Et voici donc la troisième et avant dernière partie du prologue...
C'est encore une fois assez long mais j'espère que certains auront le courage de le lire pour me donner leur avis.
Rappel des épisodes précédents
-> partie 1 : http://forum.hardware.fr/hardwaref [...] m#t4273902
-> partie 2 : http://forum.hardware.fr/hardwaref [...] m#t4293385
En avant et bonne lecture !
3. La comtesse
Un quartier de louest de Prague thésaurise le silence de cette matinée aux couleurs étrangement crépusculaires. Les premiers gazouillis doiseaux, émis par les occupants dun nid perché en haut de la tour de Mala Strana, habillent le silence dune complainte majestueuse. Cette tour de pierres qui se tient fièrement au milieu du quartier praguois porte le symbole dune époque pleine de légendes. Une magie qui néchappe pas à cette femme regardant par lune des fenêtres de la tour. Tandis quelle sapprête à retourner vers son trône dominant le fond de la salle, un homme frappe à la porte et entre. Avant de prendre la parole, il sincline devant elle.
« Tout est fin prêt.
- Très bien. Que lon amène notre « invité ». Combien de temps reste-t-il avant lorage ?
- Trois jours...
La jeune femme est désemparée. Emprisonnée dans cette cage, Cécilia prend conscience de sa totale impuissance. Un paysage de taules multicolores transparaît derrière la vitre. Une fumée grisâtre flotte à la hauteur de la fenêtre. Cécilia se sent inexorablement prise au piège. Depuis combien de temps était-elle enfermée ? Une heure ? Heureusement, une musique douce accompagne la journaliste résignée à patienter. Les klaxons nen finissent plus de hurler allant jusquà paralyser la pensée de la conductrice. Pourtant, la ville munichoise est réputée pour la fluidité de sa circulation. Mais la panne dun car touristique au milieu dun carrefour, deux cent mètres plus loin, a créé un embouteillage des plus tassés. Calmement, elle ressasse les questions posées à Schuwald plus tôt ce matin. Elle na pas commis derreur mais il a senti le piège venir. On ne manipule pas aisément un homme qui jongle quotidiennement avec les millions. Elle se pose tout de même des questions. « Que faisait cet homme, recherché par la police, chez Schuwald ? Lexcentrique allemand a décidément bien des choses à cacher. » Pour étayer son enquête, Cécilia na pas manqué de rendre visite au directeur de lhôpital von Hauner. Lequel na pas été des plus prolixes au sujet des activités de leur département de recherche en radialogie génétique. La curiosité de Cécilia na de cesse de croître mais force est de constater que les impasses se succèdent.
Perdue dans ses pensées, la jeune femme na pas remarqué la berline noire collée au pare-choc arrière de sa voiture. Pire, les vitres teintées masquent le sourire de son chauffeur. Pourtant lui observe sa proie et passe sournoisement la langue sur sa lèvre supérieure. Un geste qui ne peut effrayer la jeune femme gagnée par limpatience devant la lenteur de la circulation. Un long quart dheure sécoule avant que Cécilia ne traverse le carrefour laissant derrière elle le car, les automobilistes mécontents mais pas ce félin noir resté à distance dattaque. Brusquement, le prédateur bondit. Alertée par le crissement des pneus, la jeune femme regarde dans son rétroviseur et aperçoit la berline sapprocher dangereusement. Cécilia tente une manuvre pour laisser passer ce quelle croît être un chauffard. A ce moment précis, son poursuivant change de fil et la dépasse en happant son rétroviseur.
Cécilia trépigne sur son siège. Son cur bat la chamade. Elle hésite entre la peur et la colère. Pour se remettre de cette forte émotion, elle choisir de stationner quelques secondes en double file. Lentement, la peur se dissipe. Elle repart, hésitante, les yeux rivés sur la route.
Aucun autre incident ne perturbe le trajet de la journaliste. Elle fait route vers son hôtel pour y préparer ses bagages et retourner bredouille à Paris. Elle noubliera pas dinclure dans ses valises le poids dun nouvel échec. Mais, elle ne se laissera pas abattre. Non ! Cécilia est de ses femmes modernes, indépendantes, refusant de regarder passer leur vie. Bercée par la nostalgie, elle revoit Karl à cette soirée qui porte à jamais le symbole de sa libération. Et finit par remonter le temps, allant jusquà cet électrochoc qui a fait raisonner en elle la fatidique question.
