A cette heure de la matinée, le hublot situé à droite de Cécilia laisse transparaître un paysage enflammé. Les premiers rayons de soleil glissent sur un tapis nuageux qui semblent recouvrir toute lEurope. A lhorizon, les couleurs explosent, les formes sentrelacent. « Une uvre dart peinte des mains de Dieu » dit-elle à voix basse.
« Mesdames et messieurs, nous allons entamer notre descente sur la ville de Munich. Nous allons traverser une légère zone de turbulence aussi vous demanderai-je de bien vouloir regagner vos sièges et attacher vos ceintures.»
Cécilia nécoute plus lannonce faite par le commandant de bord. Son nez est plongé dans son sac à la recherche du miroir magique. Cest lui qui va laider à redonner à son visage une apparence humaine. Elle se regarde. Sous ses yeux dun vert vitreux, de légères cernes témoignent de son manque de sommeil. Les turbulences se font sentir. Une sensation euphorique noue lestomac de la jeune femme lorsque lavion traverse un trou dair. Elle ne ressent aucune peur, elle qui adore les sensations fortes. Le vol se calme à lapproche de la surface terrestre. Cécilia reprend tranquillement son opération et dessine soigneusement sur son visage. Quelques coups de pinceau plus tard, elle fait un petit sourire à son miroir comme pour se donner du courage : « une uvre dart peinte des mains dune déesse ». Elle manque de pouffer de rire alors quun doigt lui tapote subitement lépaule. Derrière elle, un petit garçon roux, vêtu dune salopette, lui tend un bout de papier. Elle le saisit et commence à lire : « Accepteriez-vous de visiter Munich en ma compagnie ce soir ? Alfred ». Elle sadresse au petit garçon.
- Qui ta donné ce petit mot mon coeur ?
- Cest le monsieur là bas.
Il pointe du doigt un homme à lélégance rare. Un bel italien comme on en voit dans les défilés de mode : un costume trois pièces, des cheveux bruns très longs, deux yeux débène, un sourire charmeur. Il est accoudé et porte au poignet un bracelet dont léclat profite des rayons de soleil matinaux émanant du hublot. Il est le digne représentant de ce que lon désigne par la figure de mode.
- Cest ton papa ?
- Non, cest pas mon papa, répond le messager qui prend un air indigné.
Une hôtesse approche et convie le jeune garçon à regagner sa place. Latterrissage ne tarde pas.
Il ne reste guère quune dizaine de personnes dans le bar. Karl saccoude au comptoir et demande une bière au barman. Celui-ci le regarde à peine, occupé à grappiller les quelques euros laissés en pourboire par une bande damis quittant loffice. Karl se retourne et observe la salle. Au mur sont suspendues quelques croûtes dun « peintre » qui aurait mieux fait dépargner au monde son indélicatesse artistique. On y trouve également quelques miroirs, des banquettes au velours usé, des tables en bois ciré. « Mais quelle horreur ce bar ! » se dit Karl désemparé par la guigne dont il a été victime en choisissant, au hasard, son lieu de beuverie. A ses côtés, trois autres clients soutiennent le comptoir. L'un d'entre eux tient difficilement debout. Assis dans la salle, un vieil homme sirote un whisky sec en lisant le journal. Non loin de lui, un couple de lesbiennes semble séchanger mots doux et gestes de tendresse. Il les scrute quelques secondes, étonné. Après tout, lendroit ne donne guère envie de flirter. Un autre homme est présent dans la salle. Lui observe le comptoir et plus particulièrement Karl. Du moins, cest limpression qua le journaliste en soutenant le regard de lindividu dont le déguisement aurait mérité la palme du mafieux le plus sinistre. A la surprise succède le malaise tandis que le regard du type se fait insistant. Karl détourne les yeux et se retourne vers sa bière. Il boit quelques gorgées et revient à son observation. Lhomme a disparu. Le journaliste parcourt le bar du regard mais ne parvient pas à localiser lindividu. Toujours aussi cartésien, Karl se dit quil doit être aux toilettes. Sa bière terminée, il regarde sa montre et juge quil est temps de se diriger vers la gare pour prendre son train.
