J'ai trouvé ce truc marrant sur les incohérences des tontons flingueurs :
Bizarre,bizarre les Tontons flingueurs.
Oui, j'ai dit bizarre car on ne comprend pas bien certaines situations quand on analyse de près le film. Et on se pose des questions quand on effectue des rapprochements entre certaines scènes sans nécessairement trouver de réponse infaillible.
Il faut donc bien admettre invraisemblances et contradictions et reconnaître qu'elles sont nécessaires: l'humour implacable de Théo quand il mitraille les Wolfoni implique justement l'usage des armes. Criblées de balle ses victimes se remettent bien rapidement, nécessité d'assister à la cérémonie finale oblige.
Reconnaissons que beaucoup d'invraisemblances encombrent les films que Lautner a voulu parodier, et on comprend qu'il ne se soit pas géné pour forcer la dérision : bagarre dantesque entre Freddy et Monsieur Fernand dans la distillerie sans le moindre bleu, (même en noir et blanc), le mur de briques qui explose sous la force du vainqueur qui y projette le vaincu. J'ai voulu pousser un peu plus loin l'esprit critique, trés géné d'égratigner ce film culte, mais ces remarques n'entameront rien au plaisir de le voir et revoir.
1) Où était le Mexicain pendant les quinze années qui ont précédé sa mort ?
Dans la pampa, en Amérique , au milieu des cactus ?
"Quinze ans d'absence, quinze ans d'interdiction de séjour" songe Fernand en se rendant à Paris.
Pourtant quand le notaire présente à Fernand Naudin la situation catastrophique des comptes, il précise bien qu'il avait épargné ce déplorable bilan au Mexicain, car "c'était un homme à tirer au hasard, sans discernement ", il fallait éviter les fusillades contre les mauvais payeurs, par souci de la réputation de la petite. "Les ragots dans la presse, vous voyez ça d'ici ?"
Mais comment ces scénes de violences auraient-elles pu se produire, le Mexicain étant aux Amériques ? Comment aurait-il pu intervenir de si loin contre les responsables de ce coulage ? D'autant plus qu'il est clair que l'interruption des rentrées d'argent est récente, bien postérieure au départ du Mexicain aux Amériques. Les affaires ont été longtemps florissantes. "Un demi-milliard en quinze ans" hurle Raoul Volfoni à son auditoire de la "réunion des cadres façon meeting" à la péniche, avant l'irruption de Naudin.
Et face au nouveau patron, entré à sa façon, les gérants devront admettre aprés quelques discussions que les résultats de l'année précédente ont été excellents, ont "battu des records".
De plus, si l' argent avait cessé d'entrer depuis longtemps, le Mexicain l'aurait découvert, malgré les ménagements du notaires, et aurait été dépouillé. Sa requête auprés de Fernand n'aurait été présentée de la même façon : plus d' "affaires qui tournent toutes seules" et les "vautours " auraient déjé accompli leur besogne.
Alors si le notaire n'a pas alerté le Mexicain que l'argent ne rentrait plus, pour éviter quelques coups de feu qui nuiraient "au climat", c'est une précaution trés récente, de l'année passée, et le "taulier " n'était pas loin, sauf à supposer qu'il était toujours prêt à prendre l'avion pour régler les litiges, ce qu'on finirait par penser.
Ou alors le notaire fait-il référence au bref et dernier séjour du Mexicain à Paris, quand il n'a pas voulu le mettre au courant que les gérants ne payaient plus ? Difficile à admettre, vu l'état du moribond, qu'il soit encore capable de tirer dans le tas, malgré les armes dissimulées sous les draps. Etait-il revenu en réalité plus tôt, encore valide, sans prévenir immédiatement son ami Fernand ? Dans ce cas il lui ment, quand il se désole de n'avoir connu que l'ambulance et le lit, et on se demande pourquoi il ne l'avait pas appelé plus tôt. Avant d'essayer d'y voir plus clair dans les relations des deux potes, on peut relever d'autres indices qui font douter de l'éloignement permanent du Mexicain.
On sent ainsi sa présence proche quand Madame Mado dénonce son "esprit de droite" ."Il sortait son flingue quand on lui parlait augmentation ou congé payés. " Et à moins d'admettre que Raoul se trompe dans les dates, ces menaces de patrons de choc ne peuvent pas dater de plus de quinze ans, durée pendant laquelle ils ont " fait le trottoir " pour lui.