Cétait un jeudi comme disait la chanson, ou plutôt, comme elle aurait dû le dire. Quelques mois avant la cérémonie de remise de prix, Karl apprenait que son enquête sur le démantèlement dun réseau de prostituées clandestines avait été choisie pour le prix Pulitzer. Euphorique, il annonçait la nouvelle à toute léquipe du Synops. Bruno, extatique, toujours la pipe à la main, regardait le jeune journaliste. Il voyait en lui le phare éclairant sa propre réussite. Toute léquipe applaudissait et le champagne coulait à flot. Karl était rayonnant. Entourés par ses pairs, il se préparait à une consécration exceptionnelle pour un journaliste de son âge. Cécilia nétait pas très loin, légèrement en retrait. Elle observait son bien aimé espérant dans lombre quune pluie de bonheur allait bénir son couple. Petit hasard de la vie, cet événement coïncidait avec lanniversaire des deux ans du couple. La jeune fille rêveuse imaginait déjà le retour dans leur nid damour et une célébration plus intime. Quelle ne fut pas sa déception quand Karl lui proposa daller festoyer avec le reste de léquipe. Une déception que lon aurait pu croire passagère mais qui sétait encrée dans le cur de la jeune femme. Les jours et les semaines passèrent. La rancur de Cécilia ne cessait de croître tandis quelle découvrait un Karl plus distant, proche de ses préoccupations professionnelles. Il était trop loin delle. Où étaient passés son bien aimé et le cortège de tendresse, damour et de complicité quil représentait ? Les réflexions de Cécilia allaient jusquà la rendre insomniaque. Elle subissait des nuits de la plus pâle des blancheurs. Son amant ne soupçonnait guère lexplosion apocalyptique qui venait de briser son cur. Cécilia devenait peu à peu moins rêveuse. « Létincelle...Où est mon étincelle ? » pleurait la demoiselle elle-même perdue. Etait-elle éteinte ou simplement égarée au plus profond de la solitude de la jeune femme ? Telle était la question fatidique qui trouva une réponse le soir de la remise du prix Pulitzer quelques mois plus tard. Son amour sétait évaporé, emmenant avec lui ses rêves de jeune fille.
Cécilia est maintenant devant lentrée de sa chambre dhôtel. Elle passe la clé magnétique sur le réceptacle collé au mur attendant le signal vert synonyme douverture. Elle entre, ferme la porte, et allume la lumière. Non sans un sursaut deffroi, elle découvre le cadavre dun hôtelier, un couteau planté dans le dos. Le sang de la victime, déjà noirâtre, imbibe le tapis. Cécilia réprime un cri dhorreur en plaquant ses deux mains sur sa bouche. Levant rapidement les yeux, elle croise le regard du Malin.
Alfred Sight, souriant, est assis dans un fauteuil. Il visse patiemment un silencieux sur le canon de son révolver.
Quelques jours se sont écoulés depuis lincident. Karl est profondément choqué. Chaque image, chaque son est gravé dans son esprit : les sanglots de cet étrange personnage, les mots quil a prononcés, le coup de feu, le bruit lourd du corps tombant à terre, le sang qui sécoule sans pouvoir sarrêter, la police qui arrive sur les lieux en moins de temps quil nen faut pour rendre la totalité de son déjeuner et linterrogatoire durant lequel les instances policières meurtrissent son esprit des pires questions. Les pensées tourbillonnent dans son crâne.
Karl naurait jamais imaginé être lacteur dun si mauvais film. Les contours de la réalité seffacent peu à peu tandis quil rumine ces seuls souvenirs. Il a abandonné tout espoir de liberté depuis que la police a décrété sa détention « préventive ». Cloîtré dans cette cellule, allongé sur un lit, il se pose, à son tour, les pires questions.
« Ai-je réellement vécu ce que je viens de vivre ? Pourquoi suis-je détenu prisonnier ? Pourquoi cet homme ma choisi comme témoin de son passage dans lau-delà ? »
Karl en a assez dêtre larchitecte de la mort des autres. La plupart des gens ne choisissent pas leur mort. Ils sont guidés par leur entourage, ou pire, par des inconnus, vers la fin. Trop de proches sont partis, trop de vide autour de lui. Le délire lenvahit doucement comme la conséquence dun choc émotionnel trop violent.