Quelques minutes plus tard, il est assis à sa place dans un wagon aux côtés d'une vieille dame lisant un exemplaire de Voici. Armé de son pc portable dernier cri, il compte préparer ses interviews et se tenir informé de lévolution de la nouvelle qui lenvoie à Tarbes. Neuf heures de train le séparent de la ville pyrénéenne. Le train démarre. Un départ dont se délecte religieusement le journaliste qui laisse petit à petit ses paupières se refermer.
A son réveil, il regarde sa montre. Encore cinq heures. Karl écume une à une toutes ses sources doccupation, au terme desquelles il se résigne à visiter une dernière fois le site de lAFP, pour y glaner une éventuelle information nouvelle. Il découvre une brève au contenu inattendu.
« Flash : explosion dorigine inconnue à lobservatoire du pic du midi dans les pyrénées. Aucune victime, dégâts matériels importants. Les enquêteurs arrivés sur place semblent orienter leurs investigations vers [
] »
Cest impensable ! Karl ne tient plus en place. Le parfum de la vieille dame commence à lui taper sur le cerveau. « Labus de ce genre de substances peut nuire à la santé de votre entourage » pense-t-il. Sa montre indique quil lui reste encore deux heures de trajet. Il lui faut davantage dinformations.
La route depuis laéroport sest avérée fort agréable. Et ce malgré une odeur atypique comparable à celles de chaussettes usées par leffort - qui se dégage de Munich. La présence de champs de colza tout autour de la ville y est pour quelque chose. Ce désagrément est pardonné par la splendeur de lagglomération. Munich respire la poésie, une cité qui transforme la brique en mélodie. Les maîtres en architecture gothique y ont précédé les artistes baroques. Les églises et les maisons habillées et coiffées des plus belles sculptures donnent à la ville bavaroise une personnalité insondable.
La chambre dans laquelle séjourne Cécilia est emprunte de cette même saveur : des meubles anciens en bois massif, des tapisseries colorées recouvrant les murs. Comme si le kitch avait enfin rencontré lélégance. Elle enfile son peignoir, pose une serviette sur ses cheveux humides et se jette sur un lit deux places particulièrement confortable. Détendue, les jambes dénudées encore ruisselantes, elle sempare dun communiqué. Une phrase a attiré son attention à Paris, la raison même de sa venue à Munich. « Linstitut Schwarzschild a découvert la composition chimique de lobjet stellaire C25B358 et sapprête à la rendre publique. » Plus bas. « A propos de linstitut Schwarzschild : laboratoire dédié à létude des phénomènes cosmologiques. Il a pris le nom du scientifique allemand Karl Schwarzschild (1873-1916) pour ses travaux ayant contribué à alimenter létude des trous noirs au milieu des années soixante. [
] Linstitut nexisterait pas sans laimable contribution de M. Albert Schuwald [
]. »
Après une petite enquête menée à Paris, Cécilia a découvert que M. Schuwald a été approché par de nombreux organismes scientifiques pour financer leurs études sur le « météore ». Demain, elle appellera ses chers confrères du journal munichois Süddeutsche Zeitung lesquels lui fourniront de plus amples informations sur ce Schuwald.
Le téléphone sonne.
- Mademoiselle Dupretz, ici la réception de lhôtel. Monsieur Balack vous signale son arrivée. Dois-je le faire monter ?
Cécilia est surprise, elle nattend personne.
- Hmm
Je ne connais pas ce Monsieur dit-elle méfiante.
- Très bien Mademoiselle.
Il est bientôt 9h du matin. Cécilia na de cesse de penser à ce coup de téléphone et à cette personne qui demande à le voir. Serait-ce une erreur ? Une légère inquiétude envahit son esprit fatigué. Dabord ce message dun inconnu dans lavion. Elle avait aimablement décliné linvitation non sans un léger regret ressenti aux portes de lhôtel. Maintenant un coup de téléphone étrange. « Quelquun aurait-il eu écho de mon enquête ? » pense-t-elle subitement. « Quelquun qui ne voudrait pas que japproche de Schuwald pour préserver des informations sur le météore ? ». La fatigue la rend paranoïaque. Cécilia tremblote. Sa réflexion est subitement interrompue. On frappe à la porte.