Donc le Mexicain n'était vraisemblablement pas toujours absent pendant ces quinze ans, prêt à user de son arme quand ses intérêts étaient en jeu .
Le Mexicain surveillait aussi la vie personnelle de son équipe. Depuis l'Amérique ? Même à l'article de la mort et tout juste revenu par avion, il ne supporte pas la présence de l'ami de Théo. Il semble bien informé de leur liaison particuliére et on se demande comment pour quelqu'un qui revient de si loin depuis si longtemps. Quinze ans auparavant, lors du départ supposé définitif du Mexicain, la gonzesse qui doit se tailler "quand les hommes parlent" devait être en culotte courte, ou en jupe plissée !
On hésite donc une absence compléte et des allers et venues, mais pourquoi ne contactait-il pas Fernand, pourtant son ami, voire le seul , à l'occasion de ses passages à Paris ?
D'où d'autres mystéres :
2) Monsieur Fernand Naudin et le Mexicain " Depuis vingt piges que je te connais "
L'amitié de Fernand et Louis n'aurait eu que cinq ans pour s'exprimer, puisque Louis était parti depuis quinze ans et meurt à son retour.
Et pendant ces cinq ans, courts pour tisser une amitié inébranlable, il y a eu des silences. Fernand ne connait pas Jean, embauché il y a dix-sept ans. Les liens étaient donc déjé distendus, il ne reste plus que trois ans de relations solides, et de souvenirs évoqués dans la chambre : " les petits matins, les filles qui sortent du Lido. " Trois ans, c'est peu.".
De plus Fernand découvre aussi la maison , dont l'acquisition, " une affaire ", est obligatoirement antérieure à l'embauche particuliére de Jean (ou John). Les trois ans se trouvent encore réduits.
Tout cela est en fait confus, même dans la mémoire des personnages, qui s'embrouillent eux-mêmes dans leurs décomptes : "Voilà dix ans que t'es barré.. " et non plus quinze, quand la discussion s'anime entre les deux potes.
"Vous étiez l'ami de Louis depuis longtemps ?" - demande maître Folace. "Depuis toujours." C'est plus fort que vingt ans, l'amitié indéfectible reprend le dessus sur les calculs mesquins, qui eviennent du coup impossibles.
Mais il me reste des doutes, et je vais faire partie des "salisseurs de mémoire". Louis s'est certainement laissé aller à délaisser Fernand. Il ne lui donnait déjà plus beaucoup de nouvelles avant son départ, et il revenait sans le prévenir, ou au dernier moment, pour son dernier voyage. Et je ne ferme pas mon " claque-merde " ! Je continue.
3) Fernand Naudin et Raoul Volfoni se connaissaient-ils ?
Dans la grande salle de bowling, à l'arrivée de Fernand, Wolfoni se restaure et le laisse passer, indifférent. On le devine à peine.
Au cours de la vive discussion qui a lieu aprés la mort de Louis, les fréres Wolfoni annoncent les pires ennuis à Fernand, "migraines, nervous breakdowns ", mais la mise en garde débute par "Ecoute,on te connait pas, mais ...".
Bref tout porte à penser que les Volfoni et Fernand Naudin ne se sont jamais croisés, ni n'ont entendu parler l'un de l'autre. Ainsi en emmenant Fernand chez Tomate, suite au coup de téléphone reçu par Henri, Pascal le tueur présente à sa façon tout ce beau monde, y compris les Volfoni, et l'écoute attentive de Naudin montre bien qu'ils lui sont entiérement inconnus, comme les autres, à l'exception d'Henri.
Et voilà qu'en dégustant le vitriol dans la cuisine, Volfoni et Naudin évoquent des souvenirs communs d'une boisson semblable qu'on servait dans un établissement Indochinois ! " Cette drôlerie qu'on buvait dans une petite taule de Bienhoar (orthographe ?), pas loin de Saïgon " Fernand a déjà dévoilé un possible passé de militaire, fier d'avoir conduit un char Patton, on suppose pendant la campagne de France, ce qu'il n'aurait pas dû» confier à Théo. Il aurait pu continuer comme d'autres ses faits d'armes en Indochine.