« Je nattire pas la mort. Elle sest accommodée à mon destin. Cet homme se serait-il condamné à lexil si je navais pas eu la prétention de mes actes ? »
Un doute effroyable colonise les pensées du jeune homme, perdu. Il prend peu à peu conscience de son sommeil. Il ne dort plus mais nouvre pas les yeux pour autant. Il déguste ce doux soulagement que lon ressent lorsque la lucidité nous délivre dun mauvais rêve.
Ses paupières sentrouvrent avec fébrilité. La réalité, floue, regagne lentement toute sa consistance. Karl observe la pièce : une table pour seul mobilier, une porte fenêtrée, une loupiotte accrochée au plafond.
Cette cellule
Karl referme les yeux comme pour ignorer la malicieuse vérité qui manipule ses sens.
« Rien à faire, tout ceci est bien réel ».
Un agent de police ouvre la cellule. Lair entre dans la pièce et ressuscite le journaliste en proie au désespoir. A côté de lagent, Antoine observe son confrère et le gratifie dun sourire chaleureux. Karl apprécie à sa juste valeur ce geste complice. Il y ressent une amitié sincère née dans les dédales dune école de journalisme. Ah, les affres de la distance, capables démousser les liens les plus solides. Les deux hommes sortent. Recouvrant sa liberté, Karl découvre la pénombre, la nuit va tomber. Il pleuviote. Le fond de lair est frais. Il sen sert un bol, lesprit encore chahuté par sa détention.
Aucune parole ne parvient à sortir de la bouche du jeune homme. Il remercie néanmoins Antoine pour lavoir sorti de ce guêpier et lui demande de le raccompagner à son hôtel, lieu où leur chemin se sépareront.
Dans lobscurité de sa chambre, Karl fait le vide tant bien que mal. Ses démons le pourchassent. Son cur palpite aussitôt que rejaillissent les images de cette exécution.
Il se concentre, tente de faire le point sur la situation, et réclame à son esprit la clarté de linstant présent. Sa conclusion ne tarde pas.
« Je sens le fauve ! Une douche ! Vite, maintenant ! ».
« Cet homme se serait donné la mort quoi quil arrive ». Cette pensée, méditée sous une eau très chaude, offre quelques instants de répit à sa conscience.
En sortant, à laise dans son peignoir de bain, il prend son bloc-notes et un dictaphone quil approche de ses lèvres. Lheure est à la réflexion.
« Il y a six jours maintenant, lobservatoire du pic du midi annonce que le météore nentrera pas en collision avec la terre. Quelques heures plus tard, lobservatoire est détruit. André Simon, lhomme responsable de lexplosion, avoue quune certaine Katalina aurait commandité lattentat. Sen suit la rencontre avec cet individu non loin du commissariat. Il semble connaître André Simon et évoque, avant de se donner la mort, un travail à Prague, prélude à une catastrophe. Manifestement, il y a un lien avec le rayonnement évoqué par lauteur de lattentat. »
Karl poursuit son monologue, intrigué.
« Tout senchaîne trop facilement. Un scientifique qui doit manipuler les explosifs aussi bien que moi choisit la frontière espagnole pour échapper à la police. Quel fin stratège ! Il est aisément arrêté, naffiche aucune résistance et déballe toute son histoire à la police. De deux choses lune. Soit il nest pas scientifique, soit il na pas opéré seul. Quoiquil en soit, il sen suit le suicide dun type, bien entendu, à proximité du commissariat et devant témoin. Il a parlé dun secret. Katalina aurait donc mis la main dessus. Pour le compte de qui ? Et dans ce cas, pourquoi attirer lattention sur lobservatoire du pic du midi ? »
Lesprit de Karl sembrouille. Il gigote la tête et tente de se concentrer.
« Lobservatoire du pic du midi. Cest la clé de lénigme, jen suis sûr. Lannonce qui en provenait serait-elle une manuvre subversive ? »
Soudain, Karl se remémore dune affaire similaire en Chine. Il ouvre un document archivé sur son ordinateur et relit attentivement la déclaration du directeur de recherche, Yu Ping, de lobservatoire chinois situé à Li Jiang.
