bonsoir, dans cette nouvelle la chute c'est que Lucy meurt, mais je ne comprend pas quand il dit "ce n'était pas qu'un simple lapsus"... Pourquoi ? Est ce qu'il savait que Lucy était avec elle ? Est ce qu'il se trompe entre Virginie et Lucy ? Votre aide me sera vraiment utile. Je suis en classe de 3eme et je ne trouve aucune réponse à cette question. En vous remerciant !
" LUCY de Henri Gougaud
Tous ses voisins adoraient Lucy Quimby. Elle était gaie, discrète, serviable - la bonté même. Les jeunes cadres un peu snobs du quartier l'estimaient physiquement quelconque - elle était, il est vrai, un peu boulotte, un peu courte sur pattes, un peu trop blonde - mais dans son regard toujours ensoleillé pétillait une telle gentillesse qu'il suffisait qu'elle vous dise "bonjour", de grand matin, à l'heure où l'on achète son journal, pour que l'on se sente aussitôt d'humeur allègre et que l'on ait envie d'embrasser ses deux joues rebondies. C'est d'ailleurs ce qu'avait fait Joseph Quimby. Un jour de printemps, courant à son bureau, la serviette sous le bras, il l'avait rencontrée, revenant du marché, son panier débordant de carottes et de salades. En passant elle lui avait dit un mot aimable avec, dans l’œil, son bon sourire. Alors pris subitement de folie fantasque, il l'avait serrée sur son cœur. Trois mois plus tard, il l'avait épousée. Depuis, Joseph et Lucy Quimby étaient aussi heureux qu'on peut l'être en ce bas monde.
Pourtant, malgré l'amour qu'elle portait à son cher Joseph, la bonne Lucy ne lui avait jamais avoué l'étrange, le terrible secret qui faisait d'elle une femme hors du commun: elle était un peu sorcière. Sa grand-mère - une fieffée mégère, elle - lui avait appris avant de mourir quelques incantations assez efficaces pour lui permettre sans douleur de se transformer en n'importe quel animal. Lucy avait donc le pouvoir d'entrer à volonté dans la peau d'un chat de gouttière ou d'une souris de salon, d'un tigre ou d'un dragon flamboyant, les monstres légendaires n'étant pas exclus du catalogue. Mais elle n'abusait pas de ce don bizarre. Elle en usait même avec la plus extrême discrétion. Sans doute, de temps à autre, allait-elle voleter, abeille parmi les abeilles, autour des fleurs de son jardin, mais elle ne poussait jamais plus loin l'extravagance. Elle était une épouse irréprochable et entendait le rester.
Or, vers la dixième année de son mariage, Lucy Quimby s'aperçut avec mélancolie que Joseph l'accablait au fil des jours d'une indifférence de plus en plus morne. Il n'était pas vraiment odieux, non, mais il baillait en sa présence, il rêvassait, l'air taciturne, en faisant semblant de lire son journal, bref, il s'éloignait manifestement de sa tendre épouse, voguant vers d'autres jupons. Lucy s'inquiéta. Comme elle était trop bonne pour être jalouse, elle se reprocha de n'être pas assez belle, assez intelligente, assez affectueuse. Elle suivit donc un régime amaigrissant, redoubla d'entrain et d'affection. Elle fit tant qu'elle parvint à ranimer quelques braises et à réchauffer un peu l'atmosphère conjugale. "Alléluia, se dit-elle en son cœur, mon cher Joseph revient à moi." Hélas, son cher Joseph, un soir, le front barré de rides brisées, le regard fuyant, lui dit brièvement qu'une affaire urgente l'obligeait à s'absenter pour le week-end.
Alors Lucy, le premier moment de désespoir passé, décida fièrement de le suivre. Non point pour l'espionner, Dieu l'en garde! La sainte femme voulait simplement, tout simplement regarder vivre son époux hors du foyer et apprendre ainsi à mieux le connaître pour l'aimer mieux et le rendre heureux, enfin, s'il était encore temps. Mais comment l'accompagner partout sans être vue? Comment? Parbleu! Elle prononça la formule magique et aussitôt se transforma en puce, en puce minuscule. Et pour être sûre de tout voir, de tout entendre à l'aise, juste au moment où Joseph franchissait la porte de leur petite villa, elle bondit, se posa à l'ombre du lobe de son oreille droite et attendit.
Joseph Quimby n'alla pas très loin. A quelques centaines de mètres de chez lui, il s'arrêta devant la maison de Virginie Stone. "Ainsi, se dit tristement la petite puce, Virginie est l'heureuse élue." C'était une vieille amie de Lucy. Elle était belle mais très médisante. Une vraie langue de vipère. Une splendide chipie. Joseph entra chez elle. Elle l'accueillit avec passion. Il parut gêné par ses débordements amoureux. "Mon pauvre mari n'a pas l'air dans son assiette, se dit la puce, à l'ombre de l'oreille. Assurément, Virginie Stone n'est pas une femme pour lui. Elle est trop passionnée, trop possessive." Il s'assit tout raide sur le bord d'un fauteuil en face de sa vampirique maîtresse, s'humecta les lèvres et dit assez solennellement :
- Ma chère Virginie, j'ai mûrement réfléchi. Nous avons vécu ensemble une agréable aventure mais pour parler honnêtement je ne suis pas amoureux de toi. J'ai décidé de ne plus te revoir et de consacrer ma vie, désormais, à faire le bonheur de ma femme. Lucy est une admirable épouse, j'ai honte de l'avoir trompée, j'espère qu'elle me pardonnera. Je veux passer ce week-end tout seul, à me refaire, pour elle, un cœur tout neuf. Virginie, je te souhaite d'être heureuse avec un homme digne de toi.
La petite puce écouta ces mots avec une émotion considérable. Elle pleura de joie si fort que ses larmes inondèrent quelques pores derrière l'oreille de son cher Joseph. Virginie Stone, évidemment, réagit de manière en tous points contraire. Quand Joseph Quimby se leva pour prendre congé elle l'agonit d'injures. Il demeura de marbre. "Tu ne peux rien contre notre bonheur, lui cria la petite puce à voix microscopique, gambadant follement sur la joue de son mari, tu ne peux rien contre notre bonheur!"
Hélas, elle se trompait. A bout d'arguments, Virginie Stone gratifia son ex-amant d'une gifle vengeresse, une de ces gifles qui vous impriment pour plusieurs heures le parfait dessin de cinq doigts et d'une paume, en rouge profond, sur la joue. Joseph Quimby, stupéfait, caressa machinalement de l'index sa face durement outragée et la trouva légèrement humide. Il regarda le bout de son doigt et vit un relief de bestiole écrasée. Il se demanda stupidement où il avait bien pu attraper des puces et, complètement sonné, sortit en bredouillant :
- Adieu Lucy
Ce n'était pas un simple lapsus."