On peut aussi penser qu'il était déjé retourné au civil et se consacrait à ses affaires dans ce qui restait un territoire sous contrôle français, propice aux trafics en période troublée.
Rien de surprenant en tout cas et on pense à d'autres personnages issus de l'armée, comme le regretté Alphonse Boudard qui avait aussi tourné voyou avant de s'assagir.
Mais Volfoni ? Que faisait-il lui aussi à Bienhoar ? Il semble y avoir connu les mêmes situations que Fernand ! Soit en même temps et ils se connaissaient, soit à des époques différentes et en s'ignorant. Mais dans cette derniére hypothése pourquoi engager cette conversation sur ce sujet commun ? Il faut nécessairement être sûr que l'interlocuteur va être concerné !
On ne dirait pas " Elle me rappelle l'institutrice du village " si on n'était pas sûr d'être en présence d'un ancien camarade d'école !
"Tu sais ce qu'il me rappelle ?" indique bien qu'il y a eu des liens entre les deux comparses.
Ou est-ce l'alcool qui fait ressurgir un passé enfoui dans les mémoires ?
Non, Volfoni reconnait qu'il n'a plus toute sa tête, et vu les quantités ingurgitées, les souvenirs devraient effectivement s'estomper plutôt que se raviver! Mais avec l'aide de Naudin, qui reste plus lucide, cette incursion dans ce passé commun fait état de détails précis et concordants: la couleur des volets, rouges, le nom de la patronne, Lulu la Nantaise, qui s'est fait descendre devant l'établissement et par qui ?
" Toute une époque ! " qu'ils nous font revivre comme de vieux camarades ! Délires d'ivrognes ? Invention d'un passé commun sous l'effet de l'alcool ? Mais la conversation reste cohérente, et tout coincide entre les deux interlocuteurs.
Certes Volfoni approuve facilement certains faits évoqués par Naudin , soit par paresse de l'ivrogne qui se laisse mener, soit pour dissimuler son amnésie passagére qui irrite maître Folace. On pourrait en conclure qu'il aurait été d'accord avec toute autre version, et que leur point de vue commun ne prouve pas qu'ils partagent exactement le même passé. Mais c'est bien Volfoni qui a ouvert le débat :
"Tu sais ce qu'il me rappelle ?". Et a trouvé les réponses attendues avant de subir quelques défaillances. On ne saura donc pas pourquoi Raoul et Fernand se mettent à "parler de leur jeunesse ", alors qu'ils étaient étrangers l'un à l'autre quelques jours auparavant. Sinon pour le plaisir des dialogues, celui du bowling puis celui de la cuisine et on oublie l'incohérence.
4) Le mitraillage du camion piloté par Fernand Naudin
Théo est un piétre tireur, s'il évoque Stalingrad en réunion il n'a pas dû participer à la bataille ! Il aurait été descendu face au premier soldat russe !
Car manquer le conducteur d'un camion assez lent en tirant à l'arme lourde, de la part d'un gangster, même efféminé, c'est surprenant ! Et nous rappelle qu'on est bien en pleine parodie ! Acceptons. Tous rateraient un boeuf à trois métres dans un couloir, la bataille du parc ne fait que des dégats matériels !
Le notaire l'a quand même échappé belle, juste derriére l'impact de la balle qui transperce la vitre !
"Pour une fois Dieu n'est pas avec nous" se lamentera Théo, mais il ne doit pas être souvent avec lui !
Heureusement que les tueurs Pascal et Bastien, aussi redoutables qu'invulnérables, pallient aux défaillances de ces messieurs ! Quand leur seule arrivée dans le parc met fin au siége par Théo et sa bande de la "vieille maison de famille", on est quand même surpris qu'ils n'écopent pas d'une seule balle, même manquée : en descendant de voiture, en montant le perron dos tourné à l'adversaire, ne dégainant que sur la derniére marche. L'occasion était belle de se débarrasser des "deux horribles". Il est vrai qu'on a besoin d'eux pour la fin du film, comme de Naudin aprés ses mésaventures de conducteur !
Mais au fait comment est-il revenu chez Théo pour récupérer sa voiture aprés l'attaque du camion ?