Karl arrive enfin au pied du téléphérique menant à lobservatoire. Sa route depuis la gare, interminable, a été interrompue une demi-douzaine de fois par des barrages policiers. Il en déduit que les enquêteurs poursuivent la piste de lincident criminel. Des dizaines de reporters locaux sont déjà sur place, tentant dinterroger les quelques policiers bloquant laccès à lobservatoire. Le ciel est encore sombre, recouvert de la fumée épaisse dégagée par lincendie qui a suivi lexplosion. A cette distance, Karl ne peut évaluer létendue des dégâts, ni même prendre une quelconque photo, les restes de observatoire étant au dessus du plafond nuageux. Les forces de lordre ont eu du mal à accéder au site. Pour éteindre lincendie, les pompiers ont fait appel à des hélicoptères dont certains ont été envoyés par les organismes de secours espagnols. Les pistes menant au sommet sont devenues fortement instables. Quelques journalistes sont néanmoins présents, rôdant autour des gendarmes pour recueillir des information concernant les origines de lexplosion. En approchant, Karl reconnaît lun de ses confrères et néanmoins ami, Antoine, correspondant pour Libération. Les premiers rayons de soleil narrivent pas à percer la couche nuageuse. Karl a le corps rongé par le froid.
« Salut Antoine, alors y a du neuf ? demande Karl, pressé den savoir plus, pressant la main de son confrère, et oppressé par le froid.
- Karl, ça fait un bail. Comment vas-tu ? Et Cécilia ? rétorque le journaliste, un plus âgé, moins pressé, chaudement habillé.
- On sest séparé il y a six mois de cela. Bref
Alors cest un attentat ?
Karl jongle une fois de plus entre son intimité et sa profession. Voilà ce quil en coûte davoir entretenu une relation avec une femme issue de son corps de métier, qui plus est, travaillant au sein de la même rédaction. Il a brisé les fondamentaux, la règle des « 3J » : Jamais à côté de chez soi, Jamais sur son lieu de travail, Jamais celle dun ami.
- Il semblerait oui. Regarde, ça sagite du côté de la police. Allons voir.
Karl suit son homologue montagnard vers ce qui ressemble à un communiqué officiel de la gendarmerie. Un homme vêtu de bleu, une casquette sur le crâne, une écharpe autour du cou et des gants en laine a pris la parole depuis quelques secondes :
« [
] Ce matin, aux alentours de 10h, la douane espagnole nous a signalé linterpellation dun scientifique qui travaille pour lobservatoire. Cet homme est ramené en ce moment au commissariat de Tarbes pour y être interrogé. »
Les questions des journalistes fusent aussitôt que le gendarme range son communiqué pour retourner vers ses collègues. « Lattentat a-t-il été revendiqué ? Quel est le nom de ce scientifique ? Quen est-il des travaux de lobservatoire sur le météore ?... »
Karl, ennuyé par le vacarme de ses confrères na quune question en tête : « Pourquoi nai-je pas pris des vêtements plus chauds ? ». Il regrette amèrement davoir précipité son départ de Paris.
- Bon, y a plus rien ici, je retourne à Tarbes. Salut Antoine ! sexclame Karl pensant peut-être quil fallait crier pour se réchauffer.
- Laisse moi taccompagner, je descends en ville. »
La voiture démarre et dévale doucement une petite route verglacée qui les conduira vers la civilisation - plus chaleureuse, espère Karl.
Cécilia regarde la porte. Elle tente par tous les moyens de se calmer. Qui peut savoir qu'elle est à Munich aujourd'hui ? « Toute personne ayant cherché à me joindre à la rédaction a pu obtenir les coordonnées de l'hôtel
Non, jimagine que non ». Linquiétude, inattendue, ne cesse de croître. Une poignée de secondes se sont écoulées. Une éternité pour le mystérieux visiteur qui signale son impatience en frappant de nouveau à la porte. Cécilia sursaute. Après quelques instants d'hésitation, elle prend son courage à deux mains.
- Qui est là ? demande-t-elle.