« Il a annoncé que le météore na aucune chance dentrer en collision avec la Terre. Cet observatoire est équipé du plus gros télescope dAsie du Sud Est avec un diamètre avoisinant les deux mètres. Ce qui semble, comme dans le cas du pic du midi, insuffisant pour de telles prédictions. Si lon superpose les deux affaires, cela signifierait que lobservatoire de Li Jiang aurait également reçu des fonds privés. Ces éléments convergent vers lenquête de Cécilia sur les marchands de lApocalypse (ainsi avait-elle nommé les membres de ces hautes sphères de la finance tirant partie des investissements fait pour la recherche scientifique). On a déploré la disparition du rapport de la découverte et de ses auteurs. Par manque de preuves, le gouvernement chinois a très vite démenti la découverte de lobservatoire Li Jiang. Dune manière ou dune autre, cela signifie que quelquun ou quelque chose tente de garder le contrôle sur le flux dinformations concernant la position du météore par rapport à la Terre. »
Karl est dans une situation psychologique délicate. Son intuition lamène à penser que son métier de journaliste léloigne de la vérité. Pour comprendre les mécanismes de cet engrenage, un tri entre les informations officielles et officieuses est primordial.
« Récapitulons. Lopinion publique croit en une menace arrivée de lespace. Par deux fois, la communauté scientifique tente dapaiser la population en délivrant des éléments prouvant que le météore na aucune chance dentrer en collision avec la Terre et, comme par enchantement, toutes les preuves pour valider ces annonces disparaissent. »
Karl a un frisson dans le dos aussitôt quil saisit les nuds de cette mascarade.
« Les marchands de lApocalypse investiraient dans le milieu scientifique pour profiter de certains effets de ces annonces notamment dans les marchés boursiers. Lannonce fait grimper les cours internationaux comme la conséquence dune forme de soulagement. Parallèlement, ils orchestrent le discrédit de ces découvertes. Les marchés seffondrent et les marchands de lApocalypse se remplissent les poches par effet yoyo. Mais il y a pire, la crédibilité de la communauté scientifique nen souffre même pas, puisquelle est posée en victime dattentat. Le mystère du météore perdure, inquiétant la population, instaurant la peur et une forme de contrôle sur lopinion des gens concernant lavenir de la planète. Notre monde est en proie à lincertitude, le ciel risquant de lui tomber sur la tête à tout moment. Ainsi les marchés financiers restent dans le flou. Ce stratagème est complexe. »
Karl trouve une idée pour le titre de son prochain article quil note sur son bloc : « Délit dinitiés à léchelle cosmique ».
Néanmoins, le journaliste ne parvient pas à oublier les dernières paroles de cet homme bedonnant ayant mis un terme à sa vie :
« Non je n'ai plus le droit de vivre...Maintenant, ils connaissent le secret du météore...Jamais plus je ne pourrais me regarder en face...A quoi bon
»
« De quel secret parlait-il ? Sagit-il du rayonnement ou plutôt, ses effets ? Ce suicide imprévu constitue-t-il la poussière de lengrenage ou en fait-il inexorablement partie ? Quelquun, plus haut placé encore que les marchands de lApocalypse, tient-il toutes les ficelles de cette guerre de la manipulation ? ».
Le reporter reste donc partagé entre deux perspectives concernant le suicide : croire en la pénitence dun homme qui baignait dans la tourmente ou étudier léventualité dun comédien kamikaze, pion parmi les pions. Pour lheure, il choisit dappeler sa rédaction.
- Bonsoir chef, cest Karl. Je compte me rendre à Prague pour continuer lenquête et
- Oui, bah bien sûr
La rédaction de « Libé » ma appelé pour me demander de couvrir les frais juridiques liés à ta libération ! Tas intérêt à revenir avec larticle du siècle ! Sinon, je les retiens sur ta paie ! Hurle Bruno Marcovich.
- Cest en cours
Y a-t-il du neuf à Paris ?
Après un instant dhésitation, Bruno prend un ton plus calme.
- Je ne sais pas comment te le dire. On na plus de nouvelles de Cécilia depuis quelle est partie pour Munich.
- Quoi ?!
Lhomme est tout de noir vêtu. De longues mèches de cheveux masquent une partie de son visage. Une main gantée tient élégamment son arme. Des yeux dAlfred se dégage toute la démence dun prédateur prêt à dévorer sa proie. Cécilia regarde aux alentours. Les fenêtres sont trop loin pour penser à une quelconque évasion. La porte derrière elle aurait constitué une merveilleuse échappatoire si elle navait pas été fermée quelques secondes plus tôt. Elle sent que son vis-à-vis nhésitera pas à faire feu au moindre geste de sa part. Elle prend la parole masquant la peur qui lui tord lestomac.