C'est bien avec sa 404 Peugeot qu'il regagne ce qui est devenu sa maison, livrée aux fêtards, alors qu'il avait utilisée cette voiture pour se rendre à la distillerie de Théo.
Les forces de sécurité ont dû intervenir rapidement sur le camion en flammes, une photo dans un journal nous le montre arrosé par les lances à incendies avant qu'il ne soit réduit en cendres.
Curieux que gendarmes, pompiers ou témoins n'aient pas remarqué cet individu déambulant sur la route en pleine nuit, vêtements déchirés et en partie calcinés, à proximité du véhicule en flammes.
Des kilométres à pied, car il faisait jour quand Fernand a pris les commandes du camion et l'attaque a eu lieu en pleine nuit, donc à une bonne distance du point de départ. En se dissimulant car mieux vaut ne pas être vu, ce qui exclut l'auto-stop qui aurait fait gagner du temps. Retrouver la distillerie et repartir discrétement au volant de sa voiture, en échappant à Théo qui aurait pu remettre ça, arriver en pleine fête, même aprés la "convocation de neuf heures" , aprés un détour par la péniche pour récupérer les six millions, c'est du miracle !
Fernand n'aurait dû être de retour que le lendemain midi, mais le spectateur aurait raté la fameuse scéne de la cuisine,la visite chez Antoine... ou il aurait fallu les décaler et casser le rythme. La logique s'efface devant notre plaisir.
Fernand est-il en fait épargné par Théo pour que sa furie se déverse sur Volfoni " qui portera le chapeau " ? On croit le comprendre, et la maladresse du tireur serait feinte. Mais Tomate l'impatiente : "Qu'est-ce que t'attends, allume le !", alors que les premiers coups auraient suffi à la provocation. Etaient-ils d'accord sur le fait de l'éliminer ? Et s'il ne s'agissait que d'une mise en scéne, pourquoi avoir sorti le matériel lourd pour l'attaque ? Théo et Tomate ne font pas dans la discrétion et prennent des risques inutiles ! Mégalomanie ? Délire parodique ?
5) L'anniversaire de Fernand
Happy birthday to you, un cadeau prétendument adressé par les Volfoni qui explose dans le jardin, lancé à temps par Fernand , qui ne se doute pas de la machination de Théo. Mais, vu leurs rapports peu amicaux, comment l'ami Fritz savait-il qu'on allait fêter l'anniversaire du successeur de Louis, et comment connaissait-il sa date de naissance ?
La suite, le bourre-pif et l'ordonnance sévére, est trop drôle pour qu'on s'attache à ce détail et qu'on cherche une réponse.
6) Le mitraillage des Wolfoni à leur sortie de la clinique Dugoineau
(quel nom ! , qui doit rappeler quelques souvenirs à Dupont et Dupond !)
Elle soulage Théo, qui ne dit pas que "ce n'est pas injuste" et pour une fois a manié un peu mieux le fusil, mais pas aussi bien que l'habile accumulation de négations. Car ses victimes seront sur pied pour la cérémonie de mariage ! Avec quoi l'arme était -elle chargée ? Des balles de caoutchouc ? De si prés il ne touche aucun organe vital ! Mais on s'en réjouit, aprés tout, on les aime les Wolfoni.
On se demande surtout comment Théo a pu passer juste au moment où Raoul sortait, remis de ses derniers bourre-pif, accompagné par son frére. A la seconde prés ! Théo serait-il devin , pour les déplacements de ses adversaires comme pour leurs dates d'anniversaire ? Peut-être, mais tous les moyens sont bons !
Encore toutes mes excuses à Lautner, Simonin, Audiard, Blier, Ventura, Blanche et les autres.
Toutes mes confuses comme on dit dans un autre film culte !
7) Tout cela leur a-t-il échappé ?
Le film a été tourné en quelques semaines,ils n'ont peut-être pas eu le temps de réfléchir à tout. Ou se sont délibérément désintéressé de la logique, privilégiant l'humour, le plaisir du spectateur ? Ont-ils relevé depuis ces discordances et invraisemblances ?
Qu'en ont-ils alors pensé ? Qui pourrait me répondre ?
Cher Lautner, si tu m'entendais. Tu auras compris que je suis un fan de ton film, on pourrait reparler de tout ça !
Là, je rêve en noir ou en couleur.
[ PepeChauvin ]