- Inspecteur Balack, j'ai quelques questions à vous poser.
La jeune femme marche doucement vers la porte et se détend aussitôt qu'elle entraperçoit l'insigne par le judas.
Elle ouvre la porte.
« Que puis-je faire pour vous ? »
L'homme qui se tient face à Cécilia est âgé dune cinquantaine d'années. Une barbe poivre et sel couvre une partie de son dur visage. Il a les traits rongés par la fatigue, ou par lalcool et ne témoigne aucun signe damabilité. Il prend la parole dun ton sec :
« Je suis à la recherche de cet homme. »
Il sort une photo qui ne laisse pas Cécilia indifférente. La jeune femme est surprise et répond rapidement, animé par un de réflexe qui navait rien à voir avec la blondeur de ses cheveux.
- Oui, je le reconnais. Nous avons voyagé dans le même avion. Cet homme m'a même adressé un message peu avant l'atterrissage.
- Que vous a-t-il dit ?
L'âpreté ressentie dans la voix du policier met Cécilia quelque peu mal à l'aise.
- Rien de particuliers, il voulait me faire visiter Munich.
- Avez-vous accepté ?
- Non.
- Vous a-t-il laissé un moyen d'entrer en contact avec lui ?
- Non, il a simplement signé de son prénom, Alfred.
- Alfred Sight, cest exact.
Cécilia est devenue froide, consternée par l'absence de courtoisie de son interlocuteur.
- Bien, j'ai d'autres voyageurs à interroger. Je vous laisse ma carte. Si, par miracle, il entre de nouveau en contact avec vous, appelez-moi à ce numéro.
Linspecteur Balack sapprête à partir.
- Attendez une minute. Comment êtes-vous monté ? Et comment avez-vous su que je descendais dans cet hôtel ?
- Pour répondre à votre première question, je dirai simplement que le maître dhôtel a su se montrer docile en voyant mon insigne. Quant à savoir où vous étiez, pour qui me prenez-vous ? Je travaille dans la police depuis plus de vingt cinq ans. Vous avez semé plus dindices sur votre passage que le petit poucet. Si, bien sûr, vous me permettez cette petite référence littéraire. Vous nen ignorez lauteur, vous qui êtes française ?
Le policier sourit, heureux davoir fait de lesprit, laissant entrevoir une dentelure quasi-animale, jaunie par la cigarette.
Cécilia, qui ne peut réprimer un certain dégoût, commence à croire que son interlocuteur la prend pour une idiote doublée dune inculte. Elle enrage. Sa voix reste ferme. Elle lance à cet énergumène son regard le plus froid
- Je vous aurai bien répondu si vous maviez épargné votre sourire ravageur. Mais dîtes-moi, la police munichoise est-elle toujours aussi aimable ? Ou dois-je déduire de votre attitude que vous avez loupé une marche en montant jusquici ?
- Bien, si cest là tout ce que vous avez à me dire, je vais retourner à mon enquête. Au revoir mademoiselle, réponds Balack, définitivement vaincu.
Cécilia, satisfaite davoir remis ce mufle à sa place, a encore fait passer son impulsivité devant ses prérogatives professionnelles. Telle est son attitude face à un homme qui lui manque de respect : elle remet en place et discute ensuite. Aussi nose-t-elle pas en savoir plus sur lindividu quelle a vu en photo et laisse partir linspecteur Balack. Elle se souviendra néanmoins de ce nom, Alfred Sight. Curieusement, son patronyme ne colle pas du tout avec limage du bel italien dont elle garde le souvenir depuis sa descente de lavion.
Cécilia sourit en regardant la carte de visite du policier. Elle na pas tout gâché et ne manquera pas de rappeler Balack aussi vite que possible pour en savoir plus sur cet « Alfred ».
Quoi quil en soit, il est temps pour elle de s'habiller et d'appeler la rédaction du journal Süddeutsche Zeitung. Comme prévu, le rendez-vous avec Albert Schuwald, pour réaliser un portrait factice, est obtenu sans problème. Lenquête de Cécilia va pouvoir reprendre. Elle sort de l'hôtel et prend un taxi en direction de la résidence d'Albert Schuwald.