« Que faîtes-vous dans ma chambre ? déclare-t-elle fermement sans quelle parvienne à stopper le tremblement de ses deux longues jambes.
- Ne le devinez-vous pas ? répond Alfred sournoisement. Il se lève et pointe son révolver sur la jeune femme.
Cécilia sent une bouffée de chaleur lui monter à la tête. Cette chaleur ankylosante qui interdit une quelconque lucidité pour discerner ne serait-ce quun espoir de solution. Debout, lhomme glisse le bas de son long manteau noir derrière ses cuisses comme se mettre plus à laise. Il incline sa tête sur le côté et observe sa prise. Il prépare lexécution. Tant bien que mal, Cécilia tente de gagner du temps en jouant lintox.
- Je présume que votre présence ici est née de la volonté de Schuwald. Mais, je me demande bien
- Monsieur Schuwald ! interrompt Alfred. Savoir « le pourquoi » des choses ne fait pas partie de mes assignations.
Alfred pose un doigt sur la gâchette. Il nest pas de ces tueurs de bas étages qui laissent à leur victime le choix de linstant pour mourir. Toutes les paroles du monde lui paraissent plus futiles les unes que les autres. Il na quun seul objectif : supprimer. Il a même oublié à quel point cette femme la subjugué par sa beauté. Son esprit aliéné doit être soulagé. Telle est sa seule prérogative. Il doit se libérer. Il ne perçoit quune échappatoire : tuer cette femme. Il y a quelque chose dartistique dans sa démarche. Son rituel répond à des règles précises, à une obstination, à un choix du cadre adéquat. Il y a dans sa méthode toute lindécence dun photographe qui préparerait le portrait dun défunt comme seul souvenir dune famille en deuil.
« Gagner du temps, gagner du temps ». Cest tout ce qui préoccupe Cécilia tandis que son tortionnaire approche.
- Eliminer une journaliste me paraît tout à fait inhabituel pour un homme ayant des préoccupations aussi vastes que celles de Schu
Monsieur Schuwald » annonce Cécilia précipitamment.
En réponse, Alfred tire sans sourciller.
La jeune femme tombe à genoux. Des larmes lui sont arrachées des yeux. Elle couvre le côté droit de sa tête dune main bientôt recouverte de sang. Elle tente de crier mais, à ce moment précis, les mocassins étincelants de son bourreau apparaissent devant elle. Cécilia gémit mais sa gorge sèche est nouée par la douleur. Elle sent maintenant le canon du révolver, glacial, sur son front.
« Ceci est mon trophée, ma belle »
Alfred hoche la tête et tend un petit sac. Cécilia, écoeurée, devine quelle doit ramasser son oreille déchiquetée. Elle comprend également que sa dernière heure a sonné.
« Vous êtes si belle, jaurais aimé vous rencontrer dans dautres circ
»
Alfred sinterrompt. Un bruit sourd a traversé la chambre, puis un second, et un troisième. La fenêtre de la chambre, située au fond de la pièce, a volé en éclat. Le corps dAlfred réagit à chacun de ses bruits par un petit sursaut. Le visage de lhomme se décompose. Cécilia lève la tête, les yeux écarquillés. Une larme de sang sécoule au coin des lèvres du tueur.
« Trop belle
» marmonne Alfred avant de tomber au sol, conscient de lerreur quil vient de commettre en ayant laissé les rideaux ouverts.
La porte vole en morceaux. Deux hommes en cagoules se ruent sur la femme complètement abasourdie par ce qui lui arrive. Le premier lève le bras et frappe la jeune femme sur le haut du crâne sans le moindre ménagement. Il la saisit, inconsciente, tandis que le second sort une arme et tire sur le corps dAlfred comme pour sassurer que le cadavre ne se relèvera pas. Les deux individus se ruent dans le couloir et montent les escaliers vers le toit de lhôtel. Un hélicoptère les y attend laissant glisser une échelle en corde. Accueillant ses nouveaux passagers, lobjet volant sélève dans le ciel dans un bruit assourdissant.
Une quinzaine de minutes plus tard, lautogire se pose aux abords dune piste. Lendroit ressemble à un petit aéroport privé. Les deux malfrats chargés de leur « paquet » rejoignent une femme attendant à lentrée dun jet prêt à décoller.
