Citation :
Madame la ministre, Suite à l'adoption en deuxième lecture de la LCEN par l'Assemblée nationale, je tiens à vous féliciter pour ce que vous avez accompli. Sincèrement. Je suis épaté. Vous et tous les députés qui étaient à leur poste ces 7 et 8 janvier 2004 nous ont donné une belle leçon.
- Leçon de démocratie, en faisant de la France le quatrième pays à appliquer officiellement une censure d'Etat de l'Internet, après la Birmanie, la Chine et l'Iran (glorieuses références!)
- Leçon de bon sens, de connaissance de l'Internet et de son fonctionnement, en imposant aux intermédiares techniques des tâches de censure titanesques qui ne les regardent pas. Appliquer ce que vous leur demandez causera à terme leur faillite. Est-ce là le plan de Mr. Raffarin pour faire de la France une «république numérique» ? Transposé dans le domaine -voisin- de la téléphonie, cela équivaudrait à imposer aux opérateurs d'écouter tous les appels de tous leurs clients et dénoncer tout appel suspect dans les plus brefs délais. A aucun moment cela ne vous semble absurde. J'admire votre pragmatisme.
- Leçon d'intelligence économique, en déléguant le sale boulot à ces mêmes hébergeurs, chargés de faire eux-mêmes la police et d'en assumer les frais, économiques comme médiatiques. Ceci évidemment sous la menace, un valet obéïssant bien mieux quand il a peur. Vous avez raison! La justice a bien assez de travail avec les chauffards et les fumeurs de cannabis, laissons des sociétés privées faire la police dans le cyberespace. Tant pis pour l'éthique.
- Leçon de bonne foi, en affirmant que considérer un e-mail comme une correspondance privée permettrait à des hordes de pirates sans merci de s'échanger des fichiers illégaux par e-mail. Même chez vos partenaires majors, qui ne sont pourtant plus à une énormité près, on n'avait pas osé la faire. Justifier l'atteinte à la vie privée de millions de gens par la guerre sainte contre la contrefaçon, c'est un concept d'avenir. Propriété intellectuelle, que de crimes on commet en ton nom!
- Leçon de courage, en osant faire pour le courrier électronique ce qui appliqué à la Poste ou au téléphone ferait descendre les gens dans la rue. Mais après tout, c'est pas grave, c'est que Internet, c'est pas comme si c'était la vraie vie. Et puis j'ai pas le temps de manifester, j'ai les gosses à aller chercher et y'a Bachelor sur la 6.
- Leçon d'indépendance politique, en entrant dans l'histoire comme le ministre le plus respectueux des exigences de l'industrie musicale. A croire que c'est rentré dans les moeurs, puisque vous n'essayez meme plus de cacher vos connivences, que ce soit en faisant présenter un projet de loi capital sur le droit d'auteur par l'épouse du P.D.G de Vivendi-Universal sans que personne ne s'en étonne, ou à travers des déclarations aussi éhontées que "«Les responsables [des] industries culturelles étaient encore dans le bureau du président Ollier à midi. Nous n’avons eu de cesse de travailler en concertation avec ces industries, de tenir compte de leurs revendications." (Jean Dionis du Séjour, Assemblée Nationale, 7 janvier 2004)
Vraiment, je suis admiratif. Mais je ne vais tout de même pas vous laisser partir si vite.
Juste le temps de vous rappeler l'échéance des élections régionales. Car tout vilain internaute que je suis, je suis aussi un électeur. Et j'entends sanctionner tous les hommes et groupes politiques qui ont soutenu cette loi. Des représailles qui frapperont aussi vos alliés, ces lobbys de la propriété intellectuelle dont nous savons tous désormais qu'ils vous dirigent comme un pantin pour dicter mot pour mot des lois dont ils sont les seuls bénéficiaires.
Jamais je ne tolèrerai que l'on sacrifie ma liberté au profit de ma prétendue sécurité. Les 100.000 signataires de la pétition de la ligue Odebi ne semblent pas plus de votre avis. Ne croyez surtout pas que tous les français ont la mémoire courte, cette erreur coûte cher.
P.S : J'ai envoyé une lettre du même acabit à vos amis lobbyistes. Je vous en copie le contenu ci-dessous car je suis sûr qu'il fera un excellent livre de chevet. Vous avez je pense grand besoin d'un condensé de bon sens et de vérités qui fachent. Copie de ce courrier est également envoyée au Premier Ministre, au député Patrick Ollier ainsi qu'à Pascal Negre, président d'Universal Music France.