Karl arrive au commissariat en compagnie d'Antoine. Depuis l'incident, ce poste de police est envahi par les brigades de déminage.
Les deux journalistes observent l'activité policière depuis l'entrée.
- On va avoir du mal à approcher du scientifique, avoue Antoine constatant avec dépit l'étendu du dispositif mis en place par les forces de l'ordre.
- On pourrait obtenir un rapport de l'interrogatoire, tu as bien un contact dans la place ?
Karl poursuit l'idée que les aveux du prisonnier peuvent lui suffire pour écrire son article.
- Je serais un piètre correspondant si ce n'était pas le cas, annonce Antoine non sans une relative fierté.
Une heure plus tard, après avoir passé quelques coups de fil et promis quelques pots de vin, il entre en possession dune copie de lenregistrement de linterrogatoire contenant les aveux du scientifique. Karl note sur un carnet les informations importantes.
« Rapport de police du 16 janvier Interrogatoire mené par Monsieur C. inspecteur de la police scientifique »
- Vos nom, prénom, date de naissance, adresse et situation de famille ?
- Nom, Simon, prénom, André, date de naissance, 14 septembre 1962, adresse, 14 rue de la touffe à Tarbes, situation de famille, célibataire, pas d'enfant.
- Où étiez-vous entre 4h et 6h ce matin ?
- Je quittais l'observatoire du pic du midi pour me rendre à la frontière espagnole.
- Saviez-vous que l'observatoire allait exploser peu de temps après votre départ ?
- Oui
- Qui est le commanditaire de l'opération ?
- Une femme qui se fait appeler Katalina. Les instructions, les explosifs ainsi que ma récompense m'avaient été transférés via la consigne de la gare de Tarbes.
- Quelles informations avez-vous communiqué au commanditaire ?
- On ma demandé de transmettre un rapport concernant des hypothèses quant au rayonnement émis par lobjet stellaire.
- Vous auriez accepté de détruire le plus grand observatoire dEurope pour un simple rapport ?
- Tels étaient mes ordres. Je suppute que Katalina ne voulait laisser aucune trace quant à notre découverte conclue après nos observations sur le blueshift de lobjet.
- Comment lobservatoire du pic du midi peut-il effectuer de telles observations avec les moyens qui sont mis à sa disposition ? Nous savons que son télescope le plus grand a un diamètre avoisinant les deux mètres, ce qui semble insuffisant pour dégager les conclusions que vous avancez !
- Nous recevons le soutien privé dinvestisseurs étrangers, ce qui na pas été annoncé publiquement.
- Quels investisseurs ?
- Je lignore. Le secret autour de lorigine de ces fonds est, jusquà aujourdhui, préservé. Je pense que le directeur de lobservatoire est mieux placé que moi pour répondre à ce type de questions.
- Vous évoquiez les observations sur le blushift de lobjet. Poursuivez
- Et bien, vous nêtes pas sans savoir que les raies spectrales produites par des objets stellaires en mouvement se modifient avec le temps. Décalé vers le bleu, le spectre de ces raies nous indique que lobjet se rapproche. Autrement dit, le déplacement dune source produit un changement de longueur dondes que nous pouvons observer. Or cet effet est directement proportionnel à la vitesse de cette source. Le rapport que nous avons rédigé tend à prouver, par le calcul, que le blueshift de lobjet stellaire est inhabituel, voire unique. En ce sens que lobjet a une vitesse supraliminaire.
- Les médias ont colporté cette absurdité. Jusquici personne na observé de quoi prouver ces calculs !
- Nos observations ont permis de les vérifier.
- Pourquoi le secret de cette annonce na-t-il pas été gardé ?
- Aucune idée, là encore je ne suis pas la personne la mieux placée pour répondre à ce type de questions.
- Vous parliez plus tôt du rayonnement émis par lobjet. Y a-t-il un lien avec lannonce ?
- Cest la face cachée de liceberg. Normalement, le rayonnement dun tel objet, étant donnée sa taille, ne peut être observé depuis la terre et naurait que peu dimpact sur notre planète. Il existe un type de rayonnement qui échappe à ce dernier dogme : la gravité.