- Elle est toujours vivante jespère, senquière-t-elle.
Les deux individus cagoulés, hardis jusquà maintenant, sagenouillent devant cette femme dont la posture, la prestance et le regard inspirent linquiétude. Lun deux lève la tête et prend la parole dun ton respectueux.
- Oui, Maîtresse Katalina.
- Bien, la comtesse saura vous récompenser. En route.
Le ciel lui tombe sur la tête. Karl raccroche lentement le téléphone tandis que mille questions lui traversent lesprit. La dernière est la plus cinglante, témoignant dun manque total de discernement : « Pourquoi cette réaction ? ».
Lui qui a si longtemps cru sêtre débarrassé du fantôme de Cécilia. Lui qui a repris goût à la vie. Pourquoi, cette annonce engendre-t-elle en lui une si violente explosion de désespoir ? Karl rappelle sa rédaction et recueille toutes les informations sur le départ de Cécilia. Elle est partie à Munich pour enquêter sur Albert Schuwald. Son hypothèse est quil doit exister deux camps opposés au sein de la communauté scientifique. Les marchands de lApocalypse financeraient lune des parties pour torpiller lautre. Mais Karl na jamais adhéré à lhypothèse de Cécilia.
Et maintenant, que faire ? Karl nose imaginer la suite. Les minutes passent. Le jeune homme est accablé. Ses pensées virevoltent mais finissent par se clarifier. Ses lèvres se tendent inexorablement. Il sourit. En cet instant précis, dans cette banale chambre dhôtel au cur de Tarbes, un homme pactise avec le diable. Il nest pas ce valeureux chevalier prêt à sauter sur son destrier pour sauver la belle. Pourtant, dieu sait quelle lest. Non, ce héros nexiste pas en lui. « Cécilia sest fourré dans le pétrin mais elle devra sen sortir seule » pense-t-il. Elle la quitté, a vécu sa vie. Il veut vivre la sienne. « Je dois reprendre mon enquête ! A Prague ! Je nirai pas à Munich ! ». Sur ces derniers mots, Karl enlève son peignoir, éteint la lumière et se couche nu sur son lit. Il finit par sendormir.
Dehors, le tonnerre gronde. La pluie sabat violemment sur les vitres de lhôtel. Daucuns verrait en la décision de cet homme la plus grande des lâchetés. Lui ny voyait, pour lheure, quune douce vengeance.
La nuit est agitée. Les cauchemars se succèdent. Dame Morphée, maligne, fustige Karl des visions les plus obscures. Il est enchaîné dans une pièce. Les murs ensanglantés marmonnent des sons inintelligibles. En face de lui, prend forme la silhouette dune femme sans visage dont il ne discerne que le sourire. Un rictus qui se transforme en un rire sordide tandis que les murs nen finissent plus de psalmodier des paroles étranges. Un pistolet se glisse dans la main droite de Karl, subitement libéré. Sans pouvoir contrôler son geste, il pointe larme vers cette femme sans visage. Des larmes de sang ont remplacé son sourire désagréable. La main tremblante, il tire. Limaginaire du jeune homme dessine peu à peu le visage de cette femme tombée au sol. En le découvrant, il dirige le revolver vers sa tempe. Un rire diabolique traverse linconscient de Karl qui se réveille subitement, affolé, les yeux humectés, le corps suintant.
Au petit matin, le ciel a regagné toute la beauté que lui offre un soleil éclatant. Le radio-réveil qui chantonne la magnifique balade de John Lennon, Imagine, ne réveille pas Karl obnubilé par ses hallucinations nocturnes. Désoeuvré, il commande tout de même au room service quelques journaux quotidiens ainsi que la panoplie du « royal petit déjeuner » tel quil est vanté par la carte de lhôtel. Ce matin là, les tartines sont fades, le thé manque de saveur, la vie elle-même paraît insipide. Karl a le coude sur la table, la main sous le menton, les sourcils froncés. Il se tapote le bout du nez avec lindex : le penseur, dans toute son hésitation. Il ne comprend pas la raison de ce mal être, ou plutôt ne veut-il pas se lavouer. Dun geste canin, il secoue la tête pour chasser ces pensées fugitives. « Ma décision est prise ».
