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Des milliards de cigales sortent de terre aux Etats-Unis
LE MONDE | 11.05.04 | 13h30 Les annales et corrigés du baccalauréat depuis 1995.
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Après dix-sept ans de vie souterraine, les larves remontent à la surface pour achever leur transformation en insectes et se reproduire. Les scientifiques ignorent la cause de la durée de ce séjour sous la surface qui varie fortement selon les espèces
Une vague bruissante a commencé à déferler sur une partie de l'Amérique du Nord. Dans un vacarme assourdissant, les murs des maisons, les pelouses et les arbres se couvrent d'homoptères au corps noir, aux yeux rouges et aux ailes translucides. Cette invasion ne vient pas du ciel mais du sol, et ces envahisseurs sont d'inoffensives cigales.
Après une vie souterraine de dix-sept ans, des milliards d'entre elles ont commencé à sortir de terre le 8 mai dans le Tennessee, l'un des 13 Etats de l'est des Etats-Unis concernés. L'abondance exceptionnelle de l'invasion s'explique par la réunion des trois espèces qui la composent : Magicicada septendecim, Magicicada cassini et Magicicada septendecula. "Rien que dans l'Ohio nous attendons plus de cinq milliards de cigales", confie Gene Kritsky, professeur de biologie au College of Mount Saint- Joseph à Cincinnati (Etats-Unis), et spécialiste de ces insectes.
De quoi surprendre plus d'un petit Américain, trop jeune pour avoir connu la grande émergence de 1987. L'afflux d'insectes avait alors provoqué quelques mouvements de panique, des personnes se cloîtrant chez elles malgré l'avis rassurant des scientifiques. "Les cigales ne piquent pas et n'attaquent pas l'homme", indique l'un d'eux. FILM D'HORREUR
Néanmoins, 34 jeunes couples, peu désireux de célébrer leurs noces sur lit d'insectes stridulants, ont déjà consulté Gene Kritsky. "Personne ne verra un milliard de cigales émerger au même endroit", prévient le biologiste. Pendant une semaine environ, le spectacle qu'il décrit fera irrésistiblement penser à certaines scènes de films d'horreur : "A Cincinnati, le gazon couvert de cigales aura l'air de bouillir. La nuit, les insectes tombant des arbres feront penser au bruit de la pluie." Chiens, chats, écureuils et oiseaux se précipiteront sur cette nourriture facile. L'émergence périodique et massive des cigales pourrait d'ailleurs relever d'une "stratégie de survie, écrit Gene Kritsky dans la revue en ligne du College of Mount St. Joseph. En effet, -les prédateurs- en mangeront tant qu'ils finiront par s'en lasser, laissant des milliers d'autres libres de se reproduire".
ENVIRON UN MOIS DE VIE
Fait curieux, l'homme figure parmi ces mangeurs occasionnels de Magicicada. De véritables friandises ailées au bon goût d'asperge, à en croire des "cigalivores" du Maryland, qui ont conçu d'audacieuses recettes : beignet de cigales, cigales sautées ou cigales au chocolat... Ces gourmets devront faire vite pour les capturer. L'irruption des Magicicada sera en effet aussi brève qu'abondante. Mué en adulte, quelques heures après sa sortie de terre, l'insecte ne vit qu'environ un mois.
Durant leur longue existence aveugle, les larves creusent des tunnels jusqu'à environ 30 cm de profondeur et sucent la sève des racines. Avant d'atteindre la taille adulte, de 2,5 à 5 centimètres, elles passent par cinq stades de développement. Après dix-sept ans de croissance, elles se préparent à sortir. Certaines bâtissent de petites cheminées de boue afin de gagner l'air libre sans se noyer. A partir de mi-mai, dès que la température atteint environ 17° C, les larves sortent, généralement le soir, à la faveur d'une petite pluie qui ramollit la terre.
Arrivées à l'air libre, elles ne sont pas encore pourvues d'ailes. Les larves s'agrippent sur leurs pattes pour escalader un arbre, un mur, une feuille ou une tige où elles pourront effectuer leur transformation en adulte. Cette "mue imaginale" (de imago, image : l'adulte est l'image parfaite de son espèce) dure environ deux heures, laissant l'insecte sans défense. Pour échapper aux prédateurs, il se transforme de nuit. L'exosquelette de la larve s'ouvre par le milieu du dos et la cigale, alors d'un blanc laiteux, se dégage de sa vieille peau.
Insectes arboricoles, comme toutes les espèces de cigales, les Magicicada n'ont rien à voir avec les criquets migrateurs. Elles ne forment pas de nuées, et pour cause : "A l'état adulte, la cigale se contente de voleter", rappelle le professeur Michel Boulard, entomologiste français spécialiste des cigales, auteur de Vies et mémoires de cigales (Equinoxe, 1995).
De fin mai à début juin, les mâles se regroupent sur les arbres, et "sonoguident" les femelles avec leur "chant" en vue de l'accouplement. De début à mi-juin, les femelles pondent environ 800 ufs chacune, dans de petites fentes qu'elles creusent dans l'écorce des branches à l'aide de l'ovipositeur situé à l'extrémité de leur abdomen, seuls dégâts causés par la cigale dont les ufs éclosent au bout d'environ quatre semaines. Les larves se laissent alors tomber sur le sol qu'elles creusent de leurs pattes avant fouisseuses. Un mécanisme original de gouttières abdominales leur permet même d'utiliser leur urine pour ramollir la terre. Les Magicicada recommencent alors un cycle souterrain de dix-sept ans. Pourquoi un enfouissement si long ? Pourquoi les cycles varient-ils autant d'une espèce à l'autre, voire au sein d'une même espèce ? Michel Boulard attribue ces différences aux conditions plus ou moins difficiles de nutrition sous terre et à la sécheresse du sol.
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