Messieurs les grands patrons de l'industrie musicale,
messieurs les garants de la survie de la création, Je vous invite à lire attentivement ce message, la fin pourrait vous plaire.
Je profite de l'adoption hier de la loi sur la confiance dans l'économie numérique (LCEN) pour vous adresser ce message longuement réléchi.
Je commence à en avoir sérieusement assez de voir mes libertés et mes droits les plus élémentaires sacrifiés sur l'autel de vos intérêts. Le lobbying existe et a par essence du poids dans les décisions politiques, mais quand il va trop loin, touchant à la démocratie elle-même, il devient insupportable. J'ai sincèrement l'impression que si tuer des petites filles pouvait servir vos intérêts, vous exigeriez une loi légalisant l'infanticide.
Attentif depuis longtemps à la dégradation progressive sur l'Internet du respect de ma vie privée et de ma condition de consommateur, je ne portais déja pas Monsieur Nègre et ses acolytes dans mon coeur. Je continuais pourtant à acheter leurs produits et leurs services, bien qu'étant coupable occasionnellement de ce que vous nommez abusivement la "piraterie". Et oui, je suis quand même un bon consommateur. Non, j'étais. Car c'est fini. Si être un gentil client n'est pas incompatible avec l'usage du "Peer2Peer", il l'est en revanche avec mon dégoût et ma rancoeur envers des gens qui entendent me racketter, me traiter comme un criminel (c.f. les procès intentés outre-Atlantique) et prétendre que sans eux la musique n'existe plus. Et ça, c'est vous, vous SEULS qui l'avez engendré. En représailles, J'entreprends dès aujourd'hui un boycott total, inconditionnel et durable à l'encontre de tous vos produits et services, tant que cette loi sera en place.
Je ne suis pas le seul à en croire les 100.000 signataires de la pétition de la ligue Odebi, qui appelle "les internautes à frapper efficacement, largement, et durablement, les intérêts économiques des Majors par exemple, par un boycott total de leurs produits commerciaux, y compris en ligne".
VMais ne vous en faites pas pour ça, ne vous occupez pas de nous (sauf bien sur il s'agit d'espionner nos e-mails pour y traquer des MP3). Rien ne semble pouvoir vous faire entendre raison, alors vous n'avez qu'à continuer dans cette voie, à vous reposer sur votre modèle économique qui vous a enrichi des décénnies durant, et croire naïvement qu'il est éternel. Appliquez-vous encore à devenir l'industrie la plus détestée au monde, à traiter vos clients comme des assassins. Continuez à exiger que le que le monde entier change pour vous, au lieu d'évoluer comme le font toutes les autres entreprises qui voient leur environnement changer.
Cependant j'ai une confidence à vous faire. Vous êtes plus mauvais devins que Paco Rabanne, alors devant tant d'énergie perdue à enrayer le piratage, j'ai une révélation : votre croisade n'aura pas l'effet escompté.
Faisons un peu de science-fiction : si demain le Peer2Peer s'arrête, si plus aucun fichier musical ne circule sans votre contrôle bienveillant, les millions de clients que vous avez perdus ne redeviendront pas soudainement les acheteurs dociles que vous cultiviez autrefois. Ils n'achèteront pas davantage vos produits. A la place ils se tourneront massivement vers les réseaux paralleles, le piratage industriel qui leur fournit des copies pour 5 ou 10 euros, seul moyen désormais pour eux d'obtenir de la musique à un prix décent et qui ne soit pas infestée par vos DRM intrusifs. Navré de saper vos rêves de reconquête, mais le peuple ne renonce pas d'un coup de baguette magique à un privilège qu'il a eu pendant des années. Allez-y, messieurs, verrouillez l'Internet. Les réseaux mafieux d'Asie du Sud-est vous supplient de le faire, leur chiffre d'affaire stagne depuis que l'échange gratuit explose. Ils attendent ce jour autant que vous. Et quand ce jour arrivera, vos ventes s'effondreront comme jamais elles ne se sont effondrées. Vous connaîtrez alors vraiment le sens du mot "piratage", et regretterez de l'avoir employé à tort et à travers. J'en viens à me demander si je ne serai pas moi aussi heureux de voir s'achever l'ère des dinosaures. Je ne peux pas prédire ce qu'il y aura après vous, mais à part de voir disparaître totalement la création musicale, on ne pourra pas faire pire. Et je ne serai pas surpris qu'on découvre que des artistes ont survécu au cataclysme, qu'au fond vous n'étiez pas si indispensables.
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