Jamais Karl naura passé autant de coups de téléphone. Il appelle toutes ses relations à Paris. Un contact au RG lui dégote un semblant de dossier sur cette femme, présumée terroriste, appelée Katalina. Karl est persuadé quelle détient la dernière pièce de son puzzle. Ouvrant un mail crypté, il découvre le passé dun agent secret américain : Catheryne Bakes, ayant émigrée en Ukraine à la fin des années quatre vingt dix, période où elle changea didentité. Le fichier contient une vieille photo. Son visage est impassible, légèrement masculin, adouci par le charme dune chevelure rousse impeccablement attachée. Elle a les yeux noirs de jais, un regard dune profondeur inouïe. Si le diable croisait cette femme, il se prosternerait devant elle.
Le journaliste épluche les pages du dossier une à une. Elle a un parcours militaire des plus terrifiants, engagée dans la plupart des interventions militaires américaines dans le monde entre 1981 à 1994.
La première année, le soutien des Etats-Unis aux contras situés au Honduras conduis Catheryne à se battre contre les sandinistes du Nicaragua. Elle est rapatriée en 1985, trois ans avant la fin de lintervention pour des raisons familiales, le décès de son frère.
En 1986, Catheryne rejoint les forces armées américaines envoyées en Libye pour bombarder les principales villes du pays. Elle oeuvre au moyen orient en qualité de pilote de chasse. Après une courte retraite, on la retrouve aux Philippines en 1989 où elle exerce à nouveau son talent de pilote. Elle finit par lopération Tempête du désert, en 1991, tristement célèbre pour avoir fait naître le syndrome de la guerre du Golfe. Karl continue. Son profil psychologique souligne un profond traumatisme à la suite de cette dernière bataille. Elle quitte larmée et sengage dans les services secrets américains pour lutter contre le terrorisme. Ce « blabla » militaro-politique, conclu sur la migration de Catheryne, ou plutôt Katalina, douest en est, ennuie profondément le reporter. Il ny voit que les implications bureaucratiques de « la trahison dune femme qui a tout simplement perdu la raison ». Devant le manque cruel dinformations concernant la situation actuelle de Katalina, Karl finit par se détourner du dossier pour se plonger dans un quotidien pris, au hasard, dans la pile à côté de lui. La lecture dun article le paralyse :
[
] le porte-parole de la police de Munich a déclaré que le corps, criblé de balles, de Sylvinio Berlutti aka Marc Beauchamps aka Alfred Sight, a bien été identifié.
La veille, effrayée par des rafales de coups de feu, une femme de ménage avait alerté la police arrivée trop tard sur les lieux pour interpeller les auteurs de lassassinat. Le décès de Berlutti est déjà qualifié d« aubaine » par les instances judiciaires munichoises. Litalien était tristement célèbre pour avoir été lun des membres les plus actifs sur la scène du crime organisé en Europe. Entendu par les autorités, le directeur de lhôtel a signalé que la chambre était occupée par une journaliste française, Cécilia Dupretz, qui est portée disparue. Lenquête sur les circonstances de cet assassinat semble sorienter vers la piste du règlement de comptes tandis que les autorités françaises réclament des informations complémentaires au sujet de la disparition de [
]
« Cécilia » soupire Karl.
Elle ouvre lentement les yeux. Cécilia est assise, solidement attachée dans ce quelle perçoit comme le couloir dun petit avion. Ses deux ravisseurs se tiennent debout devant la cabine de pilotage, toujours encagoulés, arme à la main. Cécilia ny connaît pas grand-chose en artillerie mais elle croit reconnaître ce que les films décrivent comme des mitrailleuses. Elle se rappelle soudainement sa mutilation. Curieusement, elle nen ressent plus la douleur. Laurait-on anesthésiée ? Elle regarde son reflet dans le hublot et constate la présence dune compresse soigneusement collée à laide de sparadrap. Elle nose pas prendre la parole de peur dêtre la victime de nouvelles violences. La porte du cockpit souvre. Une femme portant une combinaison moulante en cuir noir approche de la prisonnière. Elle se penche vers elle, laissant sa longue chevelure rousse plonger dans le cou de la prisonnière. Katalina chuchote à loreille, encore intacte, de la jeune journaliste :
« Jespère que tu te délectes de ce petit moment de repos ma belle. La comtesse nous attend. Si tu veux vivre, je te conseille de lui dire tout ce que tu sais sur Schuwald. »
Message édité par Tokki le 01-12-2004 à 01:28:02