- Sil sagit de gravité, ce rayonnement ne devrait-il pas interagir avec le reste des masses stellaires qui lentourent ?
- Ne me faîtes par dire ce que je nai pas dit. Ce que nous savons aujourdhui, cest que cet objet émet un rayonnement dont le comportement est voisin de celui de la gravité mais, comme vous le soulignez, sans affecter les masses cosmiques voisines. En dautres termes, nous ne sommes parvenus quà dégager quelques caractéristiques de ce « nouveau rayonnement ». En particulier, sa vitesse de transmission, quasi-instantanée, tout comme la gravité.
- Où voulez-vous en venir ?
- Simplement sur le fait que les répercussions dun tel rayonnement sur la planète ont déjà commencé.
- Depuis quand ?
- Sans doute depuis que cet objet existe, chose que nous ne pouvons déterminer avec exactitude puisque nous ne lobservons que depuis quelques mois. Tout comme le rayonnement alpha, connaître son origine est un véritable défi.
- Ce rayonnement peut-il avoir un quelconque effet sur les espèces vivantes sur Terre ? Et si oui, de quelle nature ?
- Aucune idée. Mais prenez lexemple de la gravité lunaire. Nous avons déterminé depuis longtemps comment elle influence le flux des marées. Nous savons également que le champ gravitationnel émis par la lune détermine la périodicité du cycle menstruel des femmes. Ainsi, les conséquences dun tel rayonnement peuvent être nombreuses. Et il ne sagit là que de la lune. [
]
Tout en notant, Karl est sidéré et sinterroge. Cette histoire de rayonnement dont la nature est inconnue ne laisse présager rien de bon. Le journaliste comprend rapidement que lapproche de cet objet nest pas le seul sujet de préoccupations des scientifiques. « Les effets évoqués dans cet interrogatoire seront-ils bénéfiques ou néfastes ? Mais, pourquoi annoncer que la collision naura pas lieu alors que lexplosion de lobservatoire était préméditée ? »
Laissant ces questions pour plus tard, il se tourne vers son ami journaliste.
- Cette nouvelle est terrifiante mais néanmoins passionnante. Je te revaudrai ça Antoine, je vais tenter d'en savoir plus sur cette Katalina et interroger le directeur de lobservatoire déclare Karl prêt à quitter les lieux.
- Aucun problème, mais rappelle toi que nous sommes tenus au secret pour le moment. On ne doit publier aucune des informations contenues dans cet enregistrement ! Fais attention quand tu tadresseras au directeur. Je compte sur ta discrétion, insiste l'autre reporter tout en serrant la main de son confrère.
Ils se quittent.
A une dizaine de mètres, un homme, à la calvitie naissante, fait les cent pas devant le commissariat en tenant son chapeau à la main. Il a l'air anxieux, et se ronge les ongles. Cette attitude suspicieuse attise la curiosité de Karl qui sapproche lentement de lindividu.
La lumière de la pièce est légèrement tamisée. Léclat des flammes des bougies disséminées dans la pièce dessine la silhouette de deux hommes se tenant face à face. Le premier est assis sur un rocking-chair somptueux. L'autre est debout, habillé d'un long manteau noir. Les rideaux pourpres sont tirés. La présence dans les coins de la pièce de petites statues angéliques, dont les ombres se sont égarées sur les murs, donne à cette scène une saveur particulièrement mystique.
- J'ai transféré la moitié de l'argent sur le compte que vous m'avez indiqué. L'autre moitié sera versée lorsque vous m'amènerez la preuve de la mort de Katalina.
- C'est entendu. Au sujet de cette preuve, avez-vous une préférence ? Une oreille, un doigt ?
- Je vous saurai gré de m'épargner les détails. Faîtes comme bon vous semblera tant que vous ne laissez aucune trace. Votre venue ici est une source de préoccupation suffisante.
Albert Schuwald lève le bras comme pour donner un ordre.
Le majordome apparaît de nulle part et invite l'individu au long manteau noir à l'accompagner vers la sortie. En traversant la salle d'attente, il reconnaît une femme. Ces cheveux blonds, ces longues jambes satinées, ce petit tailleur de couleur bleue. Il reconnaît la femme qui l'avait subjuguée par sa beauté plus tôt ce matin dans l'avion.
Cécilia, surprise, détourne les yeux et fait mine de l'ignorer. Une servante approche d'elle.
- Monsieur Schuwald est prêt à vous recevoir dans la bibliothèque. Si vous voulez bien me suivre.
- Merci, répond Cécilia, l'esprit focalisé sur ce télescopage impromptu, aussi terrifiée qu'ébahie par la beauté de cet homme. Un prénom lui reste gravé dans la tête : Alfred.
Elle entre dans la bibliothèque. Schuwald est toujours assis sur son rocking-chair. Il a allumé un cigare. La fumée épaisse qui s'en dégage a une odeur qui manque de donner la nausée à Cécilia. Le milliardaire désigne un canapé.
- Prenez place mademoiselle Dupretz.
- Merci. Puis-je prendre quelques photos ?
- Je vous en prie.
Dans l'objectif de l'appareil, Cécilia analyse le visage de Schuwald. Elle l'imaginait plus âgé, il a simplement une quarantaine d'années. Un bouc taillé avec soin, des cheveux châtains, très fins, et un petit foulard rose pâle autour du cou donnent à son visage toute la noblesse qui se reflète dans le mobilier qui l'entoure. Il a le regard perçant mais dirigé vers le néant. Attitude imperméable, aussi mystérieuse que le nécessite son statut d'homme au parcours extraordinaire. D'aucuns l'appelle le vampire de Munich pour son inhumanité connue et reconnue dans le milieu des affaires. On le soupçonnait d'avoir bâti son empire en organisant dans l'ombre les assassinats de ses principaux concurrents. Un scénario unique : les victimes étaient tuées, vidées de leur sang et amputées d'une partie de leur corps. Cécilia a eu écho de ces rumeurs macabres, mais n'est pas là pour ça. Son objectif est d'approcher un réseau de laboratoires européens étudiant le comportement du météore. Ce réseau aurait contacté Schuwald pour des questions de financement.
Cécilia débute son interview. Les réponses de Schuwald sont concises et d'une clarté impressionnante. De fil en aiguilles, la journaliste tente d'amener ce personnage excentrique à la question qui l'intéresse.
- Quelles sont les conséquences, sur vos décisions financières, des différents courants d'information planant autour du météore ?
- Aucune. J'ai pris connaissance des événements comme nimporte qui. Vous, journalistes, faîtes dailleurs un travail remarquable, je vous en félicite.
- Merci pour eux. Néanmoins, n'avez-vous pas été approché par des laboratoires, allemands notamment, dont les travaux dans le domaine de la génétique ont été très dénoncés par la communauté internationale ? Ne voyaient-ils pas en vous l'opportunité de bénéficier dune considérable manne d'argent ?
- Tout ceci est vrai. J'ai néanmoins refusé tout contact avec cette communauté.
Cette réponse est contraire aux informations que possède Cécilia. Elle pense avoir trouvé une brèche dans la défense de Schuwald.
- Jai cru comprendre que vous aviez financé une uvre caritative pour aider à la création dun département de recherche en génétique à lhôpital von Hauner, ici même à Munich.
- Cest exact, lhôpital alimente la recherche sur lobésité et ses liens avec le diabète insulinodépendant. Vous nignorez pas les causes du décès de ma femme, Mademoiselle Cécilia Dupretz.
Le ton avec lequel Schuwald a prononcé ces derniers mots pétrifie la journaliste. Il appuie un regard sombre sur la jeune femme comme pour lui indiquer quelle ne doit pas franchir certaines limites. De son côté, Cécilia ressent dans les yeux de Schuwald toute la cruauté qui lui a valu son appellation « vampirique ».
Le silence se prolonge quelques secondes. Cécilia finit par reprendre la parole en prenant pour sa voix la plus douce possible.
- Pardonnez-moi davoir fait rejaillir en vous de si pénibles souvenirs. Mais, permettez-moi de vous poser une dernière question.
Elle tend une feuille à Schuwald.
- Sur cette liste figure le détail des achats réalisés par cette uvre caritative pour lhôpital von Hauner. Des experts mont déclaré que le matériel indiqué sur cette liste serait parfait pour des études en radiologie génétique. Bien que le diabète constitue un excellent alibi pour couvrir les raisons de ces dépenses, nest-il pas étrange que ces recherches ne débutent que cinq ans après le décès de votre femme ? Oserai-je souligner que les médecins de lhôpital von Hauner entretiennent depuis quelques semaines des relations étroites avec lInstitut Schwarzschild. Toujours daprès mes informations, vous financez cet institut qui a dailleurs récemment apporté à la communauté scientifique des éléments importants sur la composition chimique du météore. Y a-t-il un lien entre
Schuwald se lève subitement ce qui a pour effet immédiat dinterrompre Cécilia.
- Je ne saurai tolérer pareilles insinuations. Sachez que vos supérieurs seront avertis de votre total manque de respect envers le décès de mon épouse. Je vous demande de partir sur le champ ! »
Ses yeux sont rougis par la colère. Cécilia décide dobtempérer non sans remercier son interlocuteur de lavoir reçue.
Peu après son départ, Schuwald recouvre son calme, un peu rapidement pour quelquun ayant affiché quelques secondes auparavant la ferveur de son indignement. Il saisit un téléphone et sécurise la ligne en pianotant sur le combiné.
- Léger imprévu. Cécilia Dupretz en sait trop sur von Hauner, elle ne doit pas quitter Munich vivante. J'effectue en ce moment même le transfert du supplément d'argent.
- Entendu, réponds Alfred, heureux d'avoir l'opportunité de revoir cette charmante demoiselle, mais attristé par le caractère funeste de ces futures retrouvailles. « Elle est si belle, quel gâchis » sémeut le tueur à gages.
« Cette perte est dramatique pour la communauté scientifique, vous ne trouvez pas ? Lance Karl évoquant lexplosion de lobservatoire.
Son interlocuteur est de petite taille, partiellement chauve, légèrement bedonnant et porte une moustache. Il ronge ses ongles d'une main, et tient un chapeau de l'autre. L'individu regarde Karl puis baisse les yeux, l'air embarrassé.
- André a craqué, je le sais, je le sens.
Il murmure à voix basse comme sil communiquait avec sa propre conscience.
- Vous le connaissiez ? Vous avez travaillé avec lui ? demande Karl étonné
.
Son vis-à-vis saperçoit qu'il a été entendu.
- Hmm
Je dois partir.
- Attendez, prenez au moins mon numéro...
Karl n'a pas fini sa phrase que l'étrange personnage quitte les lieux d'un pas très vif. Et accélère.
Le journaliste décide de le suivre. « Trop louche pour être honnête » se dit-il. Mais la discrétion lui fait défaut. Sa proie s'aperçoit qu'elle est suivie et commence à courir. Pas le choix, Karl cours également. La différence de corpulence se fait sentir. Karl gagne du terrain. L'homme tourne dans une ruelle. Son poursuivant en fait de même. « Coincé, c'est une impasse »
Quelques mètres plus loin, Karl retrouve le fugitif, à genoux, face à un mur. En s'approchant, il découvre que l'homme bedonnant a remplacé le chapeau qu'il tenait dans la main par une arme à feu. Il pleure et gémit, essoufflé...
« Je travaillais à Prague. On avait tous les moyens qu'on voulait. On nous avait dit que c'était pour le bien de tous...Mais cette découverte...C'est une catastrophe. Vous, moi, je nose y penser...Katalina, elle est venue nous féliciter...J'avais la nausée...Non je n'ai plus le droit de vivre...Maintenant, ils connaissent le secret du météore...Jamais plus je ne pourrais me regarder en face...A quoi bon
»
Un coup de feu retentit. Ce geste est tellement inattendu que Karl na pas le temps de réagir. L'homme est à terre. La moitié de sa cervelle s'amoncelle sur le mur. Karl approche doucement. Son estomac se noue. Il ne peut contenir une envie soudaine de vomir en voyant le corps inanimé et les morceaux de chair éparpillés autour de lui.
Message édité par Tokki le 28-11-2004 à 